Lecture libre en
littérature Hervé dAbadie
a instauré, dans lemploi du temps de sa classe de cycle III, une plage de lecture
durant laquelle les enfants lisent, sans souci de rendre des comptes à ladulte.
Objectif avoué : déscolariser la rencontre avec la littérature et faire des enfants,
des véritables lecteurs. |
Épatant !
De la littérature, écrite pour les enfants, entre dans les pratiques scolaires par la
grande porte. Jadis, les enseignants faisaient lire des extraits de livres dadultes
pour les adultes. Aujourdhui, les adultes nauront pas même la corvée de lire
les livres édités pour la jeunesse. Les éditeurs proposent le packaging ; lenseignant
fera sa distribution semestrielle de livres et de questionnaires. Le bureau des
statistiques donnera le pourcentage de livres achevés et compris, de livres achevés et
non compris, de livres non-achevés et non-compris.
En classe,
il y a 4 ans, concernant la littérature, les choses tournaient ainsi : les enfants
choisissaient et inscrivaient un livre auprès du responsable de la bibliothèque de
classe. Jaugmentais le nombre de volumes en début dannée, à Noël et au
passage dun représentant. Les enfants lisaient à la maison. Point. En classe, nous
lisions un roman en lecture suivie cest-à-dire tous à la même vitesse et avec
décorticage du texte.
En arrivant
dans une nouvelle école, je me suis trouvé confronté à des enfants qui ne voulaient
pas du questionnaire adjoint au chapitre. Ils en avaient eu trop lan dernier. Jai
dû promettre que nous étudierions « Les contes du chat perché » sans
questionnaire à la clé.
Un des
principes de lécole est de permettre à tous dapprendre à lire. Comme la
plupart dentre nous, acceptent de croire que cet apprentissage ne se limite ni au
CP, ni au cycle II, nous organisons divers exercices pour perfectionner cet apprentissage.
Mais, nous ne risquons guère lentraînement sans contrôle de la lecture des
élèves. Cela reste dans le carcan scolaire. Je garde sous silence, ce moment où
« une fois le travail terminé, vous prenez votre livre. »
Dans ma
classe, jai institué en début daprès-midi, le quart dheure de lecture
suivie du bilan de lecture. Cette activité a subi de nombreuses modifications au cours
des quatre années de son existence. La première fut que le quart dheure oscille
entre vingt et trente minutes. Je vous livre les conditions de sa réussite.
Un lieu et un temps pour lire
Il faut un
moment institué dans lemploi du temps : jai choisi ce moment où chacun
lit son propre livre et où tous lisent. Il permet une sérénité dans la classe et une
possibilité pour chacun de sinstaller où il le désire en classe, par terre, sous
une table (eh oui !), dans le couloir... Une liberté sest installée pour une
plus grande aisance. Cest Émilie qui un jour a dit : si on se mettait ailleurs
quà son bureau. |
Cest
un moment de concentration douverture vers un récit inconnu, il y a donc une règle
à respecter, cest celle du silence pour sauvegarder la sérénité de chacun :
ce nest pas un moment de communication. Les plus jeunes aiment bien montrer au
copain les dessins de son livre. Mais, il existera un autre moment dans lemploi du
temps pour cela. Au moment du quart dheure de lecture, on est à fond avec son
bouquin. Le fait de pouvoir choisir son installation dans lécole permet aussi de limiter ce choix en cas dinfraction
à la règle.
Lenfant
lit ce quil veut : historiquement dans la genèse de cette activité, les trois
premiers mois, bandes dessinées et documentaires étaient prohibées car les moyens
lecteurs ne lisaient pas. Ils regardaient les photos et dessins en tournant les pages. Or,
je recherchais le fait que les enfants lisent de lécrit. Lassurance dun
enfant est parfois tellement minimale que devant les livres, il bloque. On le verra quand
il montrera aux copains les dessins du livre, quand il lira des BD ou des albums et quil
nosera pas se lancer sur des livres de son âge. Alors, mon rôle consiste aussi à lire un livre à cet
enfant qui ne voit aucun livre à sa portée.
Pas de
compte à rendre
La mode
pédagogique en est au rallye-lecture, aux défis de lecture. Les enfants rédigent des
questionnaires, répondent à des questionnaires sur le roman lu et choisi par ladulte.
Par ces questionnaires, lécole détourne les raisons pour lesquelles un écrivain a
écrit son roman. Franchement, êtes-vous vraiment préparé à répondre à des questions
après lecture de votre roman. A nouveau, lécole rend quelque chose de plaisant,
fastidieux. Et ne sagit-il pas de donner envie de lire pour lavenir de chaque
enfant ?
Et, si les
réponses sont fausses, lécole reprend-elle
la lecture du roman avec lenfant ? Ou ne sagit-il encore que dun
constat de non-compétence de lenfant ?
On ne lit
pas de la même façon quand on sait qu'on aura un questionnaire en conclusion. On ne se
laisse pas porter par le texte. On doit nécessairement mettre en mémoire certains
éléments pour anticiper les questions ; les dés sont pipés : on ne saura pas quels éléments mettre en mémoire.
Et lenfant, en difficulté ne pourra pas forcément mettre en mémoire.
