Les dossiers pédagogiques de l’Educateur n°32-33

du 1er mai 1968

L’ENSEIGNEMENT MATHÉMATIQUE

Pour une "Mathématisation"

à base de tâtonnement expérimental

par Edmond Lèmery et la commission ICEM

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L’ENSEIGNEMENT MATHÉMATIQUE

Pour une « Mathématisation

à base de tâtonnement expérimental

Comment, partant de « situations » familières vécues, de ses préoccupations, de ses intérêts réels, de ses questions, de ses actions, l’enfant ou l’adolescent peut-il aboutir, après une période de recherche, de découvertes, de créations, - selon le processus du tâtonnement expérimental - avec la coopération du groupe-classe et du maître, à la construction progressive d’un univers mathématique ?

Comment peuvent naître naturellement, après que les essais se soient multipliés, puis organisés en toute liberté, des concepts mathématiques ?

Comment peuvent aussi naturellement s’abstraire des structures qui sont celles de la mathématique moderne ?

Les expériences relatées dans ce dossier, bien que partielles encore en raison des structures actuelles (horaires, programmes), peuvent être le témoignage d’une méthode naturelle à base de tâtonnement expérimental valable à tous les degrés et dans tous les domaines de l’éducation.

Edmond LEMERY

Sommaire

Expérience de « libre recherche »

Brefs reflets...

Pour faire connaissance ?...  
des cartes perforées     

L.P. ASTRE
BOUCHERIE
CASTETBON

Des disques de correspondance    

L.P. ASTRE
BOUCHERIE

Mesures et incertitudes      

BOUCHERIE
L.P. ASTRE

Des angles à côtés courbes !...  L.P. ASTRE
En préparant le voyage-échange 
avec les correspondants   

CASTETBON
BOUCHERIE

   
Analyses de recherches particulièrement marquantes
   

Vers une géométrie rénovée, cinématique...
les transformations   

  L.P. ASTRE

Vers les espaces vectoriels...
les déplacements  

E. LEMERY
   
Vers une méthode naturelle d’apprentissage
   
Organigramme
Mathématisation à base de tâtonnement
expérimental  
E. LEMERY
La part du maître   E. LEMERY

Des techniques complémentaires, favorables
à un travail individualisé    

E. LEMERY
En guise de conclusion     E. LEMERY

 

Brefs reflets

POUR FAIRE CONNAISSANCE...

...DES CARTES PERFORÉES

Pour envoyer à nos correspondants les renseignements nous concernant, nous avions utilisé les diagrammes de Venn mais pour leur donner plus de détails, il nous a fallu recourir aux cartes perforées.

En les recevant, les correspondants ont décidé d’en faire autant...

Nous avons pu apprendre, par exemple, qu’Elio était né en 1954 en Gironde, qu’il habitait à Saint-André, que ses parents étaient cultivateurs, qu’il avait au moins une soeur, qu’il était abonné à l’Ami Coop, adhérait à l’A.O.L., qu’il avait télévision et voiture et qu’il venait à l’école en bicyclette.

Nous savons aussi que dans la classe de Saint-André, six élèves ont des parents fonctionnaires, seize sont fils d’ouvriers et huit ont un père cultivateur.

Voilà des manipulations, des recherches qui peuvent aider les enfants, à partir de leur vie à découvrir

            Les ensembles

            Les relations entre ensembles

Et plus tard l’algèbre des ensembles : l’algèbre de Boole.

DES DISQUES DE « CORRESPONDANCES »...

Bernard, dont on dit : « C’est un bon élève » n’en a pas les réflexes. Lorsqu’il a compris, il veut expliquer à ses camarades.

Dans ce but, il a monté une série de disques en carton (sans aucun doute, il s’est inspiré des disques de stationnement...)

Les éléments d’un ensemble se succèdent à la première fenêtre, pendant qu’apparaissent à la deuxième leurs correspondants.

Bernard a ainsi mis au point des disques illustrant quelques relations linéaires du programme de 6e.

Pour terminer ses travaux en beauté, il a voulu matérialiser une relation d’équivalence.

Une création intéressante qui nous confirme que très naturellement l’enfant, même très jeune, établit une multitude de « correspondances ». Qu’il manipule celles-ci, qu’il prenne conscience de ces relations... et le domaine des « applications » (ou fonctions) est alors ouvert.

MESURES ET INCERTITUDES

Dès le premier jour de classe, nous avons décidé de nous poser des problèmes. Chacun a raconté les situations dans lesquelles il avait utilisé des nombres et - saurons-nous jamais pourquoi ? - c’est celle-ci qui a intéressé tout le monde : « Durant les vacances, je voulais mesurer un champ et je n’avais pas de chaîne d’arpenteur ; comment pouvais-je faire ? »

La question posée, chacun propose sa solution... après l’avoir expérimentée dans la cour de l’école.

- Je mets un pied devant l’autre.

- Pour mesurer avec des pas, on mesure d’abord notre pas et on le porte autant de fois qu’il le faut.

- J’ai pris une ficelle de 1 m ; j’ai mesuré entre deux nœuds (50 cm). Il restait à chaque bout 25 cm, avec lesquels je me suis attaché au-dessus du soulier.

- Nous étions trois avec une ficelle de 10 m.

- En comptant les éléments de la bordure du trottoir.

- Le « technicien de service » suggère l’utilisation de l’outil qu’il vient de construire :

Enfin nous découvrons l’instrument idéal, le double décamètre à ruban et nous comparons nos différents résultats à ce que nous a fourni cet instrument d’adulte.

Nous avions abandonné peu à peu le problème de la mesure du champ pour nous intéresser à la mesure de la cour et bientôt peut-être à la mesure pour elle-même.

