Dossier pédagogique de l’Ecole Moderne n°6

Supplément au numéro 4 du 15 octobre 1964

 

 

BANDES ENSEIGNANTES ET PROGRAMMATION

 

C.FREINET

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BANDES ENSEIGNANTES ET PROGRAMMATION

Par C.FREINET
Collection Bibliothèque de l’École Moderne
(BEM n° 29-32)
Éditions de l’École Moderne, Cannes. 9F

Les machines à enseigner sont à l’ordre du jour. Il ne s’agit même plus de se demander si elles feront bientôt partie du matériel pédagogique de nos écoles. La technique nous les imposera comme elle nous a imposé le cinéma et la télévision que nous n’avons pas encore su nous approprier, scolairement parlant.

Que l’emploi des machines à enseigner présente des dangers, nul n’en doute, surtout si la mode nous vient d’Amérique. Mais il est tout aussi certain que cette mode nous vaut des virtualités nouvelles que nous aurions tort de négliger.

Il appartenait à Freinet, déjà initiateur des brochures Bibliothèque de Travail qui sont les premiers modèles de programmation, des Fichiers autocorrectifs programmés, d’innover dans ce domaine.

Il le fait par la réalisation de Boîtes de Bandes enseignantes simples et pratiques qui peuvent pénétrer dès maintenant dans la masse des classes de tous degrés.

Dans le livre Bandes enseignantes et Programmation, Freinet explique la genèse psychologique et pédagogique de son innovation qu’il confronte avec les théories américaines sur la programmation, et il présente, avec de nombreux exemples, la technique nouvelle qui se répand rapidement.

Tous les éducateurs doivent lire ce livre de théorie et d’action.

Bandes enseignantes

C. Freinet

Machines à enseigner et Programmation sont à l’ordre du jour.

On en parle, on en discute. Sur des on-dit sans fondement, on écrit des articles véhéments. Des commissions se réunissent pour préparer des plans, et les grandes maisons d’édition travaillent en secret paraît-il pour accoucher un jour prochain de quelques belles machines à enseigner électroniques.

Encore une fois, nous n’avons pas voulu être en reste. Nous avons hardiment pris la tête du peloton et nous avons expérimentalement mis au point un système de boîtes enseignantes fonctionnant avec des bandes de notre création, les premières en France et même dans le monde à affronter l’épreuve difficile de modernisation de notre enseignement dans la masse des écoles de tous degrés.

Nous avons osé affronter le préjugé défavorable qui handicape l’idée trop américaine des machines à enseigner. Nous travaillons toujours en effet, sans parti-pris. Nous ne sommes pas partisans de la nouveauté pour la nouveauté, pas plus que nous ne sacrifions à la tradition. Nous oeuvrons sans dogmatisme et sans a priori. Instituteurs travaillant dans nos classes, nous sommes sans cesse à la recherche de tout ce qui peut faciliter notre tâche en améliorant le rendement technique et humain.

Les machines à enseigner sont, que nous le voulions ou non une des formes de l’enseignement de demain. Il ne s’agit pas de les bouder sous le prétexte que, dans leurs formes communes, elles présentent des tares qui nous effraient.

Les machines dont on dit tant de mal ne peuvent-elles pas être aménagées pour nos classes ? L’enseignement programmé est-il à notre portée ? Sous quelle forme et dans quels buts ?

J’ai déjà répondu à ces préoccupations dans mon livre : Bandes enseignantes et Programmation qui vient de sortir et que quelques-uns d’entre vous ont lu. Je ne le répéterai pas dans ce dossier où je m’appliquerai surtout à vous apporter une documentation pratique pour le démarrage dans cette technique.

Je critique dans mon livre les fondements psychologiques et pédagogiques des machines à enseigner, basées sur une théorie du comportement dont nous disons l’insuffisance et une conception que nous jugeons fausse de l’apprentissage.

J’expliquerai plus loin en quoi notre principe du Tâtonnement expérimental et les pratiques qu’il étaye nous paraissent supérieurs au béhaviorisme des machines à enseigner.

