L’enfant témoin de sa classe

« Parler peinture vous fait engager dans un labyrinthe dont vous ne trouverez pas facilement l’issue »

E.DABIT

Il est bien difficile de parler de ce qui est grand et beau, tellement les mots trop fréquemment employés se sont usés vulgarisés par un vocabulaire excessif. Il faudrait retrouver leur valeur première pour donner à nos amis absents, l'impression que nous avions à Caen. Et c'est en interrogeant une jeune à son premier Congrès que j'ai pensé à relever quelques-unes des réflexions de nos visiteurs de l'Exposition.

- Alors, Colette, qu'en dis-tu ?

- « Oh !... C'est magnifique ! » Et c'est dans la joie de Colette que le mot magnifique a repris tout son sens. Ses yeux se sont agrandis, m'offrant son admiration avec le scintillement de leurs paillettes.

J'ai continué, cherchant des camarades chevronnés mais aussi de tout jeunes et des « étrangers » au monde enseignant.

- « C'est formidable ! Je suis habituée à voir les expositions du Congrès... Celle-là est plus proche de l'âme enfantine... elle est à la fois plus riche et plus variée... » (Mlle M., Ec. Mat.).

- « C'est un encouragement de voir des peintures de tous genres, de toutes tendances et surtout de tous les départements. Cela ne donne pas de complexe... Et il y en a une à moi ! » (Une jeune -Vienne).

   

Et devant les peintures des petits :

- « Il faut voir le point de départ pour oser. J'ai envie d'essayer »

- « Je la trouve supérieure à celle des autres années ! » (J. N.).

Devant les céramiques, deux apprentis de 16 à 17 ans se sont arrêtés contemplatifs et méditatifs :

- « On n'en voit pas souvent des céramiques comme ça !... parce que c'est fait à la main et pas au tour... ça a plus de valeur » (G. J - 17 ans).

- « Ça m'intéresse !... tout !... mais surtout la poterie parce que j'en fais... C'est la première fois que je vois une exposition comme celle-ci ! » (P. -16 ans).

- « On se demande si ce sont toujours les enfants qui réalisent de telles peintures... et sans aide ! » (Un moniteur d'I.M.P.).

Enfin une amie me présente un jeune artiste en photos (un abstrait). Je lui montre dans l'album « Novembre » : mois d'ennui, (encres de Chine - 5 ans) monotonie de lignes horizontales, noires sur fond de cuivre, de gris et de verts sourds.

- « Je remets la peinture abstraite en question... L'artiste cherche à travers tous ses « moi » précédents... Il lui faut l'isolement total, une chambre toute blanche, une claustration absolue pour traduire l'ennui ! »

Et ce petit de 5 ans le trouve seul, d'un jet pur, et si sûrement qu'on se sent dépassé !

Et cet autre pour qui le mot ennui est un grand rond noir. N'est-ce pas, pour nous aussi un trou d'ombre, le cafard des jours mauvais ! creusé aussi dans des superpositions de mauves tristes, de gris pensifs et de rouges adoucis !!

Pour trouver l'explication que notre logique cherche, penchons-nous sur l'atmosphère de création qui préside à ce miracle journalier. L'expression libre est le tremplin d'où s'envolent toutes ces jolies choses. J'en suis sûre, l'enfant heureux et confiant peut peindre : il est avant tout le témoin du climat de la classe. Que de belles réalisations ! dites-vous, tous, et je dis, moi : que de classes heureuses, que de classes libérées !

Je me revois, petite citadine de 10 ans, sans cesse « dans la lune » parce que c'était là mon seul refuge ! En arrivant en classe le : « Taisez-vous ! Croisez les bras ! Ecoutez ! » Et suivait une sempiternelle leçon de morale dont il ne me reste comme souvenir que l'ennui tout seul : ces lignes horizontales du petit de Liévin. Alors je rêvais... à la promenade en forêt le jour exceptionnel où nous étions partis tôt cueillir les fraises sauvages dont j'avais rapporté quelques tiges à ma maîtresse, un matin de juin !