Largeur de la cour des préfabriqués

Moyens utilisés

Longueur

Erreur

21 pas de 70 cm

14,70 m

3,30 m

22 pas de 76 cm

16,72 m

1,28 m

21 pas de 91 cm

19,11 m

1,11 m

15 pas de 105 cm

15,75 m

2,25 m

21 pas de 80 cm

16,80 m

?-,20 m

68 pieds de 26 cm

17,68 m

0,32 m

71 pieds de 25 cm

17,75 m

0,25 m

78 pieds de 23 cm

18,94 m

0,06 m

75 pieds de 24 cm

18 m

0

ficelle

18,20 m

0,20 m

18 ouverture de compas de 1 m

18 m

0

double décamètre

18 m

0

( cette mesure est juste)

   

Nous avons constaté au passage l’excellent résultat obtenu technicien avec ce qu’il appelait « un compas de 1 m ».

Si ce travail spontané a permis de motiver quelques points importants du programme de sixième (mesures, incertitudes absolues et relatives), cela n’a été possible que grâce à la confrontation des diverses expérimentations (l).

Cherchant sans doute une confrontation plus large (2), un enfant a proposé : « Si on envoyait ça aux correspondants ? » Vite une reliure. L’album est prêt... il part... il arrive...

Mais cela est une autre histoire...

(1)    (2) Cela illustre particulièrement cette phase de la socialisation, mettant en évidence le tâtonnement collectif du groupe, les apports de chacun, la recherche naturelle de la confrontation (voir l’organigramme en pages 38 - 39).

DES ANGLES A COTÉS COURBES... !

Nous voulions faire des recherches sur les arcs... Mais nous n’avancions guère.

Un jour, Philippe a fabriqué le compas ci-dessous.

Toute la classe a voulu l’utiliser et nous avons pu travailler un mois sur les arcs, ce qui a permis à Bernard et Jean-Luc de nous parler de ce qu’ils appellent les « angles avec des ronds » (1).

(1)    Un exemple de cette activité dynamique constructive de la pensée de l’enfant (voir la phase de libre recherche et création: organigramme en pages 38 - 39).

EN PRÉPARANT LE VOYAGE-ÉCHANGE

AVEC LES CORRESPONDANTS

Aller voir les correspondants est une très grosse affaire et l’organisation du voyage à Miramont a été pour tous l’occasion de bien des travaux.

La question rituelle : « Combien de kilomètres y a-t-il entre St-André et Miramont ? » nous a fait beaucoup chercher.

- La carte que nous avions était trop petite, nous l’avons agrandie en multipliant les dimensions par 4 (un pantographe nous y a aidés).

- Mais puisque nous changions de carte, il nous fallait changer d’échelle. Nous avons donc entrepris le calcul de la nouvelle échelle.

- Sur le tracé obtenu, nous avons mesuré la distance au double décimètre.

- Les résultats étaient si variables que nous avons décidé de tenir compte des virages. Avec des épingles, nous avons tenté d’obliger un fil à les suivre sur la carte.

- Mais brusquement, un élève a apporté un curvimètre (des baguettes de mécano, une roue de voiture miniature en ont permis le montage).

Nous avons calculé sur la carte la longueur de notre déplacement. Les résultats ne sont pas exacts parce que les mesures au double-décimètre ne sont pas précises. Michel a fabriqué un appareil simple qui nous a permis de trouver un résultat beaucoup plus précis (88,6 km)

Lorsque les correspondants ont reçu nos travaux, ils ont perfectionné le système, fabriqué des curvimètres en carton et ont, je crois, beaucoup calculé pour graduer le cercle en centimètres.

Nous avons voulu enfin préciser le déroulement de ce voyage. Un graphique nous y a aidés.

En somme, beaucoup d’appareils (curvimètres, pantographes, doubles décimètres, mais aussi beaucoup d’outils mathématiques (graphes, mesures, similitudes) nous ont aidés à aller à Miramont !

Analyse de recherches

Particulièrement marquantes

VERS UNE GÉOMÉTRIE RÉNOVÉE

CINÉMATIQUE...

LES TRANSFORMATIONS

Si les mathématiques sont « abstraction de l’action », si la géométrie traditionnelle peut être renouvelée grâce à l’étude des transformations, le travail de Didier a un intérêt mathématique. S’il n’en est rien, ou si cet intérêt est réduit, peu nous importe, c’est par cette voie que Didier a réussi à « mathématiser ».

Son voisin Jean-Pierre, lui, ne s’est posé, aucune question. Il s’est brusquement levé pour venir dire : « Monsieur, Didier a inventé un appareil qui transforme les ballons de football en ballon de rugby. »

Que cela ait ou non un intérêt mathématique, il fallait aller voir !

Je m’approche de Didier.

Il me montre son appareil, le plan qu’il en a fait et me présente enfin son travail

Mais il ne se gaspille pas en commentaires. Il cherche encore, il transforme, des carrés, des rectangles, des segments.

Puis brusquement, il formule une hypothèse.

Cet appareil change uniquement la hauteur de la figure mais pas les longueurs (voir dessin). La hauteur diminue de la moitié de sa hauteur précédente.

Il fait quelques mesures, puis décide de placer le stylo-bille au tiers de AB (v. plan). Pour terminer, il remplace le rectangle que peut former son appareil par un carré.

Son travail s’est arrêté là et il est tentant de faire une analyse mathématique de tout cela.

Après examen des seuls dessins obtenus par Didier, nous pourrions affirmer que la transformation utilisée est, à une translation près, une dilatation.

