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Face à l’hétérogénéité des enfants, la classe multi-âges
(Philippe LAMY - 2003)
Depuis 1989, les programmes à l’école primaire sont organisés en cycles
pluriannuels de 3 années :
- Cycle des apprentissages premiers (Petite et Moyenne Section)
- Cycle des apprentissages fondamentaux (Grande Section, CP, CE1)
- Cycle des approfondissements (CE2, CM1, CM2)
Les programmes ne sont plus établis par cours (CE2, puis CM1, enfin
CM2), mais en un ensemble de compétences à acquérir en fin de cycle.
Pourquoi ?
Cette organisation, doit permettre, selon les termes du Ministère,
d’adapter le déroulement des apprentissages à la diversité des enfants et
au rythme d’apprentissage de chacun. Cela permet aussi de prendre en compte les différences importantes
de maturité que provoquent au sein d’un même classe, notamment chez les jeunes
enfants, les écarts d’âge à l’intérieur d’une même année de naissance.
Ainsi, quelle que soit la classe (à niveaux multiples ou à cours unique), nous sommes face à un groupe composé d’individus tous différents. Aucun enfant ne correspond au niveau formel «pré-étalonné » ; car chaque enfant a son propre mode et rythme d’acquisition.
Il est donc difficile de faire la classe au seul bénéfice de «l’élève moyen », d’où la nécessité de permettre à l’enfant d’appréhender à son rythme les apprentissages.
De plus, les enfants ont les capacités de décider individuellement et collectivement de ce qui les concerne, comme ils sont capables de prendre en charge leurs activités et les moyens matériels qui y sont rattachés.
En effet, si l’on se réfère à bon
nombre d’études plus ou moins récentes, les
étapes du développement moteur et psychique se succèdent grosso modo dans le
même ordre chez tous les enfants. Mais l’âge d’apparition de telle ou telle
caractéristique, capacité, compétence peut varier beaucoup plus qu’on en le
croit. (…) On se fie à une moyenne, en oubliant que dans une population
normale, un grand nombre d’individus s’éloigne de cette moyenne dans un sens
comme dans l’autre. (…) Ces décalages, (…) peuvent atteindre deux et
même trois ans chez des individus normaux.(3)
Pour prendre un exemple, il est possible qu’un enfant « CE2 » ait, dans tel ou tel domaine, une « avance » sur un élève de « CM1 ». De même un enfant « CE2 » pourra être « encore » sur des apprentissages de CE1. Est-il pour autant en retard ?
Pourtant, il suffit qu’un enfant soit décalé par rapport à la moyenne pour qu’il soit étiqueté « en retard ou en avance ». Cet enfant n’est ni en retard, ni en avance, mais à son heure
De
même, il faut admettre que l’accès aux apprentissages scolaires (lecture,
écriture, calcul) peut se faire à des âges très variables, allant de cinq à
huit ans, ces chiffres correspondant à la dispersion normale des niveaux de
maturité d’une population normale.(4)
L’idée communément admise d’une classe homogène (par exemple CM1), où
tous les élèves se situeraient autour d’un niveau « étalon » ne
repose sur aucun fondement sérieux.
La classe multi-âges devient un choix délibéré.
La question de la classe multi-âges ne pose problème que lorsque l'on n’envisage comme action au sein de sa classe que la distribution homogène des savoirs. Ceci alors suppose, de la part de l’enseignant, la négation de l’hétérogénéité et des processus individuels qui existent de fait dans la classe.
A contrario, si l’on accepte une
remise en cause de certains à priori professionnels, il est possible
d’organiser la classe afin de « créer » les conditions qui vont
permettre la construction des langages. Et c’est bien là l'essentiel de l'apport de l'enseignant. C’est
sur lui que repose, dans un premier temps, l’organisation d’une structure de classe
(espace, temps, matériel, environnement, relations), favorable aux
interrelations (relations entre les individus) et aux interactions (différents
espaces, objets…).
Les langages alors, ne sont plus tributaires des niveaux des enfants, des compétences du programme à distribuer ou bien de la démarche pédagogique du maître, mais des centres d’intérêts développés par les enfants. Ces derniers sont autant de projets issus des flux d'informations qui circulent dans la classe et à partir desquels vont se construire les langages.
Il n'y a plus qu'à laisser les enfants
s'emparer de ce qui se trouve à leur disposition pour se construire
collectivement leurs langages et s'approprier leurs savoirs. Dans ces
conditions, il n'y a aucun inconvénient à les laisser trois années avec le même
maître (ou plus dans les classes uniques), car celui-ci se tient en retrait. Il
n'est là que pour donner un coup de main lorsque cela s'avère nécessaire.
L’action se développe à partir d’un constat : La Loi d’orientation de 1989 sur les cycles n’est pas ou peu appliquée. Une raison peut être avancée. La classe multi-âges est « victime » de préjugés qui mènent les enseignant à la considérer comme « ingérable ».
1) Quels sont les
préjugés qui rendent a priori, plus « facile » la classe
mono-âge ?
- Chaque compétence est répertorié dans un programme.
- Ces compétences visent une population scolaire à l’hétérogénéité prétendument « réduite » (négation des différents processus individuels). De fait, leur nombre est, dans cette logique, réduit.
- L’action du maître est primordiale. Il est à l’origine de l’activité et conduit le déroulement de chaque type d’apprentissage, à partir des objectifs définis par le programme. C’est lui qui, par sa réflexion pédagogique, est censé mettre les enfants dans les conditions qui vont les amener à construire telle ou telle compétence.
