ROUY nos deux classes largement ouvertes sur champs et pépinières dominent légèrement les rives ombreuses du Cosson doublées de peupliers tremblants et de « marsaules » aux doux chatons,

Et c'est, au-delà, la forêt... les bois plutôt, bois familiers où nous allons en mars « cueillir le printemps », écouter « le pivert qui veut de l'eau », et la « tourterelle qui roucoule dans sa gorge ».

Comment voulez-vous que nos enfants petits et grands - la continuité est fructueuse - ne soient pas des artistes ? Ils sont sensibles à la poésie de ce pays de bois, de landes et d'eaux, dont la beauté se déploie à leurs yeux et les enserre d'une sorte d'étreinte d'envoûtement. La poésie qui à chaque pas leur poigne le coeur et leur monte aux lèvres, n'est jamais cherchée plus loin que la sensation directe qui, elle est fantastique parce que la vie autour d'eux est fantastique : nous sommes dans l'univers surprenant où Charles (8 ans) qui traverse cinq kilomètres de forêt rencontre le faisan qui lui dit « Bonne année » ; où Paquito chaque jeudi, voit la biche devenue « sa » biche qui le regarde « avec de grands yeux doux qui n'ont pas peur » et qui s'en va on ne sait où, effacée par les brumailles complices. Animaux à peine sauvages, apprivoisés en rêve par nos petits, vous peuplez les dessins de nos classes, parés de toutes les beautés, de toute la féerie dont l'imagination enfantine tout comme la nature est prodigue, si bien que l'on ne sait plus lesquels sont irréels lesquels sont vrais ! Et parce que nous ne savons plus très nettement départager « nos biens du dehors et nos biens du dedans », nous sommes en amitié globale avec le monde et habités par une sorte d'instinct de création permanente.

 

Ecole de Crouy-sur-Cosson, Loir et Cher

 

L'épanouissement de notre oeuvre artistique se porte garant d'un tel état de nature qui n'a rien d'exceptionnel mais qui est signe de vie intérieure. Une vie intérieure qui ignore les instants d'éclipse car la continuité de nos deux classes assure, raffermit la continuité des personnalités. C'est avec joie, mus par une sorte de divination que nous laissons chacun nous livrer son chant, affermir sa ligne, signifier son style et taire fleurir les délicatesses de sa palette.

Cependant ces oeuvres personnelles appartiennent toutes à ce coin de Sologne aux tonalités si riches de fonds variés, de ciels surprenants dans les couchers de soleil violents ou adoucis au-dessus de la Loire : fonds rosissants (qui rappellent nos bruyères d'août) de citron pâle (peut-être les choux en fleurs ?) d'incarnats (la fleur d'oseille sauvage qui, mai venu, envahit les prés et les fermes)... Il suffit d'ouvrir les yeux sur la féerie d'une nature qui sans cesse se prodigue ; il suffit d'écouter les battements d'un coeur d'enfant possédé de joie et de désir pour reprendre confiance en sa mission éducative et se rassurer sur l'avenir.

Jeanne VRILLON.

(30 ans d'enseignement)

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