Peu importe en somme le passé. S’il peut nous servir nous l’étudierons attentivement pour en tirer le maximum, s’il s’avère qu’il est un obstacle au progrès éducatif, nous chercherons ailleurs nos techniques de travail.

La programmation

La conception de la machine à enseigner n’est évidemment pas indifférente. Nous dirons quelques-uns des avantages de la nôtre. Mais ce qu’on met dans cette machine a plus d’importance encore. Vous pouvez avoir un appareil photographique de premier choix, avec des lentilles excellentes et une mécanique parfaite, si vous ne placez dans cet appareil que des pellicules voilées ou du moins de mauvaise qualité, les résultats resteront toujours insuffisants.

D’abord, qu’est-ce que cette programmation ?

On dit volontiers qu’elle consiste à atomiser les difficultés, c’est-à-dire à les présenter en une suite de petites opérations qui font franchir pas à pas les escaliers de connaissances que les enfants ne peuvent pas aborder de front dans leur complexité.

Nous comparons toujours la programmation à la préparation d’une chaîne pour automatisation. On ne peut pas expliquer à la machine ce qu’elle doit faire. Il faut lui préparer une suite d’opérations simples dont l’ensemble mènera au résultat voulu. Il suffit qu’un contrôle automatique assure l’exécution de chaque séquence, faute de quoi la chaîne ne pourrait pas continuer. Il y a en effet une programmation qui, à l’image de la chaîne, ne nécessite que quelques gestes simples, où l’intelligence n’a qu’une faible part. Elle donne de bons résultats pour l’apprentissage des divers mécanismes, ainsi que pour les travaux d’ateliers. Nous avons voulu aller plus loin, dans le sens d’une programmation plus intelligente que seul permet pour l’instant notre système de bandes.

Ne nous laissons donc pas impressionner par tout ce qui est dit ou écrit sur les machines à enseigner et la programmation. Il y a peu de gens qui aient une suffisante expérience en la matière pour voir sûr et juste.

Nous avons l’avantage d’avoir aujourd’hui cette expérience.

Nos premières réalisations en fait de programmation :

LES FICHIERS AUTOCORRECTIFS

Bien avant que la mode s’institue des machines à enseigner, nous avions mis au point et réalisé un des premiers montages programmés avec nos Fichiers autocorrectifs.

Nous avons aujourd’hui perfectionné ce système de fichier autocorrectif en présentant la programmation sous forme de bandes enseignantes qui ont sur le fichier quelques supériorités :

Nous avions, pour le calcul, la géométrie, la grammaire, l’orthographe et la conjugaison étudié expérimentalement les principales difficultés que l’individu rencontre au cours de son apprentissage. Pour chacun de ces exercices nous avions conçu et réalisé un certain nombre d’exercices gradués qui permettaient aux enfants d’avancer seuls dans l’acquisition et l’automatisation des mécanismes divers.

Les demandes sont établies sur carton bulle 10,5 X 13,5 et les réponses sur carton orange de même format. On place les Demandes dans une boîte et les Réponses dans l’autre. L’enfant prend la fiche-demande, fait le travail indiqué et le contrôle ensuite sur la fiche-réponse.

Les résultats obtenus à ce jour ont consacré la valeur de cette forme de programmation. Il suffirait de disposer ces fiches dans un mécanisme automatique - ce qui serait d’une mise au point facile - et nous aurions une des plus simples des machines à enseigner.

- Nous avons moins de répétitions et nous les faisons sous une autre forme qui fait moins de place à la répétition mécanique.

- Nos fichiers étaient trop copieux. Nous avons réduit sérieusement le nombre des exercices.

- Alors que le fichier est un tout, dont on ne voit jamais la fin, nos bandes se présentent comme des séquences qui ne demandent qu’une ou plusieurs heures de travail.

- Enfin, nous avons la possibilité d’adapter le fichier à notre classe par nos Bandes bis dont nous reparlerons.

Tels qu’ils sont ces Fichiers autocorrectifs aujourd’hui officiellement recommandés, rendent les plus grands services. Ils constituent un matériel individuel, tout particulièrement adapté aux classes difficiles où les méthodes habituelles ont ostensiblement échoué.

