CONGRES DE CAEN

Chaque année, en ouvrant les portes de notre exposition d'art enfantin dans chacune des villes de France où se noue la ronde de nos Congrès d'Ecole Moderne, j'éprouve ce même sentiment d'émerveillement et d'étonnement heureux que je lis sur les visages de nos visiteurs et de nos camarades.

Cependant l'attente et la mise en place de ces expositions s'accompagnent toujours de quelque inquiétude : comment meublerons-nous harmonieusement les salles si diverses qui nous sont offertes ? Disposerons-nous d'assez de « chefs-d'œuvre » enfantins ou ne craindrons-nous pas plutôt la profusion d'oeuvres qui, toutes valables, ne pourront trouver place sur nos murs ?

Comment rendre notre « Maison de l'Enfant » accueillante à nos visiteurs par une certaine unité de style et de forme, et ouverte à tous les apports de classes si diverses, oeuvrant chacune dans une familiarité de paysages, de modes de vie, d'exigences si différentes ?

Comme chaque année, nos inquiétudes se sont révélées vaines, et, lorsque la veille de l'inauguration, nous avons quitté à minuit la magnifique salle d'exposition de l'Université de Caen, nous savions que nos visiteurs ne seraient pas déçus : l'exposition artistique du Congrès prenait naturellement rang dans la lignée déjà longue des manifestations d'art enfantin de l'Ecole Moderne.

   
   
 

Cependant nous nous réjouissions de la nouvelle formule de présentation qu'Elise Freinet a voulu donner cette année à l'exposition de dessins : les envois ont été, en effet, groupés non plus par écoles, mais par départements, ce qui nous a permis d'admirer la magnifique maturité d'un mouvement qui peut « donner à voir » sur les panneaux réservés à chaque coin de France, le bel essor de l'élan créateur des enfants, de la Maternelle à la classe de Fin d'Etudes.

Profondément sensibles à tout ce qui les environne et traduisant cet incessant dialogue avec la vie qui les baigne par des oeuvres fraîches, audacieuses, éclatantes de couleur et de mouvement, nos enfants développent sans heurts, grâce au climat d'accueil et de liberté de nos classes, leurs facultés d'expression et de communication, depuis les balbutiements des bébés jusqu'aux oeuvres élaborées et épanouies des aînés.

Cette continuité de la vie créatrice de nos enfants était également sensible dans l'apport des pays étrangers et tout particulièrement dans celui de la Suisse, de la Yougoslavie, de la Pologne.

L'un des artistes visiteurs de l'exposition (et non des moindres) me disait comme la parenté des oeuvres enfantines avec celles des « fauves » lui était sensible et combien il était touché par la profondeur de joie vive et authentique qui se dégageait de l'ensemble.

Pour ma part, je me suis longuement arrêtée devant le panneau de merveilleuses photos prises par les enfants (et l'éducateur) de l'école de Buzet-sur-Baïse.

   

De la longue et patiente observation de la vie des grillons dans le pré attenant à l'école, Delbasty et sa classe nous ont apporté ces témoignages bouleversants. C'est ici le mouvement même de la vie dans son splendide et inquiétant déroulement, c'est l'instant où la goutte de rosée tremble sur la feuille d'herbe avant de s'évanouir, c'est la fragile lumière d'une fleur qui s'ouvre et se fane, la marche tâtonnante du grillon surpris par une main attentive, c'est le frémissement de la vie des insectes et des plantes capté par des êtres en suspens d'eux-mêmes, tout entiers plongés dans le tourbillon du temps créateur des rencontres, des amours, des épanouissements et des métamorphoses, de la vie et de la mort.

Me retournant alors vers les créations enfantines si éclatantes de fantaisie, si peu soucieuses d'exactitude et cependant si révélatrices du besoin de recréer le monde selon la mesure propre à chaque petit d'homme, j'ai éprouvé avec acuité quelle naïve et bienfaisante confiance dans les pouvoirs humains peut engendrer l'expression libre, quel puissant levain d'optimisme elle fait naître et grandir, multipliant les réussites, libérant les énergies, portant l'enfant au-delà de lui-même vers une incessante création de sa personnalité et du décor où il vit, sent, pense, rêve.

Dans la Maison de l'Enfant où tout objet réanimé par de petites mains ferventes chante la joie d'exister, le repos au coin de cette belle cheminée luisante de ses délicates céramiques, sur ce divan ou ces tapis brodés avec amour, près de ces tentures peintes à grands traits paisibles, de ces charmantes tapisseries aux tissus collés, de ces poteries éclatantes, de ces marionnettes pétries d'humour, est à la fois détente et enchantement du coeur et des yeux.

Madeleine PORQUET.
Inspectrice des Ecoles Maternelles

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