Mais si nous exprimons mathématiquement le travail de l’appareil, il nous faut abandonner cette idée. En effet, un point M (ml m2) est transformé en un point M’ (m’1 m’2) tel que

Trois mois après, en reparlant de ses travaux, Didier m’a dit :

Si je change la longueur des barres, le dessin est un peu plus loin mais la transformation est la même,

Puis

Avec de très gros dessins, on voit que les ballons ne sont pas très ovales et que les triangles ont des côtés courbes.

Ce sont, très naïvement exprimées, les deux remarques mathématiques que nous avons tenté de rédiger ci-dessus.

Après avoir beaucoup parlé de la réussite de Didier, il faut maintenant évoquer ce qui l’a rendue possible.

Plusieurs appareils transformateurs étaient à la disposition de tous (symétries, translations, rotations, similitudes pouvaient être mises en oeuvre). Mais très vite, plusieurs élèves ont voulu fabriquer des appareils.

- les uns en modifiant un peu ceux qui leur étaient proposés (en changeant par exemple l’angle d’une rotation, ou le rapport d’une similitude),

- les autres en montant des appareils très perfectionnés mais inutilisables.

Ce n’est qu’après six mois de travaux de ce genre que Didier a inventé son appareil et que quelques camarades ont suivi ses traces.

L.P. ASTRE
Recherches réalisées en classe de 6e M2
Lycée de Mazamet

VERS LES ESPACES VECTORIELS

LES DÉPLACEMENTS

LES CIRCONSTANCES

L’expérience que je relate s’est déroulée en classe de 4e au départ de l’algèbre : les notions de vecteurs, de nombres relatifs n’étaient pas encore abordées.

Il est cependant fort probable que la vectorielle puisse s’aborder plus tôt avec des enfants habitués à chercher librement, à se construire leur monde mathématique depuis leurs premières années de scolarité.

Ces jeunes adolescents n’avaient pas pratiqué la libre recherche auparavant. Cependant des recherches - individuelles ou par équipes réduites - plus limitées, plus isolées, guidées par des fiches de travail ou fiches-guides assez programmées, avaient été pratiquées souvent jusqu’alors sur des «sujets» plus artificiels, plus abstraits. Elles avaient permis déjà un déconditionnement, une transition entre :

- l’époque où ces enfants recevaient, plus ou moins passivement, des connaissances à assimiler de mathématiques entièrement élaborées, seulement mémorisées et non intégrées,

- et l’époque qui allait s’ouvrir de recherches libres et créations.

Les conditions (structures, horaires, programmes actuels) m’avaient conduit à ménager cette transition et bon nombre de compromis qui ne s’opposaient pas à la création de l’ambiance, de l’atmosphère d’une classe de Pédagogie Freinet dans laquelle nous vivions déjà.

Je proposai donc au départ quelques thèmes de recherches en liaison avec l’actualité ou les intérêts du moment :
- la spéléologie (la presse relatait alors certaines expériences),
- la ligne d’autobus qui dessert l’établissement,
- les variations des cours de la Bourse (suivies par certains à la télévision).

J’imaginais que nous aborderions ainsi l’ensemble des relatifs (ou réels) ainsi que le repérage sur un axe qui figuraient â notre programme! Je ne fus pas déçu: notre « libre recherche » nous entraîna beaucoup plus loin, par des voies que je n’aurais pas soupçonnées ! Quelle richesse !

Les choix étant faits, les groupes de travail constitués, des enquêtes furent lancées. Les informations ainsi recueillies furent imprimées et distribuées selon les intérêts de chacun et elles permirent alors le démarrage d’activités et de recherches libres, individuelles ou par équipes.

Dans chaque groupe se posèrent alors diverses questions :
- « Que pourrions-nous étudier dans ce phénomène ? »
- « Comment situer les spéléologues pendant leur exploration, d’après les renseignements qu’ils communiquent par téléphone ? » (apparition alors des cotes négatives).
- « Comment traduire leurs divers déplacements ? »
- « Comment représenter le mouvement d’une personne qui emprunte le même autobus à plusieurs reprises, s’arrêtant pour certaines courses à différentes stations ? »
- « Comment représenter, très simplement, les variations du cours de la Bourse pour certaines valeurs »... etc.

De ces questions naquirent alors des « programmes » de recherche :
-         « On va imaginer, inventer             des systèmes simples
des codes
des moyens de représenter (1), de traduire facilement ces divers mouvements, ces variations... »

(1) Les créations de représentations de Christian Vialle et ses camarades ont influencé, sans aucun doute, toute la classe.
Voir à ce sujet le recueil n°1 « Les Représentations » de la collection Recherches et créations mathématiques. CEL, BP n° 282 - 06 Cannes.

Les recherches furent entreprises dans chaque domaine, individuellement ou par petites équipes de 2 ou 3.

Les découvertes et créations furent, bien sûr, inégales, mais il faut retenir :

- que tous eurent la joie d’une découverte (même minime),

- que certaines découvertes faites simultanément par plusieurs (sans communication entre eux cependant au départ) souvent dans le même ordre, peuvent nous permettre de penser qu’il doit exister des voies plus naturelles, privilégiées pour l’individu et dont il faudrait se préoccuper pour ce processus d’apprentissage par tâtonnement expérimental.

Sont exposés dans ce dossier :

- Quelques-unes des créations et découvertes qui furent mises en forme et présentées par les auteurs à leurs camarades (certaines de celles-ci furent aussi l’œuvre de plusieurs autres, soit dans la même classe, soit dans la classe voisine).

- Les notions, concepts et structures mathématiques ainsi « rencontrés », abstraits ou qui restent à abstraire, lorsque nous en sommes demeurés à la «phase d’imprégnation» qui prépare une abstraction plus naturelle.