Voici un exemple de fiches autocorrectives.

Pour tout ce qui concerne
·         Le livre de C.Freinet
·         Les fichiers autocorrectifs
·         La collection Bibliothèque de Travail
·         Les bandes et boîtes enseignantes
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Les brochures Bibliothèque de Travail

Autre matériel, programmé avant la lettre, notre Collection Bibliothèque de Travail de brochures de 24 pages, traitant la masse des centres d’intérêt possibles dans nos classes (600 brochures ont paru à ce jour).

Dès le début, il y a vingt ans, nous avons rompu avec l’habitude de tous les livres pour enfants qui présentent une succession de chapitres, plus ou moins illustrés où les éléments s’emmêlent et se chevauchent à plaisir, l’art de la lecture étant compris justement comme la possibilité de débrouiller cette complexité pour comprendre le sens du texte.

Nous avons alors adopté la formule, que nous n’avons jamais changée: un texte et une photo ou un dessin par page, chacune de ces pages constituant un tout.

Il s’est avéré que, outre l’intérêt documentaire de ces pages et leur adaptation au niveau des enfants, la disposition en séquences indépendantes programmées a fait beaucoup pour le succès croissant de cette collection.

Les bandes enseignantes

Nous avons fait un progrès de plus dans cette voie de la programmation avec nos bandes enseignantes.

Voici, pour que vous sachiez de quoi il s’agit, une présentation sommaire de nos Boîtes et de nos Bandes.

comment se présente la Boîte

La Boite enseignante Freinet (photo ci-dessus) se présente un peu comme le corps d’un appareil photo dans lequel une bande se dévidant défile devant une fenêtre avant de s’enrouler à nouveau sur une autre bobine.

L’appareil est prévu pour fonctionner avec des bandes de 13 cm de large et 3,25 m de long.

Le voyant est de 13 cm x 7 cm. Un modèle plastique a été réalisé pour ce format. Un autre modèle de Boite tôle et contreplaqué, fonctionnant avec la même largeur de bande, comporte une lunette de 13 cm x 10 cm et convient plus spécialement pour le Second degré et l’enseignement Technique (voir le plan de cette Boîte p. 46).

Des boutons molletés placés à une extrémité des axes permettent à l’opérateur de faire avancer à volonté, ou reculer la bande.

Le changement de bande est excessivement simple et à la portée d’enfants de cinq à six ans, qui opèrent parfois mieux que leurs maîtres.

LA BOITE ENSEIGNANTE

(Brevet FREINET)

Ouvrez la boîte. Posez le couvercle à côté de vous et prenez en main le support.

Vous avez deux axes: l’un, comme ceci, avec une fente, est destiné à recevoir l’amorce de la bande. L’autre est nu, mais il comporte sur son extrémité deux ergots.

Vous les placez comme ceci:

Les bandes à utiliser sont fixées sur un tube support qui s’encastre parfaitement dans l’axe ergot.

Vous poussez à fond, en tournant légèrement l’axe si nécessaire, pour que la fente du tube reçoive l’ergot. Vous déroulez la bande qui vient passer sur la plaque a et que vous accrochez sur l’axe fendu: vous passez l’amorce dans la fente, vous faites faire un tour à l’axe pour que la bande soit fixée (fig. I).

Vous remettez les deux axes ainsi préparés dans leur siège.

A ce moment-là vous prenez le couvercle que vous placez sur la boîte en veillant à ce que les axes soient bien placés.

L’appareil est prêt à fonctionner. Les textes défilent sous le voyant quand vous manoeuvrez les boutons.

I. Les axes doivent tourner doux. S'il y a une résistance anormale, ne forcez jamais, mais vérifiez :
a) si les axes sont bien dans leur siège ;
b) si l'axe ergot est bien poussé à fond
c) si les axes entrent juste dans leurs encoches
d) si vous n'appuyez pas trop fort sur le couvercle, en manœuvrant les boutons.
Dans ce cas la bande se coince et ne circule plus librement.

