Ecole maternelle de Grésillac - Gironde

Art d’atelier

LORSQUE nous parlons d'Art enfantin, nous attirons si vivement l'attention des éducateurs sur la valeur d'expression de la spontanéité créatrice des enfants, qu'un lecteur non averti doit penser que le libre exercice de cette spontanéité suffit à produire ces centaines de chefs-d'oeuvre qui ornent nos expositions. Autrement dit, qu'il suffit de pourvoir un enfant de cinq ans de pinceaux, de couleurs et de papiers et de le laisser quelque temps seul avec lui-même, pour que fleurissent sous ses doigts malhabiles de merveilleuses gouaches. De là à conclure, après quelques essais anarchiques et infructueux qu'il y a fraude ou tout au moins sélection très poussée d'oeuvres d'enfants particulièrement doués, il n'y a qu'un pas, vite franchi.

Je pense qu'il y a là une méconnaissance profonde des conditions d'expression de nos petits dans un milieu riche de possibilités d'expériences variées, et au sein d'un climat communautaire, seul capable de soutenir et de valoriser les émotions, de permettre le dépassement de l'expression individuelle, la mise en partage des découvertes et des techniques, l'approfondissement du projet initial qui s'enrichit de tous les courants d'influences, naissant et s'épanouissant dans la chaleur des échanges entre les enfants, et entre l'éducatrice et les enfants.

Mon propos n'est donc point de délimiter « la part du maître et la part de l'enfant », mais d'essayer de montrer que l'Art enfantin, tel qu'il éclot dans nos écoles, est essentiellement un art d'atelier, issu du dialogue de nos petits avec le milieu, dialogue rendu conscient et expressif par le partage et l'échange, entre tous les membres de cette communauté vivante : la classe ou l'école.

Ce mot d'atelier me semble particulièrement évocateur d'une réalité complexe et multiple, d'un conditionnement à la fois matériel et social, d'un compagnonnage où la spontanéité donne naissance au projet, où le projet devient oeuvre. Oeuvres issues des mains, de l'esprit, du coeur, oeuvres dynamiques qui appellent à l'être de nouveaux projets et de nouvelles oeuvres, font surgir, prendre forme et se situer dans la collectivité et par elle, les visages de chacun de nos petits.

   

En cette après-midi de février, ouvrons la porte d'un de ces ateliers :

Dans la grande salle de classe, pas de tables ni de chaises alignées face au tableau, pas d'enfants assis sagement devant un modèle à colorier (depuis toujours nous avons résolument banni tous les modèles de dessin : timbres en caoutchouc ou autres modèles dessinés par l'adulte), pas de perles à enfiler, pas d'anneaux de plastique à accrocher les uns aux autres sans autre but que l'activité des doigts, pas de formes toutes faites en plâtre ou autre matière à remplir ou colorier, pas de canevas ou de carte où piquer docilement une aiguille selon un tracé tout prêt, pas de cartons à piqueter sagement pour en détacher un chat, un chien ou un canard conventionnels à souhait, pas de raphia ou de laine à entourer banalement autour d'un carton, pas de tissu à mettre en charpie pour un bourrage de coussins problématique... J'arrête là ma liste, elle risquerait de s'allonger indéfiniment.

Mais des tables individuelles groupées par 4, 6, 8, des tables rectangulaires autour desquelles on circule aisément. Et au centre de ces tables, un matériel collectif que des groupes de 2, 4, 5, 6, 8, enfants utiliseront à tour de rôle :

Voici la table de peinture avec sa palette riche et souple : une vingtaine de gouaches toutes prêtes dans des pots, des tons purs et de nombreux mélanges où la proportion de blanc est importante ; une palette laissée toute entière à la disposition des enfants qui choisiront librement leurs couleurs : là vont s'élaborer toutes ces gouaches, petites et grandes, qui, sur tous nos murs, font la fierté de nos écoles.

Voilà la table de découpage-collage : avec ses papiers de formes, matières et couleurs variées, ses ciseaux à bout rond et ses pots de colle : ici vont naître les papiers collés, les vitraux, les projets de tapisseries.

La table de modelage offre au plaisir des doigts une terre grise ou rose maintenue constamment humide, qu'on peut pétrir, rouler, animer aisément.

La table des monotypes étale ses plaques de verre, ses encres d'imprimerie de couleurs variées, diluées dans un peu d'essence et offertes dans des godets (la mer nous fournit à profusion les coquilles St-Jacques jolies et commodes), le rouleau encreur pour les monotypes gravés ou dessinés.

Le coin du dessin est équipé de papiers de différents formats et de couleurs variées - de craies d'art, de crayolor, de crayons vasco, de colorics, d'encres de Chine et de laris, de stylos à bille. Des tableaux bas et des craies de couleurs attendent les amateurs de dessin à grande échelle.

Enfin un matériel de décoration (tissus de tous genres) va susciter la confection d'adorables tapisseries, les unes peintes (ajouter à la palette choisie quelques gouttes de super-médium), les autres cousues (tissus ou laines appliqués).

Bien entendu, cette classe-atelier est en place à l'entrée des enfants et ce n'est pas la moindre partie de la tâche de l'institutrice maternelle que de prévoir et d'organiser cette installation chaque jour.

