RENCONTRES AVEC SARAJEVO
AVENTURE PEDAGOGIQUE
Plutôt que dexpliquer de manière
un peu théorique, quel peut être lintérêt pédagogique dun lycée,
cogéré par des élèves et des membres dune équipe éducative, nous avons choisi
de vous donner à entendre ce que ce genre dinstitution permet de mettre en
uvre.
Présentation, donc, dune tranche
de vie où chaque lecteur pourra lire en filigrane les choix politique et pédagogique du Lycée Expérimental
de Saint-Nazaire
Comme pour tout, il y eut la naissance de lidée dans la
tête de certains, puis une première tentative qui échoua pour cause de guerre au
Kosovo, qui se poursuivit par la mise en route et la réalisation du premier voyage au
printemps 2000.
1999 : Un projet qui tourne court On n'y croyait plus! Voilà deux ans, j'avais proposé à Olivier
d'aller faire un tour dans un des pays de l'ex-Yougoslavie. J'avais été émerveillé par
des films du réalisateur Emir Kusturica, et je voulais en savoir plus sur la culture de
cette partie de l'Europe jusqu'ici inconnue pour moi. Olivier, toujours prêt à s'engager
dans des projets d'élèves, semblait motivé pour cette aventure. C'était au mois de
juin 1998, et nous avions décidé que, dès le mois de septembre, à la rentrée, nous
programmerions des activités afin de constituer un groupe. |
Je vous le donne en mille, il nous l'a refusée ! Pas
directement. Il a préféré prendre conseil auprès de la hiérarchie : Ministères de
l'Éducation Nationale, puis des Affaires Étrangères. Négociations ultras tendues entre
le Lycée Expérimental et le Quai d'Orsay ! Étonnant, non ? Toujours est-il que la
décision est tombée comme un couperet. Pas de voyage pour cette année. Tout le monde
était évidemment très déçu. L'énergie du désespoir nous poussa à organiser une
soirée de réflexion sur l'après-guerre en ex-Yougoslavie, au cours de laquelle
interviendraient les différentes personnes que nous avions rencontrées. Une fois encore,
il y a eu maldonne, car la salle n'était pas disponible. La fin de l'année était proche
et décision fut prise de retenter l'aventure en septembre.
2000 : un premier voyage à Sarajevo En septembre, donc, un nouveau groupe se forme autour de trois
survivants. Ensemble, ils reformulent en partie le projet de l'année précédente et
s'intéressent à la reconstruction de Sarajevo et de la Bosnie. En février 2000, ils
reçoivent l'autorisation de partir
|
Voici ce qui fut rapporté, de la soirée débat organisée au
lycée au mois de juin 2000 :
Aux murs sont affichés, photos, affiche, textes et
cartes. La salle est plaisamment aménagée et les voyageurs commentent, à la demande,
les différentes parties de lexposition. Cest très instructif et très
différent de ce que jentends dhabitude à la télé au sujet de la vie en
Bosnie et de la guerre qui sy est déroulée.
Quand le voyage avait commencé à sorganiser, jétais
sceptique. Je voyais mal comment il était possible daller là-bas sans être un
abominable voyeur. Eh bien, il me faut rendre un hommage à ce voyage qui, selon moi, a
évité tous les écueils que je pensais inévitables. Ils ont visiblement rencontré des
personnes de multiples tendances politiques et ils sont élogieux sur la qualité de laccueil
qui leur a été réservé
Les réponses quils apportent sont instructives. Ils sont
au fait de la situation. Ils parlent d'hommes et des femmes de là-bas avec une grande
sincérité dans la voix. Ils disent tous combien ce voyage les a changés et les a
amenés à regarder le Monde autrement
Je suis ému de les entendre. Ils racontent la vie ! Je vois dans
leurs yeux, lintensité de ce quils ont vu ; cest très touchant.
Souvent, quand ils racontent leur voyage, ils regardent dans le vide tout en parlant.
Comme si la narration les emportait là-bas pour mieux retrouver leurs souvenirs.
Japprécie quils me fassent partager leur
expérience.
Cest un formidable moment déchange ! 1
2001 : un deuxième voyage En septembre 2000, laffaire sest relancée delle-même.
Lexpérience a fait des émules. Il faut dire que les échanges, qui avaient fait
suite au premier voyage, avaient suscité une forte émotion et un grand intérêt. |
Donc, avec une dynamique affirmée, une nouvelle aventure
pédagogique repart. Des réunions se déroulent tous les mardis de 15 h 30 à 17 h 00.
Chacun se responsabilise sur une tâche. Simon par exemple est chargé de la
comptabilité. Claire a préparé avec minutie dénormes dossiers de demandes de
subventions. Le groupe organise son travail et planifie son boulot. Des projets de
production naissent des discussions, au fil de la préparation : un livre qui prendrait la
forme dun abécédaire, une vidéo sur les coulisses du voyage et une expo photo.
Des films sur la Bosnie sont visionnés : My private
Sarajevo , Chronique dune Ville Assiégée , Le Cercle
Parfait , Chat noir, Chat blanc . Deux soirées vidéo sont organisées
dans le lycée. Des débats suivent et permettent tout doucement de cerner les questions
posées par lHistoire.