Les découvertes et créations...

où l’on crée un concept utile et efficace :

le « vecteur » à partir de la spéléologie

INFORMATIONS : Enquête réalisée par B. Beaufils, Bernard Chéry, Michel Hautier et J.L Madubost

Spéléologie : Expédition « Guatemala souterrain » Extrait chiffré du reportage de Robert Vergnes dans Sciences et Voyages.

Nous avons relevé quelques expressions particulières employées par les spéléologues : (extraits de « voyage au fond des gouffres » de Norbert Casteret.

« à la côte - 240 ils furent arrêtés par un arc de neige et de glace. »

on doit déblayer la côte - 80

nous allons perdre 1000 m .......

Quelques records : du monde de descente verticale : 346 m

                           du monde de descente en profondeur : 1 300 m

La flèche est d’un emploi très naturel. Ainsi naît le vecteur (lié) « être géométrique » (conception liée inévitablement à l’idée de déplacement spatial).

Remarque : Ces élèves n’ont jamais connu le terme « vecteur » : ils disent « flèche ».

La notation du déplacement AB apparaît simultanément sans hésitation dès que les enfants essaient d’exprimer plusieurs déplacements.

Cette représentation et cette écriture sont valables également pour n’importe quels déplacements : horizontal, vertical, oblique.

Elles sont également valables pour un déplacement inverse.

Immédiatement se pose à eux le problème du retour-démarche que l’on retrouve aussi dans les actions des enfants, même très jeunes (action et action inverse). C’est alors la création du vecteur opposé DC (l’élément symétrique qui représente le déplacement inverse de CD).

Cette écriture a été abandonnée ; elle a été remplacée par DC

Remarque : Une première notation CD, essai malheureux proposé par un membre de l’équipe, est abandonnée après critique des deux autres.

Mais plus original encore, pour la classe, naît

LE COUPLE DES NOMBRES

le VECTEUR « être algébrique » créé simultanément par René Brun, Michèle Legay et Bernadette Brocard.

Il ne fut appelé « vecteur », lui aussi, qu’à l’issue de la conférence présentée par René Brun, après débat. Ce fut la part du maître !

Autre création simultanée, par nécessité : les NOMBRES RELATIFS (réels) qui constituent les composantes (variables indépendantes) de ces vecteurs. Celle-ci dut être facilitée d’ailleurs par la lecture des informations apportées par les enquêtes où des cotes négatives étaient transmises.

J’avoue que je n’avais pas prévu, au départ, la création de ce vecteur : le couple, élément d’un espace vectoriel à deux dimensions (deux composantes) qui fut pourtant le premier pas vers la définition axiomatique du vecteur.

Au cours du débat, le vecteur à trois composantes (espace vectoriel à trois dimensions) fut envisagé sans hésitation et réappliqué à la réalité : encore un déplacement spatial.

Un prolongement à ces recherches sera donné cette année : une enquête sur « Achats personnels des fournitures scolaires pour la rentrée » avec l’organisation de tableaux statistiques, peut nous conduire vers le vecteur de 4, 5 ou 6 composantes dans un espace vectoriel à 4, 5 ou 6 dimensions.

Où l’on aborde une structure importante celle d’espace vectoriel

Les découvertes de l’équipe des trois garçons : le vecteur être géométrique et son symétrique, ne s’interrompent pas là. Ils poursuivent leurs recherches et au cours de la même séance, en viennent à se poser la question :

 Si les spéléologues font plusieurs déplacements successifs, par exemple……..»

Réponse de Serge : « Tout se passe comme s’ils avaient fait le déplacement……… seulement ».

Alors, ils conçoivent bien que l’on pourrait remplacer les trois premiers vecteurs par ce dernier, d’où l’idée d’addition vectorielle et le concept vecteur-somme dont ils entreprennent aussitôt la construction (pour deux vecteurs).

La construction terminée, la notation écrite, une angoissante question se pose à l’un d’eux : « Mais alors, ceci signifierait qu’un côté de triangle est égal à la somme des deux autres ? Ce qui est contraire aux résultats établis » (relations d’ordre).

Après quelques instants de réflexion, une précision s’impose : nous ne nous intéressons pas aux distances mais aux positions dans l’espace.

Ces créations et découvertes donnèrent lieu alors à deux conférences présentées par les auteurs, particulièrement enrichissantes puisqu’elles introduisirent dans la classe ces concepts nouveaux et puissants.

Ainsi, ces trois adolescents avaient-ils introduit dans la classe cette notion importante et riche d’addition vectorielle qui donna lieu â de nombreux essais puisque chacun s’appropria cette découverte pour l’essayer, pour s’essayer, avec un très grand nombre de vecteurs parfois, tâtonnant, répétant, imaginant divers cas.

La spéléologie était momentanément abandonnée et ce tâtonnement s’exerçait dans un domaine un peu plus abstrait (1) ce qui fut d’ailleurs à l’origine de nouvelles découvertes.

(1)      Voir l’organigramme où se retrouve cette phrase « réorientation de la recherche: transformation. »

L’addition vectorielle, avec les vecteurs, êtres-géométriques, manipulés par tous facilement, permet à Marie-Claude et Yvon de faire un pas de plus en avant.

- Marie-Claude : « Et si plusieurs vecteurs nous ramènent au point de départ, quel est le vecteur-somme ? »

Elle représente alors au tableau son idée puis conclut :

« c’est un vecteur nul » qu’elle écrit d’ailleurs .. puis ajoute : « ou encore » mais …

Ainsi apparut l’élément neutre pour l’addition des vecteurs.

- Yvon, lui, veut réaliser l’addition de deux vecteurs non consécutifs. Il construit alors l’addition représentée ci-dessous qu’il explique.

