FORUM MONDIAL SUR LEDUCATION DE PORTO ALEGRE
Maria
Teresa Rode, du CA de la Fédération Internationale des Mouvements dEcole Moderne
(FIMEM), était présente à Porta Alegre en octobre 2001, lors du Forum sur lEducation.
Nous reproduisons le texte de son intervention.
La Fédération Internationale des Mouvements de lEcole
Moderne, qui sinspire des paroles et des écrits dElise et Célestin Freinet,
a choisi dêtre présente à ce rendez-vous plein de sens. Porto Alegre : lieu
royal et symbolique dans lequel aux côtés dautres mouvements, il est possible de
penser à construire un monde meilleur..
La force du
message de Freinet est dans sa conviction que la volonté dapprendre et de savoir
vient tout naturellement, sans contrainte, sans structures institutionnelles oppressives.
Les
maîtres sont ceux qui guident les apprentissages sans contraindre, sans endoctriner. La
méthode naturelle comme méthode antiautoritaire et laïque a conquis son espace en
faisant de la résistance dans plus de trente pays disséminés dans le monde, en Afrique,
en Amérique Latine, en Asie (Japon). Les techniques Freinet se fondent sur une
philosophie simple et profonde, celle de la valorisation du travail de chacun. Leur
pratique implique une savante organisation de la complexité et lidée que tout,
même les plus petits gestes se connectent entre eux en un système plein de sens et que
rien nest gaspillé.
On part dun
micro système : la classe, micro réalité sociale qui renvoie au monde extérieur
et à ses règles. La classe coopérative, petite entreprise dans laquelle rien ne se perd
et où les droits de lindividu rejoignent les droits du groupe. Cest un
laboratoire de vie et de connaissance réciproque, par la découverte, la recherche, lutilisation
doutils, la correspondance, le journal de classe, limprimerie.
Nous sommes
ici, parce que nous pensons que la mondialisation pose des problèmes urgents étroitement
liés à un développement équitable pour tous les habitants de la planète.
des
peuples
Cest
autour des processus dinstruction et dalphabétisation que se jouent le destin
de nombreux peuples.
·Lexclusion des sujets les plus faibles, et tout
particulièrement celle des enfants au seuil de lalphabétisation rend encore plus
grave, le cercle infernal : faim, maladie, sous-développement, pauvreté, qui se
propage jusquaux niveaux les plus hauts de la croissance économique générale et cest
un problème non seulement pour les pays pauvres, mais aussi pour lhumanité toute
entière.
·Rendre des pays dépendants de lusage et de lexportation
de technologies inappropriées à fort impact environnemental, perpétue un circuit
commercial dans lequel les pays en voie de développement, bien quils détiennent
les 3/4 des matières premières, subissent le chantage économique des multinationales,
et leur environnement est soumis à un constant saccage au détriment de lhumanité
toute entière.
·Les limites des découvertes scientifiques et les possibles
manipulations génétiques, nous mettent plus que jamais face à la question du savoir qui
chemine parallèlement à celle de la survie et de lexercice de la démocratie.
·Les conflits dans le monde font appel à une conception rigide
de lidentité et de lappartenance, et le marché des armes alimente les
oppositions entre les peuples, justement parce que cela joue sur la pauvreté, non
seulement matérielle mais aussi culturelle.
Pour un nouvel imaginaire des peuples
Pour une
géographie des visages
et des
jeux
La
tragédie de New York qui nous a si profondément touchés et la guerre en cours nous
imposent le devoir de remanier limaginaire collectif mondial, reconstruire des
symboles qui donnent à tous la possibilité de les considérer comme sien et non comme
des « forteresses ennemies à abattre ». Cela nécessite un important effort
collectif au-delà des appartenances ethniques et religieuses.
Il faut
tout dabord exiger le silence des armes et dire quil ne pourra être question
de paix tant quil ny aura pas de justice et quil ny aura pas de
justice si les règles du marché sont celles qui régissent les rapports entre les
peuples.
Que peut
faire le peuple de Porto Alegre pour construire dautres tours ou plus simplement dautres
maisons que ne pourraient attaquer des terroristes ?
Que peut-il
faire de plus pour lenfance oubliée
que ce que lUNICEF ou dautres
organismes nont déjà fait ?
Il est
nécessaire de donner un visage crédible à lespérance en montrant les liens que
peuvent nouer les humains dans le monde et de combattre lidée que lunique
moyen de rendre la justice soit de réveiller la mort en se sacrifiant ou en sacrifiant
les autres, sacrifice après sacrifice pour étancher linextinguible soif de sang
des divinités qui restent là à regarder.
