Simplicité de la vocation artistique

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e mot d'Art enfantin que nous avons fait nôtre depuis bien des années, peut, nous le savons bien, prêter à critique et à ironie, si nous ne nous attachons, en préambule de cette revue, à en préciser le contenu et en pressentir les exigences.

Nous dirons tout de suite, pour simplifier les choses, que nous n'avons aucune prétention à l'ART, si l'Art doit être considéré comme fruit exceptionnel d'une âme exceptionnelle, tourment de solitude, essence de haut raffinage. Nous sommes, par instinct et par conviction, étrangers aux chasses gardées d'une Culture qui a ses hiérarchies, ses idéologies, ses dignitaires et ses prébendes, comme toute église.

La profusion hallucinante des oeuvres enfantines dénonce à chaque instant le malthusianisme d'un art précautionneusement entretenu pour revaloriser des oeuvres de Maîtres, emprisonnées à jamais dans des collections rares et que garantissent des coffres-forts. Ainsi va s'affirmant, un monde coupé du Monde où tel artiste en mal de renom, cherche jusqu'à l'épuisement à se maintenir dans son propre culte. Pour que jamais il ne ressemble à un autre et que, par cette singularité gagnée, il apparaisse comme un génie irremplaçable dans son tout petit univers.

L'univers de nos enfants est incommensurable. Il n'est, autour d'eux, pas de limites à leur quête éperdue. Ils sont dans la trame même de la création, intégrés à sa sauvagerie initiale et qui ne se soucie de rien d'autre que de joie créatrice. Ils ont à discrétion toutes les merveilles de la terre, le fantastique du ciel, l'intrépidité de leur sang, l'espérance qui fait bouillonner leur soeur d'impatience. A chaque instant, ils reçoivent et ils donnent sans être jamais marqués du souci d'originalité ou du péché de gloire. Ils sont comblés par leur moisson, ils n'ont rien à ajouter, rien à retrancher, rien à chercher et, comme Picasso, ils peuvent dire, sûrs de leur vocation : « Je ne cherche pas, je trouve. ».

Cependant, c'est justement parce qu'ils trouvent sans chercher qu'ils deviennent suspects au penseur qui s'épuise à courir les chimères. Cette façon soudaine d'être séduit par les choses, cette faculté de s'en emparer sans lutte, de s'incorporer en elles dans le jeu d'une féerie sans cesse renaissante, la joie paradisiaque qu'ils tirent de ce triomphe incessant de la vie sont n'est-ce pas ? - démarches déconcertantes pour le forcat des méditations solitaires, exilé en des sphères infernales.

Mais, à y regarder de plus près, les plus grands, les vrais artistes, ceux qui sont résolument à l'aise en face des réalités, qui font feu de tout bois et prennent leur bien où ils le trouvent, eux, ne s'y trompent pas. Et parce qu'ils ont gardé ce privilège de redevenir des petits enfants, ils n'ont pas d'appréhension à voler, ça et là, à qui ne s'en aperçoit, un peu de matière explosive dont ils font le levain de leur Renouveau. Bien sûr, ils ne le disent pas. Mais il serait facile de citer des grands Maîtres qui comptent comme une grande chance d'avoir eu des enfants à eux pour en recevoir « Visitation » et enfanter dans la joie. Ils y ont gagné en fertilité, en plénitude de création, et aussi en technicité, car l'enfant est un grand inventeur de recettes et de procédés qui sans cesse délivrent des secrets.

Freddy, 6 ans : Le Clown (École maternelle du Vieux-Calonne, Liévin, Pas-de-Calais)

 

Alain Gérard, 10 ans, École Freinet                        
(Photo Jean Marquis)

Il est prétentieux, dira-t-on, de comparer les dessins d'enfants aux oeuvres d'artistes. Celles-ci sont pensées, choisies, voulues, ordonnées dans un processus d'évolution d'un tempérament qui, pour s'exprimer, choisit son heure. Celles-là, primesautières et déchaînées, ne sont faites que de spontanéité. L'enfant est un « primitif » : vous savez bien ? la première marche de Lévy-Bruhl, le stade inférieur de la connaissance, bien avant la montée vers l'épanouissement cérébral de l'homme occidental...

C'est dans des affirmations gratuites de ce genre que l'on sent la traîtrise des mots et la malfaisance des jugements à courte vue du spécialiste. Il aurait tôt fait de gâcher nos biens et de perdre nos âmes si on le laissait faire. L'enfant est un enfant. C'est tout. Et c'est bien suffisant pour nous rappeler qu'il est le plus bel instant de la vie de l'homme. Il n'est ni supérieur, ni inférieur à son père. Il a seulement la grande supériorité de savoir rester soi-même et c'est beaucoup. Tout comme l'homme de Sartre, il pourrait prétendre être un « individu-dieu » puisqu'il sait être à la mesure de son espérance et se « choisir » comme il se veut. Et quand il s'est choisi, il mobilise en lui une densité affective, suscite une tension, éveille un enthousiasme, une intrépidité qui ont tôt fait de faire la nique à tous les raisonnements des penseurs. Mieux peut-être que l'adulte, il apporte à tout ce qu'il fait un quotient de sensibilité et de personnalité qui semble bien être jusqu'ici la marque de l'oeuvre d'art.

On y retrouve en tout cas cette atmosphère de transposition, qu’avec infiniment de commisération on appelle « animisme » chez le noir et qu’avec exagération on nomme « sacré » chez le blanc. Qui ne voit qu’il y a, entre l’artiste-adulte et l’artiste-enfant, des points communs certains dans ce monde de l’inexprimé par langage parlé où l’éblouissement des images dit bien ce qu’il veut dire ? Il serait ridicule et un peu malhonnête des les dissocier pour revaloriser l’un et déprécier l’autre, dans un but intéressé.

Nous dirons simplement que si l’Art est une activité tellement difficile compliquée et qui ne prend de la hauteur qu’à force d’hermétisme ; s’il ne vise à créer qu’un monde de royale solitude où glissent les fantômes et s’élèvent les voix d’outre-tombe ; s’il faut, pour le servir, user de roublardise ou de sorcellerie, alors, non, l’enfant n’est pas un artiste.

Mais si l’art entend rester fidèle à son acte de naissance inscrit pour l’éternité sur les parois des grottes du quaternaire ; s’il est significatif d’une passion de vivre qui se rit du qu’en-dira-t-on et des bonnes fortunes, pour chanter la surabondance de la vie, pour éveiller en nous ce goût du bonheur et des larmes qui signent les vraies « Nativités », alors, oui, l’enfant est artiste.

Nous, c’est ainsi que nous le sentons, que nous l’espérons, que nous l’aimons.

Elise Freinet

PAYSAGE

Alain Hèbles, 9 ans (Ecole des Costes-Gozon)

AUTOMNE

Ecole de garçons de St-Benoît, Vienne, Mme Barthot

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