Feuille de bord en maths :

un texte libre ?

 

neduc-137-0013.JPG (20390 bytes)

Nous tentons de favoriser sans cesse l’expression libre de nos élèves, même dans les disciplines qui paraissent les plus éloignées de cette préoccupation. Il nous semble, en effet, nécessaire que les adolescents interrogent leurs émotions et les expriment, pour être pris en compte par l’adulte ou le groupe, et  se sentir concernés par ce qu’ils vivent. Luc Comeau-Montasse, professeur de mathématiques au collège, présente une pratique qui favorise cette libération de l’expression des adolescents. Sa technique n’est, bien sûr, pas complètement un « texte libre » qui suppose liberté du moment, du thème, et du destinataire, mais il lui ressemble, par la « liberté de la parole, de l’expression, de la pensée ».

J’enseigne dans une ZEP plutôt dure (déjà un blessé par jet de pierre parmi les profs). Pour la deuxième année, je pratique la feuille de bord (maths, collège, sixième, cinquième, et quatrièmes « Aide et Soutien ») : cinq minutes à la fin du cours dans ces instants où soit l'air se tend (la pensée et une partie de l'idée de corps étant déjà de l'autre côté de la porte) soit il se détend (si l'on est majoritairement content (comme repu) d'avoir passé un bon moment ensemble (?!). 

Les élèves de mes classes remplissent quelques lignes avec les rubriques : 

- date

-thème du travail du jour (pas le titre au tableau, mais quelque chose de plus précis)

- ce que j'ai appris ou réappris (un savoir-faire précis avec si possible un exemple)

-mon commentaire du jour.  

Cette quatrième rubrique est d'une certaine manière une forme de texte libre, pas au sens réel bien sûr, puisque le moment est imposé et que d'autres critères du "texte libre" ne sont pas respectés. Mais l’élève y écrit quelque chose de personnel qui s'est passé pendant le cours : quelque chose de réel ou de rêvé, voire pire.  

L'an dernier, j'étais parti sur l'idée d'un écrit appartenant à l'élève qui le produit et donc sur lequel je n'avais aucun droit. Je n'avais pas trop détaillé les critères de cette production, car je craignais d'imposer une forme trop contraignante ou des modèles parasites. Cette année, je m'y suis pris un peu différemment. D'abord, parce que le  recul d'une année de fonctionnement me permet de voir la nécessité d'une petite période de mise en route où, avec la classe, nous mettons (surtout moi au début) les choses en place, évitant les contresens inutiles (par exemple sur les mots « thème » ou « commentaires »). 

Ainsi, je me permets de demander ce qui est écrit (je ne lis pas moi-même), et de faire quelques remarques orales :

«  Le prof, il est gentil. 

- Non, Karim, ce n’est pas un commentaire du jour pour la feuille de bord.

 - Djamel, y m’a fait rire tout le temps. Pourquoi il t’a fait rire, Djamel ? Tu ne te souviens déjà plus ?  Ce que tu écris doit être « un peu » unique, c'est quelque chose qui ne se passe pas à tous les cours.  Djamel, il te fera toujours rire. Qu'est-ce qu'il t'a dit de particulièrement drôle aujourd'hui ? Si ne sais déjà plus, le reste du cours de maths doit aussi être très loin. En te souvenant d'une remarque précise, tu pourras peut-être, te rappeler de la priorité de la multiplication sur l'addition en te disant on a fait ça le jour où Djamel m'a dit ... »

neduc-137-0014.JPG (17270 bytes) Mon objectif est, bien sûr, la production d'un écrit vers la « liberté de la parole, de l'expression, de la pensée ». Mais il  s'agit surtout d'un essai d'ancrage de « ce que j'ai appris ou réappris » dans le vécu et le senti personnel de l'élève pour aider à la mémorisation. L'an passé, ce travail m'a surtout servi avec les élèves en grande difficulté. Pour certains, il a servi de bouée de sauvetage : en faisant émerger du cours un seul point (même si plusieurs éléments avaient été abordés), en l'écrivant avec des mots plus simples, et de la façon la plus opérationnelle possible (mode d'emploi) certains élèves en sont venu a mieux « saisir » des éléments du cours et par la suite à participer davantage aux activités de recherches que l'on fait en classe pour introduire les différentes notions.

Par ailleurs, dans quelques contrôles, j'ai autorisé l'utilisation de la feuille de bord (feuilles reliées devenant alors « carnet de bord »). J'ai pu voir alors certains contre-sens graves, qui avaient été notés comme des « ce que j'ai appris », les rectifier et mettre en évidence auprès des élèves concernés l'intérêt de ce travail spécifique lorsqu'il est bien fait …

Cette année, j'ai donc été un peu plus directif en proposant une période d'aide à la rédaction. Deux semaines, pendant lesquelles je participe à l'émergence collective du thème et aide un peu ceux qui le demandent à mettre en forme leur « ce que j'ai appris (ou réappris) ». 

Cette pratique de la feuille de bord est un peu isolée, pourtant, je n'ai eu aucune remarque négative cette année (quelques-unes l'an passée) de la part des élèves. Au contraire, ce moment est vraiment intégré à l'heure de classe, et réclamé lorsque vient son temps (très peu d'excès de la part de ceux qui voudraient éventuellement accélérer la fin de l'heure). 

J'attends avec impatience le moment où (après un mois de cours) je les laisserai plus libre dans leur rédaction (liberté qui pour l'instant n'est totale que dans le commentaire), parce que je pourrais alors, moi aussi rédiger ma feuille de bord sur laquelle la rubrique « ce que j'ai appris (ou réappris) » de ma classe me donne l'occasion, à moi aussi, de noter ce qui, sans ce petit moment suspendu, serait à jamais perdu, des petites choses comme :

« J'ai appris que Teddy (qui n'écrit pratiquement jamais rien sur son cahier) a de réelles connaissances sur la civilisation égyptienne, qu'Océane, après plusieurs cours, évaluations... sur les nombres décimaux, croit encore que si on entend mille, le chiffre cité devant est celui des milliers (elle a alors raison, ex : 3000) ou des millièmes (la plupart du temps elle se trompe alors, ex : 0, 3541). 

Luc Comeau-Montasse 

Collège des Hauts de Blémont

57070 Metz Borny

Extrait de Second Degré Liaisons,

Revue du secteur second degré

de l’ICEM