Depuis le
11 Septembre, le monde vit prisonnier des images de mort-spectacle entre réalité et
retransmission télévisuelle.
A quel
futur peuvent penser les enfants si dans leurs yeux restent à tout jamais de telles
impressions ?
Comment se
démine un territoire pour le sauver dautres explosions qui sy
annoncent?
Cest
pourquoi, nous devons travailler sur les images mentales des jeunes avec lesquels nous
sommes en contact quotidiennement. Nous devons leur offrir dautres paysages
intérieurs et la possibilité dapercevoir des visages de tous les pays du monde,
des visages qui sourient, les visages de ceux qui samusent et profitent des simples
petites choses que la paix rend si précieuses.
Il faut
lancer une formidable offensive de lettres qui envahiront les écoles de tous les pays du
monde et faire connaissance avec ce qui est lointain, ce qui est différent pour ne plus
en avoir peur. Sur la vague de la pédagogie Freinet, Porto Alegre pourrait bien se
transformer en un gigantesque bureau de tri postal pour jumeler même les classes des
villages les plus perdus.
Léducation nest pas à vendre
Cest
le sens du second message quil nous semble opportun de lancer en tant que FIMEM. A
la prolifération des entreprises et des universités qui fabriquent du savoir de manière
plus ou moins virtuelle et réduisent toujours plus le cercle de ceux qui peuvent y
accéder, nous opposons lidée dune école de base pour tous, une école
publique et de qualité, capable de fournir les abécédaires nécessaires et les
structures cognitives qui sont à la base de lacquisition du droit à la
citoyenneté sans distinction de sexe, de race ou de fortune.
Rappelons-nous
que lAmérique du Nord a déjà lancé son premier marché de léducation à
Vancouver en Mai 2000.
La pression
pour faire coïncider instruction et domination du multimédia est toujours plus forte et
ceci peut devenir le nouvel obstacle qui augmente linégalité des chances daccès
à lalphabétisation de base et les inégalités sociales tout court.
Si lécole
et le système scolaire laissent accréditer cette illusion productiviste, en recourant à
lidée de la capitalisation des biens immatériels, les différences ne feront quaugmenter
même dans les pays les plus hautement industrialisés, en ne résolvant pas le problème
de lélévation globale du niveau culturel.
Lexpérience
de scolarisation des USA, si divisée entre
quartiers chics et quartiers pauvres, entre universités et lycées, si rétive à se
soumettre à la moindre évaluation par crainte den sortir mal en point, en est lexemple
le plus frappant.
Une
véritable réflexion sur ces résultats nous convainc encore plus que linstruction
doit être fondée sur la sauvegarde et le partage des « biens communs », que
sont la connaissance et le savoir quon ne peut réduire à des catégories
standardisées ou à des modèles culturels uniques.
Chaque
peuple a le devoir de sauver sa propre culture mais sans en faire une barrière à dresser
contre les autres peuples.
Cette voie
pourrait nous conduire à un développement mondial économiquement solidaire, efficace
sur le plan social et politiquement démocratique. Ceci augmenterait lidée dune
économie coopérative attentive à la promotion dun bien-être mondial pour la
défense du droit à la vie.
Quel
dialogue entre le Forum
et les
institutions politiques
En tant que
FIMEM, nous proposons que le peuple de Porto Alegre devienne un laboratoire et un
observatoire permanent du monde de la formation et de linstruction en exigeant le
maintien des engagements pris par les organismes politiques dans leurs résolutions sur le
thème de linstruction.
Rappelons-nous
par exemple que le Parlement européen a approuvé le 13 Avril 2000, la résolution B5-355/00/COMP sur le
« Forum mondial pour léducation ».
La
conférence de Dakar
A la
Conférence de Dakar au Sénégal (Avril 2000) a été présentée lévaluation la
plus complète jamais entreprise dans le monde en matière dinstruction de base.
Précédée
dune série de conférences régionales préparatoires pour analyser les données en
provenance des différents pays, la conférence a offert un panorama plutôt contrasté de
linstruction minimum dans le monde : selon certains experts, les années 90 - Instruction pour tous, ironie du
slogan !- ont traversé une crise
éducative, avec bien 113 millions denfants non scolarisés, une lourde
discrimination envers les filles, presque un million dadultes analphabètes, des
écoles en mauvais état et une pénurie denseignants qualifiés et de matériel
didactique.
En regard,
un fait positif, laugmentation du nombre absolu des enfants scolarisés, de 599
millions en 1990 à 681 en 1998, ce qui a signifié une première scolarisation pour
certains.