Yvon fut donc amené d utiliser un «représentant» de son second vecteur: même direction, même sens, etc. et ainsi à définir -fort bien d’ailleurs - l’équipollence, relation d’équivalence qui s’introduisit d son tour, par nécessité, pour répondre à ses besoins.

J’apportai seulement le terme technique, car il disait « égal »: ce fut ma part.

Alors, de là à envisager qu’il pouvait exister un ensemble infini de vecteurs équipollents d ce premier vecteur, il n’y avait qu’un pas, que nous franchîmes ensemble facilement pendant le débat: ainsi se découvrit la notion de vecteur libre (la classe d’équivalence).

L’addition vectorielle avec les vecteurs êtres-algébriques pose à d’autres, qui s’en emparent, de nouveaux problèmes qui les conduisent alors à de nouvelles découvertes.

Pour réaliser l’addition de nombres relatifs (réels), ignorés jusqu’alors et qui commencent à s’utiliser, beaucoup ont recours au résultat géométrique qui leur permet un contrôle.

Ainsi se mit en place cette loi de composition interne : l’addition, qui fut alors définie à partir de sa pratique.

Une fiche-guide que j’avais prévue à cet effet et déjà utilisée l’année précédente fut quasiment inutile (3 sur 65 y eurent recours).

En réalisant l’addition de plusieurs vecteurs, Jean-Luc constate, après maints essais, l’associativité qui existe pour cette opération, qu’il présente dans l’ébauche suivante:

Alors, beaucoup prirent conscience, avec cette addition de couples : vecteurs algébriques, plus facilement qu’avec l’addition géométrique de l’existence des propriétés :

- l’associativité [ (- 50, -20) + (-20, =10) ] + (-30, -15)=

(+50, -20) +[ (-20, +10) +  (-30, -15) ]

-      mais aussi la commutativité: redécouverte pour faciliter certaines opérations.

Enfin fut essayé, sur l’addition vectorielle algébrique, tout ce qui avait été déjà découvert avec l’addition géométrique:

Certains utilisèrent ce vecteur nul …, écrit alors (0,0) et l’on constata, lors du débat, le rôle de cet élément neutre pour l’addition

(+20 -10) + (0, 0) - (0, 0) - (+20 -10 = (+20, -10)

D’autres essayèrent le vecteur symétrique, écrit très facilement en changeant les signes

(+10, -20)  et (-10, + 20)

qui conduisait, par addition, à l’élément neutre (0, 0)

Tout ceci, présenté au cours du débat, chacun apportant son observation, sa découverte, nous permit une première synthèse intéressante (voir le bilan page suivante).

La pratique de ces additions vectorielles, maintes fois répétées par certains, donna lieu, dans la classe, à une période d’intense activité; ceux qui n’avaient pas fait de découvertes utilisant ainsi celles des autres.

Toute cette phase d’essais, de répétitions, pourrait apparaître à l’adulte comme un jeu, un peu inutile. Mais si l’on conçoit que ce « jeu » n’est jamais inutile et que cette activité correspond parfaitement au palier du tâtonnement expérimental tel que le définit Freinet, au cours duquel se fait l’intégration (1), on comprend alors aisément, non seulement que cette phase était nécessaire, mais encore qu’il serait dangereux de l’abréger en intervenant trop tôt car ce serait frustrer d’expériences personnelles des esprits qui, de plus, ne seraient sans doute pas disponibles.

Arrêtons ici la relation de cette expérience pour envisager un bilan et étudier ses rapports avec un programme officiel imposé en classe de 4e.

(1)      Voir l’organigramme où se- retrouve cette phase : Assimilation des découvertes - Pratique personnelle.

Le bilan

Ainsi furent introduite, par les adolescents, à partir de leurs recherches, des éléments importants de « l’algèbre moderne » :

• LE CONCEPT VECTEUR
- comme une « représentation » à caractère géométrique liée à la notion de déplacement spatial.
segment orienté qui est une conception classique hélas trop étroite
- comme un ensemble de variables indépendantes (ses composantes), à caractère algébrique qui correspond à un «code»
conception plus large qui offre une ouverture sur l’algèbre linéaire

• LA STRUCTURE D’ESPACE VECTORIEL
- la création de l’addition vectorielle et sa pratique
relation opératoire binaire, loi de composition interne qui fait correspondre à deux vecteurs un troisième: le vecteur-somme
- la découverte et la pratique
            de l’associativité
            de cette opération de l’élément neutre
            de l’élément symétrique de la commutativité
propriétés nécessaires à la définition axiomatique de la structure de groupe abélien ou commutatif

- l’approche par la découverte, de la seconde loi de composition :

            Bien que non exploitée, cette nouvelle loi ouvre la voie sur la structure d’espace vectoriel.

• LA RELATION D’EQUIPOLLENCE

            La découverte de cette relation d’équivalence permit de concevoir facilement cet ensemble de vecteurs équipollents qui forme la classe d’équivalence du vecteur, appelé vecteur libre.

Ainsi, au fur et à mesure des besoins, des découvertes, purent s’aborder, par la pratique, les éléments d’une structure importante, qui n’a d’ailleurs pas été prématurément abstraite.

Il faut, sans aucun doute, attendre d’avoir rencontré à nouveau, et à plusieurs reprises, dans d’autres situations certainement différentes, les mêmes éléments de cette structure pour qu’une telle abstraction puisse naturellement se faire.

Alors, l’adolescent pourrait classer ces situations toutes conformes à un certain modèle : une référence propre, et la structure, mise à nu, pourrait ainsi le conduire assez facilement à construire axiomatiquement une définition de celle-ci au début du cycle, peut-être dès la fin du premier cycle.

