ESSAIS D’ART DRAMATIQUE LIBRE

OCTOBRE 1957 : nous débutons, ma femme et moi, dans le poste double où nous sommes actuellement. Mouliets, charmant petit village du vignoble girondin, riverain de la Dordogne. Des Techniques Freinet, nous avions acquis les premières notions lors du stage de Boulouris, quinze jours plus tôt et nous avions tous la ferme intention de les appliquer dès que possible.

Ce fut par le texte libre et la correspondance que j'abordai l’Ecole Moderne. Dans un climat de liberté sincère, je vis mes élèves s'exprimer de plus en plus facilement. Ce fut parfois difficile.

La fin de l'année approchait, et avec elle la perspective de notre première fête scolaire. Nous l'avions prévue longtemps à l'avance et, dès le premier trimestre, au lieu d'apprendre bêtement des récitations, nous avions monté quelques poèmes en choeurs parlés. Nous avions à cette occasion beaucoup travaillé la diction et essayé quelques dispositions scéniques. Mais nous avions la ferme intention de donner une plus large part à la création enfantine.

L'occasion s'en présenta vers la fin de l'année, un samedi matin. Le dernier texte de Serge, proposé à l'élection, était intitulé « Si nous fondions une Coopérative ». Il s'agissait d'un texte dialogué très vivant, relatant un jeu entre Serge et sa soeur dans lequel étaient mêlés le papa et la maman.

Les tables furent immédiatement repoussées au fond de la classe, laissant la place à nos vingt-cinq candidats acteurs. Ce ne fut tout d'abord que de la lecture dialoguée. On travailla ainsi toute la matinée et peu à peu la sélection se fit. Quatre acteurs furent retenus : Serge, l'auteur, Anne-Marie, sa soeur, Danielle et Christian, Les autres n'en devinrent pas pour autant de simples spectateurs et, dans les jours qui suivirent, tous contribuèrent aux progrès du jeu scénique. Un groupe même tenta de réaliser une maquette de scène avec projets de décors.

Nos acteurs cependant furent longs à se délier. Ils restaient trop esclaves du texte écrit, s'en tenant au mot-à-mot récité plus que joué.

Au bout de quelques jours on commença les répétitions sur la scène où devait avoir lieu la fête, Et peu à peu l'atmosphère se dégela : nos acteurs abandonnèrent le mot à mot et leur attitude figée. La vie pénétra progressivement dans notre théâtre. Le jeu s’enrichit d'une répétition à l'autre. Christian par exemple, campa à peu un personnage très expressif de paysan dans le rôle du père.

Le jour de la représentation, ce fut un succès : les enfants se surpassèrent et connurent un succès digne de leur travail.

   
   

Mais ce n'était là qu'un galop d’entraînement. L'année suivante, nous nous lançâmes dans un genre nouveau : le conte dramatique. Ce fut un texte de Jeannine (10 ans) qui nous en donna l'occasion. Un jour, Jeannine et Christian avaient fait peur à Yannick en lui faisant croire qu'un « homme-fouine » se cachait dans l'abreuvoir de Gilbert. Nous eûmes l'idée d'imaginer ainsi « les nombreuses aventures de Griffon, l'homme-fouine ». Ce fut une débauche d'invention : les ancêtres de l'homme fouine, sa descente sur notre planète (où il dévorait les enfants « à la croque au sel ») sa venue à Mouliets et l'instituteur aidé des enfants de l'école le traquant et l'obligeant à remonter dans son ciel natal à bord d’une fusée.

Une fois le texte mis au point, nous attaquâmes son adaptation scénique. Jean-Claude était le récitant, Yannick l'« Homme-Fouine ». Le reste de la classe fournissait les ancêtres, les enfants de l'école, etc. Un grand-frère assuma le rôle de l'instituteur.

Nous retrouvâmes pour l'adaptation scénique la même verve d'invention qui avait présidé à la mise au point du texte. Le décor : un dessin d'Eric (12 ans), représentant une maison en ruines sous l'orage agrandi et reproduit à l'huile sur un panneau en fond de 3 m sur 4 m environ, auquel les rouge et noir donnaient un aspect hallucinant à souhait. Nous donnâmes libre cours à notre imagination pour les costumes : l'homme-fouine en collant noir, cape rouge et bonnet jaune, ses ancêtres en guerriers mérovingiens, l'instituteur, en, redingote et haut de forme, Les évolutions scéniques mêlaient le mime à la chorégraphie. Yannick savait à merveille jouer ,de ses yeux et de ses bras. Le tout était mené à un rythme éblouissant, soutenu par les puissants accords de la musique empruntée à de grands maîtres, Shéhérazade de Rimsky-Korsakov, la Symphonie Classique de Prokofiev et la Ve Symphonie de Beethoven.

   

Les enfants atteignirent dans cette oeuvre une perfection artistique qu'il ne peut être question d'approcher en adoptant pour eux des textes d'adultes. Que n'avons-nous eu la caméra pour fixer cette inoubliable représentation sur la pellicule !

Notre dernière oeuvre en date est de 1960, juste avant mon départ au service militaire. Là encore, c'est un texte libre qui donna le point de départ : Nadia avait raconté un rêve : « Voyage dans la Lune ». Nous imaginâmes toutes sortes d'aventures. Mais il nous fallut élaguer par la suite. Nous adoptâmes finalement un texte sobre, très court, découpé en scènes. Nadia en était l'héroïne (en pyjama), quatre grands garçons tout en noir, avec une cagoule pour la partie lunaire, figuraient successivement l'avion emmenant Nadia vers la gare interplanétaire, la rampe de lancement, le « satellite artificiel », les habitants de la lune, et finalement un épouvantable monstre relançant d'un coup de queue Nadia sur la terre.

Le décor était encore d'Eric, représentant un paysage lunaire aux formes et aux couleurs fantastiques sur fond noir, la musique de Prokofiev (Roméo et Juliette).

Personne n'oubliera avec quelle légèreté Nadia escaladait la rampe de lancement pour se retrouver sur les épaules de Jean-Claude, tête du satellite, ou encore avec quelle élégance la fusée perdait successivement ses éléments.

Le « Voyage dans la Lune » a été représenté deux fois : la première à Mouliets lors de notre fête, la seconde dans l'Hérault, à Colombrier, au cours de notre voyage chez nos correspondants où il fut le « clou » d'une soirée prolongée jusqu'à deux heures du matin.

Voilà où nous en sommes dans la classe des grands de l'école de Mouliets. Dès l'année prochaine nous reprendrons notre recherche. Notre équipe sera de plus en plus riche, nos anciens élèves étant toujours disponibles pour venir retrouver l'ambiance de camaraderie qui a toujours présidé à nos réalisations.

Georges DELOBBE

Mouliets-et-Villemartin (Gironde).

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