EXPOSITION BOULE DE NEIGE

En octobre dernier, Elise Freinet demandait à une quarantaine d'entre nous d'organiser dans nos départements ou nos régions des expositions circulantes « boule de neige ». Pour favoriser la mise en route, elle nous donnait quelques conseils :

« Dans chaque exposition figureront 3 à 5 dessins de format pouvant voyager par poste. Un commentaire accompagnera l'envoi. Commentaire bref qui visera plutôt à donner :

- une façon de faire qu'à commenter les dessins ;

- une manière de procéder d'abord : installation, horaire, activité liée à celle de la classe ou tout à fait libre ;

- une occasion de caractériser les différentes productions et d'expliquer les créations de la classe ;

- l'organisation d'un circuit entre les diverses écoles du groupe départemental, chaque école apportant une participation semblable à celle du départ. Le circuit ne doit pas être trop lent et excéder un mois.

- Critique des divers envois le jour de la réunion du Groupe. Les meilleures oeuvres sont sélectionnées dès la première réunion en vue du Congrès.

On peut, par la suite, centrer l'ordre du jour des réunions départementales sur le dessin ou tout au moins prévoir, dans l'après-midi, une critique des dessins apportés par les participants. Faire une sélection de l'ensemble des oeuvres et les mettre en attente jusqu'au jour où, en fin de trimestre, un envoi me sera adressé pour commentaires et participation au Congrès.

Je crois qu'il y a là une mise en commun nécessaire des biens de tous et un moyen d'activer la production et d'en hausser le niveau ».

   

PREMIER CIRCUIT.

Cette formule nous a séduits. Nous avons tout de suite pris contact avec Mme Connet, responsable avec nous pour le département.

En retraite maintenant, Mme Connet peut, sur place, pendant la classe, donner des conseils aux institutrices d'Ecole Maternelle.

Nous avons profité de la réunion du Groupe départemental de fin octobre pour donner le départ à six expositions circulantes pour les écoles maternelles, trois pour les écoles primaires, touchant chacune quatre écoles. Donc au total plus de vingt écoles.

Pour faciliter le circuit nous avons décidé que chacune recevrait le carton de dessins un vendredi ou un samedi. Chaque maître ou maîtresse verrait les dessins avec sa classe, noterait au passage les réactions spontanées et profiterait du choc pour faire réaliser des peintures dont les meilleures iraient augmenter le lot roulant, accompagnées des remarques du maître. Le jeudi sans faute, le tout serait expédié au suivant. Chaque école ne conserverait donc les dessins que quatre ou cinq jours de classe.

Nos projets furent acceptés et, un mois après leur départ, ces premières « boule de neige » se terminaient par la deuxième réunion départementale. Une trentaine de camarades y participaient. Collectivement, parmi les 60 ou 80 dessins, nous en avons sélectionné une vingtaine.

 

   

« Nos collègues, note Mme Connet, sont souvent hésitants. Ce sont les plus habitués, c'est-à-dire ceux qui ont le plus d'expérience, qui hésitent le moins. La sélection est l'occasion de répondre aux questions, d'expliquer les raisons d'un choix, de montrer en quoi tel dessin pèche ou, au contraire, ce qui fait la beauté de tel autre; de découvrir le pompier toujours renaissant ».

Au cours de ce premier circuit, dans les cahiers circulants, on discute surtout de l'organisation matérielle :

- Délayer soigneusement la peinture au moins 24 h à l'avance,

- la remuer chaque jour.

- Dans la mesure du possible, 2 pinceaux par gobelet (1 gros et 1 petit).

- Laver les pinceaux chaque soir,

- les ranger dans un bocal, la tête en haut.

DEUXIÈME CIRCUIT.

A cette réunion, profitant de la présence des camarades, nous mettons en route les six « boules de neige » du deuxième circuit. Portant sur un temps plus court que celles du premier circuit, elles nous donneront une cinquantaine de peintures parmi lesquelles nous en retiendrons une vingtaine.

Voici pris sur le vif, quelques échos des cahiers circulants qui les accompagnent :

·         Bonne idée que d'utiliser les albums de papiers peints.

·         En cours d'année scolaire, mes élèves dessinent beaucoup - je retiens l'idée de les laisser crayonner sur blocs pendant la lecture libre, le chant... - mais ils ne peignent pas suffisamment, je m'en rends nettement compte maintenant.

·         J'ai fait un premier essai : certains enfants ont continué de peindre pendant le travail collectif (exposés, leçons). Ils me semblaient inattentifs mais, lors du contrôle du lendemain matin, j'ai eu la preuve qu'ils avaient profité de nos travaux tout autant que ceux qui avaient « écouté ».