Une formation est assurée par un photographe. Il est dit quon
ne sera pas des voleurs de photos. Alors les élèves se rendent en ville pour sentraîner
à prendre des photos en demandant aux personnes leur autorisation, qui dans un café, qui
dans la rue ou une galerie marchande ? On visite également une exposition Depardon au
centre culturel de Saint-Nazaire.
Les contacts sont pris avec les personnes que nous rencontrerons
sur place. Ceux qui projettent une vidéo se forment à la prise de vue avec un
professionnel. La recherche de subvention porte ses fruits auprès de la région des Pays
de Loire et de la municipalité de Saint-Nazaire. Cest loccasion pour les
élèves de découvrir les coulisses dune mairie !
Tout un travail est fait pour organiser le transport. SNCF jusquà
Paris, puis Eurolines pour joindre Zagreb et enfin Centrotrans pour arriver à Sarajevo.
Le vendredi 13 avril 2001, cest le grand départ. Après
deux jours de voyage, nous voilà à Sarajevo. On découvre la ville à pied ou en
tramway. Les premières rencontres avec les traces de la guerre donnent à penser : Cet après-midi, visite du quartier de
Dobrinja, départ du centre ville en tramway. Le quartier de Dobrinja est très
impressionnant et déroutant : des immeubles vides et bombardés. J'ai du mal à exprimer
ce que je ressens, ça m'a prise aux tripes, les larmes sont arrivées, mais pourquoi ce
sentiment de malaise encore une fois ? Quand je me mets à la place des gens qui ont vécu
la guerre, les bombardements, qui voyaient leur famille, leurs amis partir ou mourir, ...
Emmanuelle
Dobrinja ! Quartier complètement détruit, ravagé par les obus.
Quartier le plus détruit de la ville. Même six ans après la guerre, le malaise est
toujours là. Certaines maisons et appartements ont été rénovés, des familles vivent
ici, des enfants jouent... Ça respire la mort. Tu te demandes qui a fait ça et ce qui
pousse certains hommes à tuer leur égal ? La reconstruction est en cours chez les
Bosniaques mais pas chez les Serbes. Pourquoi ? La misère est la même chez les deux
peuples. Et qui dirige ça ? LÉtat, une minorité de personnes cyniques qui vivent
dans le plus grand des conforts, au mépris de ces personnes et qui se permettent encore
de les diriger et de leur imposer des barrières qui les divisent. D'un côté de la
route, appartements bosniaques flambants neufs, de l'autre côté appartements serbes
complètement détruits. Ces deux peuples ont les mêmes besoins, la même histoire mais
des barrières leur sont encore imposées pour encore plus les détruire. Comme s'ils
n'avaient pas assez souffert et qu'ils ne souffraient pas encore assez.
Laure
Les sujets graves que nous abordons et les
grandes questions que nous nous posons, sans parler des travaux nécessaires aux
productions, nempêchent pas la bonne humeur, la convivialité et la fête. Presque
tous les soirs, on se retrouve au « Clou », un bar sympa dans une cave et qui
passe du jazz. On y fait des rencontres, dautres rencontres que celle de la
journée, mais cest également loccasion de se détendre en buvant une bonne
bière, voire plus ! |
Voilà où nous en sommes au mois de janvier 2002. Le Lycée
Expérimental, par son fonctionnement particulier permet ce genre daventure
pédagogique, humainement très forte.
Cela permet aux élèves davoir une vue densemble dun
projet, den appréhender la complexité et dagir afin quil se réalise.
Tout le groupe sest donc trouvé en situation de penser, organiser, financer,
réaliser, bien plus quun voyage. Un morceau de vie !
Il a fallu se coltiner à de vrais problèmes, écrire, pour de
vrai, un vrai livre et monter un vrai film, simpliquer dans des rencontres,
comprendre, réfléchir sur le Monde et la question des Balkans et de la guerre en
particulier. Enfin, quelque chose qui doit sappeler : apprendre.
Lexpérience de lécriture est instructive car elle a
concerné des élèves qui avaient, pour leur grande majorité, des difficultés scolaires
avec lécriture ! Alors quand ils ont vu que le livre intéressait et en plus se
vendait très bien dans une vraie librairie, ce fut sans doute pour eux un grand pas en
avant vers le retour à la confiance en soi.
Simon explique :
Jai acquis beaucoup de maturité, jai grandi. Je sais maintenant comment me
comporter face à un problème qui me dépasse. Je sais lexprimer. |
Merde, dun seul coup, je me sens envahi dune
grande lassitude, presque lenvie darrêter de vivre, car cela est pesant, pour
être sûr de ne pas voir cela. Et dimaginer que moi je pourrais my livrer me
dépasse. Cela me paraît tellement absurde, mais comme dautres lon fait,
pourquoi pas moi. Alors, il vaut mieux que jen finisse, avant dêtre coupable
dun crime inacceptable.
Eh bien non, je veux continuer à vivre,
me débattre, jai le droit despérer vivre dans un monde en paix. Jen ai
conscience, ce doit être la meilleure arme contre le fait de le faire. Nous devons
essayer de combattre tout message à caractère haineux, toutes situations qui seraient
inacceptables ne serait-ce que pour une seule personne, pour éviter que lon en
arrive à un cas similaire un jour. Je dois aussi communiquer mes informations et mes
questionnements et essayer de comprendre ces débordements. |
Bref, comme disait Camus, je suis un homme miné, un homme miné
est un homme qui réfléchit, mais qui veut vivre.
Alex
Simon et Jean-Paul