Avez-vous lu les nouvelles instructions pour le cours moyen en éducation musicale ?

Un coup d'oeil sur les généralités concernant les activités d'éveil nous fait pressentir un certain nombre de restrictions : « Il s'agit d'une pédagogie exigeante » (en caractères gras). « Dépasser le stade des seules réactions spontanées (...) se dégager d'une soumission à l'occasionnel (..) que le maître reste constamment vigilant à l'égard des objectifs poursuivis, et s'attache à respecter les progressions qu'il a établies.. » Puis « compte tenu de la maturité plus grande des élèves, de leurs acquisitions, de leurs expériences antérieures et de la nécessité d assurer les bases nécessaires à l’entrée au collège, les objectifs et les contenus se précisent et prennent progressivement un caractère plus disciplinaire ».

Voici apparaître l’idée que le C.M. est là pour préparer le programme du secondaire, programme écrit antérieurement (réforme Haby) donc, but à atteindre, quoi qu'il arrive. Cette idée est d'ailleurs la seule qui soit formulée dans les objectifs de l'éducation musicale au C.M. : « Au moment d'aborder l'enseignement du collège l'enfant doit avoir acquis dans le domaine musical, un certain nombre de compétences et de connaissances… »

Dans les contenus et instructions qui suivent, on peut distinguer dans les activités où l'enfant émet des sons :

CHANTS COLLECTIFS ou individuels (on ne parle pas expressément d'invention individuelle. Emploi du terme indéterminé de « production »). On en tire des formules rythmiques et mélodiques à travailler, et on joue les plus simples sur des instruments. On s'entraîne à les accompagner avec diverses sources sonores (activité mettant l'accent sur la mélodie et les rythmes avec «

« métrique », cadence régulière). On lit, en chantant le nom des notes, des phrases extraites de ces chants. Puis on se dirige vers le déchiffrage de partitions inconnues des enfants.

PRATIQUE    DE L'« IMPROVISATION » ORIENTÉE VERS LA MÉLODIE (« soutenue et alimentée » par l'« apprentissage des chants conduit avec ingeniosité... et les séances d'accompagnement »). L'éventail des sources sonores citées semble indiquer une ouverture quant aux types d'improvisations praticables. Malheureusement on tombe de haut en lisant un peu plus loin que pour « passer d'une improvisation individuelle à l’improvisation collective, le maître guidera le choix de formules rythmiques ou mélodiques, aidant à retenir celles qui lui paraîtront s’imposer par leur charme, leur vigueur, leur pouvoir convaincant ». C'est vrai, seul l’enseignant sait ce qui est beau. Un enfant n'a pas de sensibilité par définition !

 

Après les proclamations ronflantes des cycles préparatoire et élémentaire (C.P. : « Épanouissement des possibilités d'expression comme pouvoirs de création, développement de la sensibilité, ouverture au monde de imaginaire (…) continuer à développer les pouvoirs créateur l'enfant ainsi que plusieurs aspects de la fon d'expression... » C.E. : « Préservation et développement des pouvoirs créateurs de l'enfant, stimulation de la fonction d’expression... ») on conserve au C.M. que ce qui sera directement utilisable pour le programme de 6°. Quand on nous parle encore d'« improvisation », il s'agit d'un travail tellement orienté, parcellisé, en miettes qu'il est vidé de tout son sens. Au lieu de développer au C.M. le peu d'improvisation et de créativité préconisées aux cycles préparatoire et élémentaire, on l’oriente vers l’émission de formulettes rythmiques et mélodiques, le maître choisissant ensuite dans ces formulettes celles qui correspondent à ses canons esthétiques ou... à sa progression, et les fait reprendre en choeur par la classe unanime, débarrassée des problèmes de communication, de liberté et de dynamique dans un groupe.

Ainsi, jamais, de la maternelle à la troisième on ne demandera aux enfants d'inventer un « morceau » complet, préparé dans le détail, avec début et une fin. Jamais on ne se/lui pose le problème : comment organiser des sons, seul à plusieurs. On aurait pu proposer aux enfants des activités d'expression réelles, pas des « pièces poubelles » (1) comme disait Alex Lafosse dans le domaine du travail manuel.

Les programmes du secondaire consacrent disparition de toute activité de création.

On préconise, outre le chant collectif, des exercices oraux, généralisation des « pièces poubelles », parcellisation extrême des activités pour tenter d'acquérir un savoir en miettes justifié lui-même par l'apprentissage du solfège. Celui-ci apparaît massivement, non motivé, systématique, séparé de l’expression, abstrait… on connaît, malheureusement Rien n'a changé. Dans les objectifs généraux de l’éducation artistique collèges (6e à 3e) on évacue très consciemment toute activité créative, en la reportant aux activités péri-scolaires (non prises en charge l’éducation ex-nationale). Pourtant on reconnaît que « le besoin de créer est une énergie potentielle que chacun porte en lui », que « la possibilité de s’exprimer par une œuvre peut apporter un équilibre remarquable à la personnalité des jeunes ». Mais on invoque pour expliquer cette contradiction, le manque de temps « qui ne peut être emprunté aux horaires scolaire proprement dits ». D’autre part, comme il faut laisser aux élèves, « la possibilité de choisir tel moyen personnel d’expression » et que cela « ne s’accompagne guère des contraintes collectives d’une classe » (trop d’élèves, peu de locaux et de moyens matériels sans doute), ce n’est donc pas possible ! Enfin un dernier passage insiste « sur certains excès » non « éducatifs » commis pas ceux qui emploient divers modes d’expression « au petit bonheur » (quelle familiarité !) sans intention, rigueur ou maîtrise et quel que soit l’âge des enfants ». On en conclut sans rire que l’éducation artistique de la 6e à la 3e doit « créer le besoin de créer »… ailleurs !

