L'éducateur prolétarien

N°13-14-15 : 20 avril 1935

 

L'imprimerie à l'école

Technique nouvelle d'éducation populaire

Fondements Pédagogiques et Sociaux
La technique nouvelle
Confiance en la jeunesse ! Confiance en la vie !
Emplois du temps

Télécharger le texte au format RTF

L’IMPRIMERIE A L’ECOLE

Technique nouvelle d’éducation populaire

Fondements Pédagogiques et Sociaux

Il n'y a rien de plus tragique en éducation que la situation des instituteurs primaires imprégnés des théories pédagogiques nouvelles.

Les traditionalistes ont leurs principes, éprouvés par des siècles d'expérience ils suivent les règlements, les programmes, les manuels, ils imposent leur autorité ; et quand leurs efforts aboutissent à des succès aux examens, ils sont satisfaits et fiers. Loués par les parents, appréciés par les chefs, ils ne doutent pas un instant qu'ils soient sur la bonne voie.

Nous, nos maîtres en éducation nouvelle nous ont appris à voir davantage l'enfant dans l'écolier, à juger à sa mesure et nos efforts et leurs progrès, à étudier leurs réactions, leurs besoins, les normes idéales de l'éducation optimum. Et nous n’avons plus la foi traditionnelle ! Mieux : nous discernons sans cesse, dans le processus évolutif, nos faiblesses et nos erreurs, nous sentons ce que nous devrions réaliser pour rendre plus féconde notre action éducative ; nous entrevoyons, trop théoriquement, hélas ! la voie nouvelle. Pratiquement, nous sommes, nous étions impuissants devant le vieux cadre rigide et froid, devant des habitudes centenaires que notre dénuement matériel ne nous permettait pas de saper et de transformer.

Tout est à changer dans nos classes ‑ les théoriciens nous en ont persuadés et nous en sentons à toute heure du jour l'implacable nécessité. Nous sommes arrêtés dans tous nos essais par les difficultés techniques que nous rencontrons pour faire passer dans la pratique éducative les vues théoriques et les conseils particuliers des expérimentateurs. Nous nous rendons compte que ce qui manque aux jeunes instituteurs qui, d'instinct, s'orientent vers l'inconnu et l'effort, c'est moins la, formation théorique que les directives pratiques, que le matériel permettant de réaliser pratiquement, sans efforts personnels excessifs, les rêves généreux des pédagogues.

C'est à cette besogne, dans une certaine mesure terre à terre, qui consiste à préparer pour les jeunes instituteurs un matériel nouveau adapté à leurs besoins et une technique pour l’emploi de ce matériel que nous nous sommes appliqués au cours de ces dix dernières années.

La découverte de l'Imprimerie à l'Ecole fut le point de départ et l'étape essentielle d'un effort qui a déjà profondément influencé l'école populaire et l'attitude des éducateurs en face de l'entant que nos techniques ont permis de se révéler et de s'affirmer.

Dans mon école de Bar-sur-Loup, avec mes trente enfants de 5 à 9 ans, j'avais obstinément et candidement expérimenté toutes les pratiques recommandées par l'éducation nouvelle pour régénérer ma classe - calcul concret, travail manuel attrayant, self-government, promenades scolaires, etc..., les résultats n'étaient jamais, en rapport avec mes efforts ; je sentais que je n'avais pas encore touché les fondements véritables sur lesquels nous pourrions bâtir. Ce n'est que par instants, et sur des points bien fragmentaires, que mes élèves vibraient. La vieille école reprenait toujours ses droits.

La lecture et la rédaction restaient le domaine inexpugnable de la tradition quand nous rentrions de promenade, que, spontanément, les enfants racontaient leur sortie avec enthousiasme et originalité en ébauchant des dessine d'une expression émouvante, Il me fallait couper court à ce débordement de vie : les programmes étalent là ; force nous était de reprendre le manuel scolaire ou le tableau mural et de promener notre attention superficielle sur des textes qui ne pouvaient que se juxtaposer à notre vie véritable,

Si nous arrivions à imprimer nous-mêmes ces textes issus de la vie des enfants, à lire ensuite ces tranches de vie, à faire nos recherches scolaires, sur ces documents profondément génétiques au lieu de nous abêtir sur de belles pages qui ne nous affectent point, peut-être pourrions-nous donner à notre activité une pensée nouvelle et un sens !

L'idée de l'Imprimerie à l’Ecole était née.

J'hésitai longtemps avant d'en entreprendre la réalisation. On me disait, et je le pensais aussi, qu'il n'était pas possible que nul avant moi n'ait au cette idée et que si rien encore n'avait été fait dans ce sens, c'est qu'il n'y avait rien à faire. J'aurais eu grandement tort de me rebuter à cette croyance, car ce que nous connaissons, dans quelque branche que ce soit, n'est rien en regard de ce que l'homme pourra et devra un jour découvrir. Et les idées simples sont peut-être encore celles qui coûtent le plus à matérialiser.

Après de longues recherches, je trouvai enfin dans le commerce une petite presse à imprimer, avec caractères et casse ‑ tous outils d'ailleurs que je voyais pour la première fois. C'était en juillet 1924.

Des objections sans nombre me hantaient incessamment : Les enfants, enthousiasmés au début, persisteraient-ils dans leur intérêt pour cette activité ? Seraient-ils capables de transformer eux-mêmes, sans trop de perte de temps, une rédaction en texte imprimé ; se donneraient-ils à cette besogne avec plus de persévérance et plus de cœur qu'aux autres techniques essayées jusqu'à ce jour ?

Je doutais… Ce sont toujours les enfants qui m'ont montré la voie.

L’enthousiasme persistait bel et bien. Mieux : une atmosphère nouvelle naissait dans la classe ; la vie de l'enfant passait au premier plan ; nous vivions plus intensément. Ce que les autres expériences fragmentaires n'avaient pu me donner, l'Imprimerie à l'Ecole le permettait enfin.

C'est que nous touchions là à deux principes qui allaient justifier et guider toutes nos recherches ultérieures.

C'est la vie qu'il faut atteindre dans les classes, et non pas la vie scolastique et formelle, mais la vie véritable, la vie intime des enfants. Ce que la pédagogie scientifique naissante ne peut nous révéler, la vie nous le donnera.

Mais il faut que l'école permette à cette vie de s’exprimer, de s'épanouir, de se fixer, de se réaliser au maximum. Cela est impossible dans le vieux cadre de l'école. Ce n'est pas seulement la discipline qui est à changer : la discipline n'est que l'aboutissement d'un système auquel nous voulons substituer une technique nouvelle de travail partant de la vie pour s'élever harmonieusement vers le progrès. Cette technique suppose des outils nouveaux qu'il nous faut créer et mettre au point, une organisation plus rationnelle de l'activité scolaire.

Voilà pourquoi nos efforts ont rapidement débordé le simple emploi de l'Imprimerie à l'Ecole que d'aucuns auraient voulu cantonner dans le rayon spécial des travaux manuels sans que se posent, de ce fait, les graves questions pédagogiques auxquelles nous essayons de répondre.

Nous avons donc amélioré peu à peu notre matériel d'Imprimerie à l’'Ecole, Avec le groupe dévoué de nos premiers adhérents, nous avons mis au point les presses parfaites que notre coopérative livre actuellement. Nous avons cherché, trouvé ou fait fabriquer les composteurs, le papier, l'encre, les caractères adéquats à nos besoins. Et nous n'avons été satisfaits que le jour où les nouveaux adhérents ont pu utiliser d'emblée le matériel que nous leur livrions sans connaître les longs et pénibles tâtonnements qui auraient failli parfois nous décourager si les enfants n'avaient été, eux, plus tenaces.

Et puis, la vie, dirai-je, a fait le reste.

Ces imprimée, née de l'expression libre des enfants, devaient connaître nécessairement le sort de tous les Imprimés : être divulgués, répandue dans la famille, dans le village, et plus loin par la poste et le train, Il nous fallait donc chercher des lecteurs assidus ; d'où l'organisation d'un service d'échanges interscolaires, dont le journal scolaire Imprimé est la base, et qui n'est révélé comme le complément merveilleux mais nécessaire de l'Imprimerie à l'Ecole.

Témoins de l'intérêt spontané des enfants pour une activité aussi naturellement motivée, nous avons dû alors faire bénéficier les autres disciplines scolaires de cet enthousiasme et de cet élan. Car on ne peut laisser longtemps subsister à l'école ce dualisme : intérêt, liberté d'expression, possibilité de communiquer en permanence avec d'autres camarades d'une part ‑ et d'autre part, obligation magistrale pour l'étude sévère, austère, rébarbative, de livres qui ne sont plus dans la vie.

Il nous fallait mettre toute. notre activité scolaire en harmonie avec les possibilités nouvelles révélées par l'Imprimerie à l'Ecole, tenter de baser sur cet intérêt profond les diverses besognes exigées par les programmes.

Nous nous sommes heurtés alors, sur toute la ligne, à la technique traditionnelle, et nous avons poussé notre cri : Plus de manuels scolaires ! Nous avons fait plus que de crier : nous avons forgé de toutes pièces la technique nouvelle pour laquelle nous avons créé un matériel original : Fichier scolaire coopératif, Bibliothèque de Travail. Nous avons, par notre cinémathèque mis véritablement le cinéma au service de l'enfant, comme quelques années après nous rendions possible l'usage pédagogique du disque par la création de notre discothèque circulante.

Nous voulons maintenant harmoniser et centrer l'enseignement des sciences par l'édition d'un matériel vraiment maniable pour les enfants, l'enseignement du calcul, par l'édition d'un imposant fichier spécial. Nous avons même atteint l'histoire et nous pensons là aussi détrôner les manuels inhumains et tendancieux par notre chronologie mobile d'histoire de France, et par les fiches de l'histoire du livre et de l'histoire du pain.

Et alors, quand nous aurons matériellement rendu possible le travail nouveau des enfants, lorsque notre groupe augmentant sans cesse, influencera plus directement l'ensemble des écoles ; lorsque les jeunes éducateurs ne se trouveront plus en face d'un verbiage plus ou moins gauchiste mais se sentiront effectivement guidés par une technique de travail précise, simple et pratique, susceptible de contrebalancer la vieille technique scolastique, alors nous aurons plus fait pour, le progrès pédagogique que tous les congrès et que tous les prêches.

La presse comme simple matériel de travail manuel pouvait faire la fortune de quelques marchands habiles à asservir aux vieux dogmes l'idée nouvelle libératrice. Pour nous, pédagogues, l'idée a toujours dominé le matériel, et c'est pourquoi l'Imprimerie à l'Ecole, moyen et symbole de notre éducation populaire, a été le point de départ et le centre de la technique nouvelle dont ce livre vous apporte le contenu et les buts.

MATERIEL et TECHNIQUE

Toute technique suppose un matériel. La technique traditionnelle possède un matériel rudimentaire certes, mais à la mesure de ses ambitions : le cahier de classe et les manuels scolaires.

Notre technique n'aurait pas pu non plus se développer harmonieusement jusqu'à prétendre remplacer sa devancière si nous n'étions parvenus d'abord à créer, à mettre au point, à vendre ou faire vendre, un matériel adéquat servi par une organisation permettant les pratiques nouvelles.

Il sera donc nécessaire de préciser tout au long de ce livre les caractéristiques, les possibilités de fabrication ou d'acquisition, les buts pédagogiques et le mode d'emploi de ce matériel original sans lequel on ne saurait se lancer avec quelque succès sur la voie nouvelle.

Nous disons plus : c'est parce que la pédagogie nouvelle a entraîné des éducateurs enthousiastes sans les munir auparavant du matériel indispensable à la, réussite que tant de déceptions ont facilité la, besogne de dénigrement actuellement poursuivie par la réaction. C'est au contraire parce que nous avons toujours placé les réalisations pratiques en avant de nos constructions théoriques que tous nos adhérents ont pu, au cours de leurs essais, garder intacts leur enthousiasme et leur foi.

***

L'Imprimerie à l'Ecole et les échanges interscolaires sont, avons-nous dit, au centre de la nouvelle technique. Il nous faut d'abord familiariser nos lecteurs avec cette nouveauté, sans entrer cependant dans tous les détails. Composition, rédaction, tirage et publication d'un journal scolaire périodique, organisation des échanges apparaîtront peut-être à cette lecture, comme quelque chose d'anormalement compliqué. Hélas ! nous savons combien les mots sont mineurs en face de l'expérience véritable. Que les sceptiques aillent un jour, si possible, assister à l'activité d'une classe travaillant à l'imprimerie ; qu'il visitent une des nombreuses expositions qui sont organisées chaque année dans divers coins de France, qu'ils nous demandent des spécimens de nos publications et de nos travaux.

A défaut encore, qu'ils nous fassent confiance quand nous leur assurons que les enfants recevant casse et presse se débrouillent spontanément sans aucun verbiage, et que devant les feuilles fraîchement imprimées, l'échange lui-même acquerra tout son sens et dira toute sa portée scolaire et pédagogique.

***

La casse pour le classement des caractères, les interlignes, l'encre, les caractères eux-mêmes sont les articles courants du commerce typographique. Nous les livrons aux meilleures conditions possibles mais on peut, à l'occasion, se les procurer ailleurs.

Certaines pièces de notre matériel, au contraire, ont nécessité dans notre groupe un long travail de mise au point qui nous a amenés, pouvons-nous dire, à la perfection pédagogique. Nous n'allongerons pas ce livre en disant toutes les étapes de cette adaptation, depuis la Lino avec laquelle nous parvenions péniblement à imprimer 4 ou 5 lignes, puis la première presse Freinet à rouleau presseur, jusqu'au système actuel en passant par les premières presses en bois qui nous ont coûté tant de peine et les presses à système automatique de pression qui ont préparé les réalisations actuelles.

Nous avons aujourd'hui trois modèles de presse :

- Une presse volet tout métal, avec un système de pression automatique, d'une simplicité qui ne peut être dépassée, et cependant d'une totale perfection mécanique et d'une solidité à toute épreuve.

La coopérative fait des sacrifices pour la mettre à la portée de toutes les écoles car c'est vraiment là la presse type de l'imprimerie à l'Ecole. Elle permet des travaux parfaits.

Elle n’a qu’un seul inconvénient : l'encrage doit se faire à la main par un élève encreur qui risque de se salir. Mais d'autre part, cette besogne d’encreur est affectionnée par les enfants : elle est, que voulez-vous, un travail utile. Si on se noircit un peu, on se lave !

- La presse à encrage et tirage automatiques C.E.L. a été imaginée par nos camarades pour éviter cet inconvénient de l'encrage. Il suffit de tourner une manivelle, le texte s’encre ; on tourne dans le sens inverse, la feuille sort imprimée. Résultats parfaits aussi, un peu plus de rapidité et possibilité pour une seule personne d'assurer le tirage, Mais un peu plus chère aussi.

- La presse automatique C.E.L. de luxe est un véritable bijou mécanique. Incassable, indéréglable, élégante, elle donne des résultats parfaits en toute sécurité.

- Nous livrons pour nos presses à volets une plaqué à encrer et un rouleau encreur spéciaux, solides et bon marché.

- Nos composteurs enfin, ne se trouvent pas dans le commerce. Les typographes travaillent avec un composteur spécial sur lesquels les caractères ne sont jamais serrés. Un coup de main à acquérir permet de les reporter sur le marbre. Dans nos composteurs en cuivre, une vis serre la ligne terminée qui peut être transportée sans danger. Le porte- composteur assure la sécurité pendant la composition.

- Nous livrons enfin du papier spécial donnant les meilleurs résultats et coupé à un de nos formats standard. (Pour la description complète et le mode d'emploi voir les imprimés qui sont livrés à part au moment de la commande).

L'illustration des textes : Elle a été une lente conquête de notre groupe. Nos premiers imprimés étaient nus ou à peine rehaussés de quelques dessins polycopiés.

Nous avons étudié, expérimenté, utilisé et mis au point de multiples moyens de confectionner les clichés pour l'illustration typographique. Vignettes, bois, cuivre, tôle, carton, et surtout linoléum pour la gravure duquel nous livrons des outils spéciaux.

Le limographe, le nardigraphe, et surtout la Géline C.E.L. permettent de compléter pratiquement cette illustration.

Une brochure spéciale : Nos techniques d'illustration (1) donne tous renseignements à ce sujet. Un bel album de R. Berger ! La gravure sur linoléum, en vente à nos éditions, permet de tirer de cette technique d'illustrations le maximum d'effets artistiques et pédagogiques (2). Les livres de vie des enfants, les feuilles imprimées ont besoin d'être classées pour être conservées soigneusement. Nous avons utilisé pendant plusieurs années notre reliure boulons, simple et pratique, montée, au gré des adhérents sur une couverture toile.

Nous livrons maintenant une reliure invisible, plus pratique et moins chère.

Ces deux systèmes permettent à chaque enfant de se constituer au jour le jour son livre de vie, reflet véritable et intime de la vie de la classe qui est sa propre vie. Nous verrons par la suite comment l'usage de ces reliures spéciales peut s'étendre au classement de tous les documents dont l'école a besoin pour ses diverses disciplines ; géographie, histoire, sciences, etc,..

(1) Nos techniques d’illustration, 4 fr. Edit. de l’Imprimerie à l’Ecole.

(2) R. Berger : La gravure sur linoléum, 8 fr. Edit. de l'Imprimerie à l’Ecole.

LE JOURNAL SCOLAIRE

Chaque jour, il est tiré de l'imprimé un certain nombre de feuilles supplémentaires : 15, 20, 50 qui sont classées et conservées. A la fin du mois, ces feuilles sont agrafées (grâce à notre agrafeuse Cébé) sous une couverture originale, un obtient ainsi le journal scolaire de la classe ‑ journal déclaré officiellement à la Préfecture, avec son titre, son illustrations suggestives, ses nouvelles, ses jeux ‑ et qui circule au tarif réduit des périodiques (0,02 par ex,)

C'est ce journal qui sera la base, l’élément actif et permanent des correspondances interscolaires que nous avons organisées.

Nous avons un service d'échanges inter-scolaires nationaux qui constitue des équipes d'écoles. L'échange se fait à l'intérieur des équipes - et avec d'autres écoles aussi selon l'intérêt des initiatives individuelleS. Il nécessite l'envoi régulier du journal scolaire que complète accidentellement l'envoi de documents divers, de produits du pays, de jouets, etc... Nous dirons plus loin l'intérêt et les avantages pédagogiques de l'échange ainsi pratiqué.

Un service d'échanges interscolaires internationaux permet de mettre les classes françaises en relation avec des classes étrangères, possédant ou non l'imprimerie.

***

Que notre matériel soit aujourd'hui parfaitement au point, de nombreuses attestations enthousiastes de nouveaux adhérents en témoigneraient. Nous avons, par non conseils, par là simplification maximum de notre matériel, atteint ce résultat idéal : n'importe quelle école qui reçoit l'imprimerie, quelle que soit l'habileté manuelle de l'instituteur ou de l’institutrice, parvient d'emblée à des résultats parfaits ; et le premier journal édité rivalise souvent avec bien des aînés.

Organisation coopérative, poursuivant des fins pédagogiques et non commerciales, nous ne cherchons nullement à vendre, mais nous voulons à tout prix que tous ceux qui m'engagent dans notre groupe participent aussitôt de notre enthousiasme et de notre ardeur novatrice.

Nous y sommes aujourd'hui parvenus.

Notre groupe comprend près de 500 adhérents. Tous certes, n'impriment pas régulièrement : des changements de postes, de brusques changements de classe, des difficultés de famille, la maladie, obligent quelques camarades à interrompre provisoirement dans leur classe le travail à l’imprimerie:. Ils nous expriment toujours leur regret de devoir céder à des événements regrettables.

Mais nos vieux adhérents du début sont toujours là à nos côtés, vigilants et enthousiastes : Daniel, Alziary, Wulens.

Tous déclarent qu'ils ne pourraient plus aujourd'hui faire leur classe sans l'imprimerie. Leur témoignage et leur fidèle collaboration sont pour ceux qui s'apprêtent à nous suivre les plus sérieuses garanties.

Malgré les obstacles pour, ainsi dire insurmontables que constituent de plus en plus les frontières, notre technique se répand à l'étranger. Nous avons des adhérents également enthousiastes en Roumanie, en Grèce, en République Argentine, en Suisse. En Espagne, où nous comptons de nombreux adeptes, le mouvement s'étend rapidement à la suite de la publication d'un livre écrit par notre ami H.Almendros sur la Technica Freinet. Une coopérative d'instituteurs a été constituée, commence à fournir le matériel et à organiser les échanges. Les travaux obtenus sont supérieurs encore à ceux de nos camarades français.

La Belgique, pays du Decrolysme, doit s'orienter aussi vers notre technique. Une coopérative sœur de la nôtre vient d'y être constitué et le mouvement d’Imprimerie à l’Ecole en sera certainement très influencé dans sa marche en avant.

Tous ces faits montrent que nous avons dépassé le stade de l'expérimentation pour accéder puissamment a celui de la réalisation. La technique, telle que nous allons la développer, est donc assise sur des bases solides, parfaitement à la mesure de nos élèves et de nos classes, parce que née et pratiquée dans ces classes, mêmes.

La grande masse des instituteurs suit aujourd'hui nos travaux. Les inspecteurs eux-mêmes doivent se rendre à l’évidence et apprécier les résultats obtenus par nos adhérents. Lentement mais sûrement, les idées que nous défendons pénètrent et influencent la pédagogie traditionnelle. Et malgré la puissance de la routine, malgré les obstacles qu'un régime oppresseur dresse sur notre route, de nombreux éducateurs s'apprêtent à suivre la voie que nous avons tracée et sur laquelle nous marchons toujours avec prudence et décision.

LA TECHNIQUE TRADITIONNELLE

Dans notre revue mensuelle L'Imprimerie à l’Ecole, devenue en octobre 32 L'Educateur Prolétarien, nous nous sommes attachés à apporter quelque clarté dans la conception habituelle des problèmes pédagogiques.

A notre époque de rationalisation intense, où, pour des buts, hélas ! exclusivement capitalistes, on cherche dans tous les domaines à organiser « scientifiquement » les activités humaines, tachant de tirer du travail le rendement maximum, installant de vastes usines où les machines ‑ sinon les hommes ‑ se meuvent librement, on constate une répugnance très marquée à étudier d'un même point de vue scientifique les questions d'éducation et d'instruction.

Nos pédagogues officiels tiennent à rendre hommage au passé en ressassant les phrases désuètes sur le dévouement, l'intérêt, le devoir, l'enthousiasme, tantôt prêchant une « cure de simplicité pédagogique » (1), ou voyant « le secret du progrès pédagogique, moins dans des recettes plus ou moins nouvelles et scientifiques que dans la valeur morale du maître, dans sa volonté de bien faire tout ce qu'il doit, plus qu'il ne doit » (2).

A les entendre, l'amour, le dévouement peuvent tout, quelles que soient les méthodes employées, parmi lesquelles on laisse libéralement à l'instituteur le soin de choisir. Et on va, administrant verbalement des principes qu'on s'étonne ensuite de ne pas voir triompher.

Il y a là, à l'origine, une grave faiblesse dialectique qu'il est de notre devoir de dénoncer. Elle pourrait se caractériser par : hypertrophie verbale du pouvoir personnel de l'éducateur, timidité dans l'examen loyal des déterminants pédagogiques, irrationalisme dans la préparation d'une tâche qu'on feint de croire soustraite aux grandes lois qui régissent les activités humaines.

(1) Gay : Manuel général, n°5, année sub. 1929-1930.

(2) Besseiges : Collab. Pédagog. N°1, Id.

Nous ne méconnaissons nullement l'importance considérable qu'a sur toute l'éducation la valeur intellectuelle et morale des maîtres eux-mêmes. Mais cette valeur n'est innée que chez quelques rares individus : elle est conditionnée chez les autres par de nombreuses réactions sociales, économiques et pédagogiques dont la négligence fausse totalement les recherches habituelles.

Fonder exclusivement sur la valeur propre du maître le progrès pédagogique, c'est agir comme l'industriel qui, en attendant l'ingénieur de valeur qu'il ne trouvera peut-être jamais, continuerait à user ses vieilles machines et à employer ses ouvriers selon des techniques sans rapports avec les nécessités de l'heure présente. Ce maître de génie se présenterait-il même un jour, ne devrait-il pas, d'abord, ‑ et de toute nécessité ‑ substituer à des procédés à demi-stériles des techniques adaptées aux buts qu'il se propose ?

« La plupart des activités humaines comportent une technique : l'industrie, le commerce, l'administration. Cela veut dire que ces activités ont pour fondement spéculatif certaines sciences : physique, chimie, mécanique dans le cas de l'industrie ; économie politique pour le commerce ; droit et législation en ce qui concerne l'administration (nous ajouterions psychologie, pédologie, psychotechnique, « science de l'enfant », en ce qui concerne l'éducation).

Mais ces activités vivent, réalisent, prennent des initiatives. Elles adaptent des principes généraux à des conditions de fait toujours différentes. L'architecte, l'ingénieur, le médecin, l'avocat, l'administrateur (et l'instituteur aussi) ne font que cela d'un bout à l'autre de leur carrière : ce sont des techniciens.

Ils ressemblent aux artistes en ce qu'ils pétrissent la réalité. Ils diffèrent des artistes en ce qu'ils cherchent un résultat pratique et utile, tandis que l'Art opère en plein désintéressement, fabriquant du superflu. Ils en diffèrent aussi en ce qu'ils possèdent, nette et consciente, une règle de leur action : lois, principes, formulaires, tandis que les règles auxquelles obéit l'invention artistique demeurent en grande partie inconscientes et affaire d'inspiration spontanée, individuelle (1). »

(1) La psychologie à la vie, n°de sept. 1930.

Et qu'on ne nous endorme pas avec la formule sacramentelle des faiseurs de discours : « L'éducation est un art ; l'instituteur est plus un artiste qu'un technicien. »

Il peut exister des instituteurs artistes - et il en naît rarement - mais il est un fait certain : c'est que l'état de l'éducation dans un pays dépend presque exclusivement de l'avancement de la technique pédagogique. La preuve en est que, lorsqu'on parle d'une amélioration systématique de l'éducation, on ne pense pas exclusivement à des discours moraux à administrer aux éducateurs : on fonde des écoles normales, des classes d'expérimentation et d'apprentissage, on organise des cours de perfectionnement pour instituteurs, on engage des fonds pour améliorer les locaux ; on achète du matériel scolaire, on édite des livres, on s'attache presque exclusivement à l'amélioration technique.

C'est d'ailleurs par une interprétation péjorative de ce mot de technique qu'on se cabre devant un raisonnement aussi simple et aussi concluant. Technique, cela contient trop d'essence matérielle, cela vous a un relent de machine qui ne peut, paraît-il, s'accommoder avec les buts et les méthodes de l'éducation.

Cette interprétation est regrettable, Nous avons voulu redonner à ce mot son vrai sens, valable pour l’enseignement comme pour les autres sciences et nous avons proposé aux éducateurs de qualifier technique les diverses méthodes en vogue.

Qui dit méthode dit système d'éducation basé sur des éléments sûrs, prouvés scientifiquement et coordonnés d'une façon absolument logique. Or, la science pédagogique en est encore à des balbutiements et nulle méthode aujourd'hui existante ne peut s'en réclamer.

L'Eglise, qui dédaigne la science et s'appuie inébranlablement – croit-elle sur la révélation et la croyance, a sa méthode d'éducation éprouvée par des siècles d'emploi, avec ses procédés, ses techniques presque immuables malgré les découvertes ; méthode qui ne recherche d'ailleurs par la libération de l'individu, mais seulement sa résignation à l'ordre établi, son asservissement toujours plus grand à ses maîtres.

