Le discours « républicaniste » sur lécole a le vent en poupe. Il se présente comme la planche de salut pour un système éducatif qui serait en pleine déliquescence avec des enfants violents, des parents absents, des enseignants démunis. Avec un opportunisme certain, il récupère le discours sécuritaire qui procède de la même logique réactionnaire. Comme par magie, le rétablissement de linstruction civique suffirait à restaurer lAutorité de lécole et des principales institutions.
Profitant de vents porteurs dans une société déboussolée, il
tente de pousser son avantage en jetant le discrédit sur ceux quil surnomme
ironiquement les «pédagogos», voire les «pédagogols». Ces derniers, empêtrés dans
leurs manies procédurales, seraient parmi les principaux acteurs de cette
dégénérescence. Il conviendrait donc dexpulser « la pédagogie du vide » (1)
qui néglige les contenus au profit de la méthode. Pire, les «pédagogos» seraient
accusés dentretenir dans linculture et lanomie des «hordes de
sauvageons» en puissance. Ils seraient même responsables de lentrée des valeurs
libérales dans lécole. Rappelons déjà que
les chantres de la Tradition tant regrettée n'ont jamais cessé d'être majoritaires dans
les écoles.
Les apprentissages impartis à lécole relèveraient donc dune
dichotomie caricaturale et chaque enseignant serait sommé de choisir son camp (mémoire
ou réflexion, cognitif contre ou affectif, savoirs fondamentaux ou savoirs sociaux).
Si notre sympathie va assurément
aux pédagogues qui, eux au moins, ont le souci de lenfant réel, nous
ne voulons pas nous laisser enfermer dans ce débat réducteur. Car, pédagogues et
républicains, voyant en lécole son propre recours, « en viennent à oublier lessentiel
: les inégalités sociales. » (2)
Praticiens et militants de la pédagogie Freinet, résolument
hostiles aux nostalgiques de lécole dualiste de la 3ème république, nous ne nous
sommes jamais bercés dillusions pédagogiques. Comme jadis Célestin Freinet, nous
ne comprenons toujours pas que des collègues « fassent de la pédagogie nouvelle, sans
se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de lécole mais nous ne
comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent activement pour laction
militante et restent dans leur classe de paisibles conservateurs. » (3) En loccurrence,
les paisibles conservateurs dhier sont devenus bien vindicatifs !
Nous ne pouvons nous satisfaire des inégalités criantes
engendrées par notre société libérale et nous inscrivons notre démarche militante
dans un mouvement social plus large qui vise le changement.
Un souci de la réussite de tous, et pas seulement celle des
enfants qui sont proches de la culture de lEcole,
doit sappuyer aujourdhui, plus encore quhier, sur la
culture première et la vie des enfants. Alors, avec eux, pas à pas, dans une atmosphère
coopérative qui laisse toute leur place à lexpression, à la communication et au
tâtonnement expérimental, se construisent des passerelles vers dautres cultures,
vers la Culture. Cela demande de lexigence mais aussi un sens de lécoute et
de laccompagnement pédagogique. Lacquisition des connaissances est dautant
plus efficace et dynamique quelle prend corps dans des groupes vivants et quelle
a un sens pour les enfants. A ce compte, celles-ci vont bien souvent bien au-delà des
programmes sur lesquels se crispent les tenants de la tradition.
Aussi, forts de pratiques qui continuent de faire leurs preuves
au quotidien, nous pouvons lancer à ces Messieurs les « Républicains » :
«Descendez de votre estrade, de votre chaire, venez dans nos
écoles, dans nos classes, à la rencontre denfants bien réels et vous constaterez
déjà que, même dans des quartiers dits sensibles, des pratiques coopératives,
cohérentes sont génératrices de sérénité. Vous verrez quen construisant la loi
au quotidien avec les enfants, ceux-ci sont mieux à même den mesurer les tenants
et aboutissants et de la respecter. Dailleurs, dans la lutte contre la violence à lécole,
on se tourne régulièrement vers nos pratiques
Pour autant, nous ne sommes pas
prêts à assumer le rôle de pompiers sociaux que daucuns aimeraient nous voir
jouer à bon compte. Nous sommes dans une démarche de transformation et non de simple
pacification scolaire et sociale qui ne règlerait rien sur le fond.