Mais les
disparités qualitatives sont considérables, dun côté des systèmes éducatifs
rigides et fossilisés, loin des exigences réelles des enfants et des adolescents, de lautre,
un florilège dinitiatives disparates, visant à adapter linstruction aux
besoins locaux et à apporter aux populations marginalisées, formation et compétences de
bases à utiliser principalement comme activités génératrices de revenu.
Construire
un réseau de projets
et de
présences
Des défis
formidables nous attendent :
Comment
éduquer les millions dorphelin du sida ?
Comment
garantir laccès à linstruction à des millions de réfugiés ?
Comment
mettre les nouvelles technologies au service de lécole ?
Parmi tous
ces défis, le plus important, du fait que 700 millions de personnes vivent dans 44 pays
fortement endettés est : comment faire pour que linstruction puisse vraiment
contribuer à lélimination de la pauvreté et donner enfin aux enfants la
possibilité de se réaliser pleinement ?
A laube
du nouveau millénaire, est peut-être enfin arrivé le moment de redessiner les
stratégies éducatives pour gérer lhéritage, pas toujours positif, des années
90.
Petite
enfance et adolescence :
une
génération perdue ?
La
pauvreté est ennemie de linstruction, elle-même aux racines de la pauvreté lorsquelle
vient à manquer, en un mouvement perpétuel qui ne laisse aucune espérance. Linstruction
est le meilleur moyen, souvent lunique, pour que lenfant puisse briser la
spirale descendante de la privation. Ils sont aujourdhui 113 millions denfants
non scolarisés, dont 100 millions dans les pays en voie de développement, la majorité dentre
eux étant des filles.
Un épais
enchevêtrement de facteurs socioculturels, économiques et géographiques, exclut les
enfants de linstruction, les écoles excluent lorsquelles refusent de
collaborer avec les parents, la bureaucratie exclut en ne soutenant pas correctement les
enseignants, catégorie sous payée dans pratiquement tous les pays du monde, et létat
exclut parce que sa politique ne tient pas compte de manière suffisante des besoins
réels des enfants.
La majeure
partie des états est soit lente, soit peu encline à donner une instruction non formelle.
Ce sont le plus souvent les ONG qui garantissent linstruction aux enfants en
situation difficile.
Lécole
entre travail et chômage
les
projets sociaux
Ils sont
plus dun milliard les jeunes entre 15 et 24 ans qui risquent lexclusion
sociale et leur nombre est destiné à augmenter.
Il sagit
dun phénomène en grande partie occulté parce que lon manque de chiffres
précis sur le sujet, mais leur nombre est en augmentation et pas seulement dans les pays
en voie de développement.
A Dakar, lOrganisation
Internationale du Travail a déclaré que le chômage et lexclusion sociale des
jeunes ont atteint des niveaux intolérables dans les principaux pays industrialisés. En
France, on les appelle la « Génération salle dattente », environ un
jeune sur quatre est sans travail..
Ces
dernières années, sont apparues de nouvelles solutions pour combattre lexclusion
des jeunes. En Grande Bretagne, un projet de lONG Voluntary Service Overseas confie
aux jeunes marginalisés des projets daide aux pays en voie de développement.
Après une brève formation sur le thème de la coopération, ils partent six mois sur le
terrain.
Le
résultat : lacquisition de compétences, une expérience de vie et une
confiance en soi renouvelée.
De Dakar
à Porto Alegre
Les mille
projets de Dakar doivent trouver un écho ici à Porto Alegre, et si Dakar a représenté
un moment institutionnel, ici le peuple de Porto Alegre peut constituer un réseau capable
de surveiller ces projets et cette volonté politique pour que rien ne soit oublié ni
gaspillé.
La
qualité et la formation
des
enseignants
Pour une
école capable de promouvoir la coopération et capable de sortir de sa rigidité, il faut
un corps denseignants bien préparés.
Les projets
senlisent souvent non seulement par manque de fonds, mais aussi par manque de
personnel prêt à les gérer et à les coordonner.
La
diffusion de la Pédagogie Freinet par lauto formation au cours dateliers dans
lesquels les enseignants expérimentent collectivement des parcours didactiques, montre
ainsi sa capacité à se projeter dans une réflexion collective sur la manière dont se
construisent les savoirs en partant de soi et de la capacité de chacun à réfléchir sur
lexpérience du groupe comme espace possible dapprentissage dans lequel la
relation et lémotion sont aussi importants que les contenus et les techniques que lon
y acquiert
Pour la
FIMEM
Maria
Teresa Roda
(traduction
Sylvie Clerc)