A l'autre pôle, la Révolution russe triomphante est en train de préciser ce que sera la méthode prolétarienne d'éducation. Sorel l'avait prédit quand il disait : «  Un grand changement se produira dans le monde le jour où le prolétariat, aura acquis, comme l'a, acquis la Bourgeoisie après la Révolution, le sentiment qu'il est capable de penser d'après ses propres conditions de vie ».

Nos camarades soviétiques ont actuellement une claire conscience de ce que sera la société communiste sans classe dont leurs réalisations ne sont que les prémices ; et ils sont en mesure d'établir une méthode d'éducation rationnelle susceptible de servir ces buts.

Peut-on parler de méthode à l’école primaire en régime capitaliste. Il n'y en a pas.

Nos pères ont d'abord déifié la science et la démocratie. L'acquisition de l'instruction semblait être tout à la fois les moyens et les buts idéaux de l'école du peuple. Ils ont cru qu'instruire était une méthode de libération des individus, alors que nous le voyons aujourd'hui, l'instruction n'est qu'un moyen qui peut, tout aussi bien, servir les forces mauvaises en desservant le peuple, que travailler accidentellement a la libération des individus.

On comprend alors l'hypertrophie du mot méthode. Un inspecteur, un instituteur, avaient-ils découvert un moyen d'enseigner un peu plus rapidement la lecture aux enfants, de les familiariser plus vite avec le calcul, de leur faire acquérir les éléments de science, ils croyaient avoir réalisé. une oeuvre susceptible de modifier l'essence même de l'éducation et intitulaient pompeusement leur trouvaille méthode. En avons-nous eu des méthodes depuis la méthode graduée pour l'enseignement de la lecture des diverses sortes d'écriture jusqu'aux méthodes de sciences actuellement, si perfectionnées.

Hypertrophie d'un mot, nous l'avons dit, erreur totale qui a été à la base de la faillite scolaire actuelle. On était tellement sûr qu'un élève qui aurait appris à l'école les rudiments de la lecture, les éléments du calcul et des sciences serait meilleur et s'élèverait dans l'échelle humaine ! On avait compté sans l'asservissement capitaliste qui a fait de cette aptitude à la lecture un puissant moyen d'asservissement, qui a déforme les connaissances arithmétiques ou scientifiques pour mercantiliser le travail et préparer les tueries périodiques.

Les grands pédagogues, les pédagogues contemporains surtout, auraient quelque raison de parler de leur méthode, dans la mesure où ils se sont proposés comme but une modification déterminée de la vie et de l'effort des enfants. Quand on parle notamment de stimuler la personnalité des enfants, de s'orienter vers une éducation fonctionnelle, les théories pédagogiques ont déjà en partie la noblesse des grandes constructions humaines, des méthodes d'éducation.

Mais il y manque, pour en faire de vraies méthodes, intégrales et totales, une vue synthétique de l'éducation fonction, sociale. Faute de considérer les déterminants directs de l'éducation et l'influence décisive du milieu ambiant, des constructions comme la méthode Montessori, la méthode Decroly, la méthode Cousinet, usurpent encore dans une certaine mesure le mot de méthode.

Nous avons voulu montrer, par ce rapide raisonnement, que l'école publique actuelle n'a aucune méthode : elle ne possède point une ligne générale d'action, des buts précis. Les pédagogues eux-mêmes qui se vantent d'avoir inventé une construction synthétique pour l'éducation nouvelle, n'ont réussi à mettre debout qu'une oeuvre fragmentaire que les régimes politiques et sociaux bouleversent et annihilent à leur gré et qui ne peuvent être considérés comme une étape dans l'évolution technique de l'organisation scolaire.

Car c'est là que nous voulions en venir.

Le processus de l'évolution pédagogique s'éclaire si nous parlons au contraire de technique.

L'ingénieur qui a découvert et fait appliquer une nouvelle organisation du travail dans les usines, a fait une modification technique ; amélioration technique le nouveau mode de goudronnage des routes ou la découverte d'un moteur à meilleur rendement. Si ces nouveautés sont susceptibles, certes, de modifier dans une certaine mesure les conditions sociales de vie et de travail, il ne vient pas à l'idée des inventeurs de qualifier leur trouvaille de méthode immuable et universelle. Ils savent au contraire que la portée essentielle de leur effort plus ou moins général est d'autoriser et de servir les efforts ultérieurs des hommes.

Expérimenter une organisation plus rationnelle de la vie et du travail scolaire, normaliser le milieu, trouver un emploi nouveau plus effectif du matériel scolaire (Montessori),ou un nouvel arrangement des livres (Decroli, Winetka, Dalton),organiser même le travail libre (Cousinet), qu'est-ce, sinon des améliorations techniques d'une portée plus ou moins grande, au même titre que l'humble effort des éducateurs qui, au cours du siècle dernier, ont progressivement substitué au morne « graduel » des syllabaires et des manuels plus pratiques et plus attrayants.

Quand, en 1928, nous avons osé cette affirmation, les « inventeurs » de « méthodes » se sont récriés. Cousinet a tenu à nous affirmer que sa méthode n'était pas une vulgaire technique de travail ; on sait que Mme Montessori, persuadée que nul ne fera mieux qu'elle en éducation, interdit tout écart de l'orthodoxie. Seul, le bon Decroly avait admis et compris que son oeuvre n'était qu'un échelon du grandiose devenir qu'il rêvait pour l'éducation nouvelle.

Nous revenons obstinément à la charge.

Oui, une partie de l’œuvre de ces pédagogues est assurée de pérennité parce qu'elle est englobée dans le processus de libération des individus, but de l'éducation. Mais cette pensée leur est commune à tous ; la voie idéale qui mène à l'éducation nouvelle par la libération des individus est une. Les moyens seuls d'accéder à cette voie varient et sont en perpétuelle transformation.

Mme Montessori enseigne la technique nouvelle du travail scolaire avec son matériel ; Decroly préconise une technique scolaire basée sur les intérêts dominants ; le Plan Dalton s'est contenté de modifier la technique traditionnelle ; Cousinet nous enseigne une technique basée sur la liberté intégrale des enfants. Nous avons innové une technique de travail par l'Imprimerie à l'Ecole et les échanges interscolaires.

L'éducateur imprégné des nouvelles théories éducatives a le choix entre ces diverses techniques, tout comme l'ingénieur qui doit remettre une route en état, a le choix entre les diverses techniques préconisées. Il en étudie les difficultés, le prix de revient, le rendement, et, finalement, adopte l'une ou l'autre, et combine les recommandations des unes et des autres.

L'éducateur fait de même. Les orthodoxes inflexibles sont rares. La majorité des instituteurs étudient les diverses techniques, puisent dans chacune ce qui leur semble bon pour la conduite de leur classe. Les progrès réalisés ne proviennent que d'une meilleure conception technique de leurs efforts.

Nous n'avons donc pas ici à faire la synthèse d'une ou de plusieurs méthodes. Nous dirons seulement que nous avons un but : la libération, intégrale des individus, leur préparation à la vie dans une société débarrassée de l'exploitation. Nos efforts méthodiques, dans tons les domaines, tendent vers ce but.

Dans la pratique normale du travail scolaire, nous nous trouvons en face de simples techniques de travail, qualifiées pompeusement de méthodes, qui n'ont rien d'immuable, ni même souvent de rationnel.

En parlant de l'école prolétarienne, nous n'avons pas même, en effet, à critiquer les pseudo-méthodes nouvelles qui ne sont employées qu'accidentellement dans nos classes. Il n'y a qu'une technique dominante ‑ la technique traditionnelle, recommandée et servie par les programmes, les manuels, les inspecteurs.

Quelles sont les caractéristiques de cette technique ?

L'Ecole reste dominée par le principe chrétien de l'impureté de l'enfant. Elle ne fait à celui-ci nulle confiance ; elle n'attend rien de sa volonté libre ni même de son élan spontané. L'adulte se connaît, voit, possède, commande. D'où une discipline essentiellement autoritaire, même si les formes extérieures de l'autorité en sont totalement atténuées. Ces formes extérieures nous les voyions ‑ et nous les voyons encore ‑ dans la disposition symbolique de l'instituteur sur l'estrade, d'où il domine matériellement, comme le prêtre du haut de la chaire ; sur la disposition du matériel scolaire, conçu et réalisé pour prévenir les manifestations naturelles de la vie de l'enfant ; elles étaient tout le système de punitions, de récompense, de châtiment prévus par la tradition ou les règlements ; elles restent dans les classes même où l'esprit libéral s'est implanté, la domination spirituelle de l'adulte par l'organisation du travail scolaire.

Cette organisation du travail est dominée par la technique des manuels scolaires qui est justement la spiritualisation de l'autorité adulte à l'école contemporaine.

Plus de manuels scolaires

Il est nécessaire, au préalable, de bien nous entendre sur la portée de nos critiques. Il ne s'agit pas ici ni des livres en général, ni des livres scolaires en particulier. On le verra au. cours du développement de notre technique, nous ne sommes nullement contre l'emploi des livres à l'école. Nous croyons au contraire que c'est dans leur richesse, plus originale et plus objective que la parole du maître, que les écoliers de l'avenir puiseront les éléments essentiels de leur développement culturel ; nous réhabilitons les livres ; nous leur donnons la place d'honneur qu'ils n'ont jamais eue à l'école ; nous voulons habituer nos élèves à. les aimer et à s'en servir tout au cours de leur vie.

Mais nous rejetons l'emploi des manuels scolaires - livres conçus tout spécialement pour la technique de travail traditionnelle : Tous les élèves d'un même degré possèdent les mêmes manuels : ceux-ci tracent et délimitent, pour toute l'année, le travail à faire, lequel est avant tout un exercice de mémoire. Le manuel est destiné à être appris, les nombreux résumés devant même en être sus par cœur.

Prenez ces mêmes livres ; n'en mettez qu’un de chaque genre dans votre Bibliothèque de travail. Du coup, deviennent inutiles toutes les indications concernant les livres à apprendre, les devoirs à faire ; l'ordre d'un manuel est contredit par celui d'un autre ; les affirmations des uns deviennent des suppositions dans d'autres livres. Les manuels perdent alors leur caractéristique pour n'être plus que des livres ordinaires, d'une valeur technique plus ou moins appréciable.

Ce n'est donc pas aux livres eux-mêmes que nous nous attaquons. Quelques-uns d'entre eux sont de petits chefs d’œuvre que nous placerons d'ailleurs dans notre Bibliothèque de Travail. C'est seulement l'usage scolaire qui est généralement fait de ces livres que nous condamnons ; c'est leur fonction de manuel scolaire que nous croyons incompatible avec le progrès hardi de l'école populaire.

***

LES MANUELS SONT NÉCESSAIREMENT - ET TOUJOURS – TRÈS IMPARFAITEMENT ADAPTÉS A NOTRE ENSEIGNEMENT

Et c'est là, à nos yeux la tare essentielle. On a fait, ces dernières années, un gros effort d'adaptation de l'enseignement aux élèves et au milieu de nos classes primaires, mais le manuel peut-il s'accommoder à chaque école ou n'est-ce pas plutôt l'école qui se voit dans l'obligation de s'accommoder des manuels ?

Voici le livre de lecture Line et Pierrot, de K. Seguin, que la Maison Hachette a vendu par centaines de mille. C'est, certes, la vie de deux enfants, fraîchement, simplement racontée. Comme toutes les histoires d'enfants, celles-ci ne peuvent manquer d'intéresser les élèves. Mais cet intérêt restera, la plupart du temps, superficiel : il glissera sur l'âme enfantine, sans la remuer profondément, sans s'y intégrer au point de devenir élément actif et créateur.

Il a neigé cette nuit, ce qui se produit rarement dans notre coin de Provence. Si nous voulons donner à notre enseignement un fondement certain, plongeant jusqu'à la nature même de la vie enfantine, le centre d'intérêt de notre travail sera nécessairement la Neige. Et, effectivement, bon gré, mal gré, il faudra bien que nous écoutions nos élèves en parler avec une impétuosité irrépressible. Mais que faire quand arrive la leçon de lecture ? Line et Pierrot jouent aujourd'hui à la poupée... Si celle-ci se roulait dans la neige, du moins ! Mais non : elle est assise dans un jardin ensoleillé !

On comprend le dilemme devant lequel est placé le pédagogue conscient de ses devoirs : sacrifier l'intérêt des élèves à des nécessités formelles, dont, il n'est nullement persuadé de la valeur pédagogique, et dire d'un ton décidé :

- Allez... lisons la suite de Line et Pierrot, page 37...

Et, tout en suivant distraitement sur leur livre, les enfants regarderont furtivement par la fenêtre la neige qui se balance sur les branches nues des' ormeaux.

Si nous les obligeons à « suivre », nous ne parviendrons qu'à dissocier leur intérêt. Ils nous accorderont le minimum d'attention exigible, mais nous ne toucherons point leur être qui vit aujourd'hui avec la neige - ce que l'obligation extérieure la plus stricte ne saurait empêcher. Car « les pouvoirs spontanés de l'enfant, son besoin de réaliser ses propres impulsions ne peuvent être supprimés d'aucune manière. Si les conditions extérieures sont telles que l’enfant ne puisse pas déverser dans son travail ces puissances instinctives, s'il a le sentiment de ne pas pouvoir s'exprimer par ce travail, il apprend alors, d'une manière tout à fait merveilleuse, à fournir exactement la quantité d'attention nécessaire pour satisfaire les exigences du maître, et à réserver une partie de son énergie mentale pour suivre les lignes tracées par ses besoins innés. » (1)

Notre obstination tyrannique à dominer l'enfant nous apparaît donc aujourd'hui comme ridiculement vaine. Mieux vaut chercher un palliatif : délaisser provisoirement le manuel pour nous appliquer tout entiers à la seule chose qui nous passionne : La neige. Le travail qui en résultera sera extraordinairement plus profitable. Mais aussi nous n'aurons à lire aucun texte imprimé...

Ou bien, étant donnée là nécessité de lire un livre, partirons-nous à la recherche d'une page se rapportant plus ou moins à notre centre d'intérêt. Nous détruisons alors la belle harmonie du livre, nous ne profitons plus de la savante graduation des exercices - autant dire que nous nous privons de tous les avantages scolaires du manuel pour n'en garder que les inconvénients.

Non, le manuel, tel une maîtresse exigeante, ne souffre aucun compromis : ou l'accepter tel qu'il est et régler sur lui notre activité scolaire et notre intérêt - en faire le centre de notre vie - prétention. ridicule certes...

Ou alors supprimer le manuel, et c'est la solution que nous préconisons.

(1) J. Dewey‑ L'Ecole et l'Enfant (Delachaux et Niestlé, Neufchâtel).

L'EMPLOI DU MANUEL EST UN ASSERVISSEMENT

Il est un asservissement par la forme qu'il impose à toute la pratique scolaire.

Les manuels plient tout le travail scolaire à une méthode, à des pratiques que ni maîtres ni élèves n'ont approuvées ni discutées - que les maîtres réprouvent parfois. Ceux-ci essayent en vain, par des promenades scolaires, par des fêtes, de faire pénétrer davantage la vie dans leurs classes. Mais tous les élans généreux se heurtent à cette nécessité tyrannique : la lecture journalière à faire, les exercices d'application à terminer, l'histoire, la grammaire ou la géographie à réciter, toutes besognes conventionnelles et mortes qu'exigent les manuels.

Malgré tous nos subterfuges d'ailleurs, l'enfant s'obstine à ne pas s'intéresser à son travail. Il sort son livre, l'ouvre, le feuillette avec une nonchalance qui devrait nous être un enseignement... Sa leçon n'est pas sue... il commet, en répétant les pages du livre, des erreurs impardonnables. Alors on menace... on punit... Le maître novateur lui-même éprouve la nécessité de recourir aux sanctions... C'est la vieille pédagogie oppressive, dont les manuels scolaires sont le symbole, qui se rit de nos efforts, et reprend simplement ses droits.

Le manuel asservit la pensée de l'élève.

Le mal ne serait pas irrémédiable s'il n'y avait que contrainte extérieure et formelle. Le plus grave c'est que l'emploi des manuels est la manifestation d'une théorie pédagogique qu'on ne saurait condamner trop vigoureusement ; il est le triomphe de ce que les réformateurs allemands ont appelé récemment « l'impérialisme pédagogique ». Faire de l'acquisition, de l'accumulation des connaissances, le but essentiel de nos efforts, - la formation intellectuelle, morale et sociale n'en étant que l'accessoire - telle est la caractéristique pédagogique, sanctionnée d'ailleurs par les examens, de l'école française actuelle. « On cherche à prendre le chemin le plus court pour atteindre le but désiré. La conséquence c'est qu'on mécanise le travail scolaire et réduit l'activité intellectuelle. Lorsqu'il s'agit de faire acquérir la lecture, l'écriture, le dessin, les techniques de laboratoire, etc.. le désir d'épargner du temps et du matériel, la préoccupation d'obtenir la netteté, l'exactitude, la promptitude, l'uniformité, prédominent à tel point que ces desiderata tendent à devenir des buts en eux-mêmes et qu'ainsi ils perdent toute influence sur l'attitude mentale générale. On peut, par l'initiation pure, en dictant pas à pas ce qu'il y a à faire, obtenir des résultats rapides mais on en arrive aussi à renforcer des tendances qui peuvent être fatales à la pensée réfléchie. On exige de l'élève qu'il fasse un genre de travail donné et on ne lui donne pas d'autre raison que celle-ci : « si tu t'y prends de la manière que je t'indique, tu arriveras plus vite à un résultat » ; on ne lui confie pas la recherche des erreurs et leur correction ; on lui fait répéter certaines opérations jusqu'à ce qu'elles deviennent automatiques. Et après cela le maître s'étonne que l'élève lise avec si peu d'expression et calcule de manière si peu intelligente, en tenant si peu compte des termes du problème qu'il a à résoudre. » (J.Dewey. Comment nous pensons Flammarion, Paris)

Les maîtres soucieux de l'éducation de leurs élèves ne manquent cependant pas d'affirmer qu'ils saisissent toutes les occasions pour développer le jugement personnel et l'esprit critique. Il n'en reste pas moins que, pour eux aussi, l'étude des manuels est l'aboutissement inévitable de toute l'activité scolaire : Les manuels sont l'arbitre qui juge définitivement les thèses en présence, l'autorité qui, malgré l’effort des maîtres, régente l’esprit des classes.

Soumis aux manuels pendant tout le cours de sa scolarité, l'enfant perd la confiance en soi ; il n'ose pas formuler ses idées personnelles ni contredire livre qui lui parait être la vérité suprême. Non seulement, il n'est nullement habitué à s'exprimer, mais les tâches scolaires ne savent qu'opprimer sa personnalité et refouler ses tendances éducatrices.

Le résultat ! Comparant la traditionnelle éducation asiatique aux méthodes importées aujourd'hui d'occident, M. Alfred Westharp l'appréciait ainsi « L'école occidentale a pour but de transformer les individus en sujets et d'assurer l'esprit de soumission aux ordres reçus, par opposition à l'esprit de détermination de soi, d'invention ou de création intérieure. C'est une éducation pour la guerre et non pour la paix, pour la mort et non pour la vie, pour la passivité et non pour l'activité, pour l'immobilité et non pour l’action. » (China Courrier, Changaï (cité par Pour l'Ere Nouvelle).)

Et il concluait : « L'impérialisme pédagogique détruit les racines mêmes de la civilisation, parce qu'il détruit chez la jeunesse de toutes les nations l'aptitude à penser et à agir de façon originale ».

Supprimer dans nos classes cette idolâtrie de l'écriture imprimée si bien entretenue par les manuels scolaires, faire passer au second plan l'acquisition « impérialiste », entretenir et développer, en la jeunesse prolétarienne, le besoin d'activité et de création, le besoin d'éducation, telle est la besogne urgente des réformateurs scolaires.

L'emploi du manuel asservit et rend monotone le travail du maître.

« Pour favoriser la souplesse et la vie, dit Sanderson, il faut éviter l'uniformité. » (H.-G. Wells : Un grand Educateur moderne : Sanderson (F. Alcan, éditeur, Paris).) Or, les manuels sont le triomphe de la routine ; car il y a routine chaque fois qu'un travailleur se fixe dans une façon de procéder non pas parce qu'il la croit définitivement bonne, mais parce que l'habitude la rend commode, et qu'il faudrait d'ailleurs un effort de recherche et de volonté pour s'y arracher.

Les manuels offrent même à la routine une double base : l'habitude du maître, et aussi des inconvénients graves qu'il y a à changer trop souvent de livres pour toute une classe.

Les manuels sont en effet très chers ; c'est la raison pour laquelle nombre d'instituteurs enseignent encore avec des livres qu'ils reconnaissent insuffisants et retardataires, et hésitent à introduire dans leurs classes les nouveaux ouvrages.

Les manuels semblent aussi précieux par le soin qu'ils apportent à préparer les « devoirs » scolaires appropriés ou non à la leçon. Ils délimitent d'avance le travail de toute une journée... Que dis-je ? Le travail de l'année !... Il suffit de tourner les pages...

Quel éducateur ne s'assoupirait à ce régime et ne se lasserait d'un travail mécanique, sans vigueur et sans intérêt, et presque toujours - inévitablement d'une ingratitude désespérante !

***

LES MANUELS SONT MONOTONES

Tare apparemment secondaire qui, pourtant, il nous semble, suffirait pour condamner les Manuels scolaires, Sanderson estimait que « tout ce qui est fixe, rigide, incapable de se développer, est mort et que rien de ce qui est mort ne saurait donner la vie » (op. cit.).

La première condition pour que notre enseignement soit profitable, n'est-elle pas que les élèves s'y intéressent ? Et nous donnons au mot intérêt un sens complet. Nous n'appelons pas intérêt cette vague attirance de l'enfant vers les gravures illustrant un texte ou les récits aux titres prometteurs. Il faut que cet intérêt soit générateur d'activité, créateur de vie, émanation de l'être lui-même. Cet intérêt les Manuels ne peuvent jamais nous le donner.

L'indifférence devient monotonie quand il faut, pendant plusieurs années, traîner les mêmes livres, lire les mêmes leçons, expliquer les mêmes gravures, ou du moins parcourir page à page une histoire qu'on voudrait achever d'une traite.

Auteurs et Editeurs sentent d'ailleurs ce grave danger de monotonie ; aussi s'appliquent-ils de plus en plus à embellir leurs productions. Peine perdue, car la voie est mauvaise ! Une histoire naïve, vécue et racontée par des enfants, illustrée et imprimée par, eux, gardera toujours à leurs yeux une autre saveur d'intimité créatrice que vos « savantes »compositions.

Seul un changement d'orientation de nos efforts peut nous sortir de l'impasse. Les pages qui suivent prétendent y contribuer.

LES ADULTES N'EMPLOIENT PAS DE MANUELS

Les manuels sont une invention spécifiquement scolaire, dont l'emploi n'a pas dépassé le cadre de l'enseignement.

On a édité, il est vrai, au cours de ces dernières années, des Manuels de toutes sortes, depuis les Manuels de conversation pour les étrangers en voyage, jusqu'au manuel de l'automobiliste. Mais ce ne sont guère là que des ouvrages de documentation élémentaire qui ne prétendent point dispenser de l'apprentissage actif de la langue ou de la conduite automobile. Et encore ces Manuels ne sont pas tenus en bien grande estime.

Pour les recherches intellectuelles, hors du cadre scolaire, ne sent-on pas la nécessité de se libérer des manuels, si imposants et autorisés soient-ils ! Le travail de bibliothèque, la documentation critique, l'argumentation personnelle, ne sont-ils pas à la base des grandes recherches désintéressées ?

Dans tous les genres d'activité, la société contemporaine modernise ses techniques : les vieux modes de transport cèdent la route au chemin de fer, à l'auto, à l'avion ; l'industrie taylorise ses conceptions techniques selon les enseignements nouveaux de la science physiologique et psychologique, les tableaux, les classeurs, les fiches, l'imprimerie, la photographie, le téléphone ont transformé la pratique bureaucratique ; dans tous les domaines, l'étroite conception de l'activité individualiste disparaît nécessairement devant les nécessités nouvelles de l'effort collectivement coordonné.

Par quel miracle les méthodes aujourd'hui condamnées par les adultes seraient-elles bonnes seulement pour des enfants ? Et quelle préparation à la vie nouvelle peut venir d'un asservissement à des manuels scolaires anachroniques ?

L'école s'est développée jusqu'à ce jour a l'écart de la vie, conservant jalousement ses pratiques scolastiques qui gardent malgré nous, une certaine majesté rituelle. Mais notre isolement cesse peu à peu ; la vie entre dans l'école et bientôt l'école ira chercher la vie hors des cadres désuets qui l'enserrent plus despotiquement encore que les vieilles routines. Il faudra bien que, peu à peu, travail scolaire et travail adulte s'harmonisent, se pénètrent pour se compléter mutuellement, selon les mêmes processus naturels...

Les manuels scolaires auront alors vécu !

LA TECHNIQUE NOUVELLE

Il ne suffit pas de montrer aux éducateurs les vices graves de la technique traditionnelle, ni môme de crier : « Plus de manuels scolaires ! ». Il faut, par une technique suffisamment étudiée et expérimentée, rendre effectives les nouvelles méthodes de travail. Or, nous avons donné les fondements de cette technique : partir des besoins et des aspirations de l'enfant, entretenir et renforcer sans cesse cet élan vital dont nous attendons tout, réaliser une éducation qui cesse d'être formation extérieure pour devenir élévation personnelle au sein de la communauté harmonieuse. Pour l'ancienne technique, les prêches, qu'ils fussent écrits ou oraux, pouvaient suffire ; pour notre technique, ce qui importe c'est d'une part la création et la mise au point des outils de travail, d'autre part l'organisation rationnelle de l'activité dans une communauté éducative.

C'est ce double problème que nous nous sommes attachés à résoudre. Et nous y sommes presque totalement parvenus. Nous allons donc, en vous présentant et la vie de la classe et l'utilisation scolaire des nouveaux outils de travail, donner toutes indications pratiques qui permettent aux éducateurs, dans quelque situation qu'ils se trouvent, de s'orienter sur la nouvelle voie. Après les quelques efforts indispensables pour s'arracher à la routine, ils se trouveront en possession d'une technique qui les satisfera totalement, qui satisfera dans la plus grande mesure possible parents et inspecteurs, qui permettra même la préparation aux divers examens que nous impose le régime. Et chose qui compte plus encore que ces satisfactions extérieures, cette nouvelle conception du travail scolaire redonnera intérêt et vie à l'effort quotidien ; la passivité et même le dégoût feront place à l'enthousiasme. Ce sera, pour les éducateurs eux-mêmes, une sorte de régénération professionnelle.

Nous n'omettrons cependant point de signaler les obstacles graves et parfois insurmontables qui nous viennent de la conception mineure en régime capitaliste du rôle de l'éducation ; nous dirons comment le milieu social, comment l'exploitation et la misère sont à l'origine de tant d'échecs complaisamment attribués jusqu'à ce jour à des insuffisances pédagogiques. Nous apprendrons ainsi aux éducateurs eux-mêmes à mieux mesurer leurs possibilités, à identifier les difficultés rencontrées, à calculer la portée de leurs réactions - besogne de loyauté et de vérité qui nous évitera de nous battre éternellement contre les moulins à vent, mais qui nous apprendra à mieux voir, à mieux juger et à agir ensuite vigoureusement.

A l'Ecole Enfantine et Maternelle

L'école enfantine et l'école maternelle ont fait, en France, des progrès considérables depuis le début du siècle - on y a appris à considérer les enfants en enfants, à leur donner de l'air, du mouvement, des jeux. Au point de vue éducatif, on a hardiment emprunté à Mme Montessori et à Decroly. L’apprentissage de la lecture et de l'écriture a lui-même bénéficié largement de l’enseignement de ces maîtres. Il a cessé d’être stérilement prématuré et nombreuses sont les écoles qui s'essaient maintenant à la lecture globale.