·         Je ne sais pas juger les dessins et conseiller utilement les enfants pour les conduire à une meilleure réussite, mais ils aiment dessiner et peindre et je pense qu'ils feront des progrès, et moi avec eux.

·         Mes enfants sont très réalistes : ils veulent avant tout comprendre ce que le dessin représente et ils sont peu sensibles à la poésie.

·         Réaction de mes élèves en face des dessins d'une exposition : D'abord : Oh !... puis silence.

   

- On ne pourrait en faire de si bien !

- On va les mettre aux murs de la classe pour faire beau.

Déception lorsque j'ai dit que nous ne les gardions pas, Ce qui m'a permis d'enchaîner !

- A votre tour, faites-en et nous les punaiserons aux murs. Je suis donc décidée à les laisser peindre beaucoup plus souvent, d'autant plus que nous sommes installés maintenant dans une vaste classe (9 m sur 8 m) et que nous avons des crédits suffisants.

·         Avant l'exposition, mes élèves peignaient sur petit format (13,5 X 21) ou sur objets à envoyer aux correspondants (bonbonnières, calendriers) ou pour la confection d'un album, donc occasionnellement et rarement, Et les peintures séchaient dans des verres sans couvercles.

L'exposition est là. Tout le monde veut peindre... Ils éprouvent un grand plaisir à étaler la couleur sur des grandes surfaces. Et les pots se Vident, et je recommence à délayer de la peinture, et les résultats ne sont pas fameux... Quelle semaine ! Désormais, nous peindrons plus régulièrement.

On trouve aussi, dans ces cahiers de roulement, les angoisses passagères de nos camarades qui travaillent dans des conditions difficiles.

·         La peur me rend agressive. Peur de ne pas savoir aider, conseiller, prévenir les erreurs et les maladresses, réparer. Peur du raté, du travail sale, du banal, du pompier, du temps perdu, du gâchis, de la répétition... Mais d'en avoir conscience ne me rend pas le calme et la joie qu'il faudrait pour maintenir l'ambiance heureuse et fervente.

Dimanche soir, je suis allée passer une paire d'heures dans ma classe et, dans le plus profond silence, détendue, j'ai fait les « corrections » de dessins : quelques contours, quelques notes de couleurs de façon que chacun ait l'air achevé, présentable.

   

J'y allais pour préparer de la peinture seulement et je me suis attardée sans rechigner et compter mon temps. C'est ça qui est essentiel : la disponibilité et le recul dans le temps comme dans l'espace.

TROISIÈME CIRCUIT.

Encore une demi-douzaine d'expositions circulantes qui font boules de neige dans chacune des cinq, six et même sept écoles. Départ le 11 janvier. Sélection le ler mars.

Et finalement c'est plus de soixante peintures d'enfants de tous âges que nous adressons à Elise Freinet pour le Congrès de Caen.

Mme Connet conclut :

« Le grand intérêt de ces expositions est certainement, plus que le choix de chefs-d'oeuvre relatifs, le travail accompli en commun. Les collègues acceptent les critiques et même les demandent. Elles acceptent les conseils, posent les problèmes de leur classe et souvent leur problème : peut-on être des éveilleurs d'art si on n'est pas soi-même artiste ? Je puis répondre : oui et on devient artiste soi-même.

Ce qui est encourageant, c'est cet enthousiasme, cette persévérance à ce travail collectif, c'est la simplicité dans laquelle il se fait. Avouons que le travail en équipes n'est pas si facile dans le milieu enseignant »

 

   

PROJETS.

Nous avons rapporté nos dessins du Congrès de Caen et nous les avons exposés dans la salle où s'est tenue notre réunion départementale de mai.

Nous avons décidé de constituer avec ce lot, complété par la sélection à l'intérieur d'un quatrième circuit, par des applications sur tissu, quelques tapisseries, des poteries, des travaux de nos anciens élèves, une exposition ouverte au public dans une salle de la ville, en juin, du dimanche au jeudi inclus.

Ainsi, les enfants pourront la visiter le jeudi, qui est la journée de rassemblement des coopératives scolaires. Les classes de la ville qui s'y intéressent pourront y venir à tour de rôle le vendredi et le samedi. Elle sera aussi, bien sûr, ouverte aux adultes qui auront là une occasion de prendre contact avec des oeuvres d'enfants.

A la demande unanime des quelques trente écoles qui ont participé à nos expériences de cette armée et qui s'y sont enrichies, nous reprendrons cette formule l'an prochain. Mais nous nous efforcerons d'y inclure les applications du dessin et notamment la poterie dont nous avons vu de si beaux exemples à la Maison de l'Enfant de Coursegoules.

P. et. M. BEAUGRAND

Mai 1962

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