ECRITURE , TURE-LURE
Ecole de village à une classe, non loin des Pyrénées. Cycle 3, vingt mômes et un instit. Matin doctobre, un « Quoi de neuf » ordinaire.
Noélia, CE2, a la parole. Lune de ses premières interventions depuis septembre :
- Pendant les grandes vacances, je suis allée à Paris, avec mon frère et mes parents.
- Et tas vu quoi ?
- On a visité la tour Eiffel, le Louvre, Notre Dame de Paris et la Bibliothèque Nationale.
- Cest quoi, la Bibliothèque Nationale ?
- Hé bé cest des grands immeubles où on garde tous les livres.
- Tous les livres de toute la France ?
- Oui, de partout.
- Alors, à chaque fois quon fait un livre, on le met dans cette bibliothèque ?
- Oui.
- Et nimporte qui peut les voir ?
- Oui. Et il y en a même qui viennent dautres pays pour les lire.
Noélia, en toute ingénuité, et dans linnocence de ses huit ans, vient dappuyer sur le bouton vert. Le bouton IMAGINAIRE. Personne, à cet instant précis, ne saperçoit que la machine senclenche. Pas même linstit. Le « Quoi de neuf » se poursuit, jusquau bout de sa logique :
- Et si nous, on écrivait un livre, il y serait aussi ?
Linstit flaire enfin le danger. Demande la parole :
- Oui. Mais Noélia a oublié de vous dire quil sagit de livres « édités ». Cest à dire dun texte quun éditeur a aimé, et quil a transformé en livre, parce que cest son métier.
Quelques secondes de réflexion, et puis :
- Alors, si un éditeur aime nos textes, il pourrait en faire un livre, et on serait à la Bibliothèque Nationale ?
- Avec les vrais livres des vrais écrivains ? Ca serait super
- Ouais ! Et on pourrait lécrire comme un grand texte libre avec des suites, ça irait plus vite
Linstit, vraiment réveillé, vacille devant le gouffre quil voit souvrir :
- Mais un livre, cest énorme ! Cest énorme à écrire ! Ca fait plus de cent pages, à lordinateur. Cest à dire plus de deux cents pages à la main ! Et encore, pour un PETIT LIVRE ! ! Cest un texte libre gigantesque. Il faut des mois, des années souvent.
- Oui, mais nous, on est vingt. Et à vingt, cest plus rapide que tout seul
- Jaimerais bien quon écrive ce livre, rêve un CM2. Un vrai, et quil soit à la Bibliothèque Nationale, et que tout le monde le lise .
La classe approuve chaudement. Sauf linstit qui reste sans voix, et deux ou trois inquiets que le projet effraie aussi :
- Mais on ny arrivera jamais ! Cest trop dur !
- Moi je crois que cest trop long. On nest pas des écrivains.
- Oui, on nest que des enfants, quand même
- Et moi, jaime pas écrire. Et nos textes, y plairont pas à au au fabricant de livres !
Un aventurier du CM1 trouve alors largument imparable :
- Moi je suis daccord pour écrire ce livre. Parce quaprès, on pourra faire un voyage à Paris.
Regards interrogateurs tournés vers lui. Il explique :
- Oui, quand on laura écrit, le livre, on pourra aller à la Bibliothèque Nationale, voir sil y est
Là, cest une standing-ovation, ou peu sen faut.
Linstit comprend alors quil ne peut que les suivre.
Les voies de lEcrit sont impénétrables
Un projet décriture fou, issu dune motivation pour le moins insolite. Le tout porté par une poignée denthousiasmes aussi inconscients que juvéniles, et par un instit peu rassuré. Laventure peut donc commencer.
Après tout, nest-ce pas lUtopie qui fait avancer le Monde ?
Bref, le voyage dura six mois, des premiers jours doctobre aux premières semaines du printemps. Linstit avait fixé des règles de navigation, bien sûr, pour ne pas sombrer dans locéan de ce grand dessein. Quelle émotion quand léditeur signa le contrat ! Ils arrivaient au port. En mai, luvre était née. Et faisait exister chacun des écriveurs, devenus écrivains
Lannée suivante, que croyez-vous quil arriva ?
Lécole trouva curieusement des correspondants près de Paris, dans les Yvelines.
Pendant le séjour, EVIDEMMENT, visite de la Bibliothèque Nationale.
IL Y ETAIT ! !
Enfin, il allait y être Dans les quinze jours, a affirmé le responsable informatique. Car vous savez, les enfants, on a tellement dauteurs à archiver, chaque année
Michel Barrios