Nous verrons le complément merveilleux que notre technique peut apporter aux pratiques montessoriennes ou decrolyennes. Nous ne pouvons cependant omettre de signaler que les écoles maternelles sont relativement peu nombreuses en France. Il existe des milliers et des milliers d'écoles de village, à une ou plusieurs classes, où l'école enfantine n’est que le premier échelon de l'enseignement primaire. Quelles que soient les velléités novatrices des éducateurs dans ces classes, la technique des manuels scolaires domine le premier enseignement. La pratique de la méthode Montessori même considérablement amenuisée est impossible dans ces classes ; la méthode globale donne beaucoup trop de travail à l'éducateur et reste pratiquement impossible.

***

Mais, dira-t-on peut-être, il existe aujourd'hui des syllabaires et des livres de lecture admirablement présentés, qui sont une joie pour les yeux et où les difficultés attentivement graduées, cessent de rebuter nos jeunes écoliers.

Quel que soit le soin apporté par les auteurs et les éditeurs à la présentation de ces livres, il n'en reste pas moins que ceux-ci portent en eux - plus encore que les manuels des degrés suivants - toutes les tares que nous avons dénoncées.

Quelle joie pour l'enfant lorsque, au seuil de l'école, on lui donne ce « premier livre » qui est à ses yeux l'échelon initial de ce savoir mystérieux ! Il le parcourt avidement et globalement. Il en examine de son mieux, malgré le maître parfois, toutes les illustrations. Avant la fin de la semaine ce livre n'a plus pour lui aucun secret, pas même celui de ces hiéroglyphes noir sur blanc qu'il n'a plus maintenant le « désir » de connaître. Puis ce syllabaire, fripé et écorné, sali d'avoir été traîné sur les tables de cuisine, oublié parfois tout un jour sur une pierre du chemin, sera bien vite une brochure sans couleur, sans vie ni attrait, tout juste suffisante pour la « leçon » quotidienne.

L'intérêt de l'enfant pour ce don de joyeux avènement n'aura été qu'un feu de paille que l'école ne saura peut-être jamais ranimer.

Quelle est d'ailleurs la valeur spécifique de ces syllabaires ?

Il est passé le temps où l'on mettait, entre les mains des enfants, le vrai syllabaire nu : a e i o u - ba be bi bo bu...

Ce serait cependant une erreur de croire que les syllabaires actuels soient essentiellement différents de leurs ancêtres et qu'ils aient évolué autrement que par leur forme ou leur présentation, typographique.

« En lecture, la majorité des méthodes sont dominées par la préoccupation de faire connaître d'abord, et le plus vite possible, les éléments représentés par les lettres ou les sons, de manière à permettre à l'enfant de les réunir pour aboutir à la lecture de toutes les combinaisons possibles.

- Dans les meilleures d'entre elles, on fait appel à l'intérêt, en choisissant judicieusement des mots où se trouvent les sons représentés et en s'efforçant ainsi d'attirer l'attention de l’élève sur le son qu'on veut isoler ; c'est un procédé dit analytique synthétique, qui est certes un grand progrès sur le système alphabétique pur d'autrefois. Mais en dernière analyse, il est certain qu'il est surtout dominé par la préoccupation de suivre un ordre déterminé dans l'étude des sons, en allant des sons représentés par une lettre aux sons représentés par deux ou plusieurs lettres, puis à la lecture de plusieurs sons associés en mots, et enfin à celle des phrases et que les exercices d'application sont basés sur cette préoccupation ; on ne passe à un élément nouveau que lorsque les éléments précédents sont connus. L'enfant ne peut lire un texte donné que s'il a parcouru les étapes antérieures. Aussi l'élève qui s'absente pour une cause quelconque a-t-il bien de la peine, s'il y parvient, à se mettre au niveau de ses condisciples » (1).

De l'avis même du Dr Decroly « on peut affirmer aujourd'hui que le procédé habituel d'enseignement de la lecture par la voie phonétique auditive, en procédant par l'étude des syllabes et des sons pour arriver à une généralisation, ne se défend pas au point de vue psychologique » (2).

(1) Dr Decroly : La fonction de globalisation et l'enseignement. Revue de I'Enseignement, N° du 29 janvier 1928).

(2) G. Bon : Essai d'application de la méthode Decroly dans l'Enseignement Primaire. (Office de Publicité, Bruxelles, 1924).

LECTURE GLOBALE

A cette conception désuète de l'apprentissage de la lecture, les pédagogues contemporains ont substitué une méthode basée sur ce qu'ils appellent la « vision syncrétique » de l'enfant, c'est-à-dire la tendance qu'il a avoir un ensemble, un tout avant d'en étudier les détails.

« La mère, dit le Dr Decroly, sans avoir recours a aucune méthode consacrée, avec l'aide de l'entourage de l'enfant, apprend à celui-ci toutes les difficultés de la langue ; sans songer ni à analyser ni à sérier les exercices, elle se fait peu à peu comprendre et imiter. Si ce miracle de l'acquisition du langage par le procédé maternel - qui n'a rien de formel ni de consciemment logique, mais qui est logique quand même – si ce miracle était mieux connu des éducateurs, ils verraient probablement plus clair dans tout le problème que nous abordons ici. Le procédé de la mère est un procédé global (syncrétique ou schématique suivant les amateurs) » (Dr Decroly : L'application de la fonction globale dans l'enseignement. (Revue de l'Enseignement, N° du 25 mars 1928).

Se basant sur ce « pouvoir syncrétique » ou, pour parler moins scientifiquement, sur le « pouvoir de globalisation », le Dr Decroly a conclu à la nécessité de commencer directement l'apprentissage de la lecture par la phrase, pourvu que celle-ci « exprime une idée connue de l'enfant ».

Nous ne dirons pas ici les fondements psychologiques d'une telle méthode, aujourd'hui universellement appréciée. Nous renvoyons le lecteur aux divers ouvrages du Dr Decroly et de ses collaborateurs (« Revue Scientifique », mars 1906 ‑ Mlle Hamaïde : La Méthode Decroly (Delachaux et Niestlé. édit.) – Dalhern : Contribution à l'Introduction de la Méthode Decroly à l'Ecole Primaire. (Lamertin, édit., Bruxelles) - G. Boon, op. cit.)

Nous nous proposons seulement d'en étudier la réalisation pratique à l'école primaire, d’en critiquer certaines insuffisances, et de montrer comment nous pouvons, logiquement, porter cette méthode naturelle jusqu'à, ses limites extrêmes de simplicité.

La théorie de la lecture globale nous paraît excellente ; mais la pratique en a été trop souvent encore asservie aux vieilles routines.

Le Dr Decroly connaît l'importance primordiale de l'intérêt pour l'acquisition de la lecture. Mais il admet trop facilement le divorce entre l'école et la vie puisqu'il croit à la nécessité « d'éveiller » l'intérêt, comme si celui-ci n'existait pas hors de la classe.

Eveiller l'intérêt par des leçons d'observation plus ou moins académiques, terminées par l'écriture de quelques phrases sans vie, trop souvent indifférentes à l'esprit de l'enfant, ne saurait nous satisfaire, car de nombreux éducateurs, dans la hâte qui caractérise l'école actuelle, n'iront même pas, ou du moins pas toujours, jusqu'à l'observation véritable. Ils s'arrêteront à l'observation d'images sous lesquelles on aura placé à l'avance la phrase étiquette, procédé plus commode et répondant mieux aux habitudes d'ordre et de préparation méthodique en honneur dans nos classes.

Je sais bien que le Dr Decroly condamne cet emploi exagéré des images : « L'image ne suffira pas non plus, dit-il ; et il importe de le répéter, malgré la grande utilité des images, elles ne sont qu'un pis aller, qu'une aide et demandent à être préparées par des réalités, par des activités vécues, sans quoi, comme les mots, elles anticipent et nuisent à la formation des idées nettes et coordonnées ; elles nuisent, comme les mots, surtout par les occasions qu'elles enlèvent d'agir, d'expérimenter, de réaliser... »

La nécessité de préparer à l'avance fiches et étiquettes pour la lecture globale suppose que l'objet d'observation ou l’image ont été déterminés à l'avance par l'éducateur, que les phrases ont été établies sans tenir un compte exact du besoin d'expression des enfants au moment de la leçon. Les phrases à lire peuvent dès lors avoir quelque intérêt, mais il est certain aussi qu'elles ne peuvent être l'expression véritable des enfants. La lecture globale ainsi comprise, tout en étant un, progrès considérable sur les méthodes antérieures, reste cependant, et par suite surtout des nécessités matérielles, esclave du travail préétabli par le maître. Elle ne saurait donc réaliser les conditions d'intérêt requises pour un enseignement psychologiquement idéal.

***

LES SYLLABAIRES BASÉS SUR L’ÉTUDE GLOBALE

Les difficultés d'application de la méthode globale dans les classes maternelles et surtout dans les sections enfantines des classes à plusieurs cours, devaient naturellement donner naissance à des syllabaires, conçus selon la méthode globale, et prétendant rendre pratique dans nos classes l'application de cette méthode.

Malgré le soin apporté par les auteurs pour classer images et phrases par centres d'intérêt, nous sommes là encore en présence de manuels auxquels nous faisons les griefs capitaux :

-          d'être des manuels

-          de ne pas répondre au besoin d'expression des enfants ;

-          d’être basés sur l’explication d’images plus que sur l’activité enfantine, de se juxtaposer à la vie de l’enfant au lieu de l'amplifier et de l’élever.

Les auteurs de syllabaires nous objectent qu'il y a cependant une progression à suivre et que ce n'est pas faciliter l'acquisition que d'accumuler simultanément sous les yeux des enfants, toutes les difficultés de notre langue. Et, opérant ainsi une sorte de compromis entre les méthodes analytiques, synthétiques et les méthodes globales, ils présentent à l'enfant des mots simples :

le rata, le rôti, la morue

auxquels font pendant des phrases... enfantines :

Toto rame,

Marie a ri,

La mule remue,

La tomate mûrira,

Le rôti attire le rat,

Marie ira à la rue,

Riri tuera le rat (1).

(1) Delaunay, Fontaine et Raffin : La Lecture joyeuse. (Editions de l'Enseignement, Marseille).

Il y a une gravure explicative, pour Toto rame. Quand aux autres phrases, le maître essaiera, par quelque histoire hâtive, de les rattacher à la vie enfantine. Il ne réussira pas toujours à en faire comprendre parfaitement le sens et quelque élève ne manquera pas de demander : « Pourquoi la mule remue la tomate ?.. »

C'est que le livre n'est pas parvenu à toucher le fond de l'être. Sa simplicité, toute apparente, n'est obtenue qu'aux dépens de la compréhension du langage et du développement de la pensée. Elle est basée sur une progression toute formelle qui ne correspond nullement à une conquête véritable. L'enfant n’apprend rien que quelques syllabes - au prix d'un abêtissement ; car nous estimons qu'il y a abêtissement toutes les fois qu'on force l'enfant à lire quelque chose qu'il ne comprend pas et qu'il ne sent pas.

Allons-nous donc, sous prétexte de rendre le plus rapide possible l'acquisition de la lecture, nous contenter de présenter sous une forme nouvelle les vieilles erreurs ? Sous prétexte de graduer les difficultés, de développer l’intelligence, tiendrons-nous longtemps encore les enfants le nez penché sur des pages sans vie et ne trouverons-nous rien de mieux que de pratiquer éternellement avec les tout petits l’éducation nettement autoritaire et oppressive que nous condamnons pour leurs aînés ?

Nous nous efforçons justement, se récrieront les auteurs de manuels, de rendre la lecture agréable. Delaunay, Lafosse et Raffin n'intitulent-ils pas leurs syllabaires « La lecture Joyeuse » ?

Hélas ! Ils ressemblent au geôlier qui porterait des fleurs dans la cellule d'un condamné et, qui parlerait alors, libérément, de Prison Joyeuse. Ce que désire le condamné, c'est le soleil, la liberté et la vie.

Illustrez vos syllabaires, mais vous ne parviendrez pas à changer la méthode qui est mauvaise, parce que retardataire et oppressive. Nous ne disons pas que les fleurs - nous voulons dire : les illustrations - soient inutiles. Lorsqu'elles sont de jolies fleurs, naïves et claires, comme celles de notre ami Rossi, elles mettent certes de la joie à l'âme des condamnés, quel que soit le texte d'ailleurs. Ce que l'enfant demande, c'est le soleil intérieur, l'air, la vie. Et vos méthodes ne peuvent les lui donner.

Nous serions tentés de conclure, comme Sanderson (1) : « Créer une méthode qui vise à rendre l'étude aisée, c'est perdre son temps... »

1 H.Wells, op. cit

***

La technique nouvelle

S'EXPRIMER

La pédagogie contemporaine, ayant reconnu la puissance fondamentale de l'intérêt, s'est engagée timidement dans la nouvelle voie. Elle a essayé, par l'extérieur, d'éveiller l'attention de l'enfant, mais comme si celui-ci n'était pas capable par sa nature, de se donner tout entier à une tâche.

Aussi n’a-t-elle pas été exigeante sur la qualité de cet intérêt. Elle a fait cette constatation superficielle qu'il faut peu de chose pour captiver l'enfant : des exercices courts, de fréquents changements d'activité suffisent à maintenir l'application au travail. Les partisans de vieilles méthodes de syllabation nous diront même que l'enfant s'amuse parfois de la nudité des lettres ou des syllabes et qu'il ne lui déplaît pas d'entendre sa voix, mêlée à d'autres voix, psalmodier mollement le texte de la leçon.

Nous devons ici faire une distinction capitale qu'il ne faudra jamais négliger quand nous parlerons d'intérêt par l’Imprimerie à l'école.

L'intérêt, spécifiquement scolaire, obtenu au moyen des méthodes d'enseignement aujourd'hui existantes - qu'elles soient basées sur la lecture méthodique des manuels ou la manipulation de cartons préparés à l'avance - est toujours un intérêt superficiel, qui n'est pas inhérent à la personnalité enfantine et ne prend pas ses racines au plus profond de l'individu.

« Lorsqu'il est nécessaire de créer l'intérêt autour d'un objet ou d'une idée, c'est justement que cette idée ou cet objet en manquent pour l'enfant, Au surplus, on n'a pas réellement rendu intéressantes des choses qui ne l'étaient pas. On a simplement fait appel à l'amour du plaisir. On a excité l’enfant dans une certaine direction avec l'espoir que, d'une manière ou d'une autre, il s'assimilerait, durant cette période d'excitation, des matériaux qui n'ont rien d'attrayant pour lui. Or, il y a deux types de plaisir. Il y a celui qui accompagne l'activité. On le retrouve partout où le moi s'exprime pleinement. C'est l'énergie qui se déploie en prenant conscience d'elle-même. Cette sorte de plaisir est toujours absorbée par l’activité elle-même. Elle n'a pas dans la conscience une existence indépendante. C'est le type de plaisir qui accompagne un intérêt légitime. Il est produit par les besoins de l'organisme. L'autre espèce de plaisir provient d'un contact. Il est le produit de notre réceptivité. Il est suscité par l'extérieur, Nous prenons de l'intérêt, nous obtenons du plaisir, disons-nous ! Ce type de plaisir peut être isolé de ses concomitants. Il existe par lui-même dans la conscience comme plaisir et non pas comme plaisir d'agir.

Quand les objets sont rendus intéressants par l'éducateur c'est ce second type de plaisir qui entre en jeu. ()n a profité de ce que l'excitation d'un certain organe s'accompagne d'une certaine somme de plaisir, Ce dernier est utilisé pour couvrir le fossé qui sépare le moi actif d'un certain, objet manquant d'intérêt pour lui. Ici encore, le résultat obtenu est une division d'énergie du moi.

... Mais quand on reconnaît l'existence chez l'enfant de pouvoirs qui ne demandent dent qu'à se développer, s'offrant à nous comme points d'appui pour que nous en assurions le fonctionnement normal et que nous les disciplinions, alors nous possédons une base solide pour édifier notre oeuvre d'éducation. L’effort surgit normalement lorsqu'on tente de donner libre carrière à ces pouvoirs pour en assurer la croissance et l'épanouissement. Et en agissant ainsi, d'une manière adéquate, sur ces impressions, on obtient ce sérieux, cette attention, cette concentration du moi vers un but défini. qui produisent l'habitude solide et permanente de mettre sa personnalité tout entière au service de fins élevées. Mais cet effet ne dégénère jamais en corvée, en une tension nerveuse préjudiciable et vaine, parce que l'intérêt le pénètre, parce que le moi s'y donne intégralement » (Dewey : L'Ecole et l'Enfant, op. cit.).

Telle est bien, dans la recherche de notre méthode nouvelle, notre constante préoccupation : exploiter, pour nos fins éducatives, le besoin de curiosité et d'activité qui est en tout être vivant ; amener au jour les pensées intimes de nos élèves, les exprimer, les classer, pour les fixer enfin par l'imprimerie avant de les utiliser pour le travail scolaire. Nous serons certains alors que notre enseignement tracera un sillon, car tout l'individu sera tendu vers ce but : s'exprimer, lire l'expression imprimée, et s'épanouir.

Les « bons » maîtres nous objecteront peut-être qu'ils savent aussi faire parler l'enfant pour rechercher cette base féconde de leur enseignement. Mais sont-ils arrivés à cristalliser la pensée, le langage enfantin en une lecture imprimée de forme définitive ? Et ne sont-ils pas toujours contraints de faire lire exclusivement, en caractères imprimés, ce que des adultes ont pensé, exprimé, imprimé ? Cette pratique est cause d'une dissociation du moi, d'un divorce irréductible entre les diverses activités scolaires, tares excessivement préjudiciables à l'élévation intellectuelle et morale de l'individu, et au rythme de l'éducation.

***

Et vous, les mamans, vous donnez-vous beaucoup de peine pour apprendre à parler à votre enfant ?

Il ne vous semble pas... Il a dit un jour : pa !... pa ! et le voilà qui parle presque couramment maintenant. Et if n'a fallu pour cela ni leçon scolastique, ni aucun effort apparent ou systématique. Il s'est « élevé » lentement parce qu'il éprouvait le besoin de s'exprimer, parce qu'aussi la mère n'a pas commis la maladresse de faire cesser le gazouillis de l'enfant et de le remplacer par un apprentissage « méthodique » et « scientifiquement » gradué. L'enfant parlait ; sa maman l'a seulement aidé à s'exprimer correctement.

D'instinct toutes les mères procèdent ainsi, et cela leur réussit fort bien, puisque tous les enfants apprennent à parler avec une rapidité incroyable. Pensez pourtant à ce que représente d'efforts l'acquisition du mécanisme complet du langage ; pensez au nombre de mots qu’apprend l’enfant, à la souplesse qu'acquiert bien vite son expression : activité cérébrale, activité visuelle, activité physique, tout est mis en branle. Il suffit d'ailleurs de voir parler un jeune enfant pour comprendre à quel point cet effort accapare tout son être. Inutile de le stimuler : dans sa soif d’apprendre et de connaître, il semble invincible.

Il est maintenant un petit écolier de cinq ans. Il possède presque le monde et la sûreté de ses conquêtes est toujours émouvante.

Pour lui apprendre à lire, pour lui enseigner une technique considérablement moins compliquée que celle du langage, il faut à l'instituteur des mois entiers d’efforts scolaires. Ce qui est plus grave encore, c'est que l'enfant qui, jusqu'à ce jour, avait tout appris en vivant, se voit contraint à une activité anormale dont il ne voit d'ailleurs plus le but et qui, bien souvent, réprime en lui tout besoin d'expression ou de curiosité.

« Les pédagogues sont passés par là ! diraient des parents malveillants, et ils ont compliqué comme à plaisir ce qui est pourtant simple et naturel ».

C'est que l'apprentissage de la lecture se ressent encore des temps magiques où écriture et lecture étaient l'apanage exclusif de quelques privilégiés. Le prestige du « savant » nécessitait alors un apprentissage fort long que seuls des « élus » pouvaient mener à bien. Les initiés semblaient dire à leurs élèves : « Ah ! vous voulez apprendre à lire ?... Mais c'est excessivement long et difficile, savez-vous !... » Et ils ont, effectivement, accumulé les obstacles de telle sorte que des enfants qui étaient parvenus sans efforts ‑ en jouant et en vivant - à parler correctement une langue riche sont parfois incapables d'apprendre à lire et à écrire quelques centaines de mots. Témoins de l'aridité de leurs efforts, les instituteurs se sont persuadés à leur tour que l'acquisition de la lecture était chose exceptionnellement difficile, et cette déformation professionnelle les a souvent empêché de se lancer dans des voies plus naturelles et plus accessibles.

Pour l'enfant de cinq-six ans, déjà développé et éduqué, la technique de l'écriture et de la lecture est évidemment plus facile à acquérir que ne l'est celle du langage au cours des premières années. Il n'y a donc plus de raison pour que cet apprentissage ne soit excessivement plus rapide, et cela, sans recours aux ruses inventées par les pédagogues, aux contraintes et aux punitions.

Tous les procédés contemporains, d'inspiration ludique, sont également inutiles, ou du moins non essentiels pour l'apprentissage de la lecture. Que des pédagogues inventent des jeux pour distraire l'enfant tout en éduquant ses sens et son raisonnement, passe encore. Mais il ne faudrait plus laisser croire que tous ces chemins détournés soient indispensables à l’acquisition de la lecture. L'enfant a appris à parler, répétons-le, en vivant - et le jeu n'était qu'une manifestation naturelle de sa vie puissamment riche. Il doit de même apprendre à lire et à écrire en vivant, donc sans efforts dissociant sa personnalité, par sa seule volonté d'élévation et d'enrichissement.

***

S’IMPRIMER

Abandonnons délibérément l’exemple des pédagogues, et imitons les mamans !

Nos élèves de cinq ans entrent en classe. Faut-il que, sur le seuil, disparaissent leur activité et leur besoin d'expansion ? Ce serait nous priver du principal levier éducatif : le désir d'apprendre et de s'élever, le besoin de vivre. « Notre seul mobile étant d'obéir à des principes de vie et de croissance nous cherchons à discerner, dès l'abord, les intérêts individuels, et nous nous emparons de ceux qui offrent pour tous le maximum d'éducation et de développement » (Audernars et Lafendel : La Maison des Petits, 1 vol. (Delachaux et Niestlé, Neufchâtel).).

Ne parlons pas de « leçon » ; mêlons-nous à nos élèves ; parlons tous ensemble, sans but bien défini d'abord, pour une sorte de sondage, car il s'agit de mettre au jour l'idée qui peut, actuellement, les intéresser tous. Nul besoin, pour cela, de grands talents ni d'inépuisables ressources de conteur. S'il faut presque du génie pour intéresser profondément, de l'extérieur, des petits enfants, il est par contre bien facile de toucher leur âme si on a su les mettre en confiance et entretenir leur besoin d'expression.

Nous écoutons donc : nous réprimons l'impétuosité de ce conteur qui voudrait accaparer notre public ; nous encourageons tel nouveau venu qui parle en rougissant d'abord, puis se rassure et s'anime... Les histoires abondent : « Ma lapine a fait des petits lapins ». « J'ai trouvé des hannetons en cueillant la fleur d'oranger », « Hier soir j'ai joué au cheval, j'ai mangé des cerises ».

Un intérêt un peu plus général se dessine cependant en faveur de l'une d'elles :

Le petit Louis, dont le père est rétameur, est allé en tournée au Loup pour trois jours. La nuit, il couchait dans la voiture, son frère dormait dans la remise près de Belle la mule... Louis avait une paillasse.. Il dort si bien dans sa roulotte !

Et ce petit timide, qui n'aurait pas même osé lire à haute voix, ne s'arrêterait plus de parler. Il redresse fièrement la tête, ses yeux brillent...

- Oui, oui ! Ecrivons « ça » de Louis ! disent les petits compagnons.

Voici maintenant le vrai travail de l'instituteur. La maman apprend le langage à son enfant. L'instituteur doit enseigner à ses élèves à parler le plus correctement possible, puis à exprimer leurs idées par l'écriture, à lire enfin, dans les livres, la pensée des autres.

Choisissons tous ensemble le contenu du texte. Il s'agit de transcrire le récit de Louis le plus fidèlement possible, et en bon français, naturellement. L'art de l'éducateur consiste surtout à parvenir à cette transcription sans modifier la pensée de l'enfant. C'est là une nécessité essentielle : si, sous prétexte de graduation ou pour tout autre raison qui nous est personnelle, nous modifions cette pensée, nous plaçons l'enfant dans cette regrettable alternative : ou bien ne plus s'intéresser de tout son être au texte élaboré, ou bien, négligeant les modifications apportées, donner aux mots une signification tout à fait personnelle, parfois différente de leur valeur éthymologigue.

Le texte suivant est maintenant au tableau noir :

« eugène et Louis sont
allés au Loup. Louis
couchait dans la voiture
eugène dormait dans la
remise près de la mule belle. »

Ne nous préoccupons pas de savoir si ce texte contient des mots trop difficiles. Les élèves les ont prononcés ; s'ils ne savent pas les lire, nous les y aideront, imitant en cela les mamans. Et ce sera là la lecture globale idéale, celle qui consiste à s'imprégner l'esprit des formes graphiques de pensées qui nous sont personnelles, que du moins nous sentons et vivons intensément.

Nous lisons donc globalement d'abord : les élèves les plus avancés identifient déjà les syllabes et rectifient les erreurs de souvenir des débutants. Cette lecture ne demande aucun effort, et elle doit d'ailleurs être faite sans effort. Il s'agit seulement de photographier la forme et la contexture des mots et des phrases. L'intérêt naturel et normal qui a donné jour à notre texte suffit pour que cette opération soit réalisée dans des conditions optimum.

Epelons ensuite les lettres, faisons « deviner » quelques syllabes, retrouver des mots, mais sans obstination. N'essayons pas d'utiliser un raisonnement au-dessus de cet âge pour donner à l'enfant quelques idées « logiques » sur la langue. Ne nous impatientons pas parce que tel son, à notre gré, devrait être connu de nos élèves. Continuons nos exercices vivants, aidons les enfants à se reconnaître dans cette traduction de pensées : ils liront demain sans effort ni hésitation ce que nous aurions peiné en vain à leur inculquer aujourd'hui.

La composition et l'impression de ce texte seront le complément naturel de notre travail préparatoire.

Nous désignons cinq compositeurs, dont les deux principaux intéressés : Eugène et Louis. Chaque compositeur lit globalement,. puis épèle sa ligne, sans oublier les « petits blancs » qui séparent les mots. Si, parfois, nous ne savons pas départager deux élèves qui demandent à composer avec une égale insistance, nous les faisons lire, et l'honneur de composer échoit au concurrent le plus avancé. Il faut voir alors cette lutte : rouge aux joues, corps penché en ayant. On y va vraiment de tout son être.

La tâche répartie, laissons les enfants travailler en paix. Ils ont à leur disposition une police de caractère corps 36, rangés dans une casse spéciale ; ils disposent eux-mêmes les caractères dans le composteur, traduisant ainsi mécaniquement, matériellement, le texte manuscrit en cliché d'imprimerie.

Inutile de surveiller : tous s'entr’aident de leur mieux pour bâtir une ligne parfaite, et il n'y a pas d'exemple d'élève se rebutant devant les c4fficultés ou l'insuccès. Nous constatons à ce travail cette même obstination patiente qui caractérise les enfants occupés à un jeu constructeur ; preuve certaine que cette technique, ignorée jusqu'à ce jour, est pourtant bien à la mesure de nos jeunes élèves.

Il faut voir sans doute dans leur intérêt profond pour leur matériel la raison essentielle du soin apporté au classement et à la conservation des caractères. Ce matériel est comme sacré : depuis deux ans que nous l'utilises, il ne s'est pas perdu un seul caractère, malgré la présence dans notre classe d'éléments anormaux, voire kleptomanes.

