Progresser dans l'écriture [Progresser dans l'écriture des textes libres]

Progresser dans l'écriture

Quand, dans la classe, les conditions ont été réunies pour que l'expression des enfants et des adolescents soit encouragée et valorisée, quand l'organisation du travail permet l'émergence de textes nombreux et variés, il est rare qu'on laisse ces textes en l'état. Les transformations^[1] qui vont y être apportées, par la classe coopérative^[2] le plus souvent, vont servir de base à l'apprentissage de la langue écrite, car il n'est pas question d'abandonner les élèves à leurs déterminismes. Nous voulons leur donner tous les moyens possibles d'accéder à l'expérience jubilatoire^[3] de la puissance de la langue, et l'un de ces moyens est de faire en sorte que ces textes soient le plus aboutis possible.

La classe s'attache donc à la dimension littéraire des textes, sans faire l'impasse sur la correction de la forme et l'apprentissage du code.

Ce souci d'une grande exigence dans l'écriture est présent dès le CP où, en Méthode naturelle^[4], le texte libre est à la base de l'écriture et de la lecture.

On trouvera dans ce dossier « Progresser » des exemples de textes, de leur forme première à leur aboutissement après transformations collectives ou individuelles, ainsi que des parcours d'enfants et d'adolescents, qui montrent l'importance de ce travail sur le texte et la forme qu'il peut prendre.

Enfin, la centration sur les productions de l'enfant dans le processus^[5] d'apprentissage ne peut être efficace que si elle s'accompagne d'une ouverture permanente sur la culture, sur les cultures auxquelles ces textes font écho, comme on le verra dans la dernière partie de ce dossier.

