Chez nous, le travail est toujours sérieux

Des jeunes adolescents paysans de nos Causses qui de leur couteau de berger dégrossissent le bois brut avec application, ont bien le sentiment de la valeur de leur ouvrage aboutissant toujours à la jolie chose définitive. Ils apportent à ce travail de bricolage le même coeur, la même persévérance qui leur est habituelle pour les graves travaux des champs qui engagent la sécurité de toute une année.

Chez nous en effet, le travail est toujours sérieux. L'énergie s'y sent des responsabilités et on la prodigue sans compter, guidée toujours par la plus grande conscience. Si bien que vous parlant de nos « bricolages » nous sommes dans l'obligation de vous dire qu'il s'agit en fait de choses sérieuses appelées à jouer un rôle dans la vie des enfants et dans celle des parents qui ne comprendraient pas que temps et matériaux soient inutilement gaspillés. Aussi bien, tout le village accepte sans la moindre arrière-pensée que les travaux d'enfants fassent pendant de longs mois l'école plus belle avant que de les voir prendre une place définitive dans la maison. Toute création réalise ainsi un lien constant entre l'école et la famille. Ce n'est pas là le moindre des mérites de notre Art enfantin.

Faute de pouvoir vous emmener en nos Causses, dans le petit village si paisible autour de son église et de son école, nous sommes obligés de vous décrire bien mal ce qui pourtant est si simple et si naturel et vous soumettre avec quelque confusion de bien mauvaises photos dont je crains, notre imprimeur aura du mal à tirer un profit convenable. Mais la sincérité et l'authenticité valent mieux que la propagande et nous ne sommes pas habitués au trompe-l'oeil

Séduits par les travaux exposés au Congrès d'Ecole Moderne de Montpellier en 1951 dans ce coin si chantant et si joyeux qu'est « La Maison de l'Enfant », mise en honneur par Elise Freinet, nous allions, dès notre retour dans nos Causses essayer nous aussi dans un village perdu qui n'a aucun contact possible avec l'Art si ce n'est l'Art naturel de paysages âpres et nus baignés de grandeur rustique.

Comme tous les camarades qui sont intimidés devant des réussites qui leur semblent exceptionnelles, nous ne savions trop où nous allions.

   

Cependant, deux principes nous guidaient :

- le travail de l'enfant doit être le plus important dans tout ouvrage qui demande la collaboration de l'adulte. Il faut que l'adulte ne donne que le coup de pouce indispensable.

- la famille, comme l'école, doivent profiter du travail de l'enfant. Mais c'est en réalité pour la famille que l'objet doit être créé. Il prendra place dans la maison, mêlé aux humbles meubles et s'il a quelque valeur, il apportera sa note claire et son message. Alors, peut-être, un peu plus de beauté sera recherchée et la création enfantine aura joué son rôle.

Pour réussir, il nous faudra donc être modestes dans nos projets :

- prévoir des objets simples, d'une exécution facile, des formes frustes, nettes, qui ont une beauté directe.

- faire que les objets soient utiles, de façon qu'ils entrent dans le circuit de la vie quotidienne pour la faciliter ou l'embellir.

Nous nous sommes mis au travail avec grand enthousiasme et les enfants apportaient toujours un élan et une joie qui nous étaient garants de réussite. Nous ne voulons pas dire que nos créations étaient toujours marquées de grandes qualités artistiques. Nous nous placions surtout sur le plan de la sincérité et de l'authenticité, à l'écart des modèles qui si malencontreusement influencent les travaux d'art et leur donnent une tournure spéciale.

Voici donc quelques travaux réalisés pour notre « Maison de l'Enfant » à l'école, dans nos congrès puis dans la famille.

Le tabouret a été le plus simple de nos travaux et celui qui nous a donné de suite le sentiment de la réussite.