Favoriser les échanges Lenfant
peut lire ce que les copains proposent à la classe : notre bibliothèque est
complétée par les volumes prêtés par les enfants qui le désirent. Le prêteur doit
inscrire son prénom dans son livre et le faire inscrire sur le cahier des copains pour se
souvenir de son prêt. De même, les emprunteurs sont inscrits sur ce même cahier. Il y a une garantie pour la sauvegarde du
livre prêté. |
Au cours du
temps, louvrage prêté est parfois abîmé ; en conseil de coopérative, jexplique
quun livre suse par le fait de sen servir ; il faut penser quà
partir du moment où un enfant prête un livre,
à la communauté, celui-ci a le désir de faire découvrir un livre quil a
aimé ; il ne pense pas quon puisse lui abîmer ; il le prête pour faire
partager. La confiance est là.
Lenfant
nest pas seul devant le rayonnage. Outre son flair, outre son doigté à feuilleter
les pages, il peut appuyer son choix sur les 4 éléments suivants :
-le
« salon » littéraire hebdomadaire : en classe, on programme chaque
lundi, un bilan de lecture. On parle du livre quon lit ou quon a lu. On dit quil est bien ou pas. On essaye den
donner le goût aux autres. Il arrive quun livre fasse boule neige. Sur lannée,
chaque enfant aura lu un livre pour lequel chacun se sera délecté.
Au fil de lannée,
on trace des grandes lignes sur les multiples façons de parler dun livre. Ainsi bon
ou moyen parleur, bon ou moyen lecteur pourra sexprimer. Il est aussi arrivé quune discussion entre
trois ou quatre enfants surgisse à propos dun livre. Attention, il ne sagit
pas de reproduire une émission télévisée. Ni même de rechercher à évaluer la
compréhension dun livre au travers les
propos dun enfant. Ainsi, chacun sait ce que les autres lisent et ce quil peut
lire : la collectivité » a déjà fait un débroussaillage parmi les ouvrages
de la bibliothèque.
-la « publicité » des
livres : au cours dun trimestre, chacun dessine ou évoque un livre quil
a aimé sur une affiche. Ainsi, une mémoire des livres « chouettes » à lire
existe pour celui qui serait désemparé devant limmensité de notre
étalage. Il est vrai que je pourrais rendre cet affichage plus méthodique, y rechercher
un travail de classement par type, par niveau de lecture, par éditeur. Mais, ce serait à mon sens, rechercher une scolastique là
où inversement, je recherche à susciter une envie de lire ; et elle est si fragile
|
En outre, jai
une attitude aidante : au côté de lenfant, je vais lire les résumés
de quatrième de couverture, regarder ostensiblement la couverture, je vais feuilleter les pages et en lire un passage, je
vais lire le début du livre (là, il peut y avoir létincelle). Je vais bruyamment
remettre un livre pas terrible sur létagère. Bref, jopte pour le
comportement du lecteur qui choisit un livre en bibliothèque ou en librairie. Durant le
quart dheure de lecture, je lis par désir de connaître un livre de notre
bibliothèque ou aussi par malignité envers un moyen lecteur.
Les livres
sont rangés en fonction des niveaux de lecture. Jai procédé à un classement
rapide. Puis, il y a eu des modifications successives par les enfants au fil des années.
Ainsi les livres ont pris leur place.
Trois
niveaux sont déterminés : bons et moyens lecteurs et bazar. Le bazar est composé dalbums,
aux belles illustrations, de livres pour petits, des 1000 ans de conte
Ce bazar est
un vivier qui sert à aider les enfants qui ne sont pas rassurés.
Chaque enfant a un niveau de lecture, déterminé par
tâtonnement : au fil des livres, tel enfant va se diriger son choix vers tel type douvrage.
Noublions pas quun enfant ne recherchera pas à être en échec. Et petit à
petit, il va trouver les livres en adéquation avec sa maturité de lecture. Ceci est
valable tant pour le moyen lecteur que pour le bon lecteur. A ce jour, je nai pas eu
la nécessité délaborer un tableau des niveaux de lecture ou des couleurs de
lecture... une classification des apprentis-lecteurs.
Le niveau de vocabulaire de lenfant
ne doit pas être un obstacle
Durant
cette activité de lecture libre, je suis disponible pour répondre à toutes les
questions sur les lectures de chacun. Lenfant avec son livre se déplace vers moi,
et je donne rapidement le synonyme en contexte, ou lexplication dun mot
ou une expression inconnu. Mon intervention reste toujours rapide et sûre de sorte que lenfant
ne perde pas le fil de son récit. Jamais, je ne renvoie au dictionnaire. La durée de la
recherche détruirait lenvie du jeune lecteur de continuer son histoire. Par le
passé, jai voulu que chaque enfant note et indique les mots nouveaux quil
avait découverts au cours de sa lecture. Lexpérience a avortée. |
Classe de
cycle IIII
Ecole
rurale Tilly (78)
Herve.dabadie@wanadoo.fr
Florence, 8
ans ne lisait que des « Jaime lire ». Elle avait pourtant de sacrées
capacités de compréhension. A la maison, elle était très sollicitée pour développer
sa culture scolaire. Quel curieux décalage entre lécole et la maison ! En
maître soucieux de pousser ses élèves vers des épreuves toujours plus hautes, je
sollicitais de Florence quelle lise des uvres plus difficiles. Elle en lu...
une
Puis, elle a repris les « jaime lire » et termina les 35
numéros. En fin dannée, elle se mit aux ouvrages de son niveau. Cherchait-elle à
se rassurer, à vérifier la réalité de ce moment lecture, à se libérer de la pression
de ses parents ?