Petite fille

MARIE-CLAUDE, onze ans, fillette timide et douce est responsable de la table de dessin, elle s'acquitte chaque soir, scrupuleusement, de sa tâche.

Les travaux de ses camarades déjà rompues au dessin personnel l'impressionnent visiblement. Cependant, elle reste fermée, mystérieuse tandis qu'elle veille avec tant de sollicitude sur le matériel de peinture dont elle a la charge.

Octobre... Novembre... Tiendra-t-elle la promesse que je crois avoir lue, dès la rentrée, sur son visage déjà confiant ?

Décembre... un poème, enfin !

Petite fille,
Tu es partie
Dans la nuit noire
Parmi les étoiles.
La nuit est longue.
Tu t'en vas
A travers champs,
Tu ne sais plus
Ton chemin,
Et tu pleures
Petite fille,
Tu es partie
Dans la nuit noire.

   

Et Marie-Claude qui, jusqu'alors, à mon grand désappointement, n'avait dessiné que des maisons bien droites flanquées d'arbres en boules ou fuseaux, aux fruits ronds et rouges, Marie-Claude dessina, peignit la petite fille de son poème :

« Elle foule un tapis de fleurs, mais d'agressives étoiles l'environnent. Longue est la nuit... la fillette égarée pleure de grosses larmes en levant vers le ciel ses bras désespérés ».

Ce sujet, très mélo, que nous serions tentés de jeter à la corbeille à papier, est pourtant une oeuvre pour nous précieuse : elle porte la marque de l'élargissement, de la libération d'une âme adolescente, paralysée, déjà étreinte de peur et d'angoisse.

Et, en effet, la petite fille est triste, mais Marie-Claude est fière. Son sourire éclate, ses yeux rayonnent : elle aussi, désormais, elle aura des choses à dire.

Quelques jours après, elle raconte, dans un court texte libre :

« A la maison, je rêve un beau poème et de belles idées de dessin.

J'arrive à l'école et ne sais plus que faire.

Je ne me souviens plus de ce que j'ai pensé. Comment ça se fait ? »

Une petite illustration au crayon noir accompagne le texte : une petite fille, la même, et qui peut-être représente Marie-Claude, est égarée parmi les arbres, au carrefour de deux chemins. Les lignes sont belles, la fillette, sortie du même mélo, a des particularités graphiques assez intéressantes.

- Fais ton dessin plus grand et tu pourras le peindre.

La « reproduction » est décevante. La croisée des chemins n'a plus rien d'harmonieux, les arbres sont stylisés, la petite fille a perdu son originalité. On ne peut ici espérer rien de bon.

Il faut aider : j'agrandis au quadrillage, le plus soigneusement possible, la ligne générale des sentiers, des troncs, le soleil.

- Et maintenant, dessine ta petite fille.

   

La réussite est là, cette fois - du moins aux yeux de Marie-Claude comblée - sans être arrachée cependant aux fadeurs d'un pompier qu'il faudra savoir accepter, car il est dense de sensibilité et de promesses : la petite fille en robe mauve, aux riches petits chaussons bleus, veut écarter les branches nues qui se croisent devant elle. Une inquiétude tragique élargit ses yeux bleus, aussi bleus que les petits chaussons...

L'oeuvre peinte, devant laquelle Marie-Claude sourit, inspire le poème que voici :

Petite fille
Tu es là,
Parmi les arbres
Qui te cachent.

Tu penses,
Tu cherches,
Et tu ne trouves pas.

Le soleil te regarde,
Tu ne le vois pas.

Tu cherches
Et tu ne trouves pas.

Le symbolisme de cette image a une signification d'évidente solitude, d'angoisse, qui sur le plan poétique, nous donnera des créations originales compensant quelque peu, le mélo des dessins. De toute façon, c'est une chose acquise : la fillette esseulée est le thème fondamental et symbolique de Marie-Claude.

Tu es partie loin
De ta maison.

Tu es seule
Sur la route
Droite et longue.

Tu ne vois pas de maisons.

Tu vas,
Tu ne sais pas où.

   

Toujours devant elle l'infini troublant de la nuit ou la longueur aride d'un chemin désolé.

Petit bonhomme,
Tu es parti travailler
Loin de ta maison.
Ce soir,
Ce soir, tu reviendras fatigué.

Tu mangeras
Et tu iras te coucher.

Demain matin,
Quand tu seras réveillé,
Tu partiras au travail
Et tu seras encore fatigué,
Pour recommencer.

Poésie, dessin, couleur, expression libre en un mot, aideront Marie-Claude à se libérer de cette crainte obscure qui semble, inconsciemment la hanter.

Le bonheur qu'elle éprouve, en souriant à ses oeuvres ne peut être stérile.

Chaque oeuvre nouvelle marque en effet un sens artistique de plus en plus assuré. Elle sent vraiment vivre ses créations qui sont le témoignage même de sa personnalité recréée.

L. AUVRAY.

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