L’exploitation

Réorientation ?... Exploitation ?... Assimilation ?... Intégration véritable ?...

Chacun choisira le terme qui lui conviendra pour définir la phase suivante de notre travail.

Pour moi, ce fut tout à la fois. Il ne manqua, à mon grand regret, que la confrontation avec d’autres adolescents faisant des recherches semblables, par correspondance.

Cette « libre recherche » qui nous avait tant enrichis en nous ouvrant des voies nouvelles, permit cependant, et cela est très sécurisant, de revenir à ce programme officiel assez étroit.

Après les exposés des découvertes, à ceux qui n’avaient pas conduit les mêmes recherches, mais qui furent sensibilisés par celles-ci, j’offris la possibilité d’entreprendre de nouveaux travaux sur les mêmes thèmes :

- à l’aide des fiches-guides qui proposaient une réorientation avec l’utilisation des concepts présentés dans d’autres situations d’une part, nécessitant parfois, d’autre part, une transformation, une adaptation de ceux-ci, conduisant donc à un affinement ;

(voir fiche programmée n°1)

- à l’aide de fiches autocorrectives de recherches programmées qui proposaient une simple application conduisant à la pratique personnelle de ces concepts.

(voir fiches autocorrectives n°2, A et B)

Ces deux modes de recherche, guidée plus ou moins étroitement, furent destinés à favoriser une intégration réelle pour tous.

LES VECTEURS                   Exploitation des enquêtes                        Fiche-guide n° 1

Tes camarades ont découvert et présenté un nouvel « être mathématique » : le VECTEUR - être géométrique (avec un dessin) - mais aussi être algébrique (avec des nombres nouveaux : les « nombres relatifs »)

Voici des programmes de recherches et de travaux qui te sont proposés. Lis attentivement et choisis...

PROGRAMME I. Choisis, dans les résultats de l’enquête sur la spéléologie, un déplacement effectué par des spéléologues entre deux points précis (un départ, une arrivée)

T.P.1 : traduis-le, d’une part avec un vecteur être-géométrique d’autre part avec le vecteur être-algébrique
T.P.2 traduis l’inverse de ce déplacement par les deux mêmes moyens
T.P.3 établis une addition de deux déplacements consécutifs avec ces 2 moyens aussi.

Ces travaux constitueront pour toi un résumé bref et clair de ce qui a été exposé.

PROGRAMME 2. Sur le thème d’enquête que tu as choisi, essaie de mettre en application les mêmes moyens :
            vecteur être- géométrique
            vecteur être- algébrique
            pour traduire un déplacement ou une variation.

Ces moyens conviennent-ils ? Peut-être cela ne sera-t-il pas semblable exactement à ce que tu as vu et il te faudra réfléchir si dans une variation ou un déplacement comme le tien le changement est lié à 2 causes (ou facteurs) ou à 1 seule cause ...

- dans le 1er cas (2 causes) l’être algébrique déjà adopté conviendrait-il ? - dans le 2e cas (1 cause) l’être algébrique déjà adopté conviendrait-il ?

Ne pourrais-tu pas MODIFIER cet outil pour qu’il convienne ? Peut-être as-tu découvert autre chose dans ce programme....

PROGRAMME 3. Enfin, après avoir fait ces deux programmes de travaux, peut-être auras-tu envie de laisser « libre cours » à ton imagination...

Alors, tu pourrais réaliser diverses additions vectorielles (avec les moyens) : additions plus ou moins compliquées que tu pourrais modifier (transformer) à ton gré..

PROGRAMME 4. Il est fort possible que, au cours de tes travaux, tu sois conduit à te servir des nombres nouveaux : les nombres relatifs, et à les additionner. Si tu as des difficultés pour réaliser certaines additions...

Si tu n’as pas découvert la loi de l’addition de ces nombres il t’est conseillé d’utiliser la fiche-guide n°3

 
 

Ainsi la fiche-guide, programme de recherche accordant une certaine liberté (fiche n°1) conduisit certains, d’un espace vectoriel à deux dimensions à un espace unidimensionnel. Cette introduction de la variabilité permit de mieux prendre conscience de l’invariant et conséquemment de définir l’être mathématique indépendamment de la situation: premier pas sans doute vers une axiomatique.

Alors purent s’exploiter nos découvertes, et le passage à l’étude

- « des segments orientés sur un axe (vecteur)

- de la mesure algébrique d’un segment orienté sur un axe

- des opérations élémentaires sur les nombres relatifs: addition...

- de la formule de Chasles... »

(Programme officiel - Classe de 4e)

ne fut qu’un travail de conversion agréable, ne présentant aucune difficulté comme en témoigne cette réponse d’une élève au programme n°2 de la fiche guide n°1 (elle s’intéressait aux déplacements sur une ligne d’autobus).


MATHÉMATISATION

à base de tâtonnement expérimental

Ces diverses expériences, limitées, imparfaites, réalisées à même nos classes, ne sont pas proposées comme un modèle achevé mais comme un témoignage. Ces exemples montrent, non seulement que l'enfant ou l'adolescent est capable de créer, de construire un univers mathématique de plus en plus riche auquel il pourra se référer ultérieurement, où les notions progressivement abstraites sont d'ailleurs celles de la mathématique moderne, mais encore que le tâtonnement expérimental, mis en lumière par C. Freinet est vraiment le seul processus d'apprentissage valable pour une telle «mathématisation» qui sera culture véritable.

