Les dosiers pédagogiques de l'école moderne

N°26

octobre 1967

La pédagogie Freinet au second degré

Dossier réalisé par Roger FAVRY

et les membres de la commission ICEM

Octobre 1967

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La pédagogie Freinet au second degré

I- Situations et perspectives

Situation

On peut la caractériser par deux citations:

Côté élèves: «Quelles déficiences déplore-t-on chez ces adolescents? Beaucoup moins les lacunes - pourtant surprenantes parfois - de leur connaissance qu'une imperméabilité et une inappétence habituelle devant des formes nouvelles d'enseignement et de pensée. Très ignorants, ils sont encore en âge d'apprendre, mais ils n'en ont guère l'envie et les moyens. Ils ne savent ni lire avec agilité, ni résumer une lecture. Ils usent mal de leur langue maternelle. Ils ne savent pas manier convenablement quelques notions claires en comprenant ce qu'ils disent.» (Marcel Bataillon, Les chercheurs et les écoliers.)

Côté professeurs: " ... Que sommes-nous? A quoi servons-nous? Incompris des élèves, incompris des parents qui lui reprochent pêle-mêle ses longues vacances et les «fuites» du bac, ignoré de l'administration à qui il importe peu que 1e cours soit bien ou mal fait pourvu que l'intéressé soit à l'heure... le professeur perd lentement pied. Victime, bouc émissaire d'une civilisation de consommation, il perd peu à peu la conscience claire de ce qu'est l'éducation, clef de voûte d'une société. Portant il est amené à trahir journellement l'idéal de l'humanisme auquel il a coutume de se référer et auquel ses concitoyens le ramènent impitoyablement afin qu'il remplisse la tâche qu'ils ne peuvent plus assumer eux-mêmes, à savoir l'éducation de leurs enfants.» (Jean Onimus, L'enseignement des lettres et de la vie.

Perspectives

Deux autres citations:

«La culture n'est pas une fin en soi, c'est un capital qu'il s'agit de mettre en circulation, une expérience de la qualité qui n'a de valeur que si elle vous rend plus libre, plus assuré de vos incertitudes, plus grand pour triompher des erreurs. La culture doit seulement vous préparer au voyage vers tous les «peut-être». (Gaston Berger, Le monde en devenir.)

«L'homme qui ne sait ni analyser, ni observer, ni s'exprimer, ni finalement lire, l'homme dont les mécanismes mentaux sont bloqués, sera un homme enchaîné. Incapable de se reconvertir, il sera enchaîné à sa machine, enchaîné à son industrie, enchaîné à son village, enchaîné à la cité dans laquelle il se trouve, incapable de faire quoi que ce soit si ce n'est de suivre.» (Bertrand Schwartz. Communication sur le centre universitaire de coopération économique et sociale. Congrès du CRAP, 1965.)

Relisons et méditons cette citation.

Ainsi, il faut que l'être humain apprenne à s'adapter et à se réajuster sans arrêt aux données de son milieu, qu'il apprenne à apprendre comme le disait Montaigne. Que nous nous dirigions vers une civilisation des 40 000 de travail par vie ou que tout au contraire se présentent, en cours de progression, des obstacles inattendus ou même inconnus qui nous obligeraient à des reconversions brutales, il n'en reste pas moins que pour le demi-siècle qui vient, la vie humaine sera dominée par l'incertitude et le changement. En outre, les maladies de jeunesse dont fait preuve notre civilisation technique ne peuvent disparaître qu'au prix d'un plus grand progrès. Tant que le progrès technique restait à un niveau raisonnable, on pouvait le conduire avec le matériel intellectuel qui se présentait le premier, à savoir celui que voulait bien fournir la bourgeoisie. Mais maintenant, il faut mobiliser toutes les intelligences et malheureusement "le principe même de l'enseignement scolaire français actuel ne permet pas de développer l'imagination, faculté essentielle du chercheur.» (Colloque de Caen, novembre 1966.)