2° Quand vous ouvrez la boîte, maintenez les rouleaux pour qu'ils ne tombent pas, car la bande se déroulerait et les axes pourraient se casser.

3° Nous n'avons pas voulu mettre un système de fermeture quelconque, ce qui aurait compliqué le mécanisme et en aurait augmenté le prix.
Pour la fermeture, le couvercle force un tout petit peu en a. Si vous trouvez qu'il ne force pas assez ; si, lorsqu'il aura beaucoup servi le couvercle s'enlève trop facilement au risque de tomber, il suffit de coller une ou plusieurs épaisseurs de scotch sur la partie qui frotte en a.

4° Attention : nous avons fait une boîte solide, mais tout ce qui est en matière plastique risque de se briser sous les chocs secs. Ne laissez pas tomber la boîte ni les axes.

5° vous pouvez coller une jolie étiquette avec votre nom sur une des faces de la boîte ou sous le socle.
La boîte est pratiquement inusable.
Nous l'avons réalisée à un prix très bas pour que chaque élève puisse avoir sa boîte.

6° Vous pourrez, si vous le désirez, diminuer les dimensions de la lunette en collant un cache à la mesure sous la partie transparente du couvercle.

Les bandes enseignantes

C’est la grande nouveauté.

Voici comment nous les avons conçues : nous avons:

- des bandes programmées pour l’acquisition des mécanismes simples, plus spécialement en calcul.

Nous avons édité une série de 100 bandes, du CP au FEP, avec acquisition de la technique des opérations et problèmes programmés.

- des bandes programmées pour techniques complexes, notamment en Français. Nous avons édité un Cours de Français de 60 Bandes (CP, CE et CM). Les bandes ont été réalisées selon une technique de programmation originale que nous expliquons dans le livre;

- des bandes programmées pour complexes d’intérêt et notamment pour l’étude du milieu qui peut, grâce à cette technique devenir vraiment le centre de tout notre travail scolaire;

- mais la meilleure utilisation de nos Bandes sera encore nos Bandes de travail pour les diverses disciplines: calcul vivant, histoire, géographie, sciences, observations, expériences, ateliers de calcul, etc...

Les éducateurs n’avaient naguère à leur disposition que les manuels scolaires qui leur présentaient les observations et les expériences des autres, que les enfants devaient «apprendre» pour assimiler des connaissances.

Nous avons pensé qu’à cette pédagogie scolastique de répétition nous devions substituer une pédagogie de recherches et d’expériences qui, non seulement, augmentent les connaissances des élèves, mais les éduquent en profondeur, pour leur faire acquérir une culture.

Nous avions alors réalisé des Fiches-guides qui «guidaient» les enfants dans leurs recherches, dans leurs travaux et leurs expériences, quelques-unes de ces fiches comportaient déjà une sorte de programmation assez poussée. Mais la plupart du temps, nous ne rentrions pas suffisamment dans le détail, nous n’aidions pas assez les enfants. C’est le défaut notamment de nos 100 Fiches-guides de TSE.

Avec ces fiches les enfants parvenaient rarement à se tirer d’affaire tout seul, ce qui était effectivement une tare.

Avec nos bandes, nous poussons plus avant cette programmation. En 25 ou 30 séquences la bande indique dans le détail des observations à faire sur des insectes ou des animaux, les modalités techniques et pratiques pour les expériences et les recherches. Les résultats s’avèrent à ce jour surprenants.

CONSEILS

pour l’usage des bandes éditées

et la préparation des bandes-bis

Ce que nous avons dit ci-dessus vise à vous familiariser avec les outils de cette nouvelle technique. N’insistons pas pour la Boîte. Elle est d’un maniement si simple et, pourrions-nous dire si usuel qu’un enfant de 6-7 ans la monte et la manœuvre sans difficulté. Les bandes elles-mêmes ont été réalisées par des équipes entraînées qui, profitant de notre longue expérience des fichiers autocorrectifs vous pré­sentent un matériel de choix, sinon parfait.

Comment les emploierez-vous?

