J'en ai fait salir, des tabliers, dans chaque poste où je suis passé ! Mais là, est déjà un miracle : dans un travail où il se réalise, l'enfant est capable d'être propre, une fois passée la période d'initiation. Et j'ai laissé peindre, peindre tant que l'on voulait, tout ce que l'on voulait. J'aurais pu, à certains moments, compter plus de deux cents dessins, venus là, en réserve pour notre joie et celle des amis. Qu'étaient-ils, les premiers ? un échantillon de papier de tapisserie sur lequel se croisaient quelques traits, s'étalaient quelques taches de couleur, anarchiques, mystérieuses, sans signification. On employait un modeste matériel : pinceaux plus ou moins gros, planchettes sur lesquelles étaient cloués maladroitement cinq ou six couvercles de boîtes à cirage, dans lesquels, au début, on mêlait une poudre de couleur achetée au droguiste, à une eau mélangée de gomme arabique. L'essentiel était que les doigts tiennent-un pinceau et que le coeur et la pensée puissent s'étaler librement sur le papier. On m'apportait un dessin : « As-tu fini ? Oui ? Bien ! tu peux en faire un deuxième... » Et j'acceptais parfois la feuille presque blanche, insignifiante en apparence, comme j'ai accepté encore l'an dernier, une vague banane, premier pas vers l'expression libre... Là est le second miracle, puis le troisième, car, un jour la feuille est couverte de peinture, un jour apparaît une fleur, se dresse une maison, vogue un navire... et cela, parce qu'enfin l'accueil reçu a donné confiance et que le coeur se livre. On se livre, on se raconte, on s'exprime. C'est fini ! L'enfant prendra sa feuille, grande ou petite, fera voler les oiseaux, campera ses personnages, jouera avec la couleur, jonglera avec les lignes. Trait déroulé, taches, visages, scènes ou nature morte ; il s'exprime à l'infini puisqu'on lui en a donné la possibilité. Le climat est créé, le dessin libre a droit de cité. Il ne sera plus impossible de choisir dans la production abondante les oeuvres qui pourront arrêter le regard, fixer l'attention, faire dire : « Il y a là quelque chose ». |
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