Des enfants de 5-6 ans arrivent très vite à composer sans une faute une ligne de 15, 20 caractères. Et quelle satisfaction quand on a réussi ce travail parfait !

Egalisation rapide, disposition sur la presse ne demandent que quelques secondes et peuvent d'ailleurs être effectuées par un élève du Cours Elémentaire.

Tirage ! Les petits eux-mêmes occupent toutes les fonctions : encrage, présentation de la feuille, impression, alignement des imprimés... Nouveau travail manuel propre, ordonné, sérieux, ayant un but précis : le tirage du texte précédemment pensé, parlé, écrit, lu, composé... Travail toujours réclamé comme une faveur inappréciable, plus prisé même que les jeux de récréation, puisque l'équipe à l'imprimerie, sans se soucier de l'heure de sortie, achève son travail avec le même sérieux et la même application.

Pendant que les cinq compositeurs travaillent à la table d'imprimerie, les autres élèves du même degré copient sur un cahier ou sur une feuille de papier le texte au tableau noir. Cette copie est considérée par nous comme la base de notre enseignement de l'écriture, Le débutant qui sait à peine tenir un crayon s'y essaye ; il ne réussira les premiers jours qu'un barbouillage informe qu'il complètera d'ailleurs heureusement par quelque dessin suggestif. Les exercices, systématiques d'écriture ne seront que l'accessoire, que l'entraînement ayant pour but l'écriture lisible du texte choisi.

Les résultats que nous avons obtenus sans effort avec cette méthode nous montrent qu'elle vaut bien toutes les autres pour là rapidité de l'acquisition et qu'elle les dépasse considérablement par le naturel et la logique de son évolution.

Le dessin libre est, à ce degré, le complément indispensable de notre méthode d'expression, de lecture et d'écriture. Par le dessin, chaque enfant revit le récit élaboré en commun ; et, chose merveilleuse, il le complète, l'adapte à sa personnalité, se l'approprie intimement. Il ne lui suffira pas de dessiner « Louis dans la voiture », il attellera son âne à lui à la place de la mule Belle ; la maison voisine sera sa maison, son chien en gardera l'entrée. Peut-être compliquera-t-il l'épisode de quelque drame particulier qui donnera à son dessin une expression complète de sa propre personnalité.

Nous avons su toucher l'enfant ; nous avons trouvé le chemin qui mène à son âme ; il nous suffit dès lors de permettre, de rendre possible le travail subséquent.

Les occupations de découpage et de collage acquièrent aussi une raison d'être. Le tirage terminé, les élèves illustreront, par découpage et collage, la feuille cartonnée qui sera la page quotidienne de leur livre de vie. Ils évoqueront aujourd'hui la roulotte et le cheval à côté de la maison, sous l’œil bienveillant d'une lune monumentale. Ils colleront ensuite sur cette feuille les lignes imprimées, constituant ainsi, au jour le jour, le plus merveilleux et le plus profitable des livres de vie, réalisant la lecture globale idéale, expression même de la. vie de l'enfant.

Tous les éducateurs apprécieront l'originalité et la valeur pédagogique d'un tel livre et sa supériorité certaine sur tous les syllabaires existants.

Nous pouvons d'ailleurs, par l'imprimerie, compléter encore l'illustration de notre livre de vie.

Nos élèves découpent du carton très mince, qu'ils collent sur une planchette. Avec la pointe d'une épingle on grave les détails supplémentaires. Et voilà un véritable cliché, entièrement œuvre des enfants, que nous pouvons tirer avec notre imprimerie en 20, 30, 50 exemplaires. Qu’on juge de la joie des petits ouvriers reproduisant ainsi à volonté leurs conceptions savoureuses. Ces clichés peuvent être tirés en couleurs diverses puis coloriés, piqués, découpés. Il y a là une source d'activité motivée extraordinairement riche et féconde.

Nous ne nous interdisons pas d'ailleurs de compléter nos illustrations par l'emploi de la pâte à polycopie ou du limographe, qui sont cependant beaucoup moins à la portée des enfants que notre pratique de l'imprimerie.

Nous tenons à préciser que cette méthode, expérimentée dans une classe de 42 élèves de 5 à 9 ans, peut être employée dans n'importe quelle classe, si chargée soit-elle. Elle ne nécessite nullement un supplément de travail pour le maître ni pour l'école un supplément de dépense, la suppression des syllabaires libérant un crédit important qui sera affecté en partie à l'imprimerie.

***

AVANTAGE DE CETTE METHODE

Surtout, ne dites pas dédaigneusement : nouveauté... travail satisfaisant le besoin d'activité des enfants !...

Nouveauté . Après deux ans de travail à l'imprimerie non élèves sont familiarisés avec leur matériel autant qu'ils pourraient l'être avec un syllabaire. Et pourtant, c'est vraiment, à chaque séance, la même joyeuse application.

Satisfaction du besoin d'activité ! N'est-ce pas une incontestable qualité de ce matériel ? Les pédagogues ont signalé depuis longtemps l’intérêt pédagogique du classement de caractères d'imprimerie. Nous avons donné à cette occupation un sens profond, essentiellement éducatif qu'il est nécessaire de montrer ici :

En composant, l'enfant ne fait pas qu'assembler des caractères comme il assemblerait des chiffres pour obtenir un nombre quelconque. En composant l’enfant crée un peu de vie, et surtout une portion de sa vie à lui. Ce composteur qu'il vient de remplir, et dont il corrige maintenant les fautes, contient une partie vivante de ce texte qui l'a intéressé. Et ce n'est pas là une besogne vaine : On imprimera ensuite ; l'enfant verra sortir de ce bloc magique, avec un étonnement toujours renouvelé, quelques jolies lignes d'écriture qui seront entièrement son œuvre et qu'il lira avec avidité.

Je ne m'abuse point : malgré les difficultés de la composition, malgré les ennuis divers qui peuvent survenir : caractères mal placés dans le composteur, ligne tombant au moment de l'achèvement, erreur de ligne, etc..., malgré la perfection demandée - ou est-ce peut-être à cause de cela ? - ce travail de composition à l'imprimerie exerce une attirance incroyable.

Et surtout, ne vous impatientez pas et ne venez pas au secours du compositeur pour terminer, en deux tours de mains, ce travail si délicat pour l'enfant : celui-ci interprèterait votre intention généreuse comme une offense véritable, et il en pleurerait de dépit. Il veut faire ce travail . Il coordonne de son mieux ses connaissances et ses mouvements ; il y passera trente minutes peut-être, mais quel profit aussi et quelle joie ! Il faudrait voir l'élève triomphant apporter lui-même le composteur sur la presse, en le tenant soigneusement dans ses petites mains refermées... Il a terminé. il rejoint sa place en sautillant.

Les progrès sont naturellement rapides.

Cet enfant ne connaît encore que quelques signes, mais il a voulu composer. Il cherche la lettre S. Il va du tableau à la casse, de la casse au tableau ; il compare, il demande à ses collaborateurs plus avancés, à son instituteur parfois. Et la lettre S sera bien définitivement connue. Chaque séance de composition fait ainsi constater des progrès très sensibles en épellation et en lecture.

Nul pédagogue n'a pu d'ailleurs, jusqu'à ce jour, nier qu'une activité scolaire ainsi comprise ne soit éminemment éducative.

On nous a seulement objecté : « Que vous donniez ainsi aux enfants le désir et le goût de le, lecture, cela est certain. Mais, n'ajoutez »vous pas, aux difficultés ordinaires de la lecture, l'écueil d'une lecture à l'envers des caractères d'imprimerie ? » Critique certainement fondée qui ne saurait cependant nous arrêter. Une difficulté est dangereuse à semer sous les pas des enfants quand ceux-ci ne peuvent pas la surmonter. Mais venez visiter nos petits écoliers au travail et vous verrez s'ils donnent l'impression de faire une besogne excédent leurs forces; voua verrez s'ils s'endorment comme devant vos manuels. S'il y a difficulté, tant mieux, dirais-je, puisque nos élèves sont heureux de faire effort pour réaliser le but qu'ils se sont assigné.

Cette difficulté est d'ailleurs très rapidement vaincue, sauf pour les lettres interchangeables b d, p q, é è, sur lesquelles on hésitera jusqu'à un âge assez avancé, malgré les procédés correctifs que nous avons imaginés. Mais l'expérience nous a montré que cette hésitation n'a aucune influence dangereuse sur l'apprentissage de la lecture. Tous les débutants et avec n’importe quelle méthodes ne confondent-ils pas longtemps ces lettres ? Cette confusion est corrigée chez nous, et dans une très large mesure, par l'entraînement à la vision globale, En pratique, l'élève qui hésite devant b, d, p. q, lues isolément, ne commet jamais semblable erreur dans la lecture des mots et des phrases.

***

Si, au bout de quelques semaines de cet exercice, un pédagogue soucieux de la « forme graduée » en tout enseignement, si un inspecteur, dérouté par un contrôle apparemment plus difficile, venaient nous dire :

- Où en sont vos débutants ? A quelle syllabe ?

Nous répondrions que nous n'en savons rien.

Demandez à la mère :

- Que sait dire votre enfant ? Où en est-il en langage ?

- Ma foi, vous répondra-t-elle, il y a des mots qu'il prononce convenablement, d'autres qu'il essaye d'articuler. Avec mon aide il en baragouine quelques autres. Mais il commence à se faire comprendre - du moins je le comprends et je suis satisfaite. Voyez comme il est heureux aussi de pouvoir parler tout au long du jour ! Il n'arrêterait pas... D’un mois à l’autre Il fait des progrès incroyables… Bientôt il parlera couramment...

Nous vous dirons de même avec cette assurance et cette confiante certitude :

- Nos élèves connaissent presque toutes les lettres de l'alphabet (que nous importe qu'ils ignorent encore les quelques lettres rarement employées). Les syllabes difficiles ? Ils commencent à savoir les lire : cela dépend de leur disposition dans les mots ? Il y en a un grand nombre qu'ils connaissent et lisent sans erreur ; d’autres que nous sommes obligés de leur lire en entier pour qu'ils les répètent... Et cela dépend encore des individus, car chacun marche à son pas.

Mais ils commencent à comprendre ce qui est écrit. En les aidant par ci par là, tous lisent nos textes. Nous sommes heureux d'écrire sous leur dictée de petites histoires intéressantes et de les leur faire lire, mais ils sont encore plus fiers que nous de lire leurs pensées. Et puis de jour en jour, imperceptiblement, sans que nous les forcions à cette tâche, ils liront couramment. Ils ont appris à écrire et à lire comme ils ont appris à parler. Ils ont monté lentement, graduellement, du langage à la lecture. Peut-être, avec d’autres méthodes accompagnées de coercition seraient-ils arrivés aussitôt à la lecture correcte ; mais cette acquisition aurait été faite certainement aux dépens de leur intelligence et de leur bon sens, aux dépens de leur vie.

D'ailleurs, pour une catégorie importante d'élèves intelligents - de ces élèves qui toujours brûlent les étapes - l’apprentissage de la lecture est ainsi considérablement plus rapide et peut-être réduit pratiquement à quelques semaines. La conception globale qui est à la base de notre méthode permet à tous les autres élèves de copier et de lire de très bonne heure des textes préparés pour les autres cours, ce qui facilite le travail dans les classes hétérogènes.

Par cette étude naturelle de la lecture, chaque élève, quelle que soit la date de son arrivée en classe, ou son retard à cause des absences ou des maladies, est entraîné immédiatement au travail commun dont il sent d'emblée tout l'intérêt. Cet avantage n'est pas négligeable dans nos classes rurales où les absences, pour diverses causes, désorganisent si profondément le travail scolaire.

Nous n'excluons pas systématiquement de notre classe tous les éléments d'intérêt que les méthodes actuelles, anciennes ou nouvelles, ont pu y introduire. Nous possédons de beaux livres d'images que les enfants pourront lire individuellement ou par groupes, ou avec l'aide de quelque camarade plus avancé. Et les syllabaires, lorsqu'ils sont suggestifs et de lecture agréable auront leur place aussi sur les rayons dé notre petite bibliothèque. Nous ne méconnaissons pas non plus les avantages scolaires de jeux divers imaginés par des pédagogues contemporains. Nous louerons davantage encore les occupations naturelles et considérablement éducatives que sont le jardinage, l'élevage, etc...

Mais l'école actuelle considérait ces occupations comme indispensables à l'acquisition de la lecture. Elle en faisait l'essentiel du travail scolaire. Nous rétablissons l'équilibre naturel en donnant le pas à là vie des enfants et à sa traduction manuscrite, puis imprimée, grâce à l'Imprimerie à l'Ecole. Nous sommes certains de redonner ainsi à tout notre enseignement élémentaire une nouvelle vigueur.

Notre technique au degré élémentaire,

moyen et supérieur

Notre technique, si elle a apporté d'immenses possibilités nouvelles d'adaptation et de vie dans les écoles maternelles et enfantines, n'a cependant pas eu à engager une lutte bien âpre pour justifier sa place et son objet. Le développement et l'introduction de la méthode Montessori, de la lecture globale de Decroly, l'abondance prédominante de matériel scolaire, l'absence de programmes rigides et surtout d'examens permettent l'entrée pour ainsi dire normale de notre technique à ce degré.

Il n'en est pas de même pour l'ensemble de l'école primaire, du Cours Elémentaire au Cours Supérieur. Il s'agit là de détrôner une technique multicentenaire, à laquelle préparent officiellement les écoles normales, qui encourage la routine et le moindre effort, fait vendre - et ce n'est pas là un des moindres appuis des millions de manuels scolaires aux maisons d'éditions spécialisées ; rend possible la discipline passive et autoritaire traditionnelle ; prépare enfin dogmatiquement aux divers examens encyclopédiques qui barrent les portes de notre enseignement.

Cette technique officielle est caractérisée par J'enseignement dogmatique, la discipline autoritaire et l'emploi des manuels scolaires pour l'acquisition des connaissances.

Notre rôle et notre but sont de lui substituer une technique nouvelle de travail basée sur l'expression libre par l'Imprimerie à l'Ecole et les échanges interscolaires et l'emploi des livres comme instruments d'étude, de documentation et de création dans le cadre de cette technique.

C'est la disparition des manuels scolaires actuellement existants, conçus, écrits, réalisés pour la technique traditionnelle que nous combattons et qui doivent être remplacés par des outils nouveaux dont nous allons montrer la réalisation.

Notre lutte contre les manuels scolaires va sembler à certains assez téméraire tellement les auteurs et les éditeurs contemporains se sont appliqués à rendre attrayante la lecture de leurs ouvrages. Adaptation du texte à l'intérêt de l'enfant et aux nécessités scolaires, illustration riche et suggestive, typographie se pliant à tous les caprices des auteurs... Il semble vraiment que le manuel soit en train de parvenir au dernier degré de richesse et de perfectionnement.'

En face de cet effort certes appréciable nous ne devons pas nous lasser de répéter que nous ne critiquons pas ici les livres en eux-mêmes, mais seulement l'emploi de manuels qu'en font les éducateurs.

Des expériences récentes poursuivies en Amérique, en Autriche et en Russie, et suivies avec un sympathique intérêt par le monde pédagogique, nous aideront à justifier, à ce degré, la suppression de tous manuels scolaires.

« En Autriche, nous dit R.Dottrens (L'Education nouvelle en Autriche. (Delachaux et Niesdé).), le livre de lecture tel que nous le connaissons a été abandonné. Il a été remplacé par des ouvrages très courts, au contenu varié, et qui sont utilisés un mois, deux mois, trois au maximum », Méthode bâtarde qui ne saurait être qu'un pis-aller. Conscients des dangers d'asservissement et de monotonie de l'emploi des manuels, les pédagogues autrichiens y ont paré dans une certaine mesure. Ils ont seulement amélioré la forme et les modalités de l'emploi des manuels ; ils n'ont pas attaqué le mal à sa racine comme nous le faisons aujourd'hui.

« Dans les pays Anglo-Saxons, écrit Mlle E. Rion (L’Education enfantine. (Libr. Nathan, Paris), les jeunes lecteurs reçoivent, après les syllabaires, de petits livres illustrés contenant des récits populaires... »

Mais ce n'est vraiment qu'à Winnetka (U.S.A.) que le grand éducateur Carleton Washburne a fait une vaste expérience montrant tout à la fois l'avantage de la suppression, des manuels scolaires et de l'individualisation de l’Enseignement.

« A Winnetka, la technique d'une classe de lecture est toute différente de celle qui sévit chez nous. Si vous entrez dans une classe des écoles publiques de Winnetka pendant la leçon de lecture, vous trouverez chaque enfant lisant un livre différent. Tous lisent comme dans la vie, silencieusement, excepté l'un d'entre eux qui, près du maître, lit à haute voix. Cet élève pourra ainsi recevoir du maître l'aide dont il a besoin personnellement, sans obliger les autres à entendre ses erreurs, et surtout, sans faire perdre un temps précieux au reste de la classe. Chaque élève peut, de cette façon, lire un livre parfaitement adapté à son propre stade de développement et à ses goûts personnels. Les exigences du programme de lecture requièrent, pour chaque degré, la lecture intelligente de 15 livrets par an et un résultat égal à la « norme » établie par les tests de Monroé...

« Au lieu de remettre aux 30 élèves un exemplaire du même livre, on organise donc une petite bibliothèque d'une trentaine de livres différents parmi lesquels une vingtaine de livres du degré correspondant et quelques volumes très simples traitant de géographie, d'histoire et de sciences naturelles » (R. Buysse : L'individualisation du traitement pédagogique, (Revue de Pédagogie).

Et le « Dalton Plan », d'autre part, n'est-il pas aussi une technique de travail sans manuels scolaires ?

En Russie, où un si gros effort a été fait pour la liaison de l’école à la vie, on a senti la nécessité de sortir le plus possible de cette technique étroite de l'emploi des manuels. « Le livre doit être léger, intéressant, accessible, afin d'inspirer aux enfants le désir de la lecture personnelle. Pour cela, il est nécessaire d’avoir, dans chaque classe, plusieurs livres de lecture différents » (Narodni Outchitel (U.R.S.S.) sept. 1927, article de 0.Plavinskïa.).

Seules les difficultés d’un enseignement forcément individualisé dans nos écoles publiques, et la nécessité d'enseigner le plus tôt possible la technique de la lecture, rendaient indispensable jusqu'à ce jour l'emploi des manuels scolaires.

Si nous donnons aujourd'hui une solution définitive et pratique à ce problème des manuels scolaires, nous avons voulu montrer cependant que notre méthode est la conclusion naturelle de l'évolution des idées modernes sur l'organisation du travail scolaire. La voie n'est ni nouvelle, ni originale ; mais l'outil dont nous avons révélé les immenses avantages scolaires contribuera certainement à l'évolution de la pédagogie prolétarienne.

***

BASES DE LA METHODE

« C'est dans la mesure où une idée est une projection de tendances instinctives qu'elle est, pour l'esprit une phénomène important, dynamique, intéressant » (J. Dewey. L'Ecole et l'Enfant, op. cit 4).

On a, jusqu'à ce jour, accordé une trop grande importance à la valeur propre des modèles proposés aux enfants. La perception de la pensée et de la forme littéraire ou scientifique ne sont que secondaires en éducation. L'indispensable c'est d'atteindre et de comprendre la pensée enfantine, de lui donner un motif d'épanouissement et d'élévation.

« Nous conduisons l’enfant, alors que c'est lui qui doit nous conduire », dit le Dr Decroly. Cela devrait être une banalité, et pourtant une semblable conception de l'éducation doit révolutionner les méthodes actuelles.

L'adaptation de l'Enseignement à la nature de l'enfant n'est-elle pas cependant un des grands soucis de l'Ecole actuelle ? Mais il s'agit là d'une adaptation superficielle et seulement scolaire. On considère dans nos classes l'enseignement adapté lorsque l'enfant parvient, bon gré, mal gré, à ingurgiter ce qu'on lui présente, lorsqu'on a trouvé apparemment la voie logique qui lie la pensée enfantine à la pensée adulte. Conception statique, autoritaire, morte d'une œuvre de vie. Adapter notre enseignement ne nous suffit plus - il nous faut toucher les tendances instinctives dont parle Dewey, conserver à l'enfant et stimuler en lui, toutes les énergies vitales, faire du travail scolaire un véritable enrichissement intellectuel et moral.

Comment y parviendrons-nous ?

Nous ne partirons pas systématiquement de la science ou des réalisations adultes pour descendre à l'enfant : nous prendrons le chemin inverse : considérant l'enfant tel qu'il est, avec ses intérêts et ses besoins particuliers, avec son raisonnement et sa logique spéciale, nous l'aiderons à se développer ; nous organiserons et nous préparerons le milieu et les moyens qui lui permettront de s'élever, avec notre aide, jusqu'à la science adulte.

La première condition est évidemment de trouver cette voie qui mène à l’âme enfantine, de découvrir la technique qui nous permettra d'établir la liaison nécessaire.

Peut-on y parvenir par l'emploi systématique, des manuels scolaires préparés par des adultes ? En littérature notamment, les meilleurs choix de lectures peuvent-ils prétendre toucher profondément l’enfant ? Certainement non ! Les récits apparemment les mieux adaptés ne réussissent qu'à produire un intérêt superficiel qui est plus un amusement, une distraction qu'une « projection d'activité ». Seules feraient exception les pages où des adultes ont su, avec « naïveté » raconter leur vie ou celle des enfants qui les entourent.

Mais qu'avons-nous besoin d'aller chercher si loin des éléments qui sont au fond de nous ? Demandons donc aux élèves de raconter leur vie avec naturel et simplicité. Lisons ces documents qui sont vraiment l'expression du moi personnel, dynamique, en constante évolution. Faisons plus : mettons en relations suivies les élèves de classes éloignées les unes des autres. Bref, organisons sur le plan du livre et du journal. une société d'enfants qui produira elle-même sa propre littérature, qui se perfectionnera non par l'imitation de modèles impressionnants, mais par le travail et la vie.

Nous entendons aussitôt des protestations. Ces pédagogues n'ont en l'enfant aucune confiance. Ils passent leur vie à le dresser comme s'il s'agissait d'un animal dont on ne comprend aucunement le sens des cris. Ces histoires « puériles » : un jeu si simple où les voyageurs sont des pierres, ce récit ému d'une joie d'enfant ; ce petit berger regardant avec étonnement ses moutons qu'on vient de tondre ; peut-on leur faire l'honneur de les considérer à l'école ? Fi donc ! Faisons lire à nos élèves des histoires sérieuses où évoluent de grandes personnes qui parlent un langage parfois inintelligible... Cela seul est digne de l'austère pédagogie !

Ecoutons pourtant ce que pense des productions enfantines un des plus grands animateurs de l'éducation italienne, G. Lombardo Radice ! « Encouragez les enfants à écrire librement sur ce qui les intéresse, sans autre préoccupation que de leur fournir l'occasion d'exprimer quelque chose qu'ils vivent, qu'ils sentent, qu'ils pensent ; vous obtiendrez non seulement des documents extraordinairement précieux pour l'âme enfantine, mais encore des oeuvres d'un art acquis, auxquelles les compositions préparées suivant les anciennes recettes ne peuvent servir que de repoussoir » (G.Lombardo Radice : Athena Fanciulla.).

Des rédactions ? Des lettres ? nous objecteront d'autres instituteurs. Quand nous on imposons à nos élèves de 13 ans, ils ne savent que nous fournir des textes d'une indigence ridicule. Peut-on baser une méthode sur un tel travail ?

L'expérience nous prouve chaque jour que les enfants à partir de 6 ans, dès qu'ils sentent le but de leurs productions, écrivent des rédactions et des lettres excessivement savoureuses. Du moins - et, ce n'est pas pour nous le moindre avantage - ces rédactions et ces lettres sont parfaitement comprises et senties par les enfants qui les reçoivent. Cette compréhension totale est certainement une des grandes joies et des grands avantages de la base enfantine de notre éducation. Si, comme le dit Tolstoï, « l'intérêt de l'enfant pour une forme d'instruction est le signe infaillible que cette forme lui convient et répond à un de ses secrets besoins », nous sommes en toute certitude sur la bonne voie.

***

En nous voyant accorder à l’expression enfantine une importance de tout premier plan en éducation, on a cru parfois que nous caressions le rêve chimérique de soustraire nos élèves à l'influence de toutes les manifestations intellectuelles, artistiques ou scientifiques de la civilisation actuelle. Cela n'a jamais été dans notre idée. De même que l'enfant a besoin, pour son éducation, de l'aide et des conseils du maître, il est nécessaire qu'il puise largement dans les récits de toutes sortes qui sont les monuments de l'expérience humaine.

L’intérêt, le besoin de création et d’expression constituent l’ossature véritable de notre pédagogie. Les livres n’en sont que des auxiliaires. Sur ce chemin de l’éducation naturelle tout est joie et vie. Inutile désormais de secouer l'enfant, ni de le contraindre à d'arides tâches scolaires. Son besoin d'activité, son désir de connaître, son appétit de travail suffisent à tout pourvu qu'on lui donne la possibilité de les satisfaire utilement.

Le jour où, matériellement, intellectuellement et moralement, l'enfant, libéré des entraves scolaires, pourra ainsi s'épanouir, alors, l'éducation soulèvera vraiment le monde.

Le travail scolaire

selon la nouvelle technique

En ce début d'année scolaire, nous reprenons notre matériel complet d’imprimerie - d'une valeur de 350 fr.

Nous avons changé notre police de caractères usés par une manipulation permanente de une ou deux années (coût : 75 fr). Nous avons notre provision de papier et couvertures (60 fr. environ). Nous complétons notre approvisionnement pour les divers articles accessoires (encre, composteurs, etc...). Une dépense globale de 130 à 150 fr. nous permettra donc de partir avec un matériel en parfait ordre de marche, sans dépense supplémentaire en cours d’année.

Nous nous procurons. également pour chacun de nos élèves deux reliures invisibles pour le classement des feuilles imprimées et des feuilles reçues régulièrement de l'école correspondante - qui constitueront en fin d’année deux beaux livres de vie (coût : deux fois 0 fr. 90 pour chaque élève).

Nous sommes à pied d’œuvre.

***

En juillet, nous avions rempli pour les services d'échanges coopératifs deux fiches de correspondances : nationales et internationales.

Conformément à notre demande, notre école a été incorporée dans une équipe de huit classes, de niveau à peu près identique à la nôtre, mais qui, par leur situation à la ville et à la campagne, et leur répartition dans les diverses régions de France nous offrent un merveilleux ensemble complémentaire de possibilités éducatives.

Une de ces classes, celle de Praz-sur-Arly (Haute-Savoie), nous a été désignée comme correspondante journalière. Nous en vivons la vie au jour le jour par l’échange régulier, deux ou trois fois par semaine, d'un stock d'imprimés. Nous savons pour l'instant qu'elle compte 30 élèves (garçons et filles) de la haute vallée de l'Arly et que nous devrons leur adresser un exemplaire de chacun de nos primés.

A nos sept autres correspondants mensuels de l'équipe s'ajoutent d'autres écoles avec lesquelles nous correspondons depuis plusieurs années et que nous ne saurions abandonner. Au total, 25 écoles. Nous ferons pour elles un tirage de 25 feuilles de chacun de nos textes. Ces feuilles supplémentaires seront reliées en fin de mois sous une couverture originale et légale pour constituer le journal scolaire de l'école de St-Paul : Les Remparts.

Notre tirage sera donc de : 30+25+32 pour notre école (Classe tous cours, de 7 à 13 ans (l classe de garçons, 1 classe de filles, 1 classe enfantine).) + 15 pour la vente au numéro dans le village où l'abonnement à ceux qui nous soutiennent, soit au total : 102, moyenne convenable pour notre classe.