Nos bandes, comme nos fichiers autocorrectifs ont cette qualité aujourd’hui essentielle de s’adapter à toutes les classes. Vous pouvez très bien, dans une classe fonctionnant encore selon les méthodes traditionnelles, introduire des fichiers ou des bandes qui vous apporteront simplement un moyen pratique de donner efficience à vos leçons. Si les fichiers sont parfois difficiles à utiliser dans les classes étroites et surchargées, hélas aujourd’hui si nombreuses, les bandes, matériel plus individuel, s’accommodent de toutes installations. Il suffit d’avoir des plannings bien préparés pour offrir à chaque élève la bande ou les bandes qui leur conviennent.

En somme les bandes remplaceront les exercices des manuels en calcul et en français. Seulement ce sont des exercices non scolastiques, plus naturels, que les enfants exécutent avec plaisir, surtout lorsqu’ils sont favorisés de l’attrait supplémentaire de la Boîte enseignante, Et la bande favorise l’application, l’ordre et le goût dans le travail, la conscience de la tâche bien exécutée, toutes choses qui sont précieuses dans toutes les classes.

Nous voyons très bien par exemple une classe homogène de ville utiliser aussi les bandes de calcul. Quand la leçon - calcul vivant ou leçon traditionnelle - sera terminée, sera réservé un temps plus ou moins long de travail individuel sur bandes, au cours duquel chacun avance à son rythme, sur le sujet indiqué, sans difficulté majeure, sans bruit, dans une atmosphère de travail paisible qui est la caractéristique d’une bonne méthode pédagogique.

Il en sera de même en français.

Les bandes de travail, en histoire, en sciences, en géographie, remplaceront peu à peu les exposés insipides. Quelques-unes de ces bandes de travail nécessiteront que, à certaines heures au moins, soit rompu, partiellement ou totalement, l’ordre scolastique, du travail à des tables alignées selon une loi immuable. Peu à peu, que nous le voulions ou non, si nous désirons progresser, il nous faudra nous orienter vers la classe-atelier pour les sciences notamment, où les observations et les expériences nécessitent une organisation adéquate, possible dans une classe ordinaire, même exiguë. Cette idée de classe-atelier est aujourd’hui admise et même recommandée par les Instructions Ministérielles. Avec les bandes enseignantes vous pourrez y pourvoir avec un minimum de transformations: table d’exposition de documents; tables autour de la classe pour le travail scientifique et historique; table pour l’atelier de calcul, avec balances, poids, mesures diverses, etc... Les bandes régleront désormais ce travail d’atelier que vous pourrez prévoir tous les après-midi.

Pendant ces heures de travail au moins, vous romprez l’ordre scolastique. Les tables seront regroupées en tables de travail: observations, découpages, dessins, etc... individuels ou en équipes. Nous n’aurions recommandé naguère ces transformations qu’avec une extrême prudence car elles supposent une organisation très poussée du travail. Nous avons et nous aurons maintenant cette organisation grâce à nos bandes enseignantes.

Vous pourrez donc les introduire progressivement dans vos classes. Vous en développerez l’emploi au fur et à mesure que l’enthousiasme des enfants pour cette nouvelle technique vous incitera à y adapter la nouvelle organisation de votre classe.

Vous parviendrez ainsi, un jour plus ou moins proche, à l’organisation du travail en pratique désormais à l’École Freinet: travail vivant pendant la première heure de la matinée: expression libre, texte libre, composition, exploitation rapide du texte, calcul vivant, dans le cadre de l’indispensable Plan de Travail.

Durant la dernière heure du soir: synthèse par comptes rendus et conférences.

Entre temps, travail sur bande pour acquisition des mécanismes et avec bandes de travail pour les diverses disciplines.

Vous serez étonnés vous-mêmes des résultats.

Les Bandes – bis

Mais si vous en étiez réduit à utiliser les Bandes diverses préparées et éditées par notre Centre, vous procéderiez en somme comme l’usager actuel des autos qui ne connaît de sa machine que la manoeuvre élémentaire des appareils de conduite, mais qui se reconnaît impuissant dès que le moindre accroc intervient: moteur en panne ou roue à changer. Il doit faire appel à un aimable passant ou à un ange de la route.

