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Au cours de notre déjà longue carrière pédagogique tout entière centrée par l'expression libre mise en honneur par Freinet, nous avons souvent caressé le rêve de créer un jour une revue dans laquelle, par le poème et par le dessin, s'exprimerait ce chant radieux de l'enfance qui, de toutes parts, s'élève en amplitude de nos milliers d'Ecoles modernes ; pour qu'il se prolonge au-delà des murs de la classe, dans la famille, près des amis et - pourquoi non ? parmi les adversaires farouches de cette intrépide liberté qui est notre pierre d'angle ; pour que se noue, autour de la terre, la ronde de la joie de vivre, venue en spontanéité de la multitude enfantine à l'heure où le génie de l'homme fait naître tant d'inquiétude.

D'année en année, nous avions tout en main pour donner corps à notre rêve : de la quantité prodigieuse des œuvres venues de milliers d'écoles, naissait une qualité qui ne pouvait que nous donner confiance. Que faire de tant de biens ? Il nous serait bien impossible de les thésauriser sans crainte d'en être bientôt submergés, si s'éveillait en nous la manie du collectionneur ou l'appétit du commerçant. Aussi bien, on ne saurait emprisonner la vie dont l'essence est de couler comme coule la source qui jamais ne tarit, et il est dans le cours des choses que la féerie se prodigue en transparence et gratuité.

Mais il n'est point de rêve, si généreux soit-il, il n'est pas d'offrande, si fervente soit-elle, qui puissent forcer les portes de l'avenir sans payer tribut à ce dieu cupide et méprisable : l'argent. A chacune de nos initiatives, nous l'avons vu se dresser devant nous, cruel dans ses menaces d'anéantissement, perfide dans ses détours et ses manigances, impatient toujours de conclure un marché de dupes dont nous devions faire les frais. Et il est exact qu'il a failli maintes fois nous terrasser... Mais il n'était pas dans sa nature de pressentir de quelle richesse est fait notre dépouillement, de quel élan s'accompagne notre don de soi, de quelle sérénité s'éclaire notre héroïsme. Dans ce combat que nous engageons sans cesse contre lui, nous nous sentons forts et de taille à préserver cette richesse de spontanéité qui, chez nos enfants, est garante d'audace et de confiance en l'avenir et justifie, à elle seule, notre vocation d'éducateurs.

Et parce que l'enfant nous enseigne, chaque jour, que le bonheur est sans cesse présent à ce monde, parce que nous savons que toute joie prépare une délivrance, nous osons aujourd'hui, une fois de plus, aller de l'avant dans les conditions difficiles de notre destin, en vous offrant cette revue d'Art Enfantin, la première du genre, signée de notre amitié, de notre confiance dans la réciprocité et de notre fierté, si cette fierté engage les plus exigeantes de nos responsabilités et ne redoute point de prendre en charge le morceau d'avenir qui lui revient.

Cependant, nous ne pouvons, par le simple jeu de nos bonnes volontés, escamoter les réalités économiques qui nous dominent. A l'instant un peu émouvant où nous allons lâcher l'oiseau porteur d'espérance, un regret nous vient d'avoir dû ramener notre rêve aux dimensions de nos possibilités actuelles, en ravissant quelques plumes à notre messager, comme on allège une fusée à l'essai, dans la certitude de la voir triompher mieux des obstacles.

Nous en sommes sûrs, il accomplira son voyage sans vous décevoir, car il vous portera ce coin de ciel où chante la lumière des jeunes années, ce souffle d'espérance qui nous projette vers l'avenir.

Et tous ensemble, nous dirons «  non » à l'adversité.

ART ENFANTIN.
photo école de Saint-Cado, Morbihan (Photo H.Robic)

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