Nous n'achetons aucun manuel scolaire. Nous donnons à chacun de nos élèves deux reliures pour Livres de vie, un pour Saint-Paul et l'autre pour Praz-sur-Arty. Pour l'instant, des livres ne sont que deux classeurs nus : le livre est vide, comme les murs d'ailleurs. Car nous procédons à l'inverse de l'ancienne école, laquelle accablait les enfants de nouveautés au début de l'aimée scolaire, au moment où la joie, l'appétit de travail, encore intacts, n'auraient nul besoin d'être stimulés. Nos livres de vie ne sont pour nous qu'une promesse de travail : tout au long de l'année, le facteur nous apportera la nouveauté et la joie.

Si, comme cela se produit trop souvent encore, la Mairie ne paie pas les fournitures scolaires, chaque élève apportera pour chacun de ses livres de vie, 4 fr., soit 8 fr. pour les deux. Nous aurons ainsi, pour cette modique dépense individuelle, un budget de 256 fr. qui nous permettra de payer nos dépenses d'imprimerie et de prévoir encore l'achat de livres et de documents pour notre Bibliothèque de Travail ou notre Fichier Scolaire.

Ainsi conçue, on le voit, l'Imprimerie à l'Ecole ne nécessite pas de dépenses supplémentaires, mais seulement un meilleur aménagement, plus productif, de ces dépenses. Dans la période de crise que nous traversons, ces considérations ne sont certes pas à dédaigner.

Nous répartissons les tâches, en liaison le plus possible avec l’organisation de notre Coopérative scolaire : surveillance de la casse d'imprimerie, du papier, de l'ordre dans le matériel, du classement des caractères, etc...

Nous affectons chaque élève au soin de la correspondance avec une école : l’un s’occupera de la correspondance régulière avec Praz-sur-Arly et veillera à l'expédition périodique des imprimés. Il aura un ou plusieurs suppléants. Les autres classes correspondantes auront chacune leur titulaire qui veillera à l'expédition des journaux scolaires en fin de mois et aura un droit de priorité pour la lecture des journaux reçus de « sa classe », répondra aux demandes qui lui seront faites, etc... Un suppléant pourra aussi être désigné, choisi de préférence parmi les élèves moins âgés.

Nous avons pour chacune de nos écoles correspondantes un petit classeur portant sur la couverture le nom et l'adresse du destinataire, le nom du titulaire et du suppléant. L'élève responsable dépose au jour le jour dans ce classeur les travaux imprimés ou les dessins qu'il expédiera à la fin du mois.

Nous préparons une liste de roulement pour la composition. Nous constituons une première liste de « maîtres imprimeurs » chargés de faire le tirage. Ces maîtres imprimeurs pourront s’adjoindre comme « apprentis » les élèves qui se seront montrés capables de faire un travail soigné et qui deviendront à leur tour maîtres imprimeurs - jusqu'à ce que chaque élève, alternativement, puisse assurer à, tour de rôle les diverses besognes d'imprimerie : encrage, présentation et réception des feuilles, tirage.

Certaines classes ont préféré constituer des équipes homogènes et permanentes d'imprimerie qui assurent toutes les besognes. L'une et l'autre de ces façons de procéder ont leurs avantages.

Dès les premiers jours nous imprimons à leurs adresses les enveloppes d'expédition pour l'année scolaire. Tout est en ordre. Notre travail normal ne sera plus dérangé désormais par aucune grave préoccupation accessoire. Ce qui ne signifie point que notre vie scolaire sera dépourvue d'imprévus fréquents et éducatifs.

***

Les éducateurs amoureux de la « forme » pourront, certes, s'ils le désirent adapter l’imprimerie à leurs méthodes de travail. Nous pensons, nous, que, au degré primaire surtout, notre activité doit tout entière être basée sur les besoins fonctionnels des enfants, que « l'école doit sortir de terre avec de la couleur locale et une sève de terroir qui la rende forte » (F.Dubois : Les Barrières), que la vie de l'enfant au milieu de l'intense vie sociale doit être le moteur essentiel et la motivation capitale de notre effort éducatif.

Nous plongeons d'une part dans le terrain ferme, actif et fécond de la vie et des intérêts enfantins pour nous élever puissamment jusqu'aux acquisitions prévues aux programmes auxquelles nous redonnons un sens créateur et éducatif.

On comprendra cette rénovation par l'exposé que nous allons faire de la vie d'une classe vivifiée par notre technique.

A la base de cette technique se trouve donc l'expression libre de l’enfant par le langage, la rédaction et le dessin - la matérialisation graphique de cette expression par l'imprimerie - et la divulgation, par nos journaux et nos échanges, de la pensée enfantine.

Au degré maternel, nous avons montré comment était le récit qui se transformait la plupart du temps en imprimé. Maintenant l'enfant commence à écrire : nous n'emploierons qu'accidentellement le texte né d'un récit oral pour tirer le maximum de profit des rédactions libres. Notre technique est cependant extraordinairement souple : l'essentiel est que le texte choisi et imprimé réponde au maximum aux préoccupations dominantes de la classe, quels que soient les moyens par lesquels on l'a obtenu.

***

Les enfants entrent en classe.

Pendant que s'accomplissent les diverses petites besognes matérielles communes à toutes les classes et que nous avons confiées aux responsables désignés par la Coopérative, les élèves qui ont composé la veille vont reclasser les caractères. Cette besogne qui s’exécute sans bruit et qui n'empêche pas ceux qui s'y emploient d'écouter attentivement, peut se continuer pendant le début du travail scolaire.

Nous faisons débuter notre classe par un quart d'heure à 20 minutes de lecture expressive.

Les élèves désignés par une liste de roulement ont préparé la veille au soir une lecture de leur choix : texte puisé dans un livre de la Bibliothèque de Travail ou la plupart du temps dans le journal scolaire reçu de l'école correspondante.

Pendant ce temps, les autres élèves sont autorisés à dessiner, soit sur leur cahier du jour, soit sur une feuille spéciale. Nous avons constaté en effet que le dessin libre n'empêche nullement l’enfant d'écouter la lecture du texte. Ah ! certes, si le lecteur est par trop malhabile, si son choix est manifestement défectueux, rien d'étonnant que les esprits se détachent de cette lecture pour se concentrer sur le dessin, expression psychique de l'individu. Mais si, au contraire, l'enfant sait intéresser, des têtes se lèvent brusquement, des yeux s'allument, des questions ou des appréciations jaillissent.

Au point de vue formel, cette technique si libérale semble bien insuffisante. Pratiquement, elle est la seule capable de permettre à toutes les énergies de se mobiliser dans le sens des nécessités dominantes : le petit lecteur s'applique à la lecture, et ce court exercice vaut plus que des heures de lecture passive ; les autres en font leur profit tout en commençant leur tâche journalière par cette expression idéale, le dessin, qui avec le chant est la plus naturelle et la plus complète des libérations psychiques.

Les programmes et les horaires recommandent, au début de la classe, une leçon de morale.

Il nous est impossible de moraliser à l'ancienne mode du moment que nous sommes d'une part persuadés de l'inutilité de nos prêches, et que nous voulons d'autre part redonner à l'enfant la suprématie active dans la classe.

La morale est plus une résultante qu’un moyen : elle est la résultante de l'activité sociale et scolaire, de l'organisation du travail commun, de la vie coopérative, En donnant le premier plan à ces préoccupations diverses nous donnons les meilleures de s leçons de morale.

Dirons-nous aussi à quel point la libération psychique née de l'expression libre est moralisatrice ; comment, par l'activité scolaire, nous réduisons presque tous les défauts que masquait seulement la morale traditionnelle, et à quel point la disparition de toute tyrannie autoritaire peut améliorer les rapports entre individus ? La place nous manque pour insister sur ces faits pourtant essentiels que ne veulent d'ailleurs pas reconnaître les adultes déformés par la scolastique et pour lesquels il ne saurait y avoir de progrès sans moralisation.

Nous moralisons donc à notre façon.

a) Il arrive assez souvent que des conversations et discussions qui accompagnent l'entrée en classe, de la lecture des journaux scolaires, des lettres reçues des correspondants résulte une sorte d'enseignement moral. Sans insister autrement nous le formulons en une ou deux phrases de morale positive et suggestive.

On a parlé d'un acte de brutalité envers un animal, nous écrivons au tableau :

« Je suis bon et gentil avec les animaux. »

b) Si rien de saillant ne ressort, nous écrivons simplement une formule suggestive préparée d'avance, la même pendant une semaine :

« Mon banc et ma classe sont très propres. »

« Je rends service à mes voisins. »

« Je dis toujours la vérité.3

Ce sont là des formules, de suggestion rédigées selon les indications de Coué. L'essentiel est de les formuler positivement, énergétiquement, en s'abstenant de toute négation inhibitrice, pour marcher de l'avant.

La formule, écrite au tableau, est répétée par tous les élèves. C'est cette répétition qui produit son effet moralisateur. Elle est, en même temps, copiée sur le cahier pendant que je jette un coup d’œil sur les diverses tâches.

Il est 8 h. 20 environ. Nous passons à la préparation du texte journalier.

Ce texte peut être obtenu de différentes manières, selon la classe, le milieu, le niveau des élèves, pourvu qu'il soit toujours l'expression des enfants eux-mêmes, à l'exclusion de toute composition méthodique imposée par des adultes.

1° Rédaction collective en classe :

« Presque tous les élèves, dit notre ami René Daniel (R. Daniel : Choix des Centres d'intérêt et rédaction des textes destinés à « l’Imprimerie à l’Ecole ». Bulletin de l’Imprimerie à l’Ecole, N°11, février 1928.) arrivent en classe avec une gerbe « d’observationse » : « M’sieu, on tire des pierres... le Docteur est à Trévignon... On a téléphoné, etc... »

Les enfants vous lancent sur plusieurs pistes. En tenant compte de la fréquence de certaines d'entre elles pour éviter de trop les répéter, vous en choisissez vite une et vous vous y engagez résolument ; bien rare si toute la meute ne vous suit pas et ne participe activement à la poursuite. Tous aboient : « Moi aussi j'ai... j'avais vu... j'avais été... - non... - si, si... – j’ai entendu... »

Avec un crayon ou un bâton de craie, ces exclamations qui fusent de toutes parts sont recueillies, classées. Quelques instants, après les enfants étonnés s’écrient : « On a fait une lecture... Aujourd'hui, on n'a pas été longtemps à faire une lecture ! » Et chacun de répéter, en lisant, les morceaux de phrases jaillis d’eux-mêmes à leur arrivée en classe.

- Qui a fait cette lecture ? demandent les uns.

- Tout le monde ! répondent d'autres !

Et des textes comme celui-ci sont, pour les auteurs comme pour leurs correspondants, d'un intérêt certain :

QUI A VU LE RENARD ?

« J'ai vu un renard ; il était tout noir. - Moi aussi : il a des yeux bleus. - Il a une longue queue, un museau pointu, des oreilles dressées. Je voyais ses dents. Il s'est sauvé dans son trou. Niellac dit que c'est un conte. - Non, non, dit François, je l'ai vu, je me suis caché derrière un talus. Nous avons peur ; nous faisons un grand détour pour venir à l’école. »

R.Daniel a bien raison de dire : « Notre programme, c'est « la vie » et nous y sommes en plein. Le vent qui hurle à nos portes, la rue qui gronde ou resplendit, les champs, la route que nous arpentons chaque jour, les animaux, nos parents, nos travaux et nos jeux... ça n'est pas dans les « programmes » ?

« Dans notre C.E., nous disons largement des exclamations. Elles mettent de la joie dans la lecture des textes imprimés. Elles provoquent une lecture mimique parfois très expressive. « Aïa ! Aïa ! » nous croyons encore entendre le vacher.

Chaque fois que cela est possible, nous présentons le texte sous la forme d'un dialogue ; quand une discussion met aux prises des élèves, nous notons rapidement les interventions des uns et des autres et la lecture est rédigée. Nous essayons de reconstituer les scènes : gestes, paroles, Nous parvenons à les revivre pleinement.

LA TAUPE

« Arsène, une taupe, une taupe ! » J'ai sauté sur la taupe ; je l'ai attrapée avec les mains. Arsène essayait de la tuer avec une pierre pointue. Elle criait : « cui, cui ! »  Son museau saignait. Elle était encore vivante. Elle m'a mordu deux fois. Je disais : « Je n'ai pas besoin de pièges pour prendre les taupes. Elle était chaude. Je l'ai vendue 1 franc. »

***

Mais tout cela entraîne beaucoup de bruit... et nous amène du désordre... « L'instituteur, dit Tolstoï, n'aime pas le bruit quand on parle, le mouvement, la gaîté des enfants, tout ce dont ils ont besoin pour s'instruire vraiment ; et dans les écoles qu'on bâtit comme des prisons, les questions sont interdites, et les conversations et les mouvements. »

C'est bien là le principal effort que nous demanderons aux éducateurs . Ce travail de collaboration constante avec les élèves supposé une conception nouvelle des rapports scolaires. L'emploi des manuels qui ne nécessite aucun vivant effort de création peut s'accommoder d'un autoritarisme désuet qui va de pair avec la passivité et l'indifférence. Mais, si nous voulons mettre au jour les pensées enfantines, si nous voulons exprimer dans toute sa fraîcheur et sa spontanéité la vie même de l'enfant, il est indispensable que nous participions à cette vie, que nous nous soumettions aussi aux règles de la société enfantine, que nous vivions, parlions, travaillions avec nos élèves, que nous sachions rire avec eux, nous étonner comme eux, nous mettre à leur mesure - condition indispensable, d'ailleurs, pour qu'il y ait entre l'instituteur et ses élèves la compréhension totale qui, seule, permet, une véritable éducation.

Lorsque l'ambiance est créée, les éléments abondent. Il nous suffit alors de traduire en bon français les phrases des élèves en respectant le plus possible la syntaxe. Qu'importe si le même mot est répété plusieurs fois ! Ecrivons d'abord si cette répétition est nécessaire à la parfaite intelligence du texte nous la conserverons. Sinon, nous montrerons l'emploi des pronoms et des tournures plus expressives. Parfois même, prudemment, nous introduirons dans le texte quelque expression, quelque mot nouveaux, à condition que l'enfant comprenne l'utilité de cette modification.

La vie enfantine est tellement riche que nos textes ne souffrent jamais d'indigence. Le problème n'est jamais, pour nous, « comment remplir cette page ? » mais bien : « comment dire en 12 ou 15 lignes, comment exprimer avec le matériel dont nous disposons, l'essentiel des idées nombreuses qui nous assaillent ? » Et alors s'impose à nous la nécessité de choisir. Nous avons dit déjà quels seront, pour ce choix, nos critériums. Mais tout ce travail nécessite une nouvelle attitude de l'éducateur, sur laquelle nous devons insister : Nous ne sommes plus les demi-dieux infaillibles qui se croiraient déshonorés s’ils montraient à leurs élèves leurs faiblesses ou leurs erreurs. Dans cette collaboration loyale, nous devons marcher, sans nul souci d'amour propre, vers la perfection éducative. Et nos tâtonnements eux-mêmes y contribueront.

***

Si notre méthode d'enseignement répond presque toujours parfaitement à l'esprit des Instructions ministérielles relatives au Nouveau Plan d'Etudes (20 juin 1923), nous nous séparons totalement de ses conceptions pour ce qui concerne la rédaction libre.

« La véritable rédaction, disent ces Instructions, n’apparaîtra qu'au cours supérieur, c'est-à-dire vers 12 ans... A 10 ans l'enfant se bornera à la construction d'un paragraphe... Il ne saurait être question de faire composer, à des enfants de 7 ans, de véritables rédactions ».

La voilà bien, la manie pédagogique qui, sous prétexte de « graduer » les difficultés, veut imposer silence à l'enfant ! Ces pédagogues agissent comme la maman qui interdirait à son enfant de gazouiller tout au long du jour et lui prescrirait, à heure fixe, la prononciation de quelques phrases préparées d'avance, à l’exclusion de toute manifestation personnelle. « Si nous n'avons pas encore obtenu, dans l'enseignement du français, tous les résultats que nous souhaitons, c'est peut-être parce que, trop ambitieux, nous avons eu le tort de faire commencer trop tôt les exercices de rédaction » (Instructions Ministérielles relatives au Nouveau plan d'Etudes (20 juin 1923). journal Officiel français.). Ne serait-ce pas au contraire pour la raison inverse ? Ce que les rédacteurs des I.M. disent des élèves du Cours supérieur ne serait-il donc plus vrai pour

les petits débutants ?

« Fournir aux enfants des idées et des expressions toutes faites, c'est refouler leurs pensées personnelles, dont nous avons le devoir de favoriser l'éclosion c'est stériliser leur esprit que nous avons le devoir de féconder.

D'une manière générale, toute méthode est mauvaise si elle n’inspire pas à l'enfant le désir de traduire ses impressions et de chercher, pour cette traduction, l'expression adéquate. Toute méthode est bonne si elle lui inspire ce double désir. Elle est parfaite si ce désir croît chez l'écolier jusqu'à la passion ou l’enthousiasme » (J.Dewey : Comment nous pensons (Traduction Decroly). - Flammarion, 1925.).

Pour parvenir à ce résultat, pour conserver à l’enfant « l'étincelle sacrée de l’étonnement, attiser la flamme qui brûle déjà, et cultiver l’esprit de curiosité », pour suivre aussi la méthode naturelle qui réussit si merveilleusement aux mères, nous commençons la rédaction dès le plus jeune âge, avant même que l'entant sache écrire.

Les textes obtenus des enfants de 5, 6 ans selon la méthode que nous avons décrite au chapitre précédent ne sont-ils pas déjà, en effet, des « rédactions orales » ? Et ne pourrions-nous pas appeler rédactions aussi ces dessins libres par lesquels nos mêmes élèves expriment d'une façon inattendue, leur moi conscient ou subconscient ?

L'étape qui mène à l’expression écrite est bien vite franchie. Un soir, un enfant de six ans, qui commence à peine à écrire, part en disant : « Monsieur, ce soir je fais une rédaction ».

Et, effectivement, le soir même, cédant à son besoin de s'exprimer par la plume, il nous écrit son rêve : « je rvé ce jété allé moji, jéte suun batou, la bato a haviré, jé crié osecou ilé ve nu bocou de mode ».

Il orthographie à sa façon, certes, mais la traduction nous en sera facile :

« J'ai rêvé que j'étais allé à Mougins. J'étais sur un bateau. La bateau a chaviré.. J'ai crié, au secours. Il est venu beaucoup de monde ».

L'écriture d'un enfant non encore initié aux conventions grammaticales n'est cependant pas anarchique ; elle obéit à des lois qu'il nous sera facile de découvrir et qui permettront aux instituteurs de lire sans effort les rédaction des débutants. Le jour où l’enfant a pu se faire comprendre par la plume, il sent lui même qu'une période décisive est révolue : il possède maintenant l’expression écrite, et il est fier de cet enrichissement.

« L'enfant, nous disent encore les Instructions Ministérielles, ne peut rédiger que lorsqu'il possède non seulement une assez riche collection d'idées, mais une assez riche collection d'expressions »

Une riche collection d'idées ! Il suffit de regarder vivre les enfants pour se convaincre de leur fertile originalité.

Leur collection d'expression n’est certes pas encore bien fournie ; elle leur permet cependant de se faire comprendre parfaitement par leur entourage. Et cet acquis va s'enrichissant chaque jour.

Objectera-t-on que l'enfant qui ne possède encore que quelques éléments d'écriture est obligé de vaincre trop de difficultés pour s'exprimer. Cela serait vrai si, comme le fait l'ancienne école, nous accordions une importance exagérée à la forme au détriment du fond et si nous exigions une demi-perfection orthographique, L'essentiel n’est-il pas que l'enfant vive et s'exprime ? Le voit-on souvent se rebuter devant les difficultés du langage et se taire plutôt que de poursuivre son intrépide bavardage ? Il a besoin de s'expliquer, de prolonger, d'élargir son moi par les gestes et la parole ; si le langage adulte est trop difficile, il s'en créera un spécial à sa mesure, il construira, au besoin des mots nouveaux, d’une logique grammaticale étonnante, mais il s’exprimera. A nous, parents et éducateurs, de nous ingénier à le comprendre pour l'aider dans son élévation.

Si nous savons donner à l’enfant le même désir puissant de s'exprimer par la plume ou le crayon, il écrira avec une égale facilité. A nous maintenant de faire effort pour lire son orthographe spéciale, en demandant au besoin des précisions sur les mots que nous ne pouvons... deviner. Si, bien ou mal, nous sommes parvenus à lire cette rédaction, si l'enfant a senti que, par l’écriture, il pouvait désormais transmettre ses pensées, alors le miracle est accompli : la seule chose qui importe a été réalisée : l’enfant s’est fait comprendre ; il peut, dès lors, écrire des rédactions tous les jours. Il ira en se perfectionnant comme il perfectionne et enrichit chaque jour son langage.

Populo raconte (Revue de l'Enseignement primaire, 38e année, N°29) comment son fils, invité à écrire à son grand-père, prit cette demande au sérieux et traça ces mots qu'il était à peine capable de lire :

« Chr gran pèr, je tm de tout mon qr. »

« Ma petite fille m’écrit, elle m'écrit tout seule et personne ne l'aide. J'ai donc reçu d'elle une lettre dont j'extrais ce qui suit : « Nonnoncle et tantante on coucher sé nous pacheque il était fatiguer, il est maigre. Ici nous somme tout en rumer et surtou Nonon. Maman aussi boquout et Ganga aussi, j'ai perdu une dan et Gaby trois dans. Mon cher Grand père, je tan brache de tout mon coeur. Gisèle. »

Certes, il y a des fautes. C'est délicieux. Gisèle n'a que six ans, Quand nous la marierons, elle sera en paix avec la grammaire. En attendant, elle m'apprend que nononcle est « fatiguer », Qu'on est « enrumer » à la maison, qu'une de ses « dans » de lait est tombée, que son frère Gaby en a perdu trois. Dame, il a un an de plus. C'est presque un savant.

Ce que j'ai voulu, par ces deux histoires, c’est vous montrer que mes enfants et mes petits enfants ne sont pas arrêtés dans leurs essais... littéraires par des hésitations orthographiques. Ils écrivent comme ils parlent. Ils font des fautes en parlant ; ils font des fautes en écrivant. Les grands-pères sont toujours contents.

A l’école, ô mes amis, c’est une autre affaire : « je ne sais pas, moi ! » Et ils ne savent pas en effet. S'ils s’avisaient d'écrire : « nonnoncle, tantante, dan, boquout fatiguer », le maître ou la maîtresse en ferait une maladie. Il se croirait perdu, déshonoré. Aussi, pendant que l'enfant écrit, il se penche sur lui, et, angoissé, il s'arrache les cheveux alors que les « dan » tombent. Les observations se succèdent ; « dans » prend un te, et, comme ce mot est au pluriel, il prend un s à la fin. Les reproches s’ajoutent aux observations et n’ajoutent rien à la clarté. L'enfant pleurnichant dit : « Comment que ça s’écrit ? » Il est prêt à mettre ce qu'il vous plaira. Pauvre petit ! Voulez-vous un s ? En voulez-vous deux ? Surtout ne vous mettez point en colère. Car l'écolier, en présence de l’obstination d'un mot si capricieusement difficile à accommoder, lâchera la plume en disant : « Je ne sais pas, moi. »

Donner confiance à l'enfant, pour qu'il s'exprime : surtout, obtenir à l’école qu'il parle et qu'il écrive n'est-ce pas la plus essentielle des victoires pédagogiques ? Ne répétons-nous pas volontiers que « c'est en forgeant qu'on devient forgeron » ? Non, l'enfant n’est embarrasse par son écriture que s'il sait que vous accordez une plus grande importance à la forme qu'à l'expression ; tout comme il est intimidé , pour parler devant des messieurs qui exigent de lui un langage impeccable. Mais s'il est libre d'écrire comme il parle, il n'est nullement arrêté par des difficultés orthographiques, et, après une rédaction de trois lignes il vous apportera aussi bien un récit d'une page si le sujet qu'il a choisi librement l’a enthousiasmé.

Dans une classe entraînée à ce genre de travail, les rédactions individuelles abondent. Nous ne donnons aucun « devoir » le soir. Mais, spontanément, nos élèves nous racontent leur vie. Les uns nous écrivent deux, même trois rédactions ; d'autres n'écrivent rien, et il ne donnent jamais comme raison qu'ils n'ont pas su. S’ils n'ont pas fait de rédaction c'est tout simplement qu'ils n’en ont pas senti le besoin pressant. Mais ils écriront plus longuement une autre fois. Toujours est-il que, au cours de l'année, on nous a apporté un nombre impressionnant de rédactions : 15 à 20 par semaine. Même un soir de fête locale, contre toute attente, il s'est trouvé plusieurs élèves qui, leur joyeuse journée terminée, ont écrit une rédaction. Et Lucien tout en mangeant des cerises, s'écrie tout à coup : « Ah tiens ! Je vais faire une rédaction sur ça ! »

Et n'est-elle pas touchante cette pensée de petite fille que nous raconte un imprimé de l'école de Daoulas (Finistère) :

LA PETITE MAITRESSE

« Liliane est malade. Elle nous a fait porter une histoire pour qu'on l’imprime. La voici :

« Aujourd'hui, je m’ennuyais, Denise était partie, elle avait laissé son sac dans ma chambre : Nini me dit : Jouons école ! -Ah, oui ! C'était à moi le sac pour jouer. Nini est allée chercher son livre et son ardoise, elle a écrit sur un papier : i, a, o, e, é, è. Elle il me dit : Tout à l’heure tu vas faire ça, n'est-ce-pas ? »

Lillane.

« Nini a cinq ans. Elle vient à l'école depuis Pâques seulement. Elle ne sait pas lire. Quand même c'est elle qui fait la petite maîtresse. Nous avons bien ri. »

***

C'est entendu, nous dira-t-on : vous avez donné à l'enfant le désir de s'exprimer en motivant son effort. Mais en faisant ainsi passer au second plan l'exactitude orthographique et syntaxique, êtes-vous sûr que les élèves feront suffisamment de progrès et qu'ils ne se complairont pas paresseusement dans leurs habitudes rudimentaires ?

Mais voit-on des enfants normaux s'obstiner à ne pas améliorer leur langage embryonnaire des premières années ? L'enfant écoute parler, il lit, et, naturellement, il s'efforcera à parler, à lire et à écrire comme ses modèles, surtout s'il est amené à se rendre compte que la perfection grammaticale et orthographique est indispensable pour se faire comprendre totalement.

Seules nos méthodes scolaires ont engendré la paresse des élèves. Dans des conditions normales, l'enfant sain suit au contraire et sans cesse la voie de l'effort physique et intellectuel pour un plus grand enrichissement.

***

Avec des élèves plus âgés, d'un C.M. ou supérieur, les rédactions peuvent déjà prendre une tournure moins subjective et plus documentaire. Cette évolution pourrait être plus nettement marquée dans une classe homogène de ce degré. Dans notre classe à plusieurs cours nous avons toujours préféré le texte subjectif qui crée dans la classe une atmosphère de vie commune et de collaboration.

A cet effet, la classe reste un tout, une sorte d'unité affective pour ce qui concerne la rédaction et le choix des textes. Au début de l'année seulement nous faisons rédiger une texte séparé aux élèves débutants, texte qu'ils composent avec une casse spéciale et qui est ensuite tiré séparément ou "joint à l'imprimé des grands.

Mais nous faisons texte unique pour le C. E. et le C. M.