Vous auriez certes entre les mains un outil - les bandes - qui serait supérieur aux manuels scolaires, mais qui n’en est pas moins réalisé, à Cannes ou ailleurs, pour des écoles qui ne sont pas tout à fait semblables à la vôtre et des enfants différents aussi. Si VOUS n’adaptez pas vos outils de travail à votre classe et à vos élèves, vous ferez fausse route. Vous ne parviendrez surtout pas à aborder l’aspect subtil et délicat de tout enseignement, qui est ce dialogue nécessaire entre l’éducateur d’une part, l’enfant et le milieu d’autre part. Quelles que soient les perfections techniques que les machines nouvelles pourront lui apporter un jour, l’enseignement aura toujours besoin de cette part du maître qui établit et développe les contacts indispensables.

Nos bandes resteraient un matériel scolastique si elles ne présentaient cette possibilité précieuse d’être adaptées aux enfants, aux écoles et au milieu pour une éducation qui sera alors culture.

Cette fonction d’adaptation, nous la ferons avec nos Bandes-bis à préparer par le maître et les élèves.

Qu’est-ce donc que ces Bandes-bis ?

C’est la grande nouveauté de notre technique, que ne possède à ce jour aucun système de machine enseignante, et qui permet la participation du maître et des élèves à l’adaptation générale des bandes.

Quand un élève - ou un groupe d’élèves - butent sur une difficulté que les bandes éditées ne leur permettent pas encore de surmonter, (la multiplication avec les zéros intercalés au multiplicateur, ou la distinction entre on et ont en français,) nous rédigerons une bande supplémentaire bis qui s’intercalera entre les bandes correspondantes. Ces bandes rendent possible une sorte d’exercices supplémen­taires qui permettent aux enfants de surmonter la difficulté pour rattraper le rythme des bandes normales. Elles peuvent n’être qu’un moyen fortuit de dépannage. Mais la plupart du temps, ces bandes-bis, réalisées sur une belle bande vierge, s’ajouteront aux autres séries de bandes pour en faire un ensemble adapté à la classe et valable encore les années suivantes.

Mais ces bandes-bis seront surtout à prévoir dans le cadre des bandes de travail: étude du milieu, observation d’insectes et d’animaux, calcul vivant, visites et recherches historiques et géographiques, etc... Le véritable travail de préparation de la classe se fera dorénavant par les bandes, le travail d’une année servant ainsi les années suivantes.

Tous les travaux à envisager peuvent être mis ainsi sur bandes bis accidentelles ou définitives.

Cette technique est valable pour tous les cours, de la classe maternelle ou enfantine, pour lesquelles nous réaliserons plus spécialement des dessins jusqu’aux CEG, l’enseignement technique et le 2e degré où les bandes remplaceront progressivement et avantageusement les manuels bourrés de leçons et d’exercices.

Mais c’est pour l’enseignement des handicapés de tous ordres que cette technique s’avère comme bénéfique : dans les classes de perfectionnement où les récentes Instructions Ministérielles recommandent nos techniques; les classes de transition et les classes terminales où, selon les Instructions on doit s’orienter vers un enseignement vivant et non livresque, sans manuels scolaires; les classes d’amblyopes où des bandes spéciales permettront un travail normal ; les cours techniques où la programmation fait merveille; les écoles d’hôpitaux et de sanas qui attendent une méthode d’enseignement individualisé; les adolescents et les étudiants du second degré, sans compter l’enseignement dans les pays en voie de développement qui sont à la recherche de méthodes pédagogiques liées au milieu et non scolastiques.

Le Centre International de Programmation de l’École Moderne animera le vaste mouvement de recherches et d’expériences que nécessite l’expansion prochaine des Boîtes et Bandes enseignantes.

mais comment réaliser ces bandes?

C’est apparemment facile.

Il suffirait d’atomiser les difficultés, d’établir les paliers, de prévoir des exercices, toutes choses pour lesquelles les instituteurs semblent être particulièrement préparés. Nous croyions la chose facile, et, à notre grand étonnement tous les camarades ont été très longs à s’entraîner, et ils ne sont pas encore nombreux ceux qui réussissent avec un plein succès.