Notes

transformation
transformation : La transformation est le passage d’une forme à une autre. C’est un terme générique qui peut se spécifier en modification, variation, mutation, conversion, révolution, métamorphose… selon la nature du phénomène. « Tout acte d’apprentissage suppose des phénomènes de transformation, comme par exemple le passage d’un rapport personnel à un rapport institutionnel au savoir. […] [En Méthode naturelle d'apprentissage, on peut dire que] l’élève opère des transformations sur ses propres productions, ou sur lui-même, ou encore sur le groupe et sur les productions du groupe. Dans tous les cas, l’élève transforme ses rapports aux savoirs » (LRC, Éléments de Théorisation de la Pédagogie Freinet, Pratiques et Recherches, n° 64, éd. ICEM, 2013, 2015).
Voir dans la CLÉ le texte de Danielle Thorel « Transformer sans désapproprier » (Paroles d'experts / Textes théoriques).
coopération
coopération : La coopération n’est pas seulement le contraire de la compétition, et il ne s’agit pas seulement de s’adjoindre l’action de l’autre dans un partage des tâches, ce qui relève plutôt de la collaboration. Elle suppose une parité initiale et aussi des phénomènes de désir, d’amitié, de désintéressement. L’alter ego, c’est celui par lequel je consens à des effets d’altération, celui par qui je me laisse altérer, influencer, transformer. On parle ici de glissement du désir de pouvoir vers le désir de puissance.
Pour aller plus loin : voir François Le Ménahèze, Coopérer pour apprendre, Pratiques et Recherches, n° 48, éd. ICEM, 2005 et Coopérer, s’entraider dans la classe, Pratiques et Recherches, n° 60, éd. ICEM, 2009, ainsi que Jean Le Gal, Coopérer pour développer la citoyenneté, Pratiques et Recherches, n° 52, éd. ICEM, 2015.
Voir aussi LRC, Éléments de Théorisation de la Pédagogie Freinet, Pratiques et Recherches, n° 64, éd. ICEM, 2013, 2015.
jubilation
jubilation : en Pédagogie Freinet, ce qui relie le désir au travail, c’est l’expérience réitérée de la jubilation. Elle procède du sentiment éprouvé d’accroissement de puissance dans le travail. Elle est elle-même plurielle dans sa nature (jubilation corporelle, sociale, affective, intellectuelle, etc.), dans ses contextes (jubilation mathématique, littéraire, artistique, etc.) et dans sa durée (jubilation rapportée au souvenir, à l’épreuve présente ou à l’anticipation d’une expérience).
Pour aller plus loin : On observe parfois, par exemple en mathématiques, « une jubilation à tracer et à construire des figures géométriques (jubilation psychologique et corporelle du tracé), à manipuler des régularités algébriques (jubilation intellectuelle), à anticiper la présentation d’une recherche au groupe (jubilation affective et sociale), etc. L’activité s’inscrit ainsi dans un contexte de satisfaction vécue qui n’a rien de contradictoire avec le travail et les apprentissages. Au contraire, c’est cette étrange conception, au demeurant fort répandue, selon laquelle on ne va pas à l’école pour se faire plaisir, qui mériterait d’être suspectée.
« Cette jubilation se produit aussi bien comme effet d’un processus personnel dans l’adéquation entre le travail et le désir (qui s’éprouve comme satisfaction de réussir une tâche assumée), que comme inscription de la tâche dans la relation sociale. La jubilation socialisée repose principalement sur l’effet de reconnaissance par le groupe, qui à la fois accompagne les processus singuliers (contributions du groupe dans les activités de recherche personnelle) et les valorise (reconnaissance du statut d’auteur et validation d’un succès). La pratique sociale est éprouvée comme le lieu ou la promesse d’une jouissance, les succès devant le groupe sont éprouvés comme expérience de la dignité. On reconnait là un double registre de jouissance, lié à la connaissance ou plus radicalement à la vérité (promesse et expérience d’une découverte vraie), et lié à la légitimité ou plus radicalement à la dignité (reconnaissance et valorisation de soi par autrui). Ajoutons à cela cette autre expérience sociale que constitue la réunion coopérative, où la jubilation est liée au sentiment de justice, et l’on tient en grande partie l’explication du caractère apaisé, joyeux et non violent du travail scolaire » (LRC, Éléments de Théorisation de la Pédagogie Freinet, Pratiques et Recherches, n° 64, éd. ICEM, 2013, 2015).
Méthode naturelle
Méthode naturelle : méthode par laquelle l'enfant progresse, naturellement, à la manière des premiers apprentissages – la marche, la parole… –, par tâtonnement, essais, erreurs et en stabilisant les réussites. Les apprentissages scolaires se calquent sur ces processus. Pédagogie Freinet et Méthode naturelle sont quasi-synonymes.
Voir dans la CLÉ le texte « Méthode naturelle et littérature » (Paroles d'experts / Textes théoriques).
Pour aller plus loin : « Au lieu de considérer, comme le fait la scolastique, que l’enfant ne sait rien – ce qui est évidemment faux –et qu’il appartient à l’éducateur de tout lui apprendre – ce qui est prétentieux et irréalisable –, nous partons, pour notre enseignement, des tendances naturelles, chez tout individu sain, à l’action, à la création, à l’amour du beau, au besoin de s’exprimer et de s’extérioriser » (Célestin Freinet, La Méthode naturelle de grammaire, BEM, n° 17, janvier 1963).
processus
processus : Les processus qui intéressent les enseignants sont ceux qui se rapportent aux opérations mentales au moment où l’enfant est en phase d’apprentissage. Ils sont inaccessibles à l'enseignant : il ne peut qu'en entrevoir des manifestations extérieures et en supposer les effets. À distinguer de procédure. En pédagogie classique, l’accent est prioritairement mis sur les procédures ; nous le mettons plutôt sur les processus.
Pour aller plus loin : La pratique d’une activité permanente d’écriture est la condition sine qua non pour que s’élabore un processus : l’élève s’installe progressivement dans un mouvement qui mobilise le désir de façon toujours plus subtile et profonde. L’écriture n’est plus une tâche scolaire formelle et obligatoire, mais une aventure personnelle et singulière, un processus qui se déploie dans la durée et garde toujours une certaine opacité ; donner la primauté au(x) processus, c’est faire rupture avec le modèle dominant de la programmation (qui donne la primauté aux procédures).