Deux dernières considérations: d'un côté, par suite d'une pression économique de plus en plus forte, les parents renoncent progressivement à éduquer leurs enfants et d'un autre côté, l'éducation permanente ne pourra porter ses fruits que sur des esprits dont l'imagination, la fraîcheur et la disponibilité auront été soigneusement sauvegardées. Or cette éducation permanente qui est déjà notre lot d'enseignants d'aujourd'hui, devra être le lot de nos élèves demain.

Signification du présent dossier

Il n'a pas pour but de rendre hommage à Freinet, sans qui pourtant il n'aurait pas vu le jour. Car le seul hommage digne de Freinet, c'est la poursuite de son oeuvre vers les hommes et la vie.

Il n'a pas pour but d'offrir une solution à un problème car nous avons bien du mal déjà à cerner les problèmes et nous savons qu'une solution n'est jamais l'oeuvre d'un homme ou d'un groupe, mais l'oeuvre de tous, unis coopérativement dans une même tâche.

Il a pour but de montrer:

- que le mot d'ordre de Freinet: «de la maternelle à la faculté» peut être une réalité,

- que cette réalité ne peut se construire que dans une dialectique continuelle entre les réalisations pratiques et une ligne de conduite pédagogique, cette dernière se fortifiant au contact des premières, les premières se servant de la seconde comme d'hypothèse, tou­ours à vérifier.

- que les réalisations pratiques même fragmentaires peuvent et doivent offrir des pistes de travail: là où l'un est passé, l'autre peut passer. Ce qui a été fait à Chamalières, ou à Liévin, ou a Thônes, ou à Ugine peut être fait ailleurs, non pas sous la même forme mais en fonction des tempéraments et des circonstances, les premiers s'ouvrant à autre chose qu' eux-mêmes, les seconds se pliant peu à peu devant une volonté à la fois personnelle et collective qui veut libérer et le maître et l'adolescent.

II- Les solutions au CEG

Tant que la pédagogie Freinet s'exerçait au niveau du primaire, la cohésion de la classe allait de soi, il y avait si l'on veut une unité horizontale de l'enseignement, une seule classe conduite par un seul maître. Le passage de cette pédagogie au C.E.G. a posé le problème d'un enseignement hétérogène : plusieurs maîtres par classe. Ce qui allait de soi dans une perspective traditionnelle n'allait plus de soi dans la perspective de l'École Moderne. Le simple désir de transposition était déjà générateur d'inquiétude et cette inquiétude est toujours présente à nos yeux: comment faire pour que des maîtres hétérogènes (puisqu'ils sont plusieurs) puissent dispenser un enseignement homogène à un élève qui est un et fait partie d'une communauté qui doit être une?

S'il avait fallu commencer par débattre de ce problème théorique, l'École Moderne n'aurait rien construit en ce domaine. C'est en s'attaquant concrètement et personnellement au problème que nos camarades des C.E.G. ont esquissé des solutions.

Comment débuter?

Par la force des choses l'enseignant est seul. Il ne pourra pas tout faire, il y aura donc une part du feu inévitable (ce sera par exemple la grammaire qui restera traditionnelle), bien heureux encore s'il réussit à consacrer à sa classe un maximum d'heures. Dans un C.E.G. ou un C.E.S., la classe possède sa propre salle: il y a donc déjà une ambiance École Moderne qui peut être créée coopérativement au moyen de dessins, expositions, etc. (Pour un exemple concret, voir annexe I, expérience de Fernand Garnier.)

Débuter c'est être seul sur un autre plan. On est ou professeur de lettres ou professeur de disciplines scientifiques. Ce qui implique évidemment des techniques différentes.

