Une fleur a
poussé sur le pas de la porte
A côté de
la pierre où tu te débottais.
Le vent de
la montagne aura semé des graines
La
montagne, le soir, est toujours aussi sombre
Et toute la
journée,
Toujours
aussi battue par le vent qui remonte.
Ce méchant
vent dautan qui est vent de misère,
Répétais-tu
souvent
Tu as
raison, la vie est dure.
Mais dieu
que Cayenne est si loin
La
montagne, la nuit, est toujours aussi noire
A part les
réverbères en bas, dans la vallée.
Ils les ont
installés lan passé au village.
Ca renverse
le ciel, ces étoiles den bas,
Jai
perdu mes repères
M. le Comte
a clos ses champs, après cet incendie.
Le chemin
du dessus est emporté de ronces
Et jai
moins de courage
Tu as
raison, la vie trop dure.
Mais dieu
que cest si loin Cayenne
La source sest
tarie, cinq jours à la fin août.
Certaines
nuits, quand les enfants sont endormis,
Je regarde
la lune au sommet de la crête.
Mais on ma
raconté que quand cest lune ici
Cest
le soleil là-bas
La soupe va
tremper et jai mis ton assiette.
Les oignons
du jardin ont beaucoup de pelures,
Cest
un signe de froid.
As-tu
raison ? La vie me dure.
Et dieu
cest pas juste, Cayenne
Leçon
de conjugaison :
Le futur
appartient à la dame Camarde
Et sa
foutue sale cocarde
Quon
voudrait bien lui arracher.
Le passé
est bâtard de la mère Jobarde
De ses
attraits darrière-garde
Quon
voudrait bien reconjuguer.
Le présent
est un fruit de déesse gaillarde
Avec des
seins comme une écharde
Quon
voudrait bien voir perdurer.
Futur,
passé, présent.
Jétais,
je tente dêtre et je ne serai plus.
Conjugaison
vitale.
Leçon
de géographie :
Il ne
connaissait pas les bords de la Garonne.
Lorgueilleuse
douceur, limpassible de leau, quand la lune de brume irise ses contours. Il ne
se doutait pas de lécume de glace qui berce ses îlots dans les nuits de janvier.
Il ne savait non plus les souches millénaires amputées à jamais, penchées vers leur
bourreau.
Il ne
connaissait pas le froid de la Garonne.
Il nimaginait
pas les monceaux de mystère charriés en grondant du ventre des pitons. Elle vole aux
Pyrénées sa couleur de colère. Il ne concevait pas les eaux docre barbare dun
lit chargé de mort. Il ne savait pas plus les terreurs ancestrales qui maudissent
Garonne. Et puis qui la supplient.
Il ne
connaissait pas le gris de la Garonne.
Il ne
soupçonnait pas quelle fît lamour aux mouettes, qui viennent hardiment
tâter de sa chaleur. Il ne supposait pas quelle puisse dès juillet libérer ses
galets pour le pied des enfants. Il ne saurait jamais combien elle était femme. Solide et
imprévue, aguicheuse et fidèle.
Il ne
connaissait pas le chaud de la Garonne.
Il arrivait
dailleurs, il ne pouvait savoir.
Il ignorait
tout delle.
Et même
ses appels il ne les savait pas.
Alors je lai
poussé.
Leçon dEducation Civique :
Cétait
un soir dété. Un soir à touristes. Un de ces soirs feutrés où les accents se
mêlent, comme un vague remord pour ceux qui sont restés. Restaurants. Restaurants qui
déambulent sur le trottoir, dévoilant leurs appâts. Qui soffrent sans pudeur aux
désirs des clients. Terrasses avec parasols, la bouffe des vacances. Quimporte
alors livresse si lon a le flacon
Quand il
surgit don ne sait où, les yeux des dîneurs se rétrécirent. Les conversations sintimisèrent,
chacun se raccrochant au regard du voisin. Faire le cercle. A guichet fermé.
Il
commença par les tables les plus proches de la chaussée, tendant sa sébile et murmurant
des mots. Sans même lexcuse dune guitare. Sa béquille le faisait bancroche
et jetait une ombre sur les plateaux de fruits de mer.
Il claudiquait entre les chaises. Une pièce tomba
dans sa soucoupe, comme une incongruité. Regards évitant son merci.
Et des
mains qui éloignent, des mentons de mépris.
Arriva le
serveur. Débordé, débordant de style. Fous le camp. Allez, taille-toi ou je te
raccompagne. Tas rien à faire ici.
La
béquille regimbe. Alors la main, debout, menaçante. Qui bouscule. Déséquilibrée, la
verrue bancale. Rattrapée par une autre main qui la relève, linstalle à sa table.
Plateau de
fruits de mer pour la verrue.
Regards
offusqués, lèvres occultées. Silence, désaveu. Puis le murmure qui reprend, les yeux
qui se décrochent de lintrus et du samaritain.
Cette
nuit-là, je me souviens
Avant de me
coucher, lestomac en repos, jai pleuré comme un con en rangeant ma béquille.