0ù se cache la source ?

Je reste toujours confondue, lorsque penchée sur les tables ovales ou sur les chevalets, je découvre les oeuvres charmantes de mes élèves tant elles sont éclatantes de couleurs et de fraîcheur.

Où trouver le secret d'une telle réussite ?

Où se cache la source profonde qui alimente cette expression artistique ? D'où leur vient cette émotion vive, nuancée qui se libère dans ces réalisations pleines de poésie ?

Trop d'enfants entrent dans notre école marqués par une atteinte affective plus ou moins grave née au hasard de la vie familiale ; ils appartiennent pour la plupart à des familles pauvres, hantées par le souci du pain quotidien, attristées par un décès, un divorce, des naissances en trop grand nombre dans des maisons sombres aux murs lépreux. Privés d'espace et de lumière, mal aimés, rabroués, ces malchanceux nous arrivent inquiets, nerveux, agressifs, apathiques, indifférents, secrets, hargneux.

Pour s'épanouir l'enfant doit vivre dans la joie, il est donc indispensable de créer un cadre attrayant autour de lui, une atmosphère de beauté, un petit univers à lui où il se retrouve avec ses élans et sa joie de vivre.

« Qu'elle est drôle la classe » a dit Loïc sur le seuil de la porte. Sur les étagères, figées, comme à la parade, les marionnettes le regardent : Beu-Beu dans sa robe garance avec sa clarine pendue au cou, Janot-Lapin avec sa moustache raide de raphia noir, Chantecler vêtu de satin jaune d'or, Raton... Toupette...

   

- On dessine tous les jours ? demande Denise, petite fille aussi craintive que la sensitive des bois.

- Bien sûr, répond Philippe, et même pendant le calcul si on termine vite les exercices !

-Oh ! regardez ! Didier touche du doigt les petits pots en plastique remplis aux trois quarts de peinture, puis d'un grand geste du bras il balaie les murs où chantent les travaux des élèves : belles tentures qui racontent d'émouvantes histoires : « Que c'est beau ! »

Ils sont là, émerveillés, tandis que les auteurs, timides soudain, se taisent, conscients de la joie, de l'émotion qu'éprouvent les nouveaux à contempler leurs oeuvres. On n'entend plus que les « coucourou » des tourterelles et le froissement des tiges de papyrus qui montent à l'assaut des plafonds.

Demain ils sauront admirer également les belles reproductions de Van Gogh, Matisse, Chagal et Picasso que nous mettrons à leur disposition, car tout enfant est sensible à la beauté. Ils toucheront avec le même bonheur les jolis échantillons de soie envoyés par les petits correspondants de St-Etienne, les morceaux de houille qui portent l'empreinte d'élégantes fougères et toutes les richesses dispensées par la terre pour le plaisir des yeux et de l'âme.

Et voilà mes vingt nouveaux élèves de Pâques tout prêts à rire car l'insolite leur plaît. Les anciens les guident, ils vont la main dans la main comme Myrtyl et Byrtyl découvrir tous les petits bonheurs qui s'offrent à eux. Voici les grandes feuilles de papier Kraft, de papier Canson et de papier à tapisserie avec les craies de couleur, le tableau de liège couvert d'oiseaux au plumage bariolé et magnifique ; demain, à l'aide de la grosse éponge humide on l'effacera et chacun dessinera des fleurs étranges.

Les jardins de l'école attirent bien vite les nouveaux venus : ils admirent le faisan doré à la cape orange et noire ; suivent à pas silencieux Jupiter et Junon, les paons royaux qui se pavanent sur la pelouse. Les oiseaux dans les arbres, les insectes dans les gazons sont une source intarissable de surprises et d'observations méticuleuses. Les fleurs si variées et si riches de couleurs en ce printemps parachèvent l'impression de beauté que fait sur ces enfants venus des brumes des banlieues citadines, notre paysage de Loire.

Tous les messages de beauté offerts par la nature, les bêtes, les hommes sont des sources de joie, de réconfort, de rêve. Dans les jours qui viendront, je sais qu'ils éprouveront le besoin de matérialiser leur rêve et que sous leurs doigts malhabiles naîtront des créations originales. L'oeuvre d'art (paysage ou portrait ou nature morte) est un paysage vu à travers la sensibilité du peintre.

Mon souci premier est de relever les détails originaux des créations des nouveaux venus et de les encourager de mon mieux.

Mon rôle cependant, se borne à peu de chose, sur le plan pédagogique. Je prépare les gouaches C.E.L., auxquelles j'ajoute parfois quelques gouttes de Mir, les pinceaux, les brosses, les feuilles de papier. Le plus souvent les enfants commencent leurs dessins à la craie de couleur ou au crayon bic rouge, bleu, vert, noir, ou au stylo Lloyd Marking et Sakura ou au fusain, mais très vite ils choisissent la peinture car elle s'adresse davantage à la sensibilité. Il faut beaucoup de couleurs. Ils aiment jouer avec elles ; suscitent les émotions, éveillent l'imagination ; ils cherchent leurs teintes, les réclament : « Mets plus de blanc dans le rouge », « Fais-moi une couleur glycine ».

   

Le dessin de Didier, quel flamboiement

Au début, il voulait peindre un feu d'artifice, puis cela devint, on ne sait comment « la jolie petite fille au bois qui attrape un loup au lasso ». Plus de quinze couleurs couvrent sa robe et les feuilles des arbres ont choisi leurs parures automnales.

Certes, les débuts ne sont que tâtonnements, essais malheureux, mais l'enfant corrige, recommence, bouleverse. Avec une patiente pratique, des réalisations plus heureuses suivront pour obtenir bientôt des réussites étonnantes qui seront l'objet d'une exposition dans la classe. Cette exposition donnera lieu à des confrontations, des critiques, à des échanges d'amitié et créera une ambiance fraternelle qui est pour finir le meilleur gain de nos expériences. C'est par elle, par la sécurité qu'elle apporte à chacun, par la confiance qu'elle fait naître, par l'affection qu'elle prodigue, que l'enfant livre le meilleur de lui‑même, dans une sincérité totale.

Ce sont tous ces biens qui font l'harmonie de la maison d'enfants.

Francine GOUZIL

Dessins de l'École de Plein Air

de LA MONTAGNE (L. A.)

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