Dans ce domaine plus que dans d’autres encore une initiation est indispen sable. Nous allons tâcher de nous y appliquer.

Nous redoutons actuellement l’épreuve de généralisation de nos techniques parce que nous craignons que les nouveaux venus emploient nos innovations: texte libre, imprimerie, correspondance, journal scolaire, dans un esprit scolastique, et qu’ils préparent de même des travaux et des exercices sur bandes qui seraient le pur pendant des devoirs scolastiques.

Alors, les enfants se lasseraient bien vite des bandes comme ils se lassent des devoirs et nos critiques auraient beau jeu alors d’argumenter que les bandes ne valent pas mieux que les manuels, et que tout dépend du maître qui les emploie - ce qui n’est qu’en partie vrai.

Il faut que nos camarades d’abord, la masse des éducateurs ensuite, soient initiés à la préparation de ces bandes, condition indispensable de leur succès.

1°. - D’abord circonscrire le problème:

Nous ne pensons pas que les bandes suffisent à tout. Elles supposent que la communauté, dont le maître est l’animateur, a pris conscience de son rôle et de ses responsabilités au sein du milieu où elle se trouve; que se sont révélés ou imposés des problèmes, que ce sont ouvertes des pistes qui vont motiver le, travail à venir. Si ce travail préalable d’intégration n’est pas réalisé, il y a seulement scolastique, c’est-à-dire travail artificiellement suscité, extérieur à l’individu, exactement comme il se produit avec les manuels scolaires.

Nous ne dépasserons pas la pédagogie cybernétique des Américains si nous nous contentons d’utiliser les mécaniques nouvelles pour résoudre les problèmes posés par l’ancienne pédagogie.

C’est cette pédagogie que nous voulons remplacer, ce qui suppose un rôle nouveau des bandes enseignantes.

2°. - Pour bien programmer, il faut se dépouiller d’abord de l’esprit scolastique qui est malheureusement ancré en nous au point que nous ne pouvons parfois plus l’en arracher.

Quelles sont les erreurs que nous fait commettre cette scolastiques?

3°. - Ce n’est jamais par l’explication ou la démonstration abstraite qu’on progresse dans les indispensables acquisitions, mais par l’expérience, l’observation et la vie.

Il en résulte qu’il faut éliminer systématiquement les explications de nos bandes.

C’est en effet ce qui caractérise toutes les bandes réalisées par des débutants: le verbiage toujours inutile parce que au-dessus de la compréhension des enfants. Ces explications et ces démonstrations seront la conséquence et l’aboutissement du travail des bandes.

4,°. - Et si l’enfant n’a pas compris, dira-t-on, il faut bien lui faire comprendre! C’est que c’est justement une erreur de penser que vos explications vont lui faire comprendre. C’est par des observations supplémentaires, par des expériences, par des confrontations d’éléments qu’on y parviendra. Le délicat est justement de trouver ces éléments.

I1 faut bannir de nos bandes les techniques scolastiques dont nous avons tous trop souffert. A temps nouveaux, techniques nouvelles. Nous pourrions même faire la liste de ces techniques pour que nous les encadrions définitivement du rouge traditionnel:

a) Plus de questions. On nous en a assez posé. On pose la question à un subordonné ou à un suspect. Le policier pose des questions. L’instituteur en pose pour les mêmes raisons. Nous n’en poserons plus. Nous ne dirons plus: Cherche, calcule, quel est le prix, quel est le bénéfice? Quel est le chiffre de population?

Mais nous dirons plus naturellement, comme on le fait en famille: Qui sait combien ça coûte? Je vais calculer - C’est trop cher! Là, oui, je fais du bénéfice. Qui sait combien? J’ai vu sur le dictionnaire que cette ville a X habitants.

C’est peu, mais c’est beaucoup. Plus tard, quand vous serez désintoxiqué, vous pourrez réintroduire quelques questions dans vos bandes. Mais au début, élimination totale.

b) Ne retombez pas dans les devoirs traditionnels. Ne dites plus: conjugue tel verbe, à tel temps ou à telle personne. Écrivez tels mots au féminin ou au pluriel.

