La maison de l'enfant

BIEN des nouveaux venus au Congrès posent la question : « La Maison de l'Enfant ? Qu'est-ce ? »

CE QU'EST LA MAISON DE L'ENFANT ?

- L'aboutissement de créations innombrables venues de tant d'écoles et surtout d'écoles maternelles, pour signifier un instant, que l'enfant est apte à créer le décor de sa vie. Intention bien louable mais qui donne grand souci aux camarades responsables de sa mise en place : trop de richesses à inclure dans un espace mesuré et point du tout adapté pour donner l'illusion - ne fut-ce que pour quelques jours - du paradis d'enfance que nous avons charge d'évoquer.

A Caen, dans cette lumineuse et peu intime Université, il semblait difficile de poser les premières pierres - si l'on peut dire - de notre nid : les grandes verrières qui se donnaient la main sans discontinuité n'étaient guère propices à la mise en place de nos biens. Le grand mur qui leur faisait face, unique portion solide, était lui-même découpé par deux immenses baies vitrées qui ruinaient d'avance nos initiatives les plus osées.

Entre ces deux cloisons, également inhospitalières nos richesses s'amoncelaient, s'amplifiaient d'heure en heure, chacune de nos collaboratrices apportant sa charge comme abeille à la ruche. Mais quelle ruche ! Peut-être y manquait-il la reine des abeilles, la plus magicienne pour faire de ce lieu sans accueil, un havre de sécurité ou une grotte de splendeurs des « Mille et une nuits ».

 

   

Les trésors n'y manquaient pas : tentures lumineuses, coussins chamarrés, couvre-lits patiemment brodés, tapisseries si méticuleusement soignées, bric-à-brac charmant d'objets familiers, lampadaires, lampes de chevet, vases et pots, vaisselle et céramique qui attendaient la main secourable qui leur donnerait vie. Je regardais, sans bien en deviner l'origine et la fonction, un étonnant assemblage de panneaux sur lesquels étaient collés d'innombrables carreaux de céramique, très lourds à manier et qui devaient, paraît-il, être mis à la verticale pour jouer leur fonction... D'avance je frémissais de l'entreprise...

Un peu affolées, nous nous mettons au travail. Peut-être faudrait-il boucher cette grande baie ! avec du papier « kraft » ?

Aussitôt, les dévoués camarades du Calvados amènent les 60 kg du dit papier, On roule, on déroule, on mesure, on coupe. Hissées sur la pointe des pieds, en haut d'une chaise posée sur une table, courageusement, nous exécutons des exercices de haute voltige pour arriver à boucher, ce qui à première vue est un ennui : devant la baie rendue borgne, nous paraissons plus rassurées.

Elaborons ! Cloisonnons ! Coin gauche chambre ; coin droit : séjour, salle à manger ; centre : salle de jeu.

De nouveau nous considérons les lieux. Un pas en arrière nous permet une juste évaluation.

- Mon dieu que ce papier kraft est laid ! Il faut le faire disparaître !

Et c'est la valse de toutes les tentures pouvant rendre inoffensif notre morne papier. Un instant il semblerait qu'on ait atteint l'effet désiré. C'est ce moment que choisit, pour « visionner » notre oeuvre un nouvel arrivant...

Un bref regard coulé vers lui nous renseigne une moue peu enthousiaste mais toujours polie indique nettement que nous ne sommes pas en pleine réussite.

‑-Allez, décrochons, recommençons !

« Ah ! cette baie vitrée ! il faudrait la supprimer ! Tant pis. Laissons-la ! Organisons le coin de feu ! »

Miracle ! ces carreaux de céramique qui devaient tenir à la verticale, c'est une cheminée ! et quelle cheminée ! si jolie, si réelle qu'on s'y chaufferait volontiers. Et voici la table de céramique, le petit coin de lecture, les tentures, les tapis, les marionnettes ! Là... « ça tourne rond » !

La chambre à coucher s'organise facilement elle aussi... Reste la baie vitrée, et par-dessus, une accumulation de tentures, de céramiques, toutes aussi jolies les unes que les autres dont le nombre augmente avec l'arrivée des camarades et rend notre choix de plus en plus difficile.

Courageusement nous faisons des essais. Le temps passe. Voici l'heure d'assister au C.A.

Jamais cette maison ne sera prête pour demain. Quand nous revenons, deux heures plus tard, la salle à manger a pris une allure définitive, mais dans la salle de jeu, le papier kraft est toujours là, imposant dans sa morne laideur...

Alors, résolument, tandis que les camarades assistent à la première séance du samedi soir, nous recommençons - nous démolissons - Bertrand armé de son auto-clouteur nous aide.

 

On décroche le papier, on renverse les tables établissant une séparation, on cloue de la toile de jute ; les pièces de notre appartement surgissent.

On sent la main du bâtisseur ! Ça y est ! Nous y sommes. L'inquiétude s'envole. La Maison sera prête. Beaucoup de choses restent à terminer, il est bientôt minuit, et la fatigue commence à peser à nos épaules et à alourdir nos jambes. Ce n'est pas terminé, mais nous savons que nous y arriverons.

Voici Freinet qui vient voir où nous en sommes. « Heureusement surpris » il nous félicite. Cela suffit et paye largement nos peines.

Le dimanche, pendant la séance inaugurale à laquelle nous aimerions pourtant assister, nous donnons le dernier tour de main, le dernier coup de balai, et posons la dernière note colorée : les plantes.

Enfin ! Nous voilà au port ! La « Maison de l'Enfant » vit ! Elle vit intensément et exhale ce parfum tonique, de l'oeuvre collective, au sein de laquelle chacun retrouve le frémissement de vie qui a animé sa participation généreuse, et le sentiment certain que cette Maison est bien la sienne - cette maison d'où s'élève « le chant radieux de l'enfance », d'un monde éclatant d'où jaillit l'inextinguible vie.

Mme BERTEL00T.
 

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