En effet :

- que ce soit dans l'analyse de situations vécues dans le cadre d'une correspondance interscolaire qui a motivé :

* la création et l'utilisation de cartes perforées du diagramme de Venn, l'étude de relations,

* la création d'instruments de mesure, d'unités de mesures et la recherche sur les incertitudes,

- que ce soit dans le domaine des « transformations » à propos desquelles sont exposées les premières recherches de jeunes adolescents de 6e, leurs premiers essais avec le pantographe et les diverses machines à tracer dont certaines furent créées par eux...

- que ce soit encore à propos de «vectorielle» (vecteurs et espaces vectoriels) où divers documents d'élèves révèlent pourquoi et comment fut créé le concept «vecteur», non seulement comme un être géométrique, mais aussi comme un couple ou un triplet ordonné de nombres pour traduire divers déplacements, comment encore fut abordé la structure de groupe commutatif après une manipulation répétée de l'addition vectorielle...

- que ce soit aussi au sujet des «représentations» pour lesquelles d'autres recherches révélèrent une suite de créations particulièrement riche de certains adolescents (allant de représentations sagittales aux diagrammes cartésiens en tableaux, aux «arbres», aux divers organigrammes) qui conduisit parfois avec ces moyens de plus en plus puissants, à une formalisation précoce (1)...

nous découvrons comment l'adolescent peut, à l'occasion du contact avec le milieu (le concret) ou dans un monde proprement abstrait même, au cours d'une période de recherches, d'essais, d'erreurs mais aussi d'actions, de réussites, de créations, se construire un univers mathématique qui sera un ensemble de références réellement intégrées.

Cette démarche commune que nous retrouvons au travers de chaque découverte, de chaque action, de chaque création, nous permet d'apporter maintenant une première définition d'une pédagogie nouvelle pour une mathématique moderne à laquelle nous souscrivons d'ailleurs sans réserve car elle répond à nos besoins et semble devoir mieux s'ajuster à des schèmes mentaux naturels.

- Partir de l'adolescent, de sa vie, de ses actions, de ses questions, des situations qui lui sont familières mais aussi de ses créations abondantes, qui peuvent se faire aussi dans un univers proprement abstrait,

- lui permettre, par tâtonnement, de créer les «outils», les symboles les « représentations » dont il aura besoin pour chercher et communiquer ses découvertes aux autres, aux adultes...

- favoriser la confrontation avec les découvertes des autres, avec celles des adultes, des mathématiciens, qu'il intégrera facilement si elles vont dans le même sens que les siennes, qu'il fera siennes.

Alors, après qu'ils auront été reconnus dans diverses situations, extraits de leur «gangue», naîtront des concepts et des notions qui iront s'affinant lorsqu'ils seront mis à l'épreuve par un tâtonnement nécessaire, puis soumis ensuite à la critique des autres dans une phase de «socialisation» (action du groupe-classe ou par les échanges d'une correspondance interscolaire).

(1)    Voir recueil n°1 de Recherches et créations mathématiques : Les Représentations.

Les situations où il se rencontre étant très diverses, l'être mathématique se définira en dehors d'elles.

Les mêmes propriétés associées, retrouvées dans ces situations conduiront naturellement à la considération de leur association pour elle-même: la structure, sera ainsi abstraite après multiples rencontres.

N'en sommes-nous pas déjà à une première phase d'axiomatisation?

C'est dans cette atteinte naturelle de l'abstraction qu'il y aura culture mathématique.

Cette démarche reste valable au niveau du second cycle du degré dans l'étude de situations plus complexes et plus riches fournies par le monde industriel et commercial. Ainsi, par tâtonnement expérimental, l'adolescent plus âgé ne pourra-t-il pas, à partir de ses propres expériences, de ses découvertes antérieures, utiliser des structures déjà abstraites par lui (ses propres références), atteindre à un choix d'axiomes et participer à la mise en place d'une axiomatique plus rigoureuse ?

« ... les axiomes seront la conséquence de cette étude et non le point de départ. Un ensemble d'axiomes ne peut être compris qu'après une longue initiation ».

Introduction à l'Apprentissage de la mathématique aujourd'hui

T.J. Fletcher

LA PART DU MAÎTRE

La « libre recherche » implique le «tâtonnement expérimental», donc essais, erreurs, mais aussi réussites qui laissent une trace dans le comportement de l'individu.

« L'expression libre » offrant la possibilité d'aborder les divers domaines liés aux intérêts réels de l'adolescent, à même la vie, jette les fondements d'une réflexion créatrice de mathématique.

Voilà bien les aspects d'une méthode naturelle qui risquent, pour certains esprits mal informés, de se confondre avec anarchie, laisser-aller, piétinement, dispersion...

« ... Cela ne veut pas dire d'ailleurs que l'éducateur doive s'abstenir d'intervenir, se contentant de laisser faire. Au contraire, on a vu, dans la partie théorique, que le tâtonnement expérimental ne peut fonctionner avec un maximum de rendement que s'il y a collaboration, exemple et aide du maître...

« ... Dans toute l'aventure de nos méthodes naturelles, il ne faudra jamais  oublier que notre pédagogie n'est nullement une démission de l'éducateur. »

C. Freinet - 7.8.1965

Le tâtonnement expérimental

(Documents de l'Institut)

La part du maître...
C’est d’abord                        accueillir                        dans une ambiance favorable
                                                                        tous les apports des adolescents ;
C’est aussi            déceler            les intérêts de chacun ;
            Créer            un milieu riche ;
C’est aussi                        être le témoin                        sécurisant
                                                aidant discrètement pendant
                                                une recherche,
                                                qui approuve et engage l'enfant
                                                à poursuivre celle-ci ;
c’est aussi                        apporter                        au moment du besoin le moyen
                                                (outil ou fiche...), l'information
                                                qui permettront un dépassement ;
c’est                        canaliser                        parfois une pensée qui risque de
                                                se perdre en opérations parasites ;
c’est encore                        favoriser                        la communication entre adolescents,    
                        entre adolescents et adultes ;
c’est enfin                        organiser                        l'exploitation, la synthèse,
                                                la mise en valeur des découvertes,
                                                des créations de chacun ;

DES TECHNIQUES COMPLÉMENTAIRES

favorables à un travail individualisé

Libre recherche et expression libre mathématiques, à base de tâtonnement expérimental, se suffiraient à elles-mêmes si des structures scolaires plus souples permettaient leur pratique totale et leur complète exploitation.

