Emploi du temps

Leçon d’Histoire : 

Une fleur a poussé sur le pas de la porte

A côté de la pierre où tu te débottais.

Le vent de la montagne aura semé des graines…

La montagne, le soir, est toujours aussi sombre

Et toute la journée,

Toujours aussi battue par le vent qui remonte.

Ce méchant vent d’autan qui est vent de misère,

Répétais-tu souvent…

Tu as raison, la vie est dure.

Mais dieu… que Cayenne est si loin…

La montagne, la nuit, est toujours aussi noire

A part les réverbères en bas, dans la vallée.

Ils les ont installés l’an passé au village.

Ca renverse le ciel, ces étoiles d’en bas,

J’ai perdu mes repères…

M. le Comte a clos ses champs, après cet incendie.

Le chemin du dessus est emporté de ronces

Et j’ai moins de courage…

Tu as raison, la vie trop dure.

Mais dieu… que c’est si loin Cayenne…

La source s’est tarie, cinq jours à la fin août.

Certaines nuits, quand les enfants sont endormis,

Je regarde la lune au sommet de la crête.

Mais on m’a raconté que quand c’est lune ici

C’est le soleil là-bas…

La soupe va tremper et j’ai mis ton assiette.

Les oignons du jardin ont beaucoup de pelures,

C’est un signe de froid.

As-tu raison ? La vie me dure.

Et dieu… c’est pas juste, Cayenne…

 

Leçon de conjugaison :

 

Le futur appartient à la dame Camarde

Et sa foutue sale cocarde

Qu’on voudrait bien lui arracher.

 

Le passé est bâtard de la mère Jobarde

De ses attraits d’arrière-garde

Qu’on voudrait bien reconjuguer.

Le présent est un fruit de déesse gaillarde

Avec des seins comme une écharde

Qu’on voudrait bien voir perdurer.

Futur, passé, présent.

J’étais, je tente d’être et je ne serai plus.

Conjugaison vitale.

 

Leçon de géographie :

 

Il ne connaissait pas les bords de la Garonne.

L’orgueilleuse douceur, l’impassible de l’eau, quand la lune de brume irise ses contours. Il ne se doutait pas de l’écume de glace qui berce ses îlots dans les nuits de janvier. Il ne savait non plus les souches millénaires amputées à jamais, penchées vers leur bourreau.

Il ne connaissait pas le froid de la Garonne.

Il n’imaginait pas les monceaux de mystère charriés en grondant du ventre des pitons. Elle vole aux Pyrénées sa couleur de colère. Il ne concevait pas les eaux d’ocre barbare d’un lit chargé de mort. Il ne savait pas plus les terreurs ancestrales qui maudissent Garonne. Et puis qui la supplient.

Il ne connaissait pas le gris de la Garonne.

Il ne soupçonnait pas qu’elle fît l’amour aux mouettes, qui viennent hardiment tâter de sa chaleur. Il ne supposait pas qu’elle puisse dès juillet libérer ses galets pour le pied des enfants. Il ne saurait jamais combien elle était femme. Solide et imprévue, aguicheuse et fidèle.

Il ne connaissait pas le chaud de la Garonne.

Il arrivait d’ailleurs, il ne pouvait savoir.

Il ignorait tout d’elle.

Et même ses appels il ne les savait pas.

Alors je l’ai poussé.

 

Leçon  d’Education Civique :

 

C’était un soir d’été. Un soir à touristes. Un de ces soirs feutrés où les accents se mêlent, comme un vague remord pour ceux qui sont restés. Restaurants. Restaurants qui déambulent sur le trottoir, dévoilant leurs appâts. Qui s’offrent sans pudeur aux désirs des clients. Terrasses avec parasols, la bouffe des vacances. Qu’importe alors l’ivresse si l’on a le flacon…

Quand il surgit d’on ne sait où, les yeux des dîneurs se rétrécirent. Les conversations s’intimisèrent, chacun se raccrochant au regard du voisin. Faire le cercle. A guichet fermé.

Il commença par les tables les plus proches de la chaussée, tendant sa sébile et murmurant des mots. Sans même l’excuse d’une guitare. Sa béquille le faisait bancroche et jetait une ombre sur les plateaux de fruits de mer.

 Il claudiquait entre les chaises. Une pièce tomba dans sa soucoupe, comme une incongruité. Regards évitant son merci.

Et des mains qui éloignent, des mentons de mépris.

Arriva le serveur. Débordé, débordant de style. Fous le camp. Allez, taille-toi ou je te raccompagne. T’as rien à faire ici.

La béquille regimbe. Alors la main, debout, menaçante. Qui bouscule. Déséquilibrée, la verrue bancale. Rattrapée par une autre main qui la relève, l’installe à sa table.

Plateau de fruits de mer pour la verrue.

Regards offusqués, lèvres occultées. Silence, désaveu. Puis le murmure qui reprend, les yeux qui se décrochent de l’intrus et du samaritain.

Cette nuit-là, je me souviens…

Avant de me coucher, l’estomac en repos, j’ai pleuré comme un con en rangeant ma béquille.

 

Michel  Barrios