retourner au sommaire (reflexions des membres du groupe)
apprentissages personnalisés : une pédagogie de projets - Bérangère Labalette
/ 2004 (Marie Curie - Bobigny)
Je travaille en ZEP depuis 9 ans et à l’école Marie
Curie depuis 4 ans.
Le quartier Karl Marx se situe en zone urbaine
sensible avec au cœur de cette cité, l’école Marie Curie : 13 classes, un
poste supplémentaire, un maître E et une classe d’adaptation cycle 3 à mi-temps.
Cette année ( 2003/2004), j’ai un CP avec 22 élèves.
Depuis la lecture de l’ouvrage de Bernard Collot,
enseignant du 3ème type
dans une classe rurale unique : Une
pédagogie de la mouche, j’ai compris l’enjeu de la pédagogie du projet
personnel de l’enfant dans la mise en œuvre de sa réalisation en tant qu’élève,
acteur de ses apprentissages.
Alors, dès le mois de décembre 2003, j’ai modifié
mon emploi du temps et ai timidement commencé une véritable pédagogie de
projets personnalisés ayant pour catalyseur et régulateur : la réunion .
1.
La réunion,
pierre angulaire de la pédagogie de projets.
Dans un premier temps, j’ai institué une réunion
quotidienne de 40 mns, outil d’initiation et de régulation indispensable de ces
projets.
Cette réunion commence vers 10h, est suspendue à
10h20 à cause de le récréation , reprend à 10h45 et se termine aux alentours de
11h05.
Cette réunion a un rôle double : elle gère les
conflits, met en œuvre des procédures coopératives , initie, officialise et
régule les projets collectifs et individuels.
Les enfants choisissent un projet que j’écris sur
une grande affiche avec une date-butoir choisie par l’enfant. Certains enfants
n’ont pas d’idée ou pas d’envie. Chaque jour, les projets sont suivis par le
groupe et ceux qui sont achevés sont présentés ou non par les enfants. Je ne
contrains aucun enfant à présenter son projet ; je respecte sa
personnalité même si, bien sûr, je l’incite à le faire et ce d’autant plus que
l’avenir m’a montré que des enfants que je croyais passifs et désintéressés investissaient
les apprentissages d’une autre façon. Le fait de ne pas vouloir présenter ne
reflétait pas une absence d’intérêt, mais simplement une réserve.
2. La naissance des projets
Les enfants ont très souvent le désir de présenter des objets ou de parler de leur existence . Les projets naissent de ce désir de partager.
Ainsi peuvent naître des projets collectifs :
A l’occasion de l’écoute d’une chanson africaine,
les enfants ont eu envie de fabriquer des maracas comme ils l’avaient déjà fait
en maternelle ( je précise que j’ai rebondi sur le souvenir de cette
fabrication en leur proposant d’en fabriquer de nouveau sans toutefois
leur forcer la main).
Cette envie a mis en oeuvre des apprentissages et
permis d’épanouir des langages :
·
réfléchir à la fabrication des maracas : quel
matériel ? quelle organisation ?
( résolution de problèmes)
·
acheter les ingrédients : où ? à quels
rayons ? ( résolution de problèmes)
·
lire le ticket de caisse et comparer les prix ( lecture, numération)
·
décorer les maracas : quel matériel ?
quelle organisation ? ( arts
plastiques, géométrie, résolution de
problèmes)
·
peser les différents ingrédients et comparer leurs
masses ( mesure, numération)
·
rythmer la chanson africaine ( musique)
·
calculer le nombre de pots de yaourts nécessaires
pour boucher les maracas
( résolution de problèmes )
Chacun
choisit son atelier mais le retour au groupe est primordial pour établir le
bilan et remédier aux problèmes : c’est à ce moment-là qu’est
véritablement sollicitée l’intelligence de l’enfant.
D’autres
projets collectifs sont générés par ma seule initiative et je m’interroge
encore sur leur pertinence :
Ainsi,
lors de la visite à l’espace 3-5 ans de la Cité des Sciences à Paris, j’ai pris
des photos et leur ai demandé ce qu’ils voulaient faire de ces photos :
exposition, album photo ? Je les ai orientés vers l’album-photo qu’ils ont
légéndés ( travail obligatoire), puis montrés à tour de rôle à leurs familles.
