La
première gorgée décole
Il est 7 h
30, comme tous les matins.
Les
premiers rayons affleurent au sommet du Puech. Juste en face de la fenêtre que je viens douvrir.
Le Puech, cest
une petite colline bien boisée, bien ronde. Toute agréable de rondeurs. Un téton, au
matin, que le soleil rhabille. Faut dire que ma fenêtre est un peu voyeuse. Conçue pour
être vue, mais aussi pour bien voir. Vestige dune espèce en voie de
disparition : la fenêtre dinstit-qui-habite-lécole. La classe unique en
bas, le logement au-dessus.
Donc, à 7
h 30, au premier étage de lécole, ma fenêtre est ouverte.
Le Puech,
je le connais par cur. Cest la vue grand écran sur le village, quand on y
monte avec fusain, feutre ou crayon à papier. Juste pour dessiner. Et puis au loin, les
dents bleuies des Pyrénées, en toute majesté. Le Puech, cest parfois notre
parcours dorientation, bataillant aux boussoles, parmi les châtaigniers, les
chênes et les genévriers. Cest aussi notre géographie, doù lon peut
voir den haut limbrication complice entre des hommes et un pays. Avec dame
Garonne, en guise de jalon. Le Puech, cest linévitable Vierge du sommet, avec
les palombières à quelques pas de là. Cest enfin les rigolades du retour, pour
les dégringoleurs de pente. Cueillettes, dessins, cartographies et autres trouvailles ne
sont pas assurés darriver jusquen bas. Jusquà la classe.
Cest
le Puech que je vois en ouvrant ma fenêtre.
Une cloche
placide annonce la demie. Léglise, au pied du mamelon. Cest un bout de lHistoire.
Nous avons exploré, la semaine dernière, les rares traces de la commanderie des
Templiers, dont léglise était la chapelle. Imaginant lancien château,
supputant, comparant, vieux plans et plan cadastral. XII° siècle, on examine le Moyen
Age de près. On y marche dessus, on le mesure, on lanalyse, on le revit. Faudra dailleurs
y retourner, cette semaine. Prendre les photos des vestiges quon a repérés, pour lalbum.
On avait oublié lappareil, la dernière fois
Il nest pas sûr que nous
aurons le temps, cette semaine.
Ma fenêtre
est une baie, bien plus large que sa taille.
Doucement,
bonhomme, il nest que 7 h 35 et tu ne sais pas encore ce que sera ce lundi, dans ta
classe
Plus près,
le court de tennis. Adossé aux maisons de lentour du clocher. Tennis, un groupe à
chaque récré, deux contre deux, le court nest quà 60 mètres de lécole.
Mais ils sont 27, cette année, le tour ne revient pas assez vite. Alors il y a ce projet,
dans la cour. Un jeu quils ont inventé, tennis-ball. Deux équipes de quatre avec
une balle en mousse. Et on tourne comme au volley-ball. Ca double le nombre de
participants. Bon, faut prévoir une équipe de mesureurs et de surfaceurs pour partager
la cour
Plan, dessin, traçage, règles du jeu pour les corres
Entre le
tennis et lécole, une pelouse. Bichonnée par lemployé municipal. Plantée
de quelques conifères et de buissons taillés, propice en septembre à la pousse des
champignons. Tous plus toxiques les uns que les autres, mais si beaux lors de lexposition
sous le préau
7 h 45. De
lautre côté de la route, mes anciens élèves attendent le bus pour le collège. A
quelques mètres du vieux portail qui enferme la cour. On sest dit bonjour par la
fenêtre. Cette cour quils connaissent bien, mi-goudronnée, mi-pelousée, deux
poiriers, un prunier et le bac à sable quils avaient transformé en piscine, à
chaque fin juin. Ils ne vont plus la reconnaître, bientôt. On y a suspendu nichoirs et
morceaux de gras, cet hiver. On espère bientôt avoir des couvées de mésanges
Et
puis ce projet en cours, peindre des jeux sur le goudron, marelle, escargot et autres
Pas nimporte où ni nimporte comment. Va falloir mesurer, dessiner à léchelle,
raconter pourquoi
Et puis
Roki, le chien de lécole, qui depuis un quart dheure accueille les premiers
arrivants. De 7 h 30 à plus de 18 h. Presque 11 h dans lenceinte de lécole.
Eh oui, cest pas plus rose en rural que dans la banlieusade, pour certains mômes de
8 à 10 ans. Pourquoi les obliger alors aux manuels, quand les savoirs sétalent
autour de nous ?
Ma fenêtre
est ouverte et la classe commence dans un peu plus dune heure. Jy serai bien
avant, juste un escalier à descendre.
Et mon
« travail dinstit » se déploie sous mes yeux, dans le soleil naissant
de ma fenêtre ouverte.
Je me
souviens du temps où les préparations étaient le principal de mon « travail dinstit ».
Conditionné, jétais. IUFM, inspecteurs, conférences ou autres CPC. Cétait
du temps où ma fenêtre était fermée.
Ma
première gorgée décole, je lai bue en ouvrant les battants.
Michel BARRIOS