On pourrait croire qu'en procédant ainsi, les grands seuls rédigeront, les jeunes se contentant de suivre. L'expérience a montré au contraire que le texte est rarement choisi pour sa valeur littéraire, mais presque toujours pour son contenu vivant. Et ce contenu vivant, cette capacité de sentir intimement le pouls de la classe ou du village, les plus jeunes enfants la possèdent au moins autant, sinon plus que leurs aînés souvent déformés déjà par la scolastique.

Puérilité pour nos grands élèves ?

L'expérience encore a montré que non et que ceux-ci se passionnent tout autant par des textes d'enfants de 9 ans que pour les leurs propres. Cela serait, oui, si tout notre travail était concrétisé par ce texte. Mais celui-ci n'est que le ferment affectif, que l'élément vital qui va nous permettre d'animer toute notre classe.

Nous ne disons pas qu'il ne puisse pas y avoir d'avantage à une autre conception du travail scolaire. Nous préférons, nous, garder à la classe cette unité psychique qui nous aidera à centrer harmonieusement notre effort.

Nous verrons comment, grâce à la polycopie ou à la machine à écrire notamment, un C.M. ou un C.S. peuvent compléter et mettre à leur mesure technique ces textes enfantins.

***

Si un événement exceptionnel invite à la rédaction collective d'un texte, on se met à la besogne. Cela arrive assez. fréquemment avec de jeunes enfants, plus rarement dans nos classes de niveau plus élevé.

Nous sommes habituellement en présence d'un nombre variable de rédactions libres ou de rédactions de groupes obtenues comme nous l'indiquerons plus loin.

Chaque auteur vient donc, en tête de la classe, lire sa rédaction. C'est là un exercice d’une portée pédagogique insoupçonnée. C'est plus que le meilleur des exercices : c'est l'aboutissement des efforts de l'enfant pour extérioriser sa

personnalité et élargir son champ d'action. Inutile de dire : Applique-toi à la lecture, lis couramment, donne une bonne intonation. Le jeune auteur se rend très vite compte de ces nécessités pour la mise en valeur de son oeuvre. S'il ne lit pas couramment, il apprend parfois son texte par cœur ; il en accompagne la lecture de gestes expressifs. Il rougit comme sous l'effet d'un effort sans précédent.

S'il sent une réaction prometteuse de son auditoire, il s'en retourne fièrement à sa place, plein d'espoir.

Nous inscrivons au tableau le titre. de chaque rédaction, puis nous passons au vote (il arrive parfois que le nombre de rédactions est tellement grand qu'on doit ajourner au lendemain la lecture d'une partie d'entre elles).

Le vote se fait à main levée, à la majorité absolue de tous les élèves au premier tour, à la majorité relative au second tour.

Et qu'on ne croie pas qu'il s'agit là d'une simple singerie diplomatique. Si nous procédons ainsi, c'est que nous avons reconnu à l'usage que cette façon de procéder est seule capable de déceler avec sûreté le véritable centre d'intérêt de la journée.

L'instituteur pourrait certes, comme l'ont tenté quelques camarades, ramasser les copies qu'il lirait le soir à tête reposée pour apporter le lendemain, et l'offrir à ses élèves, le texte qui lui paraît le meilleur. il s'étonnerait peut-être au début en constatant que bien souvent, ce texte n'éveillerait pas plus d'intérêt que les habituelles pages de manuels.

L'instituteur devrait-il alors décider sur le champ pour l'imposer à la classe, le texte qui lui paraît répondre le mieux à, l'ensemble de nécessités scolaires et pédagogiques du jour ? L'expérience nous prouve encore, avec certitude, que cinq fois sur dix le choix de l'instituteur ne satisferait pas les enfants.

Nous avons naturellement le droit de vote. Or, il arrive fréquemment que nos favoris mordent la poussière. Et cela ne saurait nous étonner. Malgré la révolution pédagogique que nous avons accomplie, nous ne voyons pas encore la vie avec les yeux d’enfants, nous ne vibrons pas au même rythme que nos élèves et nous risquerions encore de nous tromper bien souvent sur leurs besoins.

Il n'y a qu'un moyen infaillible pour éviter cette erreur capitale qui nous ferait passer à côté de l'intérêt fonctionnel : s’en remettre totalement aux enfants pour le choix du texte. Cela nous est parfois pénible : tel sujet cadrerait si bien avec nos propres préoccupations, il susciterait tant de possibilités documentaires alors que nous semble si insignifiant le choix obstiné de nos élèves. Qu'y faire pourtant ? Contrecarrer les besoins intimes des enfants et susciter à nouveau toutes, ces attitudes inhibitrices d'activité et de vie, ou suivre hardiment le courant impétueux.'

Notre choix est fait ; nous ne l'avons jamais regretté.

Mais ce vote, dira-t-on. encore, tout comme tant de votes démocratiques, n’est pas totalement libre. Des considérations étrangères à la valeur du texte entrent en jeu ;... on votera parfois plus pour l'auteur que pour son travail,...

Préoccupation bien digne d'adultes déformés par ce souci exclusif de fausse camaraderie. Chez les enfants, à de rares exceptions près, c'est la vie qui domine. Un texte est presque toujours demandé, quelle que soit la personnalité de son auteur, s'il exprime vraiment un « moment » de la collectivité. Par contre, lorsque l'intérêt est moins rigoureusement impératif, la camaraderie peut jouer dans une large mesure. Et c'est fort bien. Qu'un mauvais camarade se voie refuser un texte pour la rédaction duquel il s'était tant donné, lui sera une des meilleures leçons que dispense la vie.

Ce que nous pouvons dire toutefois, c'est que, dans la pratique, le choix qui résulte de ce vote répond dans l'ensemble aux besoins des enfants, bien mieux en tous cas qu'un choix opéré par l'éducateur lui-même.

La foule, dira-t-on encore, est souvent illogique. Les meilleurs élèves emporteront toujours les suffrages; les autres, découragés, suivront passivement.

C'est ainsi, en effet, que les faits se passeraient avec des adultes déformés par la charme de la littérature. Les enfants eux, vont plus directement à l'idée. Et notre pratique montre encore surabondamment qu'un texte est choisi bien plus pour son contenu actif, vivant et humain, que pour 1es formes d'expression et d'extériorisation. C'est pourquoi d'ailleurs des élèves « forts en rédaction » selon les critères de l'ancienne école, se voient si souvent préférer un jeune ignorant, salis aucune technique scolastique d'aucune sorte mais qui, tout comme les bardes illettrés de nos villages d'autrefois, sent les besoins obscurs de la masse et apparaît, comme le porte-parole instinctif de la communauté.

Et s'il y en a qui ne présentent jamais de rédaction ?

La motivation née de l'imprimerie et des échanges interscolaires est pratiquement si puissante qu'aucun enfant normal n'y résiste. Ah ! certes, tous n'ont pas la même, loquacité : de même que les uns parlent beaucoup et sans raison parfois, d'autres sont concentrés et mesurés. Il en est de même pour la rédaction : les uns éprouvent le besoin d'écrire un texte par jour ou même plusieurs ; d’autres au contraire mûrissent longtemps leur pensée avant de la confier au papier. Mais il serait erroné de croire qu'obliger ceux-ci à des rédactions périodiques améliorerait leur nature et modifierait leurs aptitudes. On ne parviendrait qu'à les refouler davantage encore et à leur donner un peu plus cette répulsion instinctive pour la rédaction.

Nous respectons, au contraire, ce rythme particulier, Mais un beau jour, sous l’effet d'un besoin puissant, l'enfant apportera une rédaction qui sera la plus personnelle et la plus intime des extériorisations. L'effort que nécessitera la lecture, de l’œuvre, l'émotion qui accompagne le vote, le triomphe, la joie de voir son oeuvre précieuse imprimée et divulguée, tous ces éléments, ne se rencontreraient-ils que deux fois par an, ont plus d'importance et de portée éducative que les rédactions que vous auriez pu imposer deux fois par semaine.

Le fait essentiel est là et la pratique de cette technique dans plusieurs centaines de classes en prouve la supériorité, incontestable : par ces procédés nous mettons à jour avec sûreté le texte qui répond le mieux aux besoins fonctionnels et aux désirs psychiques de la majorité de la classe.

Cette pratique n'est cependant pas obligatoire. Il y a celle de notre ami Roger (Nord) qui laisse les enfants entièrement libres de rédiger, de composer et d’imprimer lorsque bon leur semble, individuellement ou par groupes - technique presque idéale qui, malheureusement, s’accommode mal à notre avis, des nécessités pédagogiques dans notre école actuelle.

Il y a les partisans du travail par groupes selon la méthode Cousinet, qui conçoivent, rédigent et impriment par groupes et ne soumettent les textes à leurs camarades que lorsqu'ils ont acquis leur forme définitive.

Nous préférons, quant à nous, une technique moins idéale souvent, mais qui vivifie et anime toute la classe et contribue à la puissante harmonisation de notre activité.

***

Le texte est donc choisi. Cette besogne nous a demandé de 10 à 20 minutes salon l'abondance des travaux. Il s'agit maintenant de donner au texte choisi sa forme parfaite et définitive.

Si nous avions affaire à des enfants parlant un français déjà très pur, nous pourrions être souvent en face de textes à peu près parfaits. Dans la pratique, dans les campagnes surtout, notre besogne est compliquée par les patois, les dialectes de travailleurs étrangers qui se mêlent étrangement aux premières notions de français.

Il en résulte dont que les textes choisis nécessitent presque toujours une mise au point syntaxique et orthographique.

Si l'auteur est un élève du cours moyen il ira lui-même copier son texte au tableau, sous la surveillance et la collaboration active de tous les enfants, (excellent exercice pour l’intéressé). Avec des enfants plus jeunes, l'instituteur peut se charger de cette besogne.

Il ne s'agit d'ailleurs là, nous l'avons dit, que d'une mise au point syntaxique et orthographique, sans modifier en rien le contenu et le sens du texte. Quelques précisions peuvent être certes apportées par ci par là par l'ensemble de la classe, avec l'assentiment de l'auteur. L'essentiel c'est que nous restions en présence d'une oeuvre d'enfant exprimant dans toute son originalité la pensée enfantine.

Cette mise au point est, on le conçoit, d'un grand intérêt pédagogique : elle montre aux enfants les phases diverses de la construction grammaticale et littéraire, elle fait vivre devant eux les mots et les phrases, les rend sensible à l'harmonie constructive du tout et les familiarise avec les diverses notions syntaxiques dont l'école ne donne la plupart du temps qu'une idée superficielle et formelle.

Le texte est maintenant prêt.

Nous désignons, par notre liste, les élèves compositeurs. Nous donnons à chacun son travail précis, une ligne, deux lignes, un paragraphe.

Ils vont à leur besogne et la classe continue son travail.

***

C'est. ici que l'affaire bifurque et se complique.

Nous avons trouvé le centre d'intérêt susceptible d'intéresser au maximum notre classe, centre d'intérêt qui n'est d'ailleurs pas rigide et exclusif, d'autres intérêts secondaires révélés au cours de la discussion pouvant s'y greffer utilement aux divers degrés.

Les avantages de notre technique ne sont alors qu'amorcés. Si, en effet, nous nous contentions maintenant de composer et d'imprimer ce texte d'une part pour continuer d'autre part, dans sa forme scolastique traditionnelle, notre travail ; si nous reprenions les manuels pour la grammaire, le calcul, la géographie, les sciences, nous n'aurions fait que produire dans notre classe une lueur de vie trop tôt éclipsée, nous aurions suscité des espoirs qui, en définitive ne rendraient que plus difficile l'accoutumance aux pratiques dogmatiques imposées ; nous aurions toujours d'une part cette activité fonctionnelle à laquelle on se donne corps et âme et dont les possibilités seraient infinies, et d'autre part la scolastique rebutante et morte, inhibitrice des énergies vitales - contradiction qui ne peut être que provisoire, et qui doit nécessairement se terminer par le triomphe de l'une ou l'autre technique, par la victoire ou la défaite de l'activité et de la vie.

Et c'est là le nœud essentiel de notre technique. Comment allons-nous, pratiquement, exploiter pédagogiquement cet intérêt vital ainsi suscité pour que les avantages incontestables de notre activité créatrice puissent vivifier les diverses disciplines.

Nous allons indiquer ce que nous avons réalisé dans notre classe, et qu'ont pu réaliser d'autres camarades grâce au matériel coopératif que nous avons conçu et créé. Nous ne cacherons pas certains insuccès, certaines impuissances qui ne feront d'ailleurs que mettre en lumière l'apport considérable de notre technique au problème difficile de l’école prolétarienne vivante et génétique.

***

Il est 8h40 ou 9h. environ. Un groupe d'élèves compose. Il s'agit de donner immédiatement leur tache aux diverses divisions.

Nous jetons, tous ensemble, un coup d’œil sur le texte journalier ; nous faisons, si nécessaire, quelque rapide observation et nous inscrivons au tableau pour chaque division, un petit exercice de grammaire se rapportant au texte et qui s'encastre cependant dans notre schéma global d'études ; le verbe surtout, élément actif de la phrase, a besoin d'être connu au maximum. Aussi faisons-nous de nombreux exercices de conjugaison en partant toujours des idées et des formes dominantes dans le texte. Les petits pourront être occupés à un exercice de reconnaissance. de noms, de verbes, etc...

Nos enfants ont tous, alors, du travail pour 15 à 30 minutes :

- Copier sur leur cahier le texte choisi. Cette copie est faite généralement par tous les élèves. Exceptionnellement les grands pourront y substituer d'autres activités que nous allons mentionner.

- Illustrer ce texte sur le cahier ou sur une feuille spéciale, les meilleures illustrations devant être ou polycopiées ou gravées au lino pour accompagner notre page imprimée.

Nous accordons à cette illustration une grande importance psychique. Le dessin est, avant tout, expression profonde de l'être. Le dessin libre, non asservi ni à la forme ni même à la pensée qui constitue le centre d'intérêt fond en une même oeuvre les potentialités diverses, harmonise l'effort, donne aux enfants l'occasion de se réaliser pour repartir avec allant pour la conquête des diverses disciplines.

- Travail de grammaire.

Et, effectivement après cette mise en train en apparence longue et laborieuse la ruche se passionne maintenant à un travail où chacun met encore le meilleur de lui-même, sans surveillance spéciale ni sanction. L'expérience nous a prouvé notamment que la copie du texte est toujours faite avec plus d'application que les copies interminables qu'on impose dans les écoles. De très bonne heure, les enfants parviennent dans cette tâche à une perfection calligraphique et. orthographique remarquables.

Nous allons mettre à profit ce répit pour préparer des travaux de calcul se rapportant à notre centre d'intérêt.

Tâche excessivement délicate, une des plus difficiles qui se présentent à nous, pour laquelle nous avons longtemps tâtonné avant d'être à pied d’œuvre pour les réalisations qui permettront un profond renouvellement dans la discipline arithmétique : un centre d'intérêt est là: il faut, sur le champ, instantanément, présenter aux enfants les calculs, les recherches, les problèmes qui s'y rapportent tout en encastrant notre activité journalière dans le processus d'acquisition nécessité par les programmes.

Si nos classes étaient les domaines de paix que nous rêvons, ou les enfants oeuvreraient librement selon les lignes de leurs intérêts dominants et de leurs possibilités, nous attendrions patiemment. La vie enseigne plus sûrement et plus profondément que le livre ou les fiches. Mais elle n'enseigne pas au gré des hommes ni au gré des programmes et, pour la discipline, qui nous occupe, elle risquerait souvent hélas ! de mécontenter nos critiques et nos juges.

Force nous a donc été de trouver un moyen terme entre l'école idéale et les obligations qui nous sont imposées. Ce moyen terme c'est le fichier de calcul que nous avons imaginé et dont nous avons commencé la réalisation.

Au Cours Préparatoire, nous ne sommes pas encore talonnés par les programmes et les examens. Nous pouvons là, pour peu que les inspecteurs soient compréhensifs et accommodants, faire une besogne profonde d'initiation mathématique par la vie véritable : mesures diverses en classe ou hors de classe, pesées (d'animaux que la Coopérative élève), calculs simples sur les sujets qui nous intéressent, et, pour les cas où cette initiation vivante ne nous paraît pas possible, par notre Initiateur Mathématique Camescasse.

Grâce à ces diverses techniques simples et vivantes, l'enfant peut et doit acquérir sans dogmatisme les notions d'addition et de soustraction et la pratique de ces opérations. Il acquerra de même le sens de la multiplication et de la division. Mais la technique de ces opérations est plus compliquée et demande déjà, à cet âge, des exercices formels et répétés. Ces exercices sont parfois distribués et imposés au hasard, sans qu'une attention suffisante soit accordée à la gradation nécessaire pour vaincre avec le moins de peine possible les difficultés multiples.

Nous sommes sur le point d'éditer (sur fiches et en livret) les travaux précieux réalisés en Amérique par Washburne, de Winetka. Après une enquête approfondie menée sur de nombreux enfants, Washburne a pour ainsi dire taylorisé les efforts nécessaires pour se rendre maîtres de cette technique.

Avec cet outil, plus d'exercices inutiles, plus d'erreurs pédagogiques accumulant les difficultés, mais une montée régulière et permanente vers la maîtrise arithmétique.

Nous ne préconisons d'ailleurs pas l'emploi à dose massive de ce fichier qui sera utilisé en même temps que notre véritable fichier de calcul. Seulement les enfants qui sentent la nécessité d'acquérir cette technique auront à leur disposition un outil à peu près parfait.

Car notre fichier de calcul a des assises pédagogiques bien plus sûres et des possibilités autrement éducatives. Il tend à rendre vraiment pratique l'étude mathématique liée à la vie et aux intérêts dominants des enfants.

Le fait suivant n'est plus aujourd'hui un secret pour personne : si l'enfant ne comprend ni le sens ni la portée des problèmes que vous lui posez ; si ceux-ci ne sont pour lui que des exercices formels qu'il tente de résoudre formellement, non pas avec son intelligence et son cœur, mais avec sa mémoire, l'école travaille pour ainsi dire à vide et les résultats pratiques obtenus sont toujours disproportionnés à la somme de peines et d'efforts que se sont imposes maîtres et élève. Qu'un jour, au contraire, un événement social ou scolaire fasse sentir aux enfants la nécessité de certains calculs, que soit puissamment motivée leur activité, ils pourront approfondir en quelques minutes ce que des heures de leçons n'avaient pu leur faire comprendre ; ils apprendront, avidement, dans un laps de temps étonnamment court tout ce que votre habileté n'avait su obtenir d'eux. C'est le triomphe scolaire de l'intérêt génétique, de la vie qui, seule, réalise et construit, par des voies souvent encore mystérieuse.

C'est à ces forces nouvelles que nous faisons appel.

Mais il ne suffit pas de prêcher cette nécessité aux éducateurs, encore faut-il leur en rendre possible la pratique. Ce que l'Imprimerie à l'Ecole a réalisé dans ce sens pour la rédaction et la lecture, notre fichier de calcul le réalisera pour l'acquisition mathématique.

***

Un centre d'intérêt nous a donc été révélé par la rédaction libre telle que nous l'avons pratiquée. Ce centre d'intérêt n'est pas forcément étroit et rigide, Ce n'est pas parce que notre texte parle aujourd’hui d'une carriole que nous n'accepterons que les intérêts se rapportant directement à la carriole. Ce serait là une conception scolastique et étriquée de notre idée des centres d'intérêt.

Nous suivons l'intérêt de l'enfant. Au cours de la mise au point collective, au cours des discussions qui accompagnent souvent cette mise au point, des pistes diverses et multiples surgissent, plus objectives avec de jeunes enfants, plus scientifiques, plus savantes déjà avec nos grands élèves.

Des questions sont posées. Nous cherchons les documents dans notre fichier, dans les livres de la Bibliothèque de Travail. Si les réponses ne satisfont pas. encore totalement notre curiosité, nous préparons des demandes à nos correspondants ; nous déléguons peut-être un ou deux élèves qui vont se renseigner sur place dans un atelier du village, auprès d’un artisan on d'un commerçant.

Il peut en résulter une certaine déviation de la ligne initiale du centre d'intérêt. Des calculs d'un certain ordre peuvent apparaître comme passionnant tout spécialement nos enfants. Voilà la voie idéale dans laquelle nous devons, sans hésitation, nous engager.

Nous avons parlé de recherches de documents.

Nous avons, en effet, prévu dans notre fichier des Fiches documentaires : les unes sont imprimées à l'avance et donnent les indications immuables dont nous avons besoin pour nos différents calculs. D’autres en blanc, ou munies de questionnaires, guideront les recherches des élèves.

L'essentiel est que nous puissions avec profit puiser dans ces fiches pour y trouver les renseignements sûrs dont nous avons besoin, ou les indications pratiques pour nous les procurer.

S'il s'agit de carrioles par exemple, nous devons y trouver : comme permanentes, toutes les indications concernant les roues, leur diamètre, leur circonférence, la résistance des bois et, des métaux, le calcul du centre de gravité – comme modifiables, selon les régions : charge maxima de tel ou tel véhicule, force déployée par les chevaux attelés de telle ou telle façon, prix des véhicules et des chevaux, prix et poids globaux des charretées de divers produits, etc...

Nous sommes maintenant munis de documents précis, adaptés au milieu et à la vie, tirés de la vie, qui font au maximum corps avec les élèves. Il nous reste à susciter et à faciliter les calculs correspondants.

***

Munis de ces documents, nous avons à résoudre une difficulté essentielle qui peut se présenter sous deux formes connexes : il faut que, nous soyons en mesure maintenant de bâtir des problèmes qui possèdent les qualités pédagogiques suivantes : ils doivent répondre aux nécessités du programme, pousser à l'étude de questions qui correspondant au niveau des enfants, n'être donc ni trop faciles, ni trop difficiles, avoir un but et un sens.

Ces problèmes de plus, doivent pouvoir être établis par les enfants eux-mêmes. A défaut le maître pourra s'y employer, cette deuxième alternative n'étant qu'un pis-aller.

Nous avons rendu cette pratique possible par ce que nous appelons nos fiches mères qui indiquent les modèles de problèmes pouvant être établis dans tel et tel sens, par tel ou tel degré, pour un centre d'intérêt donné. Dans l'établissement de ces fiches réside le point délicat de notre fichier.

Muni de ces documents, un de nos grands élèves va collaborer avec les élèves du C.P. et C.E. 1re année pour l'établissement d'un problème lié au centre d'intérêt.

Nous procédons de même à la préparation d'un problème par le C.E. 2e année. Nous nous mettons ensuite au même travail pour le C.M. et S.

Toutes les fois que c'est possible, nous donnons un problème commun au C.E.2e année et au C.N. et S. en ménageant, pour ces derniers, quelques difficultés supplémentaires.

Nous attirons l'attention sur l'importance pédagogique de cet effort de préparation des problèmes, souvent aussi profitable que 1a résolution elle-même. Les quelques ennuis de préparation et de recherche, les imperfections techniques parfois, les erreurs - que nous corrigerons en commun ‑ contribuent à donner à l'enseignement mathématique un sens nouveau, à le rattacher à la vie, à y faire prédominer l'intérêt, la recherche personnelle et l'effort intelligent de création.

Nos élèves sont maintenant au travail. Quand ils auront résolu le problème établi, ils pourront aller chercher dans nos fiches d'exercices des problèmes se rapportant au même centre d'intérêt correspondant à leur niveau, et dont ils entreprendront librement la résolution.

Cette activité nous a menés aux environs de 9h.15 - 9h30 selon les jours.

Pendant que les uns terminent peut-être leur travail de grammaire, que d'autres font leurs exercices de calcul, que les compositeurs achèvent leur besogne qui ne les a pas empêchés d'ailleurs de suivre la vie de la classe, l'instituteur est libre maintenant pour faire lire le texte au tableau en surveillant individuellement le travail des élèves.

Il lui restera même le temps de préparer le travail subséquent de la manière suivante :

Notre fichier scolaire. (Fichier Scolaire Coopératif : 400 fiches carton 13,5x21 imprimées et 100 fiches carton nues avec classeur. (Se fait également sur papier). Ed. de l'Imprimerie à I'Ecole.) est classé selon la méthode décimale qui nous permet de trouver instantanément toutes les fiches se rapportant au centre d'intérêt étudié. Nous recherchons ces fiches, aidés peut-être dans cette besogne par quelque grand élève soigneux et consciencieux. Et nous avons maintenant à notre disposition 15, 20, 30 fiches se rapportant à ce centre d'intérêts et dont l'étude va étrangement élargir notre horizon culturel, répondre merveilleusement à notre soif de connaissance, à cet enrichissement qui est une des raisons d'être de l'école.

Nous avons là, en effet, des documents pour tous les goûts : des vues historiques ou géographiques, des textes de grands écrivains, d'enquêtes de correspondants, des relations anecdotiques se rapportant à des films que nous projetterons des textes de disques que nous allons auditionner, des modèles divers de travaux manuels.

Vous sentez là le nœud de notre travail : par l'imprimerie nous avons permis aux besoins fonctionnels de se révéler, à la vie de s'affirmer dans son entière et complexe originalité. Nous avons maintenant de quoi nourrir, dans tous les sens, cet appétit que nous avons au entretenir et motiver.

Tout cela sans dogmatisme. La pédagogie ancienne établissait d'avance, présentait et imposait les études diverses prévues au programme, en essayant d'intéresser superficiellement les patients.

Nous suivons, nous, le chemin inverse nous conservons à l'enfant, intégralement, son appétit de savoir. Nous lui présentons les outils, les documents, les techniques qui lui permettront d'assouvir cet appétit.

On voit aussi que nous ne rétrécissons pas sur elle-même la vie enfantine. On nous ferait plutôt le reproche contraire, celui de lui offrir trop d'aliments, de lui ouvrir à la fois trop de portes, d'élargir prématurément son horizon, au risque de le voir papillonner entre des activités mal coordonnées. Danger véritable pour l'élève passif de l'ancienne école, illusoire pour des enfants qui savent ce qu'ils veulent et le veulent puissamment, avec une décision et une obstination parfois brutales qui nous étonneraient.

« Enseigner peu mais bien », disait la vieille école, habituée au travail imposé dont on se délivre dès que cesse l'obligation. Ouvrir le maximum de richesses pour que l'enfant y puise son miel, non pas au hasard des rencontres, mais selon les nécessités vitales du puissant intérêt générateur d'activité qui caractérise notre technique.

Ces fiches donc, nous les mettons sous transparent dans nos liseuses spéciales (Liseuses métal face rhodoïd, format 13,5/21 ou 21/27. (Voir notre tarif). Les plus intéressantes sont immédiatement exposées au mur, ou à l'emplacement réservé pour l'observation si possible. Aux moments libres, dès qu'un travail est fini, en rentrant ou en sortant, pendant les récréations peut-être, les enfants les examinent. C'est comme une sorte de décoration mobile qui a animé les murs des éléments répondants à notre intérêt, une atmosphère nouvelle qui imprègne la classe, comme le prolongement naturel de nos recherches, la vie qui a mis bas jusqu'à la décoration traditionnelle de nos classes.

Ces fiches seront ensuite étudiées plus attentivement aux moments de travail libre dont nous allons parler. L'instituteur petit accidentellement lire celles de ces fiches qui répondent le mieux aux questions que nous nous étions naturellement posées au cours de notre travail antérieur, qui complètent notre effort, qui instruisent d'une manière idéale et éminemment profitable.

Cette activité nous, mène jusqu'à 9h45, heure de la récréation. Déjà, diront certains élèves qui resteront d'ailleurs en classe pour terminer leur travail. Déjà ! dira aussi l'éducateur.

Comment, diront quelques camarades, peut~on faire en deux heures tout ce que vous venez ainsi d'énumérer ?