El. les enfants, me dites-vous, vont-ils à leur entrée, en classe, papillonner librement d'une table à l'autre, sans incitation d'aucune sorte, pour le seul plaisir des expériences avec des matériaux divers ?

Ou pouvons-nous supposer qu'ils sont tous irrésistiblement poussés par un si puissant besoin d'expression, alimenté en eux par la vivacité de leurs émotions, qu'une simple attitude de « laisser-faire » soit suffisante ?

Pour ma part je ne le pense pas.

Après quelques 800 visites de classes maternelles, je puis dégager les caractéristiques de quelques visages de classes-ateliers afin de promouvoir ceux qui me semblent susceptibles de répondre aux exigences formatives et fonctionnelles qui sont les nôtres.

Voici un premier exemple : les enfants qui ont le matin dessiné et raconté librement vont l'après-midi aux ateliers de peinture, dessin, modelage, découpage, et sans projet préalable ; l'institutrice veille au bon ordre, à la répartition des enfants aux différentes tables et laisse chacun à sa propre inspiration. Bien entendu, chaque enfant traduit dans son oeuvre le résultat émotionnel de son permanent contact avec le milieu dans lequel il vit. D'autre part cette oeuvre est naturellement empreinte des influences très diverses qui s'exercent sur lui : influence de la nature, de la rue, des êtres qui l'entourent, de l'institutrice, des autres enfants. Mais ces influences ne jouent que de façon diffuse et inconsciente. Elles ne suscitent pas de recherche particulière, elles ne cernent pas de projets, elles ne provoquent pas un approfondissement de l'émotion première suscitant des recherches subtiles d'expression dans un cadre défini.

De là naissent des oeuvres directes, assez confuses dans leurs formes, très inégales, dont le charme réside dans un expressionnisme incohérent où la palette traduit la coloration affective de la sensibilité de chaque petit, où le sujet dénote les intérêts ou les émotions du moment.

Voyons maintenant un deuxième type d'atelier artistique où l'influence de l'éducatrice sur chaque enfant va provoquer une activité artistique bien plus élaborée : ici, le dessin libre du matin a été commenté plus ou moins longuement par chaque enfant à l'institutrice (selon qu'il s'agit de classes plus ou moins nombreuses). Ce commentaire a provoqué un premier enrichissement du graphisme initial. L'approbation plus ou moins admirative de l'institutrice pour tel ou tel détail des graphismes incite les enfants à reproduire ou à répéter ces détails. L'invitation plus ou moins pressante de la maîtresse à remplir la page et à décorer peut susciter des graphismes très ouvragés, très ornés qui vont servir de projets aux gouaches, découpages, tapisseries, vitraux, etc... projets personnels à chaque enfant dont la réalisation entraîne des recherches individuelles mais n'appelle pas le soutien de la collectivité.

Du dialogue de chaque enfant avec l'institutrice peuvent naître des oeuvres très diverses selon la puissance et la valeur de l'influence exercée par l'éducatrice : parfois le choix de la maîtresse (choix par exemple d'un élément particulièrement suggestif ou original dans la page de graphismes) détermine la mise en forme de l'oeuvre ; parfois aussi le soutien verbal et l'acuité de la présence adulte provoquent un dépassement de la spontanéité créatrice et une rare densité de l'expression.

Est-il besoin de dire qu'une présence n'est pas le fait courant et qu'elle exerce d'autant plus sa puissance que le nombre d'enfants de la classe est plus réduit.

C'est vers une troisième forme de classe-atelier, la forme communautaire que nous allons maintenant nous tourner.

Ici les intérêts, les émotions, les moyens d'expression sont mis en commun et en partage. L'expression verbale et le choix par toute la classe de « l'histoire » éveillant l'intérêt maximum sous-tendent l'activité créatrice de tous les enfants.

Ainsi « l'histoire » choisie donne naissance aux projets, chaque enfant l'interprétant librement le matin par un simple graphisme au crayon noir ou au stylo à bille, le soir aux différents ateliers. Ainsi naissent et s'épanouissent par la critique collective des oeuvres, par le travail côte à côte, par la reprise aux différents ateliers du projet initial, des thèmes très larges issus et intégrés profondément dans la vie des petits : la naissance d'une petite soeur la maman - le travail des papas - la Noël - les arbres de printemps, etc...

Dans cette atmosphère de vie collective intense, les oeuvres de chaque enfant n'en sont pas moins marquées du sceau de sa sensibilité naissante : palette et style lui sont personnels et s'affirment dans la liberté donnée par le thème, dans la recherche des techniques et au contact des autres oeuvres.

Ne retrouvons-nous pas ici l'embryon des formes primitives et moyenâgeuses de l'atelier d'art, celle des grottes préhistoriques, celles des ateliers des XIIe et XIIIe siècles dont tous les artistes, travaillant à une oeuvre commune, au service d'une même foi ou d'un même rite, affirmaient de façon magistrale, dans le cadre d'un même thème, leur personnalité profonde ?

Madeleine PORQUET

Inspectrice des Ecoles Maternelles (Quimper)


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