Fait par un élève de l'Ecole énagère

UNE CINQUANTAINE D'ADOLESCENTS...

En guise d'avertissement : les notes qui suivent relatant la vie d'une équipe au sein d'un groupe Francs-Camarades ne veulent surtout pas être l'énoncé d'une nouvelle méthode de culture populaire, le problème est largement débattu par des sommités bien compétentes en la matière. Elles n'ont d'autre prétention que de rapporter une expérience et d'en déduire les enseignements - mettons provisoires qu'on peut en tirer.

Une cinquantaine d'adolescents se réunissent à des veillées hebdomadaires, afin de cultiver leurs dons personnels et d'apprendre des moyens éducatifs d'occuper les enfants du patronage de la ville le jeudi après-midi. Une partie de la veillée commune à tout le groupe maintient l'esprit Franca et assure les activités fondamentales des patronages : jeux, chants, répartition des tâches. Puis des équipes de douze à quinze garçons et filles se répartissent dans des « ateliers » : art dramatique, danse, photo, arts plastiques...

Une bonne heure d'arts plastiques, c'est un peu court évidemment, mais déjà pas mal en fin de journée, pour des adolescents survoltés : quelques étudiants, des apprentis, des élèves de l'école ménagère, une coiffeuse, des couturières, un menuisier, un terrassier... Ambiance très décontractée, et ceux qui connaissent le monde adolescent le savent ! assez malaisée à maintenir dans la mesure d'une liberté surveillée : radio, conversations... Eventail de techniques assez ample (petit crédit accordé par la ville) : peinture, fusain, lino, carte gravée, plâtre gravé ou sculpté, tentures... Le programme ? faire ce que l'on veut, mais qui soit digne de l'exposition de fin d'année.

Au départ, collages : papiers préparés, piles de verts, de bleus... où chacun puise pour se livrer à sa recherche. Sujet ? bouquets de fleurs, qu'on reprendra en décor d'étoffes collées et rehaussées de peinture ; cirque qu'on agrandira pour d'amples panneaux sur kraft, visages, masques burlesques - travaux d'équipe assez voisins de ceux qu'on peut pratiquer à l'Ecole primaire. Mais il ne s'agit plus d'enfants émerveillés. La verve parfois flanche. Les quelques doués se sont manifestés, mais la plupart des filles continue d'aligner, en papotant, des points sans importance autour d'une tenture.

Poupou, terrassier, voulait peindre un cheval de course. Le cheval est devenu lévrier et puis à cause d'une patte qui n'était pas dans le rythme, bouillie de couleur. Il se défoule en braillant un rock. Il faut arrêter les frais...

   

Le doux et tendre Bernard qui réussit des jeux de volutes extrêmement sensibles sur des enveloppes noires de radiographies, profite de l'ambiance pour montrer ingénument, afin qu'on l'admire le splendide couteau à cran d'arrêt qu'il vient de s'offrir : une merveille, 3 000 « balles »...

Un soir épique, une bande adverse (?) attendant au portail - il fallut appeler la police nos cyclistes n'osaient pas sortir. Très peu étaient en règle !

Et pourtant un Boby imperturbable continue d'étudier l'anatomie féminine dans un album de Maillol ; un Mario revit en d'inlassables camaïeus l'aventure du clair-obscur ; un jeune collègue épris de formes, fait d'innombrables fusains d'après un os iliaque déniché sur une plage de la Manche ; Nora, la petite couturière italienne, demande pour le patronage comment on fait dessiner des enfants...

Et pourtant un mobile taillé dans des boîtes de livarot, continue son vol immobile au plafond de ma classe - mouvement perpétuel, chef-d'oeuvre patient d'un stagiaire camerounais, à qui aussi l'éducation populaire posait beaucoup de questions... questions de recrutement, de place, de matériel, de temps, de disponibilité d'esprit, de méthode d'éducation, de technique enfin.

Il n'y a plus d'enfants étirant leurs ailes neuves dans un univers paré d'illusions. Il y a des hommes et des femmes livrés à l'existence, l'abstraction des études, la mauvaise humeur d'un patron, l'obsédante répétition d'un « boulot » mécanisé. Et quelles distractions pour s'évader de tout çà !

Il n'y a plus un bouquet de jeunes plantes à peine différenciées, il y a des tempéraments, des atavismes, des sexes, des convictions, des partis pris souvent farouches. Un merveilleux terrain, prodigieusement fertile, mais à aborder avec beaucoup de prudence et quel respect !...

La spontanéité n'est plus, l'inlassable patience de l'autodidactisme bien précaire. Les jeunes aiment l'ordre - hé oui ! - et la méthode. Mais quelle méthode répond à l'avidité de connaître d'abord, de créer ensuite ? Pas cette bien sûr encore utilisée dans les écoles officielles comme en 1862, avant les impressionnistes, avant Cézanne et Van Gogh.

Un problème se pose : celui du contenu de l'éducation populaire quand des Foyers auront été créés, des crédits rassemblés, des éducateurs désignés. La solution est peut-être celle que propose une expérience parallèle : un atelier du jeudi groupant une douzaine d'enfants de quatre à quatorze ans, garçons et filles de milieux très variés.

Ce n'est pas l'école, ni une garderie, ce n'est pas tout à fait un atelier libre. Ces enfants sont avides d'apprendre, avides de connaître. De connaître la vie, la réalité, les oeuvres des artistes du passé, du présent ; d'apprendre comment les Maîtres des musées ont exprimé leur pensée, leurs sentiments, comment ceux d'à présent tentent d'exprimer les leurs pour comprendre les premiers, pour, quand le moment sera venu - et s'ils sont doués - emboîter le pas aux seconds. Chaque individu doit revivre pour son compte la grande aventure de l'Art, depuis les cavernes.

Reconnaître sous les styles particuliers à chaque époque les valeurs plastiques éternellement fonction de l'immuable nature humaine, les lois dont la conquête assure la liberté d'expression. La Forme et le Fond... Les deux simultanément dans la mesure du possible...

Matisse les a comprises ces lois pour en arriver à cette merveilleuse aisance, à cette apparente spontanéité qui semble l'apanage de l'enfant placé dans de bonnes conditions.

Très tôt les élèves qui ont le goût de l'art, donc celui de l'ordre, de l'harmonie qui est ordre, savent apprécier ce côté intellectuel de leurs recherches et s'en servir comme d'un tremplin. Rôle sélectif de ces efforts, spécialisation utile à des adolescents qui cherchent à se connaître. Cas d'espèce ? Y a-t-il contradiction avec le sens d'une éducation destinée à donner à la masse la connaissance et à aider le don à fleurir ?

Une équipe d'adolescents à qui l'on proposerait, partant de dessins spontanés d'enfants, d'exécuter en « dur », des décorations pour des écoles, des préaux, des salles de jeux - exercices de fraîcheur, de grâce, de chatoyantes couleurs partant de bonnes reproductions des musées, d'apprendre les procédés classiques (clair-obscur, calligraphie) ; partant d'une vraie et vivante NATURE, de découvrir les rythmes essentiels d'un UNIVERS connu en 1962 autrement qu'en 1862, ne serait-ce pas une solution ?

Roger LAGOUTTE

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