Pour le professeur de lettres ce sera la pratique du texte libre, de la correspondance, du journal scolaire. Ce sera aussi la création de conditions de travail favorables, grâce à une documentation importante rassemblée coopérativement et exploitée à l'aide d'exposés conduits par des fiches-guides allant dans le sens des intérêts de la classe décelés par les textes libres. sera aussi le texte libre choisi, amélioré collectivement puis exploité au moyen d'œuvres diverses allant dans son sens profond: romans, poèmes, témoignages, musique, peinture, cinéma. (Pour un exemple concret voir annexe II, expérience de Janou Lèmery.) Alors que dans l'enseignement traditionnel le triptyque cours-interrogation-devoir se suffit à lui-même, dans le cadre d'une pédagogie libératrice la notion d'enchaînement s'impose: ainsi un travail individuel peut déboucher sur un travail collectif (une enquête par exemple), une conférence d'élève, d'une portée restreinte apparemment, peut déboucher sur des problèmes littéraires, historiques ou géographiques et mobiliser à l'occasion de telle ou telle circonstance les énergies de ces adolescents dont il de bon ton de dire tant de mal et dont il est de bonne guerre de briser les énergies par des méthodes de parcage dont les éleveurs ne voudraient pas pour leurs chevaux. (Pour un exemple concret, voir annexe III, expérience de Pierre Andarelli).

Les perspectives exaltantes qu'ouvrent de tels exemples ne vont pas sans une nécessaire lucidité: il y a des points où la pédagogie Freinet n'apporte pas de solutions autres que celles de l'enseignement traditionnel: lecture expliquée ou dirigée par exemple. Mais il y a loin entre un texte imposé, par le professeur et un texte choisi par l'élève, entre une lecture froidement dirigée qui ne concerne pas les adolescents et une gamme de méthodes d'exposition qui vont de l'analyse d'un enregistrement prestigieux à la mise en scène par les adolescents eux-mêmes. Sans doute reste-t-il des disciplines plus formelles qui apparemment se plient mal à une pédagogie de la liberté: mais l'adolescent qui écrit à son correspondant ou rédige un album, soigne son orthographe et la présentation; et la grammaire peut voir elle aussi son enseignement renouvelé à la condition de bien s'entendre sur ce que l'on veut faire.

Il faut parler maintenant du professeur des disciplines scientifiques. Que peut-il faire dans l'optique de la pédagogie Freinet? Beaucoup de choses. La plupart seront dites dans le cadre des dossiers de cette collection. C'est ordinairement la redécouverte des notions fondamentales au moyen de l'expérience personnelle ou collective conduite soit par fiches-guides soit par bandes enseignantes (pour un exemple concret, voir annexe IV, expérience de Maurice Berteloot. Extrait du livre de C. Freinet et M. Berteloot Travail individualisé et programmation). peut être aussi la recherche libre où l'adolescent, recréant pour son propre compte la démarche scientifique, explore un ailleurs qui le mène loin des sentiers du manuel à des découvertes personnelles et vivifiantes. Et la compréhension de cette démarche n'est pas facile au maître qui doit pour la saisir avoir une ligne pédagogique qui est en l'occurrence celle du tâtonnement expérimental (voir annexe V, dialogue entre Françoise Bouplet et Paul le Bohec).

Équipe de deux professeurs

Elle peut naître de deux manières: soit par l'initiation conjointe de deux collègues littéraire et scientifique aux techniques Freinet -et ainsi toute une classe peut être couverte d'emblée par une équipe, soit d'une manière plus «naturelle» par la nécessité où s'est trouvé une fois le professeur de lettres d'exploiter un texte dans une direction qui excédait réellement ses attributions et ses connaissances. Il a eu, alors recours à son collègue scientifique. Ici encore deux possibilités: celle où ce collègue est simplement intéressé par la tentative- et pourquoi ne tenterait-il pas cette direction qui lui assure au moins l'intérêt actif des élèves, même si cela ne doit pas aller très loin? Ou alors ce collègue est déjà très fortement imprégné de pédagogie Freinet, il pratique déjà couramment une recherche libre, il travaille déjà en collaboration avec son collègue et à un certain moment un événement se produit: un texte libre pose un problème réellement scientifique et la recherche de l'élève va se poursuivre dans le même esprit mais sous la conduite d'un autre maître: ainsi l'hétérogénéité des enseignants fait place à une homogénéité de l'enseignement (pour un exemple concret, voir annexe VI, expérience de Janou et Edmond Lèmery).