Sur la photo qui représente un coin de la « Maison de l'Enfant » de notre Congrès d'Ecole Moderne de Chalon-sur-Saône en 1954, on aperçoit, à demi escamoté par la photo, le plus simple de nos tabourets : « le sellou » qu'utilisent nos bergers pour la traite. Trois ou quatre pieds de bois dur, du buis dans la majorité des cas, simplement écorcés, poncés et une chute de plateau en noyer ou platane. Les pieds entrent « juste » en forçant un peu dans les trous pratiqués dans le plateau aimablement donné par le menuisier du village qui a tôt fait de donner quelques coups de varlope et qui toujours, avec la même gentillesse, nous laisse choisir les tombées de bois dans ses résidus de travaux. Il se dégage de notre premier tabouret une impression de maladresse comme loyale qui à nos yeux, ne manque pas de valeur, car nous avons vécu cet instant émouvant où le matériau brut devient objet nécessaire. Alors, la fantaisie entre à son tour en branle, pour pousser jusqu'à la plus grande perfection le travail premier. Le tabouret mis sur pied est poncé avec énergie, ciré pour que les veines du beau bois apparaissent sur la surface brillante. Sur le plateau, une tapisserie de laine bouclette réalisée à l'autobrodeur par les filles donne un ensemble agréable par les couleurs, le moelleux de la laine (photo 1).

Nous avons réalisé d'autres tabourets et surtout le vrai « sellou » qui en réalité est beaucoup plus chic car le siège en est recouvert d'une peau d'agneau tannée à la maison.

La petite table pliante avec dessus mobile pyrogravé, les pieds s'encastrant simplement dans le cadre léger est un ensemble agréable avec des effets divers de brou de noix en camaïeu. Cette table se transforme en travailleuse par l'adjonction d'un sac en étoffe de teintes vives tendu entre les quatre pieds.

Les meubles divers dont on voit sans peine qu'ils ne sortent pas de chez Levitan, ont demandé néanmoins pas mal de travail. Les dimensions décidées, le bois prêt, les enfants s'en vont chez le menuisier qui rabotte et « dresse » les planches.

 

   

Nous ne connaissions pas à l'époque, dans nos Causses perdus, le contre-plaqué épais oui nous permet à présent de nous tirer d'affaire tout seuls. Les encastrements, très simples, renforcés par deux ou trois vis permettent le montage sans difficulté par un enfant de douze à treize ans. Les panneaux sont pyrogravés et rehaussés de couleurs plus ou moins vives. Nos portes pivotent sur deux pointes introduites de force dans un trou fait au vilebrequin dans le cadre (photo 2).

La bibliothèque scolaire qui dans la photo (3) donne l'illusion d'une fenêtre, est une vieille vitrine appelée jadis à recevoir les prix de vertus qui constituaient toute la richesse culturelle de l'école. Nous l'avons repeinte en clair et des vitraux ont été réalisés avec de la peinture pour vitrail à froid. Elle a été terminée en une seule soirée, sur un thème unique par un enfant de onze ans. Elle est sans vantardise d'un très heureux effet.

Nous ne nous attarderons pas sur les tapis, tentures, coussins, literie d'enfant réalisés par les fillettes avec tant d'amour. Le tapis est toujours d'un très bel effet avec ses teintes vives et son moelleux confortable. Il en est de même des tentures qui sur un mur blanc se détachent avec tant de netteté décorative car nos enfants sont de grands compositeurs d'ensembles.

Naturellement, nous ne finissons jamais de tirer des bois et des racines plus ou moins biscornus, des quantités d'objets d'art, sculptures, chandeliers, lampes de chevets, statuettes, cendriers, porte-livres, etc...

Ces humbles créations sont accueillies avec grand plaisir par les familles. Les grandes fillettes emportent ainsi à leur sortie de l'école des richesses qui ornent leur chambre et qui leur donnent le goût des choses agréables à regarder. Les garçons gardent une initiative de bricoleurs et les uns et les autres font la preuve, autour d'eux qu'un peu d'art fait toujours du bien en nous déracinant de la vie trop quotidienne.

M.-L. et P. CABANES.

Les Costes-Gozon (Aveyron)

Télécharger ce texte en RTF

Retour au sommaire