Je rêvais... des toutes petites « crapiches » qui sautelaient sur la route de silex rose, dont j'avais empli mon tablier parce qu'à 6 ans, les bébés crapauds sont de jolies petites bêtes quand l'orage les précipite en troupe sur les chemins.

Je rêvais à ce jour où, traitée de « voleuse de fleurs dans un jardin public ! » une colère brutale m'a jetée comme une furie sur l'accusatrice. J'ai griffé, arraché à moitié la boucle d'oreille (j'avais cueilli une églantine sur un terrain vague), Et j'ai. ruminé des années durant cette colère qui m'avait démontée.

Il fallait écouter ! Mais écouter quand tant de pensées bouillonnent et que le sujet des discours ou des livres est si loin de l'intérêt du moment.

   

« Ah ! les pauv's ch'tiots liv's que ceuss' des malettes ?...

Et dans c'ti qu'est là (la vie) y a d'quoué s'empli 'coeur ! »

(G. COUTE ‑ L'Ecole).

Trente ans plus tard, les petits - mes petits - n'attendaient pas même l'heure de la classe. Aussitôt arrivés ils venaient gratter à ma porte pour me raconter leur dernière « histoire », m'apporter leur première violette ou le « roubzi » (roitelet solognot) gelé dans leurs chaudes menottes... Alors, j'écoutais ravie et recevais toute offrande, sûre que la classe serait bonne et ouverte comme leur coeur. Climat de confiance et d'heures poétiques... les peintures fleurissent, écloses dans l'élan. On raconte, on choisit le texte qui plaît, on le travaille dans l'enthousiasme, on en peint une phrase... et c'est beau, parce que jailli d'une émotion. Le compliment arrive, il sert d'étincelle. L'enfant a réussi, il recommencera et ce sera comme une conquête.

Et bien, l'exposition de Caen était le magnifique bouquet de réussites nombreuses et le témoignage de classes où l'enfant s'exprime avec liberté, avec un incontestable bonheur.

Ce fut pour les jeunes congressistes le choc qui déterminera leur orientation, et pour les plus anciens le réconfort de voir leur oeuvre chaque année grossie et magnifiée. Le cadre, il est vrai, cet « aquarium » si clair, si vaste faisait merveilleusement valoir chaque alvéole. Rien ne demeurait dans l'ombre, à toute heure, et les visiteurs furent nombreux, nombreux aussi les amateurs de clichés. Puissent-ils nous en envoyer quelques-uns !

La variété des couleurs où dominaient les teintes éclatantes, la variété des tendances depuis les graphismes purs et sobres à la Matisse jusqu'aux dessins fouillés de petites filles rappelant les broderies compliquées d'une haute coiffe bretonne. Tous les genres étaient là, prouvant cette liberté d'expression qui nous est chère.

   

« L'histoire est le prétexte et non le contenu d'une œuvre » a dit si justement Venturi.

Et chacun puisait un enseignement.

Tous les âges y avaient leur place. Dessins de l'Ecole Maternelle aux traits hardis et couleurs audacieuses, aux oeuvres des grands plus dessinées et brodées, pleines de frémissement, jusqu'à ces « jeunes filles » si personnalisées d'un garçon de 15 ans. Nous avons la certitude que le hiatus ne se produit pas quand la continuité de l'enseignement est assurée.

Je pense à « ma » Christiane, entrée aux beaux-arts à 15 ans et nullement dépaysée, ayant acquis aussi bien que ses camarades les notions nécessaires à son travail actuel et ayant gardé très vibrant, « du coeur à l'ouvrage ».

Je lus un regret poignant dans les yeux de Delbasty à l'heure du décrochage : « Oh ! c'est fini ! Je n'ai pas tout vu ! Je n'ai pas assez vu ! Montre-moi... ». C'est vers la table aux monotypes que je l'emmenai... Mais il fallait partir et son regard voulut s'emplir de tout, d'un coup, comme si c'était possible.

L'exposition, c'est le coeur du Congrès. Chacun voudrait l'emporter en entier.

Jeanne VRILLON.

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