Équipe de plusieurs professeurs

On arrive à l'idée d'équipes couvrant pratiquement un C.E.G. de la 6e à la 3e. A l'idée et à la réalisation puisqu'un C.E.G. s'est peu à peu constitué sur ces bases à Clères en Seine-Maritime avec une équipe groupée autour de notre camarade Desmaretz. Sans vouloir extrapoler d'une manière hasardeuse à partir d'une seule expérience, on sait maintenant que plus on va vers ces équipes, plus le cadre classique et formel de la classe est brisé au point d'en arriver à un service de documentation global, chaque classe étant plutôt un atelier particulier géré par la coopérative et animé par des professeurs formant une équipe soudée et qui interviennent à des niveaux différents. A mesure que l'édifice grandit, la notion de coopérative prend une valeur de plus en plus grande, les enseignants devant veiller à maintenir entre eux le climat coopératif qu'ils suscitent comme éducateurs à l'intérieur de leurs classes, ce qui est très loin, on le voit, de la pratique universitaire courante, soucieuse d'individualisme et de cloisonnements.

III- Les problèmes des lycées et des C.E.T.

On parlera plutôt ici de problèmes que de solutions dans la mesure où l'effort fourni, quoique positif, n'a pas encore revêtu l'ampleur de celui du premier cycle. Dans ces problèmes, une place de choix - la première sans nul doute, ou nous trahissons Freinet - doit être accordée aux collèges d'enseignement technique où la situation des élèves est peut-être la plus douloureuse car ils arrivent à l'âge où l'on comprend trop bien de quoi est faite la vie sans avoir la fiche de satisfaction que constitue l'entrée dans un lycée. J'extrais d'un cahier de roulement ces réflexions:

«L'ÉCOLE DOIT MOURIR».

«Vous ne le sentez peut-être pas avec l'acuité qui est mienne. Mes élèves ne veulent plus de l'école. Ils la vomissent: Même ce que je fais (et j'espère avoir suivi Freinet le plus près possible, comme vous, dans les structures sclérosées mais imposées où nous vivons: suppression des classements, des prix... - la coopérative est souveraine et se substitue à l'administration où elle le peut -) c'est encore pour eux des livres, des signes morts, des lettres, lettres mortes. Il faudrait qu'ils sortent de l'école et ils ont, à longueur de cours, les pieds sous la table! Même avec bandes enseignantes, fiches-guides, fichiers, ils sont toujours entre quatre murs!

" (Joël Bricon)

On relira la réflexion de B. Schwartz que je citai en tête de ce dossier. On comparera. Et on jugera.

Problèmes spécifiques des lycées

Au départ règne la spécialité et on ne peut remettre celle-ci en question dans la mesure où l'adolescent est exigeant par son âge, par ses aspirations, par la tradition aussi. Le spécialiste de français ne peut par exemple enseigner l'histoire à moins d'être licencié dans les deux disciplines, la licence signifiant ici non un volume d'informations mais un niveau de culture générale. Encore faut-il nuancer: ce spécialiste de français ne peut assurer un cours d'histoire, mais sous un certain éclairage il peut assurer un cours de civilisation. Si on se place dans la perspective d'une réduction des disciplines à cinq ou six matières fondamentales avec choix réel dans les matières à options, on est contraint  d'envisager des équipes de six professeurs. Je reviendrai sur ce problème délicat.

On sait par ailleurs que notre enseignement de lycée repose tout entier sur le couple cours-étude, les bâtiments portant la marque de ce couple (externat-internat). Tout élève a ainsi deux lieux de travail: la salle de cours, la salle d'étude ou sa chambre (quand il est externe, s'il en a une). Il faut y ajouter un troisième lieu, le seul où internes et externes peuvent réellement se rencontrer, l'ineffable permanence... Travailler dans trois endroits successifs suppose ainsi un matériel de travail volant, coûteux et encombrant.

Exactement adapté à une pédagogie réactionnaire qu'il soutient et qui le soutient, l'internat ne permet ni le libre exercice de l'imagination ni l'apprentissage de la liberté. Hasardons quelques envolées: autogestion et autodiscipline lancée et suivie conjointement par les professeurs et les animateurs, possibilité permanente pour l'adolescent d'aller - fût-ce en pleine nuit - surveiller une expérience en atelier de chimie.

