On a écrit un article
Une réaction en chaîne ou comment une activité de classe presque scolaire peut déboucher sur un projet de plus grande envergure. Récit par le professeur de français.
Reconstitution du crime !
Deuxième
quinzaine d'octobre
Les 3e B
tiennent un "Journal de Bord" : on prépare l'étude de l'autobiographie (mon
choix pour la lecture parallèle : Vallès, l'Enfant).
Consigne :
pendant les 13 jours à venir, écrire au moins un paragraphe de 3 lignes chaque jour sur ce que l'on a vécu, de
près ou de loin (on peut faire état d'une nouvelle "du dehors" si elle a
marqué l'esprit ) ; je précise que je ne
demande en aucun cas un "Journal intime" évidemment.
Objectif :
au jour le jour, observer, raconter, expliquer - et peut-être, réagir, argumenter. Je
ramasse les "Journaux" la veille des vacances.
Rentrée
des vacances de Toussaint :
Je rends
les "Journaux de Bord". Constat inquiet : sur 28 copies (soit 28 x 13 jours =
364 paragraphes minimum), un seul paragraphe évoque le conflit Israël / Palestine, qui a
pris pourtant de une ampleur préoccupante fin octobre. Rien d'autre sur l'actualité.
Mais comme une rengaine, le constat par les ados d'une vie repliée sur soi. Proposition :
on va s'intéresser à l'actualité, via la Presse !
J'ai dans
ma manche en réserve une proposition de l'agence locale du Progrès (quotidien
Rhône-Alpes à large diffusion) : chaque semaine, des élèves sont invités à y écrire
un article de 2500 / 3000 signes sur un sujet à leur convenance, parution à programmer ;
ils peuvent rencontrer un journaliste auparavant. La
proposition reçoit un bon accueil.
Je prends
contact. Rendez-vous avec le journaliste le vendredi 1 décembre, en classe.
Dernière
semaine de novembre
Des
élèves volontaires achètent le Progrès avant de venir en cours, choisissent 3 (ou 4)
articles à la Une, observent la mise en page, le sujet, et la place prise par l'article
en pages intérieures. Joli exercice d'improvisation ! Au moment de la présentation, je
fais observer quelques banalités (pour moi ?) sur la qualité éphémères de l'info,
même dans un quotidien, vite jeté. Des idées émergent : quels sujets sont
privilégiés en Une ? Notion de rapport de proximité... Problèmes de survie financière
Je propose
aux élèves de ne pas oublier les questions qu'ils soulèvent : ils en auront besoin le
vendredi.
Jeudi,
j'apporte 2 articles de faits-divers de l'été (donc "périmés") ; on étudie
les connecteurs dans les phrases (c'était dans mon planning !) et par la même occasion,
une série d'observations émerge sur le style, la construction des phrases, la rareté
des liens logiques, l'organisation chronologique, et le rapport récit / style direct).
Idée géniale !... car, le vendredi, le journaliste donne une série de conseils
d'écriture "pour faire vivant", et je "bois du petit lait" :
consignes sur le choix des temps (passé composé + présent de narration), sur la
connection des phrases, sur l'emploi du style direct... Mince, ce qu'on vient
d'étudier, ça importe aussi au journaliste !
Vendredi
1 décembre
Le
rendez-vous a été fixé pour la deuxième heure. Auparavant, on écoute un exposé
normalement programmé à cette heure, puis les volontaires du jour s'apprêtent à faire
leur "Revue des articles de la Une", comme leurs copains des jours précédents.
L'invité se pointe, en avance : panique !
Jeune, le
journaliste (également directeur de l'agence locale).
La revue
des articles se fait pourtant, d'une voix chevrotante, mais ça fonctionne ; notre
professionnel est surpris par les points de vue ; la discussion enchaîne : pourquoi tant
de place donnée en Une à l'accident du camion ? (+ 25 % de ventes prévues sur les
communes concernées !). Des élèves sortent leur liste de questions : ciel, je n'avais
pas osé le leur demander, de crainte de figer les spontanéités !!! Ça roule !
Questions
sur la langue de bois de la Presse, réponse "politiquement correcte" ; on passe
poliment à la suite (mais après le départ du journaliste, les élèves et moi en
reparlerons, et on se mettra d'accord sur ce que l'on a pensé de la réponse !).
