Les enfants exultaient, mais ce n'était là, à vrai dire, que du simple travail de manoeuvre pour eux. Une joie plus radieuse les attendait à l'instant où prirent forme nos projets d'aménagement des trois grandes salles remises à neuf. Que ferons-nous sur le plus grand des murs ? Une grande céramique ! L'initiative de l'enfant ne sait point faire le départage entre le rêve et la réalisation. A l'Ecole Freinet, on y va résolument pour un travail de géant et avec moins d'appréhension qu'on n'en a ailleurs pour la décoration d'un simple cendrier pour tombola scolaire... On se mit donc en train pour meubler une surface soigneusement délimitée, (3,50 m x 2,20 m) à ne pas dépasser. Ça n'avait l'air de rien mis à l'échelle des enthousiasmes, mais il fallut tout de même trois mois de travail assidu avec bien des déceptions à la clé : pièces maîtresses volant en éclats dans des cuissons infernales ; émaux susceptibles, tournant comme du lait à des températures pour lesquelles ils étaient sans doute allergiques ; gestes d'enfants mal calculés, participant sans le vouloir au massacre des innocents... Mais, chaque déboire suscitait une énergie renouvelée chez tous ces « mal plombés » de notre classe des moyens qui semblaient auparavant, incapables d'aucun travail minutieux et soigné. Qui dira jamais jusqu’où peut s'élever l'enthousiasme de petits bonshommes résolus ? Tout arrive à qui sait oeuvrer avec entêtement et espérance. Après le dernier et long effort de sa mise en place sur le grand mur. Dieu ! qu'elle était belle notre céramique ! Nos coeurs, n'en croyaient pas nos yeux... |
|
Le vernissage nous récompensa de nos efforts. Il nous amena beaucoup de monde : amis, artistes intéressés par notre expérience, parents d'élèves, touristes de passage fort surpris d'une telle manifestation. Mais les visiteurs pour nous les plus attendus, c'étaient les habitants du village dont déjà nous avions senti la grande sympathie. Il n'en manquait pas un au rendez-vous : enfants et vieillards, hommes et femmes, jeunes gens et jeunes filles, tous arrivaient, vêtus de leurs habits de fête. Ils entraient, silencieux comme à l'église, déférents d'abord, puis se laissant gagner par une franche gaieté comme à un spectacle familier où leur bonne humeur naturelle se mettait à l'aise, sans la moindre trivialité. Plus que tous autres, on les devinait touchés par ce long travail des mains actives qui inconsciemment les faisait entrer dans l'esprit des choses, dans la vérité de l'élémentaire présente sur tous les murs. Et nous, les anciens, nous étions heureux de cette rencontre de l'enfant et du peuple, en pleine amitié, sans piperie, accordés l'un et l'autre sur une même longueur d'onde, où la peine et la joie se complètent pour signifier le destin de l'homme dans sa marche vers l'espérance. Elise Freinet. |
|