Il est vrai que l'administration indispensable et complexe ronge tout et par là gène considérablement l'action pédagogique à laquelle elle est normalement subordonnée. Il est symptomatique d'entendre de la bouche d'un administrateur que «pendant les vacances, la maison marche mieux parce que les élèves ne sont plus là». c'est cette administration dévorante qui, au nom d'états à fournir, de papiers à transmettre, conduit à une année scolaire trop courte, morcelée, chargée au point que les pères travaillent 48 heures par semaine mais les fils soixante. La durée du travail n'est pas limitée: il suffit du réflexe d'humeur d'un tyranneau de pédagogue pour ajouter quatre heures de travail supplémentaire sous forme de consigne.

Nous composons avec ce système mais nous ne l'admettons pas. Ces structures d'un autre âge doivent disparaître: à nous, aux parents d'élèves, aux organisations syndicales et politiques de faire leur devoir. Si une plate-forme commune n'est pas établie pour défendre efficacement l'enfance et l'adolescence contre les technocrates, nous saurons tous que c'est nous-mêmes qui aurons sacrifié les générations montantes et celles-ci auront le droit de nous cracher au visage. Il y a là un choix; les hésitants, les spécialistes de la valse-hésitation font ce choix. Ils en seront peut-être punis par leurs propres enfants.

Des amorces de solutions

Celles-ci sont offertes par les pistes de travail déjà déblayées par le primaire et le premier cycle. Chaque professeur tente d'ouvrir des brèches en fonction de la classe qu'il doit conduire, ce peut être la conférence d'élèves, le débat qui en résulte quand le sujet tient au coeur des adolescents, ce peut être la correspondance scolaire ou le journal, ce peut être une organisation du travail prise le plus possible en charge par la collectivité, ce peut être l'emploi de la programmation, de l'autocorrection. Autant d'amorces qui seront de plus en plus communiquées aux autres collègues par le biais des cahiers de roulement et des bulletins de travail pour se diriger coopérativement vers un ensemble de solutions viables.

Un paradoxe

Ainsi nous essayons de libérer des adolescents conditionnés par des années d'assis-les-bras-croisés et qui, de surcroît, n'ont aucune peine dans les lycées à se considérer comme l'élite future de leur petite ville. Ou nous réussissons ce déblocage et nous donnons bonne conscience à l'enseignement traditionnel (pourquoi s'inquiéter puisque rien n'est irrémédiable!), ou nous ne le réussissons que dans une faible partie (ce qui est le cas) et on dira que nos efforts sont vains. En réalité notre travail se situe dans une autre perspective:

 - Avec des adolescents qui ont déjà une technique de vie scolaire fondée sur la passivité, le repli sur soi et le silence, nous tentons tout de même quelque chose, certains - et c'est évidemment au niveau des terminales que nous voyons le plus vite les résultats - qu'il en reste toujours quelque chose, de la même manière que notre vie d'adulte a toujours été illuminée par les rares maîtres qui s'intéressaient réellement à nous dans l'enseignement traditionnel.

- Enfin il nous faut songer au moment où le travail du primaire poursuivi au premier cycle va nous amener des élèves qu'il nous faut recevoir et ne pas décevoir.

IV- La démarche et les instruments

Tâtonnement expérimental et part du maître

On a pu se convaincre par la lecture de l'annexe V (dialogue entre Françoise Bouplet et Paul Le Bohec) de l'importance que revêt l'interprétation du travail de l'élève dans l'adaptation de la pédagogie Freinet au second cycle. C'est en effet constamment au cours de notre travail que nous sommes amenés à relire l'Éducation du travail ou l'Essai de psychologie sensible retrouver à tout moment et dans l'instant un fil conducteur et une hypothèse de travail. Et ceci est vrai aussi bien pour les C.E.G. que pour les C.E.S.

Cette réflexion s'accompagne nécessairement d'une réflexion sur ce que peut être la part du maître, son rôle comme recours-barrière, ses modes d'intervention, les limites de celle-ci, etc., bref une philosophie de l'éducation à travers l'expérience quotidienne et les instruments de travail. Il faut en parler car de nombreux éducateurs en chambre se lancent dans des extrapolations hasardeuses et s'imaginent qu'il suffit de réunir des personnalités d'horizons divers pour constituer des instruments de travail alors qu'on ne compte plus les exploitations de texte libre qui n'ont pu être menées à leur terme faute de l'instrument qu'elles supposaient et qui n'existait pas... (évidemment une réalisation se juge, tandis qu'un propos s'oublie).