N’aurais-je
pas mieux fait de solliciter les volontaires ? Oui, mais les autres ?
Je
suis sûre qu’en cherchant avec les enfants, d’autres solutions de travail
auraient été trouvées.
Peur
de manquer de temps, de ne pas stimuler les enfants en difficulté ?
Les projets
individuels peuvent aussi naître naturellement, ou être incités par le groupe ou
par moi :
Ainsi,
les enfants décident de fabriquer des albums ayant trait aux sorcières, aux
princesses, à Tom et Jerry, aux fantômes, à Superman ou à Jackstone, certains
ont choisi de réécrire un conte à leur manière ou de créer un poème, d’autres
ont préféré réaliser des documentaires sur les serpents, les dinosaures,
Gustave Eiffel et ses réalisations, sur les animaux, d’autres encore de faire
un exposé sur le système solaire, de fabriquer une boîte aux lettres à partir
de gabarits de cube ou de pavés droits, d’écrire des lettres etc…. et c’est
ainsi que se posent une multitudes de problèmes qui génèrent une myriade de
questions qui entraînent une pléïade de solutions élaborées à partir d’autant
de stratégies que d’enfants…
Quand
plusieurs enfants ont commencé à présenter pendant la réunion leurs albums et
documentaires, quel plaisir et soulagement de constater que cetains de ceux qui
n’avaient pas de projet se sont mis à en avoir ! ! ! Et à s’y
mettre de tout leur cœur ! ! !
3. L’organisation
du suivi des projets
Chaque matin, de 8h50 à 9h 50, les enfants arrivent en classe de façon échelonnée et s’attèlent à leur projet.
S’ils
n’en ont pas ( ce qui est rare), je leur impose un travail : écrire sur le
cahier de graphisme, faire des fiches de lecture PEMF, lire les Histoire de
Lire et compléter le cahier d’exercices ( ODILON) de calculer dans leur cahier
de calcul ( PEMF) ou de passer des brevets ( évaluation des compétences).
Bien
entendu, ces travaux sont individualisés et sont adaptés au rythme de l’enfant.
Les
enfants les plus en difficulté sont souvent ceux qui n’ont pas de projet, mais
pas toujours ; j’ai donc proposé lors de la réunion des tutorats de lecture (
basé sur le volontariat ) l’objectif étant de faire des jeux de lecture à
l’aide d’étiquettes dans le couloir afin de fixer le capital – mots de l’album en cours. Cet atelier est très
stimulant et s’auto-régule très bien. Un bilan est toujours réalisé pendant la
réunion.
Un
atelier maths sera bientôt proposé avec pour matériel des barquettes pourvues
d’étiquettes-nombres individualisées et étiquetées au nom de chaque enfant
tutoré.
Les
enfants ont toute latitude pour venir me demander de l’aide à mon bureau.
A
cet âge-là, et surtout dans une zone sensible où les enfants ne sont pas
autonomes, mon aide est indispensable et le tutorat me semble difficile entre
enfants de CP concernant des notions abstraites. Par contre, pour certains
projets, il est indispensable et sain : aider pour dessiner, aider à
repérer des mots sur des affiches ou des nombres sur une frise numérique, aider
à se repérer dans le classeur-ressources, aider à se servir d’un gabarit, aider
à mesurer des côtés….
La
difficulté réside dans la gestion de la longue file qui entoure mon bureau.
J’ai
imposé le silence absolu ( code rouge) autour du bureau ce qui a pour effets
bénéfiques de travailler sans bruit et d’attirer l’attention des autres enfants
( mais pas de tous) sur le problème précis de l’enfant que je suis en train
d’aider, d’où peut découler un désir d’apprendre ( émulation) ou d’aider (
valorisation).
Si
les enfants ne respectent pas le silence, ils sont immédiatement sanctionnés
par un avertissement sur le permis de classe.
Ce
permis donne des droits et des devoirs aux enfants : droit de travailler à
2, de rester dans la classe pendant la récréation ou de faire des ateliers avec
les CM.