Ensuite,
conseils sur l'art d'écrire un article (voir ci-dessus), et photo. Sujet retenu pour
l'article : un bilan sur l'expérience (en cours) de recherche d'un stage pour la semaine
précédant Noël.
Mardi 5
décembre
Chaque
élève rédige un témoignage de 8 lignes sur sa recherche de stage. Je récupère à la
fin de l'heure, corrige vite-vite, constitue des groupes selon les thèmes qui ressortent
(ici, je retiens 2 axes : recherche auprès de la famille proche, auprès de relations, ou
à l'aveugle sur le seul critère professionnel - et gradation des difficultés dans la
recherche). Ça fait 5 groupes. Pour 5 paragraphes successifs dans l'article.
Jeudi 7 décembre
Cours de 11
h 30 à 12 h 30, je squatte la salle de permanence (une grande salle : impossible de
travailler en grands groupes dans ma classe, on se monte dessus !) : j'explique à chacun
des 5 groupes ce qui les réunit, dans quel ordre je propose de distribuer les écrits
dans l'article, je propose un point fort pour chacun, et je demande à chaque groupe de se
choisir un donneur de parole et un "secrétaire" : ils travaillent comme des
anges ! A la fin de l'heure, j'ai 5 textes (dont l'un a déjà beaucoup approché le
fameux style journalistique" ). 12 h 30. Aidée d'élèves, je tape les textes sur
ordinateurs, je les corrige, je note les redites d'un groupe à l'autre, et j'imprime en
plusieurs exemplaires.
Vendredi
8 décembre
Les groupes
se reforment. Lecture des 5 textes dans l'ordre prévu : on "sent bien" ce qui
se répète, et les textes où le style "passe" mieux que dans d'autres.
Négociations faciles. Retour à l'écriture par groupes ; remise au propre (ça va vite).
Puis on
cherche des titres possibles tous ensemble ("brainstorming") : on sait que c'est
le seul point que les journalistes contrôleront.
A midi,
avec quatre ou cinq élèves, lecture finale (miracle, le calibrage imposé est presque
respecté !), petites coupes... Et c'est parti ! (par Internet).
Parution : vendredi 15
Entre
temps, je leur ai passé la vidéo que j'ai tournée, il y a peu d'années à l'imprimerie
du Progrès (quand c'était moins compliqué
de sortir les élèves de nuit avec quelques parents), et... la vidéo de l'entretien avec
le journaliste (j'avais posé mon caméscope au fond de la classe, derrière les élèves
pendant sa visite !). On a donc pu reparler posément du moment de "langue de
bois" du journaliste - concernant les nouvelles que la Presse occulte, celles qu'elle
ressasse, ou celles qu'elle déforme...
Collège de
Chazay
Une
semaine dans la peau dun adulte
Au
collège de Chazay, la plupart des élèves de 3ème ont cherché un stage dune
semaine pour fin décembre. Ils découvriront
ainsi la vie dune entreprise :
témoignages.
Comme
dautres délèves, jai choisi la facilité : la famille
déclare Sandrine, qui avoue ne pas avoir eu de mal à trouver son stage
près de sa
tante. Cela nous a tout de même demandé un minimum de démarches : il faut au moins
rencontrer le patron afin de lui prouver la sincérité de nos motivations. (Reconnaissons
que certains élèves ne désirent pas réellement faire ce stage ! ) Et puis, il ny
a pas toujours un rapport avec lorientation à venir : Je fais mon
stage dans le droit, par simple curiosité, pour comprendre certaines démarches
juridiques . dit Déborah. Comme quoi la facilité nouvre pas toujours sur la solution la plus simple.
Pour
quelques-uns, le stage a donc été simple à trouver ! Manon : Jai
demandé à ma mère qui a demandé à mon cousin qui a demandé à un ami
Moi, jai laissé chercher les parents car je trouve que
demander à une entreprise directement, ce nest pas facile !
explique Alexandre.
Une
idée de notre métier futur
Mais la
plupart des élèves de notre classe ont cherché leur stage tout seuls ( comme
des grands ! dit Valérie).
Certains dentre
nous avons trouvé très rapidement (2 demandes en moyenne) : Nous
nous sommes surtout adressés aux commerçants : peut-être que ce secteur peut
accueillir plus de stagiaires ? Nous avons été chanceux, car la plupart de
nos camarades avaient certainement les mêmes objectifs que nous, et leurs recherches ont
été plus longues et difficiles.