Qu'est-ce qu'un manuel?

Le premier utilisateur d'un manuel est celui qui l'a composé. C'est le seul à qui il serve réellement. Pour les autres, l'utilisation ne peut être que fragmentaire.

L'erreur de la pédagogie classique est de vouloir que le manuel soit un point de départ, alors qu'il est un point d'aboutissement.

Le meilleur manuel que puisse connaître l'élève est celui qu'il se fera. A cela tendent dans un premier mouvement les manuels d'histoire de l'École Moderne, les livrets autocorrectifs, les bandes enseignantes, la programmation (revoir annexe IV).

Les techniques de communication

Mais s'en tenir là est une erreur car la culture est d'abord circulation de culture. L'information doit donc se déplacer de l'adolescent vers l'adolescent ou l'adulte et aussi de l'adulte vers l'adolescent (l'adulte, le maître, n'étant qu'un adulte parmi des millions d'adultes).

D'où l'importance de ces techniques de communication que peuvent être l'expression libre (avec entre autres le texte libre), la correspondance à divers niveaux, la coopérative, le journal, le voyage.

Les techniques de classement où d'ordre

Il faut constamment pouvoir faire le point, d'où la nécessité de techniques de classement affinées. C'est d'abord la coopérative qui périodiquement se reconsidère pour voir ce qui a été fait et relancer l'action en la rectifiant si besoin est. II faut y ajouter les plannings généraux, individuels, les graphiques de progression, les brevets (qui rejoignent les techniques de communication), les plans de travail enfin qui sont un lien continuel et indispensable entre le professeur et l'élève. Ces techniques sont indispensables au primaire et elles le sont également dans le second degré.

La recherche libre et l'équipe de professeurs

La notion d'équipe de professeurs repose traditionnellement sur une équivoque: elle représente un ensemble d'enseignants qui se communiquent mutuellement des informations pour mieux dominer leur discipline par des éclairages variés, ou qui se mettent d'accord pour harmoniser des thèmes d'études (ex: 1a forêt, étudiée simultanément en français, géographie, histoire, mathématiques, langues, etc. au niveau d'une 6°-5°). Sans nier l'intérêt de ces deux démarches car elles sont condition indispensable d'un dialogue entre enseignants, il faut bien dire qu'elles s'avèrent vite insuffisantes si quelque chose d'autre ne vient pas les relayer. Ce qui les relayera, c'est la recherche libre de l'adolescent qui se joue des frontières posées par les disciplines: une recherche dans l'atelier de français sera reprise en charge dans l'atelier de mathématiques ou de sciences ou de géographie (exemple des statistiques qui mettent en cause d'une manière latente au moins trois disciplines). I1 faudra évidemment pour ce faire une coordination plus nette entre techniques de communication et de classement mais à travers l'hétérogénéité du corps enseignant, l'adolescent retrouvera l'homogénéité d'un savoir, et ceci en fonction de ses curiosités fondamentales et de celles du groupe auquel il appartient. Et une des directions du travail du professeur sera de fournir, à la demande, pistes de travail, indications bibliographiques, instruments pour permettre à l'adolescent sa recherche libre.

On évoquera deux dangers: dispersion ou au contraire spécialisation excessive de l'adolescent. C'est oublier deux réalités fondamentales: la coopérative et la part du maître, la coopérative qui a pour but d'aider à l'épanouissement de chacun de ses membres à l'intérieur d'un travail commun, chacun s'enrichissant des différences de l'autre, la part du maître dont la fonction est de se demander en quoi sa discipline peut aider l'adolescent. L'erreur n'est pas de permettre à une jeune intelligence de se spécialiser trop tôt, mais de ne pas aider cette intelligence à éinsérer continuellement sa spécialité dans un ensemble fait de connaissances et d'affectivité: nous avons besoin de ministres qui soient fidèles au sens étymologique du mot, c'est-à-dire des serviteurs de la communauté.