Cependant existent actuellement les programmes, les examens, les horaires, une vie scolaire commune réduite à quelques heures hebdomadaires et autres conditions défavorables que nous connaissons tous, qui nous contraignent à limiter l'emploi de ces techniques.

Aussi pouvons-nous reprendre, pour notre cas, ce qu'écrivait C. Freinet en 1966 :

« ...Tout ce travail de recherche et d'expérimentation se fera exclusivement par des techniques d'individualisation :

- autocorrectives pour les travaux d'acquisition de connaissances et de mécanismes,

- de travail pour les recherches et les travaux d'expérimentation.

Cette forme de travail est désormais possible parce que nous avons mis au point nos fichiers autocorrectifs, nos fiches-guides, nos bandes autocorrectives et nos bandes de travail.

Les leçons a posteriori sont souverainement valables. »

Mémento de l'École Moderne

Dossier pédagogique n° 19, p. 19

Oui, cette forme de travail par les techniques d'individualisation est désormais possible au second degré avec les «outils» qui se créent et se mettent au point à même nos classes.

Citons brièvement (1):

- la recherche guidée, avec :
• les diverses fiches-guides:
        fiches programmées (assez libérales)
        fiches exploitation d'enquêtes et fiches recherches à programmation plus rigoureuse,
• les livrets programmés sur divers thèmes, en élaboration.

Ces divers moyens permettent un travail personnel de recherche assez précis, aussi bien à partir d'éléments de la vie courante que d'éléments eux-mêmes déjà abstraits.

- l'assimilation autocorrective, avec:
• les cahiers autocorrectifs d'algèbre
• les bandes enseignantes de géométrie
• les fiches autocorrectives.

Elle permet encore la pratique individuelle des diverses notions découvertes

• accordant cependant une certaine liberté qui implique aussi la responsabilité
• respectant le rythme de chacun
• établissant entre élèves et maîtres un climat de confiance réciproque.

Si ces techniques permettent d'entreprendre, avec des outils adéquats, une modernisation de l'enseignement des mathématiques, il ne faut cependant pas s'en tenir là. En effet, si elles accélèrent, dans des domaines précis, imposés, le processus du tâtonnement expérimental ou favorisent l'assimilation pour répondre aux besoins artificiels créés par les structures scolaires que nous avons, elles ne se suffisent pas à elles-mêmes. Elles doivent seulement s'inclure dans un ensemble logique et cohérent où elles seront le «complémentaire» de cette libre recherche.

(1)    Voir aussi à ce sujet : « L'Enseignement des mathématiques », Dossier pédagogique n°15-16.

EN GUISE DE CONCLUSION...

Si l'on en croit les diverses publications récentes, on peut supposer que dans les prochaines années, une réforme du contenu de l'enseignement mathématique sera mise en application.

Nous pourrions avec C.Freinet, exprimer notre crainte de voir naître, avec l'introduction de notions relatives aux mathématiques modernes dès l'école élémentaire, un nouveau dogmatisme.

« Il en est des mathématiques modernes comme de toutes nos techniques : leur introduction dans nos classes serait naturelle et simple si nous avions affaire à des élèves et surtout à des instituteurs neufs, non déformés par la scolastique.

« Le risque est grand de voir les éducateurs qui, pour diverses raisons se lancent dans les nouvelles techniques, le faire dans l'esprit de l'ancienne école, ce qui en fausse évidement le mécanisme. »

C. Freinet, décembre 1965

Nous pourrions exprimer aussi notre espoir de voir évoluer nos structures actuelles favorablement car un certain nombre d'autorités pédagogiques et universitaires ont actuellement le souci d'une rénovation de l'enseignement mathématique.

Nous pourrions aussi conclure avec Z.P. Dienes et A. Revuz :

« ... on espère, par cette méthode, démontrer que certaines réformes sont à la fois réalisables et souhaitables. C'est ainsi qu'à l'acquisition traditionnelle des règles apprises par cœur, on a cherché à substituer l'exploration des structures mathématiques fondamentales; et on est en train de découvrir que cette exploration, malgré ses risques et ses difficultés, enthousiasme les enfants au lieu de les rebuter ».

Z. P. Dienes

Comprendre la mathématique OCDL

« Quant à l'enseignement, il a trop souvent présenté une technique sans âme (l'arithmétique de l'école primaire, les calculs algébriques du lycée), ou une technique maladroite (les cas d'égalité de la géométrie) et il s'est toujours référé à une mathématique faite et non à une mathématique à faire. Que l'on m'entende bien : je ne m'attends pas que les élèves de l'enseignement du premier ou du second degré découvrent des mathématiques inconnues de tout le monde, mais il faut qu'ils fassent, par eux-mêmes, la découverte de mathématiques déjà connues.

Chacun ne comprend de la mathématique que la part qu'il a recréée dans son esprit. Le rôle de l'enseignement est d'aider à ce processus psychologique, et non de le remplacer par l'énoncé de règles, la description de techniques ou la présentation de théories peu ou point motivées. »

A. Revuz

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