En effet, ont-ils dit, nous avons tous trouvé un stage dans lartisanat
ou le service, mais avec quelques difficultés pour certains : tout dabord, les
entreprises ne nous prennent pas toujours au sérieux à cause de notre âge, notre
motivation ne leur paraît pas très convaincante.
Par
ailleurs, durant la période de Noël, lentreprise a moins de temps à nous
consacrer, elle est parfois trop petite, ou manque de place .
Chloé :
Quand je me suis présentée chez mon vétérinaire, il avait déjà accepté
une stagiaire du collège ! Raté !
Parfois,
nos lettres sont restées sans réponse ; ou bien, on nous répondait que le stage
était trop court
ou trop long ! Malgré tout, nous avons fini par
trouver !
Lorsque
nous avons un but précis, tout se complique .
Je voulais un stage dans le Droit et jai failli baisser les bras devant
tant de refus , témoigne Marine . Il a fallu accepter certaines contraintes
(longs trajets
). Ça va, on est motivés ! Hélas, quelques-uns dentre
nous ont dû renoncer à leurs rêves. Jai dû me contenter de
faire un stage moins passionnant que celui que javais prévu de faire .
Nous savons
que pour lentreprise, ce nest pas toujours facile, de prendre un stagiaire,
mais il faut quon sache que nous prenons notre orientation très au sérieux. Ce
stage nest pas une semaine de vacances, mais bien une aide à notre orientation
future. Mon rêve a été réalisé : je fais mon stage dans une
entreprise de reporter photographe , déclare Céline.
Comme quoi,
la persévérance gagne toujours !
La classe de 3B
Bilan
D'abord, la
qualité de ce travail d'équipe :
- oui, je
suis assez contente de cet article, qui me semble assez bien témoigner d'une expérience
sociale dans le tissu professionnel local (largement local). D'ailleurs, on mettra
l'article sur le Site Internet (partie "Actualité bien sûr). Mais ce n'est pas
l'essentiel (ce serait beaucoup de travail et de temps pour 3000 signes, après tout !) ;
- il y a eu
surtout une grande adaptabilité des élèves à diverses situations de contribution, avec
des moments de travail individuel / en groupes / en groupe classe ;
- il y a eu
des élèves capables de s'impliquer, de négocier, de s'effacer (parce qu'il fallait
laisser quelques lignes de plus à l'autre groupe !) ;
- il y a eu
des élèves soucieux de leurs lecteurs, et qui ont fait l'effort de comprendre ceux des
patrons qui leur ont refusé un stage... poliment (même gentiment parfois, sur un ton
désolé) ; et qui ont traité par l'humour ceux qui ont donné les (mauvaises) raisons
les plus contradictoires ! ;
- il y a eu
des élèves aptes à entrer rapidement dans une règle du jeu (écrire autre chose qu'une
rédaction - mais on avait déjà commencé !) ;
- il y a eu
des élèves capables de se donner des animateurs sans désigner des chefs... ou des
porteurs de serviette ! ;
- il n'y a
pas eu de vedette, et on ne distinguait pas les "bons" élèves des "...
?" élèves dans les groupes ! D'ailleurs, quand nous sommes passés très
légitimement à l'évaluation notée de cette activité (pourquoi n'auraient-ils pas eu
une note pour ce travail, à côté de toutes celles qui tombent dans le trimestre !),
j'ai proposé une note globale (la même pour chaque groupe - à charge pour chacun dans
les groupes de redistribuer éventuellement un 1/2 point (ou plus) de sa note à celui
(ceux) qui avai(en)t le plus travaillé dans le groupe : ils ont tenu à garder tous la
même note ; et ça m'a fait un énorme plaisir, car cela couronnait ce travail très
solidaire, où chacun avait fait ce qu'il avait pu en toute bonne foi.
Il y a eu
une autre évaluation objective : l'arrivée d'un gros paquet de journaux en
justificatifs, le jour où l'article est paru : chacun avait au moins un exemplaire et on
a pu en distribuer, afficher l'article partout dans le collège... Très grande joie,
réelle fierté des élèves - je n'aurais pas cru que cela leur ferait tant d'effet.
Bon ! je ne vois pas pourquoi on ne
recommencerait pas ! Mais pour l'heure... ils vont partir en stage.