- L’évaluation sert avant tout à évaluer si l’enseignant a atteint ses objectifs.
- Le contrôle de l’efficacité de son action sera d’autant plus facile que le nombre des activités sera moindre.
2) Quels sont les préjugés qui rendent a priori,
« difficile » la classe multi-âges ?
- Du fait de la multiplication des compétences à atteindre (hétérogénéité), l’enseignant se doit de multiplier les activités pour répondre aux besoins du programme (par ex. augmentation des leçons au minimum équivalente au nombre de niveaux).
- Le temps consacré au travail de préparation, de correction ou à l’action pendant la classe est multiplié.
- L’enseignant ne peut plus consacrer autant de son temps « purement » scolaire à chaque compétence.
- Le contrôle de son action par l’évaluation habituelle lui demandera plus de temps et, du fait de la réduction du temps consacré à chaque apprentissage, lui paraîtra moins efficace ou moins lisible.
Il serait donc logique de penser que les classes multi-âges n’offrent pas les mêmes garanties de réussite dans les apprentissages que les classes mono-âges. Pourtant, entre autres documents, des rapports et études issus de l’Education Nationale (rapport Ferrier) tendent à prouver l’intérêt des classes multi-âges.
3) Quelques préalables qui ont favorisés la création d’une classe de
cycle à Lavoisier
- L’espace : Contrairement aux classes uniques de campagne qui profitent d’un espace appréciable, l’architecture particulière des classes urbaines réduit le plus souvent l’espace éducatif aux quatre murs de la classe. Le fait que l’école Lavoisier soit engagée dans une recherche sur la libre circulation, a permis d’ouvrir l’espace de la classe aux couloirs, escaliers et autres salles (salle des maîtres, bibliothèque…)
- Des enseignants en équipe, engagés dans un questionnement individuel et collectif et qui pouvaient accepter la remise en cause de leurs représentations personnelles et professionnelles.
- Une connaissance de la part de l’enseignant de la classe de cycle, de l’expériences théorique et pratique acquise par bon nombre d’enseignants, particulièrement ceux du Mouvement Freinet, au sein des classes uniques.
4) Quels sont alors les processus qui permettent aux
classes multi-âges, un « taux de réussite » au moins équivalent
aux classes mono-âge, alors que les conditions pour atteindre ce résultat
ne seraient pas a priori réunies ?
L’action dans la classe de cycle 3 de l’école Lavoisier s’est donc articulée autour de cet axe de recherche. Ainsi, après deux années au sein de la classe de cycle, des hypothèses et des constats (qui sont autant sources de nouvelles hypothèses) sont apparus :
- Le premier travail à faire est sur la structure de la classe et non dans l’action pédagogique du maître. Des détails (un ordinateur dans la classe, la porte ouverte en permanence sur le couloir, un atelier son…) sont autant de points qui engagent la classe dans un processus et modifient les comportements au sein de celle-ci.
- L’enfant ne fait pas pour apprendre, mais pour faire. La finalité de cette activité appartient à celui qui l’a commencée. C’est son projet. Le mener à bien lui permettra de se construire des langages et ceci d’autant mieux qu’il aura choisi son activité et qu’il en sera l’artisan.
- La classe devient le lieu d’activités permanentes. Ce sont ces activités (projets) qui structurent le temps. L’emploi du temps classique, avec son découpage horaire, n’a plus de sens. De même, l’espace s’organise pour favoriser ces activités (ateliers…)
- Toute activité, scolaire ou non, est nécessairement productrice de langages. Ces derniers sont autant d’outils cérébraux qui permettent le traitement des informations. C’est cette capacité à traiter l’information qui va permettre à l’enfant d’agir sur son environnement et en retour de modifier les représentations qu’il a de ce même environnement. La construction des langages, et non l’acquisition de savoirs ou de compétences, devient l’objectif de l’enseignant.
-
Ces langages vont se constituer
au sein de l’espace physique (interaction) et dans l’espace humain
(interrelation) que constitue la classe, l’école…
- La réunion, le plan de travail, les ateliers permanents, la communication et la mémoire de la classe sont les piliers de la structure classe. La circulation des informations entres ces piliers constitue comme un flux, que l’organisation et l’architecture de la classe se doivent de favoriser.
- Les processus amorcés alors ne sont plus du seul ressort de l’enseignant. Ce n’est pas son action qui est efficiente mais ce qui se passe le plus souvent en dehors de lui. Son rôle s’en trouve alors modifié. Le maître se place alors dans la perspective d’un système qu’il veut rendre plus vivant, d’une recherche qui va favoriser la construction des différents langages (aménagement de l’espace, mise en place d’outils et d’institutions évolutifs déclencheurs…).
- L’évaluation ne peut évaluer que la réalisation ou non de l’objectif qui a justifié l’activité. L’évaluation n’est pas extérieure à l’enfant. Elle permet ainsi à ce dernier (auto-évaluation), ou avec l’aide de l’adulte ou d’autres enfants (co-évaluation) de trouver des réajustements permettant d’atteindre le but.
- Un travail d’explication envers les parents n’est pas suffisant. Intégrer les parents dans le mouvement de la classe semble être une des pistes à suivre pour modifier leur représentation de la classe multi-âges et atténuer leurs inquiétudes.
- L’hétérogénéité devient la condition incontournable pour faire de la classe un environnement riche, propice à la rencontre et à la communication, fondements des apprentissages.