En guise de conclusion...

L'originalité de Pestalozzi sur Rabelais, Montaigne et Rousseau., fut de concrétiser les idées énéreuses de ces trois grands esprits. L'originalité de Freinet sur Pestalozzi fut d'établir des techniques qui permettaient aux caractères d'imprimerie d'aller de la casse au composteur et du composteur à la casse sans se perdre (alors que le malheureux Pestalozzi voyait régulièrement disparaître caractères et composteurs). C'est pourquoi l'imprimerie est devenue, selon la forte expression de J. Vial, «une machine fédérative». Au de passer du primaire au premier cycle, on a pu se demander quelles techniques étaient ou non adaptables, il semblait que certaines extrapolations fussent impossibles. L'expérience a montré qu'il suffisait de réfléchir au sens profond d'une technique pour la voir s'adapter au premier cycle. Il n'y a guère que l'imprimerie qui soit restée à la traîne, et ce n'est probablement que partie remise. Au moment du passage du premier au second cycle, les mêmes inquiétudes nous tourmentent: peut-on adapter telle ou telle technique? Mais forts de la première mutation en voie de réussite nous répondons oui et nous nous attaquons avec confiance à la seconde avant d'aborder la troisième et de réaliser ainsi le mot d'ordre de Freinet: "De la maternelle à la faculté».

R. F.

Annexe I

Au C. E. S. d'Ugine

Comment j'ai débuté

par Fernand GARNIER

1. J'ai pratiqué dès le départ le texte libre; assez rapidement et après quelques difficultés de démarrage, les élèves s'y sont mis, et j'ai eu le plaisir - satisfait - de les voir peu à peu s'exprimer ainsi. Je crois même que certains ont fait de bons textes: textes en prose et textes en vers. Certains ont été très longs à démarrer, mais actuellement ils s'y sont presque tous mis (99%). Certains autres, au contraire, ont été «emballés» et j'ai entendu une fille de 4e M2 dire à ses camarades: «Avant, j'avais l'impression qu'il ne se passait rien dans ma vie, maintenant qu'est-ce qui se passe! Je ne peux pas tout dire. Il y en a trop.»

2. Nous avons mis sur pied - seuls et sans l'aide de l'administration qui a opposé à toutes nos demandes la plus colossale force d'inertie - des panneaux d'affichage où nous mettons:

- textes libres,

- documents photographiques sur les textes étudiés,

- correspondance,

- documents d'histoire et de géographie.

La classe a été transformée par l'ap­parition de ces énormes taches colorées, chaudes et bavardes, remplaçant le vide grisâtre des premiers jours.

3. Bien sûr, nous avons décoré la classe: reproductions de peintures, illustrations des élèves, photos d'animaux, de paysages. II a fallu concilier les goûts d'enfants dont le développement intellectuel est très inégal: certains aiment les chats, avec passion (surtout les filles), d'autres au contraire les détestent. Heureusement la classe est grande, les murs immenses, et nous avons pu satisfaire chacun avec une diversité qui finalement ne choque pas trop les yeux.

 4. Nous avons mis sur pied des plans de travail; grâce au modèle qu'avait établi Janou Lèmery, en le modifiant un peu, pour la classe. Je ne saurais trop insister sur les avantages du plan qui me permet d'engager avec chacun des élèves un dialogue en toute liberté, en toute franchise. Bien des difficultés s'y voient résolues. La confiance s'installe. II a été dur au début de les amener à se considérer avec un regard critique; aujourd'hui je crois qu'ils apprécient beaucoup mieux le travail qu'ils exécutent dans la quinzaine.

5. Pour les livres de bibliothèque, ils font -  pas tous - des fiches de lecture. Cela leur est très difficile: ils n'ont jamais appris à lire un livre, et ont eu pendant longtemps une absence totale de curiosité à l'égard de tout ce qui était nouveau, inconnu. II m'arrive encore de poser des questions à leur place, devant une situation nouvelle, surtout en 4e M1. Paradoxalement, c'est la classe qui est considérée comme la moins bonne de niveau scolaire, la plus difficile quant à la discipline, qui témoigne la plus grande curiosité et qui crée des discussions passionnantes sur les sujets traités.