I1 nous faut trouver ce que j’appelais à nos séances de cet été: des astuces plus naturelles. Au lieu par exemple de mettre des verbes au futur nous dirons: Demain Pierre partira de bonne heure .....il.....Ou bien: Il n’avait pas qu’un cheval. Il y en avait plusieurs. Alors le patron disait... Vous verrez dans nos bandes de français les astuces que nous avons trouvées. Vous en découvrirez d’autres.

c) Supprimez régulièrement tous ces devoirs ou exercices à trous qui ne signifient rien et pour lesquels la réponse ne peut jamais être qu’approximative.

- Faites une phrase avec les mots suivants...

- Trouvez un synonyme.

- Mettez un complément direct à ce verbe etc...

Nous en avons tous été excédés. Il nous faut trouver autre chose. Nous y parviendrons ensemble.

N’oubliez pas que la plupart des exercices des manuels ne sont en réalité que des bouche-trous, pour tuer le temps dans des écoles où il n’y a pas de possibilité de travail.

Si on supprimait du jour au lendemain tous les exercices des manuels, comment les instituteurs pourraient-ils attendre 11 h ou 4 heures ?

d) Attention aux tournures scolastiques que nous ne parvenons pas à supprimer de notre langage d’instituteur et que les enfants comprennent mal ou comprennent de travers. Soyez simples et naturels.

6°. - Attention! Vos bandes ne doivent jamais être compactes et rébarbatives.

- Veillez bien à ce qu’il n’y ait qu’une séquence, qu’une question par plage, avec sa réponse, même courte. N’en mettez pas deux sous le prétexte que la fiche est à moitié vide et que cela prend trop de place. C’est le principe essentiel de la programmation qu’on traite une question puis l’autre et non les deux en même temps. Et il est indispensable que ces questions apparaissent séparément sur la lunette de la machine.

C’est une condition du fonctionnement optimum de la bande.

- Ne faites pas trop concentré; n’accumulez pas les difficultés. Pensez que la bande ne doit pas demander plus d’une heure de travail. Il est des camarades qui ont établi parfois des bandes qui sont de véritables chapitres de livres et qui nécessiteraient, pour être bien traitées, toute une semaine de travail individuel ou en équipe.

Vous aurez tout avantage à dédoubler ces bandes, à aérer les fiches, de façon que l’enfant puisse voir le bout de son travail sans difficultés excessives.

N’accumulez pas trop de difficultés. Il vaut mieux parfois, si une connaissance ou un renseignement sont nécessaires, les donner purement et simplement en camarades.

Pensez toujours à ce que vous feriez si vous n’étiez pas à l’école.

7°.- Ces observations sont intégralement valables pour les bandes de travail que vous pourrez préparer :

-Veillez à ce que le travail mentionné soit effectivement possible.

- Entrez dans le détail des opérations par une programmation minutieuse, opération par opération.

- Veillez à ce que l’enfant pisse terminer son travail en un temps raisonnable, une heure environ. Si nécessaire, dédoublez la bande.

- Évitez de faire comme dans les manuels où l’on présente le résultat des observations et les conclusions à tirer avant de faire les observations et expériences. Il faut obligatoirement commencer par ces dernières et laisser les enfants par comparaisons et recherches, tirer les conclusions que vous pourrez alors discuter. C’est le rôle vraiment éducatif de ces bandes.

En conclusion

Collaborez intimement avec vos élèves. Ne leur imposez pas d’autorité telle ou telle bande. C’est à une sorte de travail coopératif que vous devez vous livrer.

Le but à atteindre c’est que, après avoir travaillé sur une bande, les enfants viennent vous dire: elle est bien, elle est épatante; elle est intéressante.

S’ils font des réserves, vous tâcherez de faire mieux; notre cours par correspondance et l’Éducateur technologique vous aideront à acquérir pour cette nouvelle technique la compétence souhaitable pour que, tous ensemble, nous puissions rester dans ce domaine aussi, à la tête du peloton.

C.F.

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