Ouvrez les yeux et vous verrez que lEcole que vous voulez
réhabiliter, enferrée dans son fameux élitisme, na jamais engendré autre chose
quarrogance dun côté et rancur ou sentiment dexclusion de lautre,
ingrédients fondamentaux dune société à plusieurs vitesses. Une société où le
mythe de légalité des chances constitue une imposture dès lors quon reste
aveugle aux déterminants sociaux et économiques mais aussi aux perspectives réellement
offertes aux enfants. En la matière, la réhabilitation des bourses pour les enfants des
milieux défavorisés, sans en nier le bien-fondé, ne peut quinfluer à la marge,
comme autrefois.
Ouvrez les yeux et vous verrez que lécole archaïque que
vous prônez, figée dans ses certitudes et linertie bureaucratique, conduit avec sa
logique de compétition à faire perdre le sens du vivre ensemble et du bien commun. A son
corps défendant, elle fait le lit de lécole libérale par linadaptation de
ses réponses aux défis sociaux actuels. Quoi que vous en disiez «le système éducatif
vit encore dans le mythe constamment réaffirmé d'une dynamique de transmission des
connaissances qui se ferait par le seul canal de fonctions intellectuelles supérieures
(à l'exclusion des émotions et des personnalités individuelles, des cultures et des
croyances collectives, etc.) entre un diffuseur abstrait (l'enseignant) et un récepteur
abstrait (l'élève). La réalité ne s'accorde pas avec cette théorie et il semble peu
efficace de vouloir l'y faire entrer à tout prix en s'arc-boutant sur des
pratiques pédagogiques traditionnelles [...] » (4)
Comme par hasard, cest vous que lon retrouve encore
dans lopération de dénigrement des nouveaux programmes de lécole primaire.
Si nous condamnons dans ceux-ci la régression que constitue le seul recours aux
comportements alphabétiques pour lapprentissage de la lecture ; pour nous, ces
programmes représentent malgré tout une avancée en ce quils donnent plus de place
aux apprentissages en contexte qui font sens pour les enfants. Ils ne vont même pas assez
loin en laissant une part encore trop belle aux programmations sclérosantes que vous
aimez tant.
Et puis, quand vous prônez un retour aux filières, nous
militons activement pour une éducation polytechnique pour tous. Dans une société
complexe, il devient indispensable de développer au maximum toutes les formes dintelligence
et non, la seule intelligence logico-verbale que vous vénérez tant. Nos pratiques, en
cherchant à appréhender dans leur globalité les enfants et les groupes dans lesquels
ils évoluent, sont mieux à même de relever ce défi.
Nos désaccords sont donc profonds, nos logiques sont opposées.
»
La pédagogie Freinet nest pas soluble dans le pédagogisme
: nous revendiquons avec force une école populaire, dans un service publique déducation
de qualité qui soit capable de dialogue avec les enfants, les jeunes et leurs familles,
et en particulier celles et ceux qui en sont les plus distants culturellement. Pour nous cest
cela la véritable école de la République, mais une République à refonder, dont lécole,
en prise avec la réalité sociale, prépare activement à lexercice de la
démocratie participative, une école qui tourne le dos au SMIC éducatif de savoirs
prétendument forts vers lequel certains voudraient renvoyer les enfants d'aujourd'hui.
Une école qui ne prétende plus faire ou penser pour mais qui avance avec.
Pour lICEM Pédagogie Freinet, Catherine Chabrun, Pierrick Descottes, Laurent Ott, Joël
Blanchard (1) «La pédagogie du vide» H. Boillot et Michel Le Du, PUF
1993 (2) «Le ghetto des discours sur lécole» P. Encrenaz et
E. Hassenteufel, dans Libération,10 février 2001 (3) Extrait des Perspectives de lEducation Populaire, dans
Léducateur, novembre 1978 (4) Laurent Mucchielli, Le Monde diplomatique, février 2002 |