A l’I.C.E.M., il y a longtemps que nous avons une pratique dans les domaines auxquels les instructions tournent le dos à partir du C.M., pratique que nous précisons coopérativement. Depuis longtemps les enfants de nos classes pratiquent le chant libre, parallèlement à l’interprétation de chants ; dès l’apparition des premiers 78 tours de musique extra-européenne, Freinet préconisait de les mettre en relation avec les réalisations de nos classes. Nous n’avons pas attendu que les instructions évoquent vaguement la fabrication de « cithares rudimentaires » pour mettre au point l’ARIEL. Nous n’avons pas hésité à promouvoir dans nos classes non seulement des recherches dans le style de notre patrimoine occidental, mais aussi des recherches proches de l’esprit des musiques contemporaines (concrètes, électro-acoustiques, entre autres), recherches tendant à donner aux enfants une définition de la musique plus large que la « production de formules rythmiques et mélodiques » et tendant à leur fournir un éventail de choix esthétiques dont ils puissent s’emparer en fonction de leurs besoins d’expression.

Notre travail, depuis plusieurs années, nous a permis de tenter d’y vois plus clair dans les domaines de l’improvisation collective, de la composition (activités totalement absente des instructions), de l’interprétation, des implications individuelles ou collectives dans ces diverses activités et des problèmes de communication que cela pose, des problèmes de notation en fonction du type d’organisation sonore pratiquée, du problème de la notation traditionnelle (qualifiée d’usuelle dans les instructions).

En ce qui concerne l’improvisation collective en petits groupes (pas uniquement mélodique ou rythmique) nous pensons que c’est l’occasion au C.M. de découvrir la communication par le son, au sein d’un groupe, communication directe, beaucoup moins « médiatisée » que dans la composition que l’enfant propose à des auditeurs. En revanche la composition permet peut-être mieux, par la possibilité de raturer, la matérialisation d’une intention expressive, et par la possibilité d’analyse des moyens employés, d’acquérir peu à peu du « métier ».

Mais nous nous égarons, tout cela n’a pas grand intérêt puisque ça ne permet pas directement d’aborder les programmes ! Pas contre le paragraphe « Lecture et écriture musicale » de ces programmes, que ni les maîtres, ni les enfants ne sont en mesure d’appliquer, par maque de pratique et de formation, est beaucoup plus important pour la liaison avec la 6e (une phrase entière de notions de solfège à acquérir a été purement et simplement recopiée sur les programmes de sixième !).

   

J’en entends qui vont dire : « Il faut comprendre nos supérieurs, les instructions de 6e étaient déjà écrites, il fallait bien recoller les morceaux ! »

Mais est-ce vraiment incohérent ? Une inspectrice pédagogique régionale de musique dont les militants de l’I.C.E.M. ont entendu parler, n’affirmait-elle pas : « La créativité, je n’y crois pas ; en terminale, à la rigueur, et encore, sous forme de clubs que vous dirigerez. » Ben voyons ! C’est pas pour la populasse tout ça ! L’idéologie des dons ‘est pas morte. Elle a plutôt tendance à proliférer ces temps-ci (voir Debray-Ritzen et autres). D’autre part le secondaire n’est-il pas le lieu de matérialisation de la sélection. Pour le B.E.P.C., on entend parler de contrôle continu dans toutes les matières et pour ceux qui n’auront pas le niveau on parle d’épreuves à passer (toutes matières). Question à 1000 F : « Quels types d’épreuves sont proposées en musique ? » Facile : une course d’obstacles à base de « pièces poubelles » du programme que seuls quelques enfants de bonne famille franchiront peut-être.

Pourtant toutes les notions et acquisitions définies dans las programmes seraient acquises avec facilité si depuis la maternelle les enfants pratiquaient l’expression libre dans une atmosphère de valorisation et de confrontation. Le solfège serait facilement acquis car à un certain niveau de pratique, il devient un besoin. Mais là il y a des freins importants ; Ils sont idéologiques, donc budgétaires.

En tout cas, ce que nous refuserons toujours c’est :

- de travailler avec des élèves fictifs et de leur appliquer le programme du cycle moyen comme s’ils avaient bénéficié de tout ce qui est défini dans les autres cycles ;

- d’aborder des notions, des savoirs « du programme » sans qu’ils soient motivés, nécessités par l’expression des enfants.

Combien d’élèves de nos classes primaires, secondaires ou d’écoles normales, combien d’instituteurs (trices) en formation continue n’ont jamais eu de pratique musicale antérieure ? Inutile de dire que, quel que soit l’âge auquel on s’adresse, nous commençons presque toujours à zéro, et que les premiers essais, les premiers gestes, sont d’un niveau technique de maternelle (même si l’évolution qui suit est plus rapide). C’est comme ça. C’est toute l’institution Education Nationale qui est en cause depuis des années, et elle s’entête.

La commission « Musique » de l’I.C.E.M.

Pour tous contacts avec le secteur « Musique » :

(1) On appelle « pièce poubelle » ou « pièce d’étude » l’exercice « pédagogique » sans autre utilité ou fonction que l’étude d’une difficulté technique par exemple la pièce de bois sur laquelle on s’entraîne à creuser une mortaise. (La Brèche n°51, sept.79 : « Le dessin technique, fromage pédagogique ».)

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