Au
bout de 4 avertissements, le permis est perdu pour 2 jours ( cycle de 10 fois 2
jours), puis une semaine ( cycle de 10 fois une semaine) Ainsi, d’autres
enfants profitent de mon explication et n’ont plus besoin de moi s’ils viennent
pour le même problème, réfléchissent au lieu d’attendre dans la passivité ou se
valorisent par leur intervention.
Mon
assistance est indispensable pour relancer les enfants et les sécuriser. Elle
est la condition sine qua non de la viabilité des projets.
Ainsi
se perpétuent les projets et de nouveaux apparaissent très régulièrement.
Les boîtes aux lettres communes aux classes de cycle 2, les échanges entre classes et surtout la grande disponibilité des enseignants ouvrant grand la porte de leur classe et acceptant les irruptions pluri-quotidiennes des élèves de l’école sont les facteurs de réussite de ces projets.
Les boîtes
aux lettres sont un des outils essentiels de la mise en œuvre du désir de réaliser
des projets ; chaque enseignant du cycle 2 a une boîte aux lettres et les
enfants s’échangent du courrier, des invitations sont transmises pour une exposition,
pour découvrir un animal dans une classe, des lettres sont adressées pour poser
des questions ou faire des commentaires sur du courrier reçu, des dessins
légendés, des albums, des documentaires sont échangés…
Les
échanges commencent doucement, le courrier afflue dans notre boîte aux lettres
et nous le dépouillons tous les vendredis matins.
Il
faudrait à présent que cette pratique se généralise à toutes les classes de
cycle 2 afin que cette correspondance entre les classes insuffle un courant
inépuisable de projets.
4. Les
projets : garants du désir d’apprendre, du respect de l’individualité et
de la mise en œuvre des compétences.
Les progrès réalisés par les enfants, générés par leur désir d’apprendre et de communiquer, sont indéniables même si de rares enfants restent encore en dehors.
L’aide
personnalisée que j’apporte aux enfants me permet d’avoir une vision plus aigüe
de leurs difficultés, de leur démarches et de leurs compétences, ce qui me
permet de rémédier dans l’instant et de manière personnalisée.
Les
enfants ne s’ennuient jamais ( ils le disent eux-mêmes) puisque’ils suivent
leur propre rythme d’apprentissage et travaillent le matériau qui les
intéressent.
Par
contre, il est vrai que les enfants peu autonomes se déconcentrent très vite
dans ces moments d’auto-gestion. La seule parade trouvée pour l’instant est de
les faire venir très souvent à mon bureau afin de suivre de très près leurs
réalisations.
Mais
malheureusement, cette « méthode » ne fonctionne pas pour tous les
enfants et à tous les instants.
Bien
sûr, tous leurs progrès ne sont pas seulement dépendants de la pédagogie de
projets personnalisés.
La lecture collective d’albums, les jeux de calcul mental et les fichiers sont une des autres voies de la stimulation du désir de l’enfant.
Il est, en outre, intéressant de constater que des projets d’ateliers peuvent naître de ces activités imposées collectives.
Je livrerai 2 exemples probants :
1.
Naissance de l’atelier sciences :
Depuis l’abandon de la pédagogie « traditionnelle », je ruminai de ne pas trouver un moyen efficace et motivant d’enseigner les sciences.
Au cours d’un temps de projet, je constatai ( à ma grande colère !) que certains en profitaient pour jouer avec des aimants au lieu de s’atteler à leur projet ou autre activité prévue.
Après mûre réflexion, je décidai que c’était l’occasion de lancer l’atelier sciences.
Ainsi, au cours de la réunion qui a suivi, j’ai proposé aux enfants un atelier sciences dans un coin de la classe avec pour matériel une grande table, une boîte de feuilles vierges pour les schémas de leurs expériences et une barquette vide pour les y déposer.
Les inscriptions se font pendant la réunion, par groupes de 2. Une fois l’expérience terminée, ils dessinent, puis présenteront l’expérience à la réunion du lendemain au cours de laquelle les autres enfants commenteront leurs schémas ou expériences.
2.
Naissance de l’atelier maths :
Au cours d’une séance collective sur la numération décimale , j’ai fait un exercice à l’aide d’un matériel magnétique ( cubes, barres de 10, plaques de 100).
Un enfant m’ayant demandé s’il pourrait l’utiliser sur le temps de projets, j’ai suivi la même procédure que pour l’atelier sciences.