Ah ! certes, notre classe ne ressemble point aux classes habituelles où le maître assis surveille ses élèves tous occupés à une tâche monotone. Notre classe est une ruche au travail, où la besogne, collective dans sa ligne générale reste éminemment souple pour se mettre au rythme de chaque élève : celui qui a vite terminé sa copie pourra se plonger longtemps peut-être dans l'exécution de ce dessin ; un tel qui a rapidement liquidé la grammaire, s'attardera au calcul ou contemplera nos fiches. Nous n'affirmons pas qu'il n'y ait parfois, apparemment, un peu de temps perdu : l'inspecteur dérouté appellera ainsi la minute employée par l'élève à lire une fiche qui lui apporte un incontestable enrichissement ; il ne s'émeut point au spectacle de ces enfants qui piétinent en attendant les autres, s'amusent ou rêvent à leur vie que l'école néglige, mais qui restent sagement assis et se taisent.

Les travaux chez nous s'exécutent rapidement. Comme dans la vie : on fait consciencieusement la besogne qu'on s'est tracée, mais on la fait le plus vite possible pour s'occuper ailleurs. C'est ici à qui travaille le plus, à qui acquiert le plus. Cette nouvelle atmosphère scolaire compense, et au-delà, les quelques petite inconvénients nés des nécessités parfois difficiles du travail en commun.

Et l'éducateur ? Nous lui demandons, certes, davantage, mais nous le délivrons de l'ennui et de la routine ; nous lui redonnons de l'intérêt et de la vie. Tout comme l'enfant, il ne mesure plus sa peine ; il oublie de s'asseoir et de rêver passivement au moment où il sera libre lui aussi. Il travaille ; il vit ! Il vit au milieu des enfants à un rythme et avec une intensité qu'il n'avait jamais connus. Il reprend goût à la pédagogie et à l'école. Et, spontanément, il se donne tout entier à son travail.

Si même notre technique avait de graves défauts, nous pensons qu'ils seraient largement atténués par ce dynamisme nouveau dont nous animons l'éducateur, par cette joie collective de l'effort, par cette idéalisation du travail créateur et régénérateur.

Ce ne sont point là, des affirmations. Si la place ne nous était mesurés, nous pourrions donner ici par dizaines des attestations enthousiastes et émouvantes de ces adhérents à qui l'Imprimerie à l'Ecole a apporté une raison de se dévouer à leur tâche, une raison de vivre. Cette conquête est pour nous la meilleure des récompenses, la preuve incontestable de l'excellence de notre technique.

***

Il faut que nous mentionnons ici l'avantage pédagogique de l'emploi d'une machine à écrire, pour le degré moyen et supérieur surtout.

Parmi les rédactions écartées, il y en a un certain nombre qui seraient d'un grand intérêt pour nos correspondants et qu'il est regrettable de laisser perdre. Dans la plupart des classes l'auteur copie ces documents sur un cahier spécial qui sera communiqué aux camarades éloignés. Mais la copie n'est faite ici qu'à un exemplaire, alors que la machine a écrire donnera au. papier carbone sept à huit copies bien plus élégantes et définitives dans leur forme.

Avec de grands élèves, on a assez fréquemment des textes plus spécialement documentaires, qui comme tels justement, parce que trop froids, ont été écartés par la ruasse des élèves. L'auteur les tape à la machine, sur fiche, à plusieurs exemplaires. Il garde un de ces exemplaires dans son livre de vie, les autres exemplaires pouvant être adressés aux correspondants ou distribués aux autres élèves de la même division.

Même utilisation pour l'histoire : Les enfants écrivent des textes d'une portée historique incontestable ; !le recherchent dans les livres des documents éparpillés qui gagneraient à être réunis sur fiche et ajoutés à la chronologie mobile d'histoire de France.

Si nous ajoutons que la machine à écrire a, comme l'imprimerie, un puissant attrait, qu'elle apporte une sorte de motivation précieuse à l'effort enfantin, on comprendra que nous recommandions à tous nos camarades qui le peuvent, d'acquérir, pour la mettre, comme l'imprimerie à l'Ecole, au service des enfants, une machine à écrire. Nous avions trouvé, en occasion, et pour le prix abordable de 2 à 300 fr., des machines à barillet, marque Mignon ou Génia, pratiques parce que très solides, d'apprentissage très rapides. Quelques camarades ont trouvé pour 2 ou 300 fr. également, de vieilles machines à clavier qui leur donnent satisfaction.

***

Récréation. Le texte est composé. Il est déjà prêt sur la presse. Si tout n'est pas entièrement au point, les responsables terminent, car ils sacrifient volontiers à cette besogne quelques minutes de leur recréation.

***

Dix heures. Le travail reprend. Jusqu'à 11 heures, notre activité sera une des plus fécondes de la journée.

Il s'agit d'abord d'illustrer, avec un cliché linoléum ou à la polycopie, le texte prêt à être imprimé. Nous examinons les dessins libres produits dans la matinée, Nous faisons si possible les enfants juges de ceux qui méritent d'être reproduits. Et l'auteur se met à graver ou à repasser son dessin à l'encre spéciale, Ce travail sera terminé si nécessaire, à 11h. ou avant la rentrée de 13h.

Nous corrigeons ensuite rapidement les exercices de grammaire donnés le matin, puis nous passons au véritable travail grammatical, nouveauté profonde inaugurée et permise par notre technique.

« On n'enseigne pas la langue en l'expliquant, mais en la vivant », disait J.Ligthart. L'ancienne école ne comprenait la grammaire que comme une explication et une analyse apparemment scientifiques. Nous construisons, nous, une langue vivante et souple, et c'est dans l’enthousiasme de cette construction que les enfants acquièrent, subconsciemment d'abord, formellement ensuite, les principales notions grammaticales.

Ce faisant, nous restons totalement dans l’esprit des Instructions ministérielles Françaises de 1923 :

« De même qu'il doit être simple, disent ces Instructions, l'enseignement grammatical doit être concret. Le maître doit partir des textes placés sous les yeux des enfants pour leur faire comprendre la fonction habituelle du nom, de l'article, de l'adjectif, du pronom et du verbe. Il ne s'agit pas de formuler des définitions abstraites dont une connaissance plus approfondie de la langue ferait vite apparaître le caractère artificiel. Il s'agit d'amener les enfants, par la pratique du langage parlé ou écrit, à classer avec une suffisante précision les formes verbales sous les rubriques que les grammairiens ont imaginées pour mettre un peu d'ordre dans le chaos des réalités linguistiques ».

C'est la condamnation formelle du procédé grammatical qui consistait à « apprendre les mots puis les principes grammaticaux sous forme de règles et finir par la syntaxe pour arriver à parler et à écrire (Dr Decroly : Revue de l'Enseignement, n° du 29 janvier 1928.).

« Le procédé grammatical est, en effet, le procédé classique préféré par beaucoup de professeurs. Ce qui semble cependant établi par la pratique, c'est qu'il est un moyen peu sûr pour faire acquérir le maniement de la langue usuelle et qui, lorsqu'il y réussit, on ne peut affirmer que d'autres facteurs n'y aient contribué pour une part plus ou moins large. Ce qui est évident, c’est que peu de cerveaux s'y adaptent avec facilité et que beaucoup ont, à, cause de lui, un dégoût pour l'étude (Dr Decroly : L'application de la fonction globale dans l’enseignement, (N° du 25 mars de la Revue de l'Enseignement.).

Les études sur la stylistique et sur la grammaire elle-même par Bailly, de Saussure, Séchehaie, Brunot et d'autres, ont bien montré l'impuissance où l'on est d'atteindre, par le travail grammatical habituel la structure des formes verbales les plus courantes et les plus intéressantes. »

Nous allons même plus loin. Nous savons que l'enfant apprend normalement et naturellement à parler une langue parfaite sans aucune leçon scolastique, sans même la moindre remarque sur la structure de cette langue. Son esprit d'imitation, son vivant besoin de perfection y suffisent. Nous sommes persuadés de même que l'enfant peut et doit arriver à écrire une langue parfaite par le seul exercice vivant de cette langue, sans aucune leçon scolastique. Et ce n'est que pour satisfaire aux programmes et aux inspecteurs que nous enseignerons aux enfants à distinguer la nature et la fonction des mots employés, à analyser les parties du discours, certains que nous sommes que cette connaissance ne leur apportera aucune facilité nouvelle pour écrire sans erreur. C'est peut-être même le contraire qui se produira ; pour la majorité de nos élèves destinés à rester ouvriers et paysans, la possession subconsciente et comme instinctive de la langue, serait plus précieuse qu'une demi-connaissance formelle qui amène souvent l'hésitation, le trouble et le doute dans la pratique de l'écriture.

Nous suivrons donc le conseil de Tolstoï :

« Ecartez les définitions grammaticales et syntaxiques, les subdivisions des parties et des formes du discours et les règles générales, mais obligez l'élève à faire usage des formes du discours, sans les lui nommer, principalement, à lire le plus possible en comprenant ce qu'il dit, et à écrire quelque chose de son invention » (Cité par Ch.L.Baudoin : Tolstoï éducateur (Delachaux, éd.)).

Nous ne pouvons pas entrer ici dans le détail de cette technique de l'initiation grammaticale, technique qui a fait l'objet d’une série d'articles parus dans l'Imprimerie à l’Ecole (année 1931-1932) sous le titre : Grammaire Française en quatre pages par l'Imprimerie à l’Ecole. Nous nous contenterons de donner la ligne générale de notre technique et les recommandations qui vous permettront de tirer de nos textes le maximum de profit grammatical et syntaxique.

Le principal devoir de grammaire, et le plus profitable, est la rédaction, individuelle, par groupes, ou en collaboration avec le maître, pourvu que cette rédaction ne soit pas un devoir mais bien l'expression d'une pensée qui a besoin de jaillir.

Commençons par bien examiner le texte au tableau, démontons-le en quelque sorte devant les enfants pour en montrer la structure génétique, arrêtons-nous sur la fonction des mots, sur leur rôle dans le discours, sur les conséquences orthographiques de ces fonctions.

Nous faisons cet examen chaque jour sur le texte choisi et nous trouvons que c'est là un des exercices les plus intéressants au point de vue grammatical et des plus profitables.

Dans les Cours élémentaire, moyen et supérieur, puisqu'il faut un minimum de grammaire formelle, donnez à conjuguer aux temps usuels, accidentellement à quelques temps plus exclusivement scolastiques, quelques verbes et expressions tirés du texte. Le verbe, surtout en français, a des formes tellement variables et baroques qu'il n'est pas inutile, pour l'orthographe en particulier, d'en montrer toute l'année les difficultés. Mais que ce travail n'ait jamais la forme d'une conjugaison morte, qu'il soit toujours basé sur l'intérêt du jour et se présente à l'esprit de l'enfant comme une nécessité.

Cela ne nous empêche pas de suivre l'ordre des leçons d'un manuel pour ce minimum d'acquisition formelle, pourvu que celle-ci passe toujours au second plan et que s'affirme la conquête vivante de la langue.

Nous faisons ainsi leçon de grammaire deux fois par semaine et leçon de vocales trois autres jours.

Mais pour ce qui concerne l'acquisition du vocabulaire, nous avons réalisé le même changement radical d'orientation.

L'école avait, jusqu'à ce jour, la prétention d'enseigner des mots aux enfants, sans se préoccuper du besoin que ceux-ci pouvaient en avoir, ni de l'usage qu'ils en feraient. Nous avons pensé qu'il est au moins inutile d'enseigner mécaniquement des théories de mots nouveaux et nous avons complètement banni de notre classe ce genre d'exercices de vocabulaire. Seuls sont nécessaires à l'enfant, seuls sont pour lui un enrichissement les mots dont il connaît, dont il désire du moins l'emploi, parce que ces mots s'intègrent aussitôt dans sa vie et s'incorporent à sa personnalité.

Est-ce à dire que nous nous abstiendrons systématiquement d'enseigner tous mots nouveaux ? Nous voyons sur deux plans notre tâche d'apprentissage du vocabulaire. L'enfant qui nous arrive connaît déjà un nombre considérable de mots. Qu'il les connaisse en patois, en italien ou en français, peu importe. Notre devoir n'est-il pas de partir de cet acquis pour traduire en bon français les éléments familiers ? Ce sera justement l'objet de nos travaux de rédaction - individuelle et collective.

La première conséquence de cette orientation nouvelle, basée sur l'expression enfantine, de notre travail scolaire, est que nos imprimés sont toujours parfaitement à la mesure de nos classes. Ils sont du même coup compréhensibles aussi par tous les enfants de même niveau, qui les recevront. Seuls quelques mots techniques ou locaux nécessitent parfois une explication. Hors cela, nous n'avons presque jamais rien à ajouter aux imprimés d'échange ; toute lecture expliquée devient superflue. Habituer l'enfant à utiliser correctement les nombreux mots qu'il possède, n'est-ce pas le vrai fondement du vocabulaire ?

Nous cherchons cependant à agrandir ce fonds primitif. La vie elle-même se charge de cet enrichissement. L'enfant ne souffre pas un piétinement grammatical. Lorsque, son rayonnement social s'étendant, il sent la nécessité de mots nouveaux, il ne se rebute jamais et sait au besoin faire le grammairien créateur. Notre tâche est justement de l'aider à ce moment-là pour qu'il ne fasse pas fausse route et n'attribue pas aux mots une signification erronée qu'il serait ensuite difficile de corriger.

Enfin les lectures libres sur nos livres de bibliothèques accroissent chaque jour le vocabulaire de nos élèves, nous dispensant de tous exercices méthodiques.

De ce fait, nous intitulons nos exercices de vocabulaire chasse aux mots. Ils n'ont point pour but d'enseigner des mots nouveaux, mais d'organiser de préférence les connaissances actuelles, de créer des groupes selon certaines caractéristiques de façon à, préciser la structure et l'emploi des mots connus : terminaisons, racines, consonnes doubles, formation du pluriel, etc... Nous nous abstenons toujours dans ce travail de prononcer nous-mêmes des mots nouveaux. Nous ne faisons que classer 1es connaissances qu'a enseignées la vie scolaire ou sociale.

Préoccupation peu ambitieuse certes, qui est du moins à la mesure de nos élèves et dont on ne saurait contester la grande valeur pédagogique. Elle s'harmonise sans réserve avec l'idée qui guide nos efforts ; partir de l'enfant, l'aider à enrichir sa personnalité et non plus dispenser du haut de notre suffisance adulte des richesses verbales qui ne parviennent jamais jusqu'à l'âme de nos enfants.

Ce travail de grammaire ou de vocabulaire, suivi, si nécessaire, d'une courte copie de formule grammaticale, ou plus rarement d'un rapide exercice vivant, nous a menés aux environs de 10h.30.

Notre emploi du temps prévoit alors calcul, alternativement pour les différents cours : initiation mathématique pour les plus jeunes (cubes camescasses ou jeux divers, ou fiches auto-correctives) - exercices collectifs pour le C.E. ou travail également sur fiches auto-correctives.

Ces fiches auto-correctives sont particulièrement précieuses dans nos classes à: plusieurs cours. Notre fichier de calcul dont nous avons parlé en comportera un certain nombre. Mais chaque instituteur peut s’en constituer très facilement des séries graduées, depuis les opérations les plus simples jusqu'aux problèmes du certificat d'étude :: on prend un livre du maître de calcul, on découpe les demandes et les réponses qu'on colle séparément sur des fiches 10,5X13,5 de couleur différente. On place les demandes dans une boîte, les réponses dans l'autre, et on numérote chaque fiche (Nous pouvons livrer du carton souple spécial pour ces fiches ainsi que des classeurs spéciaux (voir tarif).).

L'enfant va librement prendre la demande, la copie sur un cahier spécial ,ou sur un cahier journalier, il fait l’exercice puis va librement contrôler sur la réponse.

Pour le travail du soir, il arrive fréquemment que des élèves emportent librement plusieurs fiches. Ils contrôlent librement leur travail le lendemain matin.

Cette activité a pour elle l'attrait de la liberté ; elle met en jeu en même temps une sorte d'esprit de compétition, avec soi-même d'abord, avec les autres ensuite. Dans une classe bien entraînée au travail sérieux, les tricheries sont moins rares qu'on ne croit puisqu'il n'y a pas obligation. Une surveillance discrète de l’instituteur, quelques conseils, judicieusement distribués donnent à cette technique le maximum d'attrait et de rendement.

La correction des problèmes conçus, réalisés et résolus le matin selon la technique indiquée, nous demande, à chaque cours, un temps parfois assez, long, par suite de la nécessite ou nous sommes de donner souvent encore des explications, de poser peut-être quelques problèmes rapides dont la nécessité se fait sentir, de donner des explications sur les points spéciaux non parfaitement assimilés.

Mais nous ne faisons pas de leçons de calcul : nous avons abandonné totalement l'exposé dogmatique, apparemment ordonné logiquement, faisant partie d'un tout dont l'élève ne sent point l’enchaînement. Notre véritable leçon de calcul c'est le travail que nous faisons le matin quand nous tirons, du centre d'intérêt, les études de la journée. Nos leçons sont toujours essentiellement pratiques, génétiques et vivantes. Comme pour la grammaire, ce n'est point la règle qui les suscite et les prépare. La vie les fait naître : la règle n'en est que la conclusion et l'aboutissement critique.

Avant 11 heures, nous faisons, quelques minutes de calcul rapide, et voilà une matinée bien remplie. Nos enfants peuvent partir ânonner leur catéchisme.

***

Les élèves qui, soit qu'ils soient classés par équipes, suit désignés par une liste de roulement, doivent imprimer s'arrangent pour que tout soit prêt avant la rentrée de 13 heures. L'instituteur peut, discrètement, donner un coup d’œil à l’installation.

Si un cliché, est joint au texte, l'auteur aura, s'il le faut, travaillé après onze heures pour le terminer (et cela ne lui coûte pas beaucoup, tellement a d'attrait ce travail). S'il s'agit de la polycopie d'un dessin, l'original établi avant onze heures aura séché et sera prêt à être reporté sur la Géline.

De sorte qu'à 13. heures, pendant que la classe recommence, l'imprimerie fonctionne aussitôt, mettant ainsi à profit les minutes de mise en train ainsi que les 10 à 15 minutes que nous consacrons ordinairement à l'audition de quelques disques de la discothèque, avec, lorsque c'est possible, répétition d'un chant en partant du disque.

Nous avons ensuite organisé cette première heure de l'après-midi de façon originale et un peu osée, peut-être - que tous nos camarades ne voudront pas imiter. De 13h.15 à 14h. 15, nous avons prévu 3 périodes de 20 minutes, ou, parfois, deux périodes de 30 minutes au cours desquelles une division part sous le préau attenant à la salle de classe ou dans la cour, devant les fenêtres, faire du travail libre.

Individuellement ou par groupes, les enfants doivent se consacrer à ce qui les intéresse. Nous surveillons seulement s'ils travaillent et sommes heureux ,quand nous les voyons se passionner à une besogne quelle qu'elle soit.

Ce travail n'est d'ailleurs pas quelconque : par notre centre d'intérêt du matin, nous avons tracé une ligne, réuni des énergies qui ne demandent qu'à s'employer ; par nos recherches de calcul adaptées à ce centre d'intérêt, par la mise au jour de documents de notre fichier s'y rapportant, nous avons motivé bien des activités. Restent encore l'histoire, la géographie, les sciences, etc...

Dans la. pratique, j'envoie au travail libre notre première division, de 13 h. 15 à 13 h. 40, pendant que je m'occupe plus spécialement des deux autres divisions auxquelles je fais alternativement du calcul et du vocabulaire, concrets le plus possible.

Pendant ce temps, que font les grands au travail libre ? Ces possibilités sont illimitées, mais nous allons donner un aperçu cependant des occupations choisies : travail manuel artistique, découpage et coloration de contre-plaqué notamment - examen des fiches mises à leur disposition et répondant à notre centre d'intérêt - rédaction collective, par groupes d'affinités, et se rapportant soit à un sujet choisi d'avance ou spontanément imposé, soit au compte-rendu de l'examen des fiches et documents divers - étude d'un animal, d'une plante apportée par les élèves, expériences de physique et de chimie exécutées par les enfants eux-mêmes, d'après des fiches établies d'avance et dont nous reparlerons, avec un matériel adéquat à cette utilisation, travaux d'histoire ou de géographie avec recherche de documents dans les divers livres de la Bibliothèque de Travail.

Je surveille, de loin en loin, en ouvrant de temps en temps la porte. Mais il est rare que j'aie à intervenir autrement que pour donner parfois un conseil ou un renseignement.

Il est certain que le préau ou la cour ne se prêtent pas merveilleusement à ce travail libre, surtout lorsqu'il fait froid. Le rêve serait d'avoir, attenants à la salle de classe, une ou plusieurs pièces de travail libre, où seraient mis à la disposition des enfants, fiches, Bibliothèque de Travail, instruments de physique, de chimie, de mesure, etc..., outils pour le travail manuel, avec tables et bancs. Certains collègues qui peuvent disposer d'une pièce inutilisée près de leur classe pourraient lui donner cette affectation.

Mais, même dans de mauvaises conditions, nous recommandons la pratique, sinon journalière, du moins fréquente de ce travail libre : à ces moments-là l'enfant sent que 1'école est à lui, hors de la tyrannie du maître ; il peut mieux affirmer ses tendances, travailler à son rythme. Il en emporte toujours un extraordinaire potentiel de vie, un encouragement a se donner ensuite à des besognes plus rebutantes.

Les inspecteurs - et certains collègues - craignent naturellement que hors de la surveillance permanente de l'instituteur, les enfants ne perdent leur temps ou fassent des sottises. Et cela serait dans les classes traditionnelles. Mais nous avons, chez nous, soulevé tant d'intérêts, aiguisé tant de curiosité, ouvert tant de portes, que les enfants sentent tous la nécessité de se donner intimement à une tâche. Dans la pratique, malgré ces inconvénients nés surtout du manque d'installation matérielle convenable, nous n'avons jamais eu qu'à nous louer de ces moments de travail libre. Nous y gagnions, de plus, la possibilité d'alléger momentanément notre classe formelle et de pouvoir nous consacrer plus entièrement aux divisions qui restent.

***

A 13h40, changement d'équipe. Deux ou trois minutes de va-et-vient. Une des divisions restantes, les deux mêmes suivant le nombre d'élèves et l'emploi du temps prévu, partent au travail libre.

Leurs occupations sont ordinairement moins complexes que celles des grands : rédaction individuelle ou collective, dessin à grande échelle, modelage, découpage, lecture souvent de livres aimés de la Bibliothèque de Travail ou de journaux scolaires d'échanges, exercices de mesure dans la cour ou même aux abords, pesées effectives avec balances, petites expériences physiques, parfois enquêtes dans le village comme suite à des questions posées en classe. (Un système de fiches préparées d'avance aide les enfants à choisir leurs occupations).

Pendant ce temps, avec les grands, nous corrigeons les problèmes du soir (si nous avons été obligés d'en donner) ; nous donnons quelques explications arithmétiques ce qu'on pourrait appeler des leçons nous faisons quelques exercices d'application, ou bien nous procédons, vers la fin de l'année surtout, à quelques dictée s avec questions.

Vers 14 heures, nous envoyons quelques instants les tout petits en travail libre, s’ils n'y sont déjà. Ils lisent surtout des livres de la Bibliothèque de Travail, rédigent de petits textes, ou dessinent, ou mesurent.

Vers 14h15, séance collective de lecture. Les imprimeurs ont terminé leur besogne. Chaque élève a reçu sa feuille imprimée qu'il incorpore à son livre de vie. On lit, silencieusement, des yeux, le texte imprimé. Quelques élèves le lisent à haute voix avec la meilleure intonation possible.

Si nous avons une fiche du fichier scolaire se rapportant à ce centre d'intérêt, nous en donnons un exemplaire à chaque élève. Cette page, la plupart du temps écrite par un grand écrivain, vient donc se juxtaposer à la feuille imprimée en classe. Nous la lisons de même, mentalement d'abord, puis à haute voix après avoir donné les explications qui s'imposent.

Si nous n'avons pas de fiche semblable à distribuer, nous avons du moins dans le fichier ou dans la Bibliothèque de Travail, des documents graphiques se rapportant à notre sujet. Des enfants les lisent à leurs camarades, à tour de rôle.

Et on voit la portée profonde de la lecture de tels documents : ce n'est plus la pensée adulte qui vient s'imposer anarchiquement à l'esprit des enfants ; c'est la science et l'expérience adultes qui sont appelées par la curiosité naturelle de nos élèves pour nous apporter les connaissances que nous désirons, pour enrichir nos personnalités, pour aider à notre épanouissement harmonieux dans le sens des intérêts dominants révélés par notre activité précédente.

On comprend alors qu’une telle lecture, si puissamment motivée, ne soit plus un exercice scolastique passif et mort, mais une action vivante à laquelle on se donne au maximum et qui est bien plus profitable à tous points de vue que les rituelles leçons de lecture.

Ce n'est pas tout : nous prenons ensuite le livre de vie de nos correspondants de Praz-sur-Arly. Le facteur nous a apporté le matin un stock d'imprimés de cette école : nous en donnons un exemplaire à chaque élève, qui la lit mentalement avec avidité, en manifestant bruyamment parfois les sentiments complexes que lui apporte la feuille imprimée. Minute émouvante, où l'intérêt est à son comble, tant nos élèves vivent intimement avec leurs camarades. Et le plus petit détail familier est celui parfois qui les réjouit le plue. Quelques élèves lisent à haute voix, on discute, on extériorise des projets, on cherche encore quelques documents... L'heure de la récréation arrive à la surprise des enfants qui ont passé de la façon la plus vivante ces heures, si mornes dans la plupart des classes.

Cette demi-heure de lecture, peut d'ailleurs être parfois distraite de sa destination pour être consacrée à d'autres besognes moins classiques mais plus vivantes encore.

Deux fois par mois environ, nos correspondants nous envoient des lettres personnelles auxquelles il nous faut répondre. Chacun de nos élèves a choisi dans la classe correspondante un élève dont il reçoit les lettres et à qui il répond. Si un garçon peut correspondre avec une fillette, comme cela arrivait dans nos échanges avec l'école mixte de Praz-sur-Arly, c'est plus passionnant encore.

Non pas que ces lettres ajoutent quelques documents nouveaux à ceux qui nous arrivent par les imprimée, mais la lettre est une lettre, un écrit intime qui vous est spécialement destiné, auquel on répond aussi intimement, en employant quelques mots d'amitié qui transportent et éduquent.

On joint à la lettre des images, des photos, des nouvelles de toute la famille. Périodiquement, une fois par mois en moyenne, on échange des colis expédiés par gare, solidement emballés et ficelés, portés au train avec une émouvante amitié. Ces colis : nous expédions des kakis, des figues, du raisin, des bouteilles de bon vin, des branches d'olivier, tout ce qui peut faire plaisir à nos correspondants Ceux-ci, dans la neige de leur haute montagne des Alpes n'ont aucun fruit à nous offrir, mais ils fabriquent à notre intention des luges, des skis, des bobsleighs, que nous recevons avec une joie indicible. Et si un jour nous trouvons dans le colis un pain de montagne ou quelques noisettes, rien au monde ne nous semble aussi délicieux. Pour leurs correspondants, nos élèves se dépossèdent généreusement de leur couteau, de leur sifflet, ou de jouets divers tout aussi précieux.

Les envois de cartes postales, de photos de famille complètent cet échange. A tel point que, en fin d'année, ce sont de vraies amitiés qui se sont liées, resserrées parfois par des visites personnelles. Il faut croire en tous cas que l'influence psychique de ces échanges est bien profonde puisqu'à des années de distance, nos élèves se souviennent encore du nom, de l’âge, des habitudes de leurs correspondants.

L'échange dont nous venons de parler ne se limite d'ailleurs pas à notre école correspondante de Praz-sur-Arly. Nous correspondons, nous l'avons dit, avec une vingtaine d'autres écoles, des diverses régions de France. Les journaux mensuels que nous en recevons nous apportent des questions, des demandes de documents. L'élève qui a la charge de cette école doit y répondre, avec l'aide si nécessaire de ses camarades. Il en reçoit peut-être un jour un gros colis de pommes qu'il partage avec toute la classe, et je vous prie de juger de l'inoubliable aventure de l'arrivée, un jour, par la poste, d'un beau paquet de crêpes bretonnes, fines et dentelées, sucrées, beurrées, délicieuses. Chacun de nous en mangea un morceau et Castelli, l'heureux destinataire, porta une crêpe entière pour faire goûter à ses parents et à ses sœurs.

Je me surprends ici à dire nous fréquemment en parlant de cette activité. C'est que, à vrai dire, l'instituteur prend à cet échange sa part de curiosité et de joie. Et je, vous assure que, en mangeant les bonnes pommes de Domfessel, les châtaignes de Pontarion, en buvant le vin de Suris, en savourant les crêpes de Trégunc ou de Lannéanou, je me sentais

une âne d'enfant, je participais entièrement à la joie commune, je prenais un bain profond de nouvelle pédagogie ; l’école enfin avait pour moi aussi un sens nouveau et un attrait dont l'influence vitale ne saurait être sous-estimée.

Il y a, tous les mois aussi, les journaux à agrafer et à expédier. Encore quelques minutes perdues, mais récupérées au centuple par cette activité extraordinairement dynamique, dont on ne soupçonne pas l'intensité si on n'en a pas été témoin, par cette concentration de vie et de joie autour de préoccupations essentielles qui sont la meilleure des éducations.

Nos lecteurs comprennent maintenant l'importance et la portée de ces échanges interscolaires. Nous croyons utile cependant de rappeler encore une fois la part essentielle et prépondérante qui revient à l’imprimerie.

On pourrait être tenté de croire en effet que lettres et colis peuvent tout aussi bien être échangés entre écoles ne possédant pas l'imprimerie. N'y a-t-il pas même des organisations nationales ou internationales qui préconisent les échanges sur ces bases ?

Nous pouvons, pour les avoir pratiqués avant notre expérience, en délimiter la portée.

Certes, toute réception de lettres, de documents, et plus encore de colis, soulèvera toujours dans une classe quelque enthousiasme, ne serait-ce que par la perspective d'un heureux remue-ménage qui délivre un instant de la morne atmosphère scolaire. Nous ne disons pas d'ailleurs que ce soient là des pratiques inutiles : tout ce qui rompt la monotonie scolaire, tout ce qui mêle l'école à la vie est, pour nous, souhaitable. Mais nous tenons à préciser que seule notre technique donne à ces pratiques un sens et un but éducatifs.

L'échange par lettres ne permet jamais, en effet, à un élève, à une classe de connaître intimement la vie de ses correspondante. La lettre, surtout avec des enfants, est trop incomplète, trop capricieuse, trop subjective ; l'envoi et la réception en sont trop espacés ; elle ne permet pas de suivre des correspondants.

L'imprimé, au contraire, le journal scolaire nous apportent régulièrement, comme automatiquement, la vie au jour le jour des autres écoles. Il ne dépend même plus du maître ni des élèves d'arrêter ce courant de vie. On est pris dans une organisation nouvelle du travail scolaire dont les échanges sont un des éléments essentiels qu'on ne saurait négliger sans bouleverser l'activité de toute la classe.

L'envoi de lettres, de colis, cesse alors d'être ,une « distraction », c'est un élément de notre nouvelle vie, participant puissamment de cette concentration d'énergie que notre technique a mobilisée autour des intérêts dominants des enfants.

C'est cette incorporation des échanges à notre vie scolaire qui a valu à cette pratique la permanence et l'intérêt pédagogique qui caractérise nos correspondances. Depuis plusieurs lustres, des écoles travaillent, ainsi, avec l'imprimerie et les échanges.. Loin d'en être fatigués, les éducateurs eux-mêmes affirment qu'ils ne sauraient plus aujourd'hui s'en passer, preuve certaine qu'il ne s'agit pas d'une pratique mineure, d'un passe-temps comme tant d'autres, mais d'un élément essentiel et harmonisateur de notre nouvelle vie (Aux camarades, qui, pour des raisons matérielles, ne peuvent pas, pour l'instant, introduire l'imprimerie dans leur classe, nous recommandons d'acheter une Géline et d'éditer un journal scolaire polycopié qui leur permettra de participer à nos échanges.).

***

Cette activité nous a menés à la récréation.

A 15 heures, nous reprenons le travail.

La dernière heure de la classe était la plupart du temps sacrifiée par moi à l'ancienne pédagogie.

De 15 heures à 15h30, sciences trois fois par semaine, géographie deux fois par semaine. Il y a un programme à voir, nous le voyons. Il y a des notions à acquérir, nous les acquerrons tant bien que mal, en mémorisant même, s'il le faut, quelques résumés.

De 15h.30 à 16h30, histoire trois fois par semaine, cinéma deux fois par semaine. Pour l'histoire aussi, plus que pour les sciences encore, c'est l'heure triste où le programme reprend ses droits. Nous allons dire comment nous tendons à vivifier également cet enseignement indépendamment de la besogne superficielle d'acquisition que nous sommes contraints de faire durant ces quelques heures. Pour ne rien changer cependant à l’atmosphère libérale de la classe nous ne donnons pas de leçons à apprendre par cœur. L'élève se contente de lire couramment le résumé à mémoriser. Ainsi disparaît cette hypocrisie d'un instituteur qui, livre ouvert devant lui, contrôle et punit l'élève qui ne peut répéter un texte livre fermé. Quant à savoir si le profit scolastique d'une telle pratique nous paraît suffisant, nous nous ,contenterons ici de garder notre scepticisme : sauf quelques rares exceptions, tous les élèves de nos classes profèrent les mêmes énormités quand on les interroge en histoire aux examens ; et l'immense majorité, d'entre eux ont tout oublié - et tant mieux pour eux - à leur arrivée au régiment.

Nous nous contenterons donc de nous prémunir seulement contre les échecs aux examens, en sachant d'avance l'inutilité et la nocivité de ces pratiques..

Car nos leçons de sciences, de géographie ou d'histoire se pratiquent différemment.

Pour les sciences notamment, nous pensons que le verbiage devrait totalement céder le pas à l'expérimentation. Toute mémorisation est là bien inutile, tout résumé manque son but profond s'il n'est pas la concrétisation d'une notion vraiment acquise par l'observation et l'expérimentation.

Pour la chimie et la physique notamment, les leçons devraient être exclusivement expérimentation personnelle.

Nous disons expérimentation personnelle pour bien rappeler que ces manipulations faites par le maître lui-même, avec des appareils compliqués, à un rythme toujours accéléré, ne diffèrent que fort peu de la pratique qui consiste à lire dans un manuel ou à voir au cinéma les expériences prévues, avec leurs conclusions scientifiques - verbiage dangereusement dissociateur de la pensée saine, qui substitue l'accessoire à l'essentiel et donne aux spectateurs une notion profondément erronée de l'effort scientifique et de l'harmonie naturelle souveraine.

Il n'y aura enseignement normal des sciences à l'école primaire que lorsque l'enfant naturellement curieux, en qui nous aurons, par nos techniques, ménagé l'élan de vie et la soif de connaître, pourra, à l'aide d'appareils simples, à sa mesure, chercher et expérimenter lui-même, tâtonner, se tromper, recommencer, en tenant compte certes des conseils de ses maîtres et des renseignements des livres, mais en reconstruisant totalement et personnellement la science. Les acquisitions seront alors moins foudroyantes, mais on bâtira sur l'inébranlable ; on ne donnera pas de faux espoirs nés d'une science minimisée qui n'est que la caricature de la connaissance. Il en sera ici comme pour les mathématiques : l'élève qui aura compris les fondements certains - et simples - de la science, qui sentira les lois naturelles qu'il faut plier à nos exigences, sera capable alors de s'élever, sans aucun risque d'échec, jusqu'aux notions suprêmes.

Mais il nous faut du calme, de la confiance, et la joie de l'effort et la satisfaction de la connaissance acquise.

Il y faut aussi le matériel.

Le matériel scientifique actuel est conçu et réalisé pour être manœuvré par le maître. Nous avons lancé l'idée d'un matériel d'expérimentation pour le travail libre des enfants, matériel dont nous étudions la composition et la fabrication en attendant de passer à la réalisation dès que possible.

Un système de fiches directrices permettraient aux enfants d'utiliser ce matériel de façon logique et rationnelle et les aiderait à tirer de leurs travaux les conclusions qui s'imposent. Nous avons déjà publié dans l'Educateur Prolétarien quelques-unes de ces fiches.

***

La géographie, par contre, a été totalement renouvelée par notre technique.

Car il y a là aussi cette géographie formelle qui consiste à mémoriser des noms et des formules pour répondre aux questions d'examen, mais qui néglige tout le côté vivant et humain d'une science que l'école seule s'obstine à rabaisser ainsi au niveau d'une discipline.

La géographie, c'est la connaissance totale de notre village, de notre contrée, de notre province, de la France, du monde - connaissance qui a nécessairement un but humain : la meilleure utilisation sociale de l'intercompréhension et de la coopération des individus.

Les éléments que l'ancienne école imposait aux enfants : ces noms de villes, de fleuves, de caps, de golfes, de pics et de cols sont justement ceux qu'un oeil exercé trouve facilement sur une des nombreuses cartes qui inondent aujourd'hui le commerce. L'automobiliste qui parcourt une contrée nouvelle ne connaît aucun nom, et pourtant, grâce à sa carte - pourvu qu'il sache la lire - il saura trouver le nom des cours d'eau traversés, des villes rencontrées, des pics neigeux qui se profilent à l'horizon.

La partie humaine de la géographie est une acquisition autrement délicate et difficile, et ce ne sont pas les cartes qui nous en apporteront l'initiation. C'est donc avec raison que, par notre technique, nous mettons l'accent sur ce côté spécial de l'enseignement géographique.

L'école traditionnelle s'appliquait à reporter sur des espaces inconcevables pour l'enfant sa soif de connaissance et elle négligeait la nature environnante, le village et la région. Par l'imprimerie, c'est cette étude au contraire qui est le centre permanent de notre activité éducative.

Nos correspondants veulent connaître le coin où nous vivons. Dès le début de l'année nous en dressons le plan que nous leur adressons ; nous étudions pour eux la superficie de notre village, la nature de son sol, ses cours d'eau, ses cultures, le mode de vie des habitants. Tout au cours de l'année, d'ailleurs, indirectement par nos imprimés, s'exprimera la vie des ouvriers et des paysans, cette vie chevillée au soi et aux possibilités naturelles.

Par les échanges, nous élargissons naturellement notre horizon. Nous étudions, par la vie et l'intérêt spontané la géographie véritable d'autres villages de France ; nous confrontons les climats, les cultures, les modes de vie. L'échange de photographies, de cartes postales, d'arbres et de produits caractéristiques, complète cette connaissance, à tel point que, après un au de correspondance, nos élèves connaissent comme leur village les villages de leurs petits amis.

Ces points d'appui absolument sûrs, jetés un peu partout sur le territoire de la France, et même du monde, sont les assises solides d'un enseignement géographique plus général, pour lequel nous utiliserons avec profit les documents divers de notre Fichier Scolaire Coopératif, le cinéma, et si possible, la caméra.

Nous envoyons des colis, des lettres nos journaux scolaires partent régulièrement dans les diverses directions. Les enfants aiment suivre en pensée leurs envois où ils ont mis tant d'eux-mêmes. Il nous sera facile d'utiliser cet intérêt comme base d'étude des régions traversées. Et ainsi, soit directement, soit par élargissement sympathique de nos centres d'intérêt, nous arrivons à motiver totalement notre enseignement de la géographie qui sera alors extraordinairement vivant et profitable,

L'idéal, n'est-ce pas que, grâce à nos techniques, nos élèves ne commettent plus ces erreurs grossières qui caractérisent les victimes de l'enseignement livresque, qu'ils jugent sainement et sachent profiter de leurs connaissances pour une meilleure conduite de leur vie ; qu'ils aient appris aussi à se servir des livres et des cartes pour découvrir ce que nous ne nous sommes pas obstinés à leur imposer.

Si nous affirmons que, par notre technique, nous parvenons à cet idéal, on comprendra toute la portée pédagogique de ces Innovations.

***

Nous serions de même en mesure de donner un enseignement historique et humain aussi solidement fondé pédagogiquement s'il ne nous était imposé une histoire de mots, et de dates, des guerres, des traités, dans un passé que l'enfant ne parvient jamais à se représenter avec quelque exactitude.

Par contre, quels précieux fondements de cette étude familière du passé, nous permet l'imprimerie à l'Ecole !

Car l'enfant se passionne tout spécialement aux récits de la vie d'autrefois ; il aime entendre ses parents ou grands-parents raconter leur travaux, leurs peines et leurs joies. Des documents divers, familiaux ou communaux viendront d'ailleurs préciser cette connaissance que fixeront de nombreux imprimés. Par le même processus qui nous a valu une connaissance naturelle et intime de la géographie des divers pays, nous acquerrons des notions historiques précieuses qui, de proche en proche, nous permettront de nous hisser jusqu'aux grandes et amples considérations humaines.

Les documents nombreux de noire fichier nous aideront aussi à élargir le cercle de nos connaissances, à approfondir nos recherches, à tirer des faits le maximum d'enseignements. Et cela, sans aucun dogmatisme, par la vie nouvelle rendue possible par notre technique (Voir notamment nos belles collections : Histoire du livre. Histoire du Pain. Histoire des moyens de locomotion à traction animale.).

Tous nos camarades poursuivent naturellement cette besogne qui ne les dispense pas, hélas ! du bourrage systématique exigé par les programmes et les examens.

Comme nous ne saurions nous contenter d'idéal inaccessible, nous avons essayé d'obvier (?) dans la mesure du possible à ce dilemme tragique qui, ici, limitait nos innovations. Nous avons publié, dans notre fichier scolaire, une Chronologie mobile d'histoire de France d'une conception parfaitement originale.

Nous avons inscrit 25 années par fiches et nous avons indiqué, en face des dates essentielles - sans oublier celles imposées par les programmes - les événements correspondants. Nous avons réduit au minimum le nombre de ces dates afin de laisser aux éducateurs et aux élèves la plus grande latitude possible dans le choix de ces documents. Nous nous sommes contentés de créer le cadre sur lequel nos élèves fixeront les documents à acquérir.

Alors, l'histoire, même officielle, peut être vivifiée. Des dates importantes au point de vue humain peuvent être placées sur le même plan que les dates de guerres ou d'avènements ; les faits locaux eux-mêmes auront leur place à côté des grands événements historiques qu'ils ont trop longtemps éclipsés.

Et surtout la disposition sur fiches permet d'intercaler des fiches documentaires se rapportant à l'histoire de la civilisation : vie des ouvriers et des paysans, diverses techniques, industries, luttes ouvrières, etc., ces documents, puisés dans les livres, rédigés par les élèves ou reçus de correspondants sont copiés et imprimés sur fiches et incorporés à la chronologie d'histoire.

En fin d'année nos élèves possèdent ainsi un véritable manuel qui est tout à la fois le plus précieux des aides mémoires pour le certificat d'études et le résumé vivant des recherches de l'année. En le feuilletant. les siècles, les ans. réapparaissent avec leur physionomie spéciale consignée dans les documents que nous y avons joints. Nos élèves acquièrent ainsi la notion de recul historique en même temps qu’ils corrigent dans une certaine mesure ce qu'avait d'incomplet et de partial l'enseignement officiel de l’histoire.

***

Il nous resterait à indiquer l’emploi original que nous faisons des instruments nouveaux que la science a mis à la disposition de l'école : cinéma, camera, radio, disques, etc...

Tous ces outils, s'ils sont seulement juxtaposés, à la vie de l'école, restent des jouets, susceptibles de distraire l'enfant, de l'instruire parfois. Mais ils n'ajoutent pas à la formation individuelle ; ils ne contribuent point à cette harmonie créatrice que nous avons posée comme un des buts à notre éducation.

Notre technique nous a révélé les besoins profonds de nos élèves : notre principal souci a été d'utiliser tout le matériel scolaire à la satisfaction de ces besoins. Et ces outils nouveaux n'échappent pas à la règle.

Nous avons fait un vaste effort pour mettre ainsi le cinéma au service de l'enfant. Nous avons été les premiers en France, il y a près de dix ans, à recommander hardiment l'emploi dans les écoles du Pathé-Baby, considéré alors comme un jouet peu digne de l'austérité scolastique. Mais nous avons recommandé le Pathé-Baby parce que lui seul nous permettait pratiquement de constituer dans nos écoles prolétariennes des petites cinémathèques où nous puiserions-selon nos besoins - cinémathèques élargies et renforcées par notre Cinémathèque Coopérative, la première en France, et qui a rendu de si grands services à des milliers d'écoles. Grâce à ces deux initiatives la projection animée pouvait venir comme prolongement de nos recherches dans notre fichier scolaire ou notre Bibliothèque de Travail pour répondre de façon si suggestive aux besoins que la curiosité naturelle des enfants avait fait naître.

Nous avons fait mieux - Grâce à la caméra Pathé-Baby, achetée par l'école ou par un groupe d’écoles, nous avons filmé la vie même des enfants. Et les échanges de films ainsi obtenus ont donné la mesure de ce qu’on pourrait attendre d'un emploi rationnel et pédagogique du cinéma scolaire. Car nous touchons là même avec nos livres d'enfants, à un .intérêt puissant insoupçonné jusqu’à ce jour : ces films qui sont la vie véritable de camarades qu’on connaît, d'autre, part par nos échanges réguliers ont toujours le maximum de succès. Même techniquement imparfaits, ils remuent l'être profondément. Ils aident notre effort éducatif. Ils ajoutent à nos possibilités constructives.

Nous avons réalisé dans le même sens en préconisant, les premiers en France, l'usage pédagogique du phonographe : constitution d'une discothèque scolaire, usage de notre discothèque circulante. L'idéal serait, comme pour le cinéma, que le disque apporte à notre technique, une sorte de couronnement artistique d'une portée considérable, qu'à notre désir éducatif révélé et maintenu tout au long du jour, réponde un beau disque qui s'adapte au souci enfantin, élargisse jusqu'à l'infini ses préoccupations, l'élève et l'idéalise.

Si nous n'avons pu réaliser totalement nos désirs, ce n'est pas tant notre technique qui en est cause que la misère croissante de nos écoles (qui ne nous permet pas d'acquérir le matériel indispensable) d'une part, que la pauvreté pédagogique des productions cinématographiques et phonographiques actuelles. Grâce à l'éveil que nous avons donné, un pas important a été fait. Nous tâcherons de toujours stimuler l'effort commercial en faveur de nos techniques (Nous venons d'éditer 3 disques scolaires pour l'enseignement du chant. S'adresser : Pagès St Nazaire (Pyr.-O.).

Nous ne dirons rien de la Radio, non pas qu’elle ne puisse, dans une certaine mesure, aider également au développement de notre technique, mais parce que, dans l'état de servitude capitaliste où elle se débat, nous ne pouvons pas attendre, de ce mode puissant de diffusion, un service éducatif. Quelques émissions intéressantes ont lieu ça et là. Ainsi comprises, elles ne peuvent aider à notre technique. Les camarades pourront, s'ils le désirent, les utiliser pour distraire quelques instants, en se rappelant bien toutefois que distraire est justement à l'opposé d'harmoniser.

***

Il y aurait beaucoup à dire sur l'emploi de l'imprimerie dans les Cours Complémentaires et les Ecoles Primaires upérieures, dans les Cours d'adultes, pour les diverses besognes extra et périscolaires qui s'accumulent autour de l'école ; sur l'utilisation dans les écoles d'anormaux, avec les sourds-muets, etc... Ce sera le sujet d'un cahier spécial au cours de l'année prochaine.

Nous consacrerons également un cahier spécial aux avantages pédagogiques, psychiques et sociaux de l'emploi de l'imprimerie. Cette brochure étant plus spécialement réservée à la technique de l'Imprimerie à l'Ecole et visant à donner d'abord, à nos jeunes camarades, des indications précises sur la conduite de la classe.

 

Confiance en la jeunesse ! Confiance en la vie !

Nous nous contenterons, en guise de conclusion, de refaire une sorte de schéma récapitulatif de notre technique, pour que nos lecteurs en comprennent et en sentent totalement le processus et que, instinctivement, ils sachent adapter à cette technique toutes leurs possibilités scolaires.

Il y a, à l'origine, ce grand courant vital que notre technique de l'imprimerie libèrera : l'enfant éprouvera le besoin de s'exprimer intimement et trouvera dans l'imprimerie et les échanges la possibilité de réaliser pratiquement cette expression.

Là est la base et la révélation de notre effort, l'élan de vie et de création qui, quel que soit le développement ultérieur, renforcera toujours puissamment votre action éducative ; 1a conception nouvelle des rapports scolaires vous ouvrira d'autres horizons et vous apportera d'autres raisons de vous passionner pour une oeuvre où vous ne trouviez souvent, hélas ! que routine et monotonie.

Cette vie, une fois révélée, il faut la stimuler normalement et naturellement, non par la satisfaction intime et psychique des besoins qui se sont fait jour.

Là réside le tournant pédagogique que notre technique a réalisé. L'enfant dressé dogmatiquement au travail scolaire attend passivement l'action du maître. Même lorsque, sous l'effet de méthodes amenuisées, la pédagogie actuelle semble s'humaniser et faire à l'enfant d'importantes concessions éducatives, elle n'atteint jamais l'être véritable ; elle reste la croûte qui isole irrévocablement la vie adulte de la vie enfantine. Devant cette impuissance à remuer profondément les individus, l'école en est réduite à recourir aux pratiques traditionnelles d'enseignement autoritaire qui imposent arbitrairement ce qu'on n'a point su susciter par une action vitale interne.

Notre technique, vous vous en rendrez vite compte, remue au contraire, au plus profond d'eux-mêmes, nos enfants ; elle nous fait pénétrer dans leur vie qu'elle nous oblige à respecter et à servir. Or, aucune force, au monde ne saurait égaler l'impétuosité du torrent de vie que la jeunesse portait jusqu'à ce jour latente et refoulée et que nous avons libérée et déchaînée. Torrent de vie à l'origine, mais qui, au sein d'une communauté éducative, avec notre aide bienveillante, sympathique, avec l'appui surtout de tout le matériel que nous avons mis au service et à la portée de l'enfant, va, sans diminuer son intensité, s'harmoniser, se régulariser et se discipliner.

Il suffit alors que nous puissions offrir aux enfants désireux de vivre, donc de s'instruire et de se développer, un technique, un matériel, une méthode de travail qui, dans le cadre normal de cette vie, puisse permettre cette évolution et cette harmonisation. On le voit : il s'agit là de quelque chose de plus humain et de plus profond que les centres d'intérêt scolastique. C'est de centres de vie qu'il faudrait parler.

On l'a vu aussi : il ne s'agit plus seulement d'une expérience, indécise et aléatoire, où vous pourriez risquer de tomber, mais d'une technique aujourd'hui établie, servie par un matériel parfaitement au point qui vous permettra, quelles que soient vos aptitudes spéciales, de réussir en toutes occasions.

Nous ne disons pas que cela ne vous vaudra pas des tâtonnements et des renoncements. Nous sommes tous tellement déformés par des pratiques scolaires multicentenaires, nous sommes si foncièrement égoïstes, qu'il nous en coûte certes de nous mettre si totalement au service de l'enfant. Et, en effet, tous les obstacles, tous les ennuis dans cette introduction de notre technique, vous viendront de vous-mêmes, des difficultés naturelles que vous aurez à dépouiller le vieil homme et à faire votre révolution pédagogique.

Mais soyez rassurés, vous y serez poussés et aidés par les enfants qui, eux, ne tâtonneront pas, qui comprendront d'emblée combien cette technique répond à leurs besoins, qui se sentiront renaître, qui vous pousseront dans la voie nouvelle que, avec notre aide, vous découvrirez à votre tour.

Oui, soyez rassurés, vous triompherez.

***

Notre confiance serait-elle seulement un acte de foi et faut-il vraiment, direz-vous, avoir le feu sacré pour participer à cette assurance et à cet espoir ?

Il y a plus que cela, et notre expérience de thérapeutique naturiste nous permet d'aller d’aller plus avant dans l’explication normale des avantages certaine qu’apporte notre technique.

Il nous suffira de comparer à la médecine traditionnelle l’école traditionnelle. D'un côté comme de l'autre, même erreur d'intellectualisme adulte et de fausse science ! la médecine a, peu à peu, découvert et étudié les fonctions diverses des principaux organes de notre corps et elle soigne séparément les déficiences ou les maladies de chacun de ces organes.

La pédagogie procède avec un scientisme tout aussi primitif. On a découvert - j’allais dire : isolé - les fonctions essentielles du comportement intellectuel, moral et même psychique des individus. On a, tour à tour, excité le rôle de la mémoire, de la raison, des mens, de la vision, du toucher, de l'odorat, le rôle de l’adulte même et du sentiment. Des méthodes nouvelles ont prétendu s’appuyer plus spécialement sur ces dernières fonctions, dont les premières seraient l’aboutissant. On a inventé des jeux visuels, tactiles et sensoriels divers ; on a préconisé l'activité. Exactement comme le médecin recommande la marche à certains malades, la chaise longue à d’autres, la thérapeutique du foie, du rein, du cœur, du cerveau, selon les cas. Médecine et pédagogie ont toutes deux réduit au minimum l’effort à demander aux « patients » : l'une en présentant sous forme de médicaments agréables et « sans dangers » les cures qu'elle préconise ; l’autre en masquant sous les aspects du jeu et d'une anormale activité les caractères dogmatiques et oppresseurs de la formation scolaire.

L'une et l’autre n’ont oublié qu'une chose ; la synthèse de tout cet effort, synthèse qui est la vie mystérieuse encore et complexe, vie qui dépasse le fonctionnement de tel et tel organe, la mise en action de telle et telle fonction, mais qui harmonise le comportement général qui, seul, importe.

La thérapeutique naturiste, convaincue de l'interdépendance permanente et totale de tous les organes et de leurs fonctions, considère d’abord la vie ; elle recherche cherche obstinément les moyens les meilleurs pour redonner à cette vie toute son harmonie et sa puissance ; elle oxygène le sang et irrigue le corps en éliminant tous les poisons destructeurs de vie ; elle se met totalement au service de cette vie. Et, comme par miracle, la vie elle-même conditionne et détermine la régénération des organes que la thérapeutique traditionnelle n'avait su que désorganiser.

Nous sommes certains du même succès en éducation : il n'y a pas de déficience de la mémoire, de l'attention, de la compréhension ou de l’action. Ou plutôt ces déficiences sont l'indice d'une désharmonie vitale qui ne saurait se traiter par des thérapeutiques fragmentaires, c'est-à-dire par des méthodes s'adressant en propre à l'une de ces fonctions. Stimulons la vie, éliminons les obstacles à un normal épanouissement, donnons ensuite la nourriture idéale, c'est-à-dire celle qui est désirée et assimilée par l'individu tout entier. Une régénération puissante et curative rétablira, sans préoccupations fragmentaires, l'harmonie vitale qui permet tous les espoirs.

Et c'est parce que notre technique nous permet d'atteindre, en son origine même, la vie et la pensée enfantines, de stimuler ensuite cette vie en facilitant son épanouissement, qu'elle a déclenché, dans toutes les classes où elle a été introduite, un renouveau fécond et prometteur.

Il semble banal, an terme de ce travail, d'affirmer cette vérité pourtant si méconnue : La vie seule importe ; elle seule est créatrice et féconde ; elle seule permet tous les espoirs. Faisons confiance en la vie ; faisons confiance en la jeunesse qui porte en elle tous les éléments d'éducation et de progrès.

 

Emplois du temps

Retour