 Je leur avais montré comment procéder en faisant avec eux, en travail dirigé, la fiche de lecture sur «La mare au Diable» que nous avons étudiée en classe. Les plus mûrs ont compris, et semblent les faire avec soin. Une lacune pourtant: je n'ai encore fait aucune présentation de livre avec cette fiche (ce qui, me semble-t-il, la valoriserait) et ils n'en voient pas bien l'utilité. Quand la note a disparu, le travail étroitement personnel devient sans raison.

 6. Ainsi se trouve posé ce problème des notes: en effet, par rapport à l'an dernier - les enfants et leurs parents comparent en permanence - ils ont très peu de notes en orthographe, grammaire, récitation, et certains sont malheureux comme les pierres en voyant le travail qu'ils font avec moi, celui qu'ils font dans les autres matières et la différence des notes qui tombent à la fin de la semaine. La direction du C.E.S. m'a fait quelques remarques, il y a peu de temps à ce sujet; je l'ai tranquilisée en lui disant que chaque élève aurait une note de travail et elle a semblé satisfaite. Après une explication avec les élèves, le problème semble - du moins tempo­rairement - réglé positivement.

 7. Le travail fait: La mare au Diable, en français, les a passionnés -alors que les collègues me criaient casse-cou quinze jours après le départ des cours. Nous avons étudié le roman in extenso. Cela a été pour les enfants une révélation que de tenir personnellement en main un livre complet:

- discussion sur les moeurs du XIXe siècle,

- sur la place de la femme dans la société, ses rapports avec l'homme, l'attitude des parents envers les enfants,

- l'amour aussi - ce mot tabou - qu'ils entendaient prononcer (?) pour la première fois dans une classe de français... une semaine a été nécessaire pour les amener à le considérer comme les autres.

Chaque fois, le problème posé dé­bouchait sur la vie d'aujourd'hui, sur leur vie.

Enfin nous avons pour conclure fait une représentation peinte des scènes qui leur avaient plu. Réussite là encore, le professeur de dessin, que je connaissais assez mal, a été très étonné du résultat et m'a dit qu'il ne les croyait pas capables d'un tel travail. Nous avions commencé en travail dirigé (grand format 65 x 40 environ) et ils ont terminé à la maison.

8. La correspondance:  elle a bien démarré en 4e M1. Je corresponds avec Charbonnier, qui est en Tunisie, et la classe est enthousiasmée. Je crois que le mot n'est pas trop fort. Nous avions fait le premier envoi; peu ont écrit de mauvais gré, je leur avais expliqué assez longuement ce que cela serait, et je les avais préparés depuis longtemps déjà.

 Aujourd'hui nous avons reçu la réponse de nos correspondants: joie et contentement, peur aussi devant la responsabilité à venir: ils craignent de ne pas être à la hauteur de ceux qui leur écrivent (c'est très important comme réaction); certains se sont mis immédiatement au travail, découpant articles, photographies et documents. Une véritable fièvre, qui ne va pas sans inquiéter les collègues. Ils n'ont jamais vu -parait-il- de classe aussi surchauffée. J'essaie de calmer les enfants, ce n'est pas toujours facile. «Ils posent trop de questions», m'a-t-on dit. Ce qui est peut-être plus un compliment qu'une critique. Pour la 2e classe, je corresponds avec un camarade de Loire-Atlantique. Nous n'avons pas encore reçu de réponse à notre premier envoi. J'espère que ça marchera car la classe est très sensible à ce qui se fait à côté.

9. Conférences d'élèves :  j'essaie de faire le plus possible de conférences en histoire et géographie. Je ne suis pas spécialiste de cette matière et avec les cours que nous faisons en français, il m'est impossible de faire des cours magistraux. Les premières ont été difficiles:

- difficulté d'élocution du confé­rencier, gêne et peur, paralysie devant son papier,

 - méconnaissance complète de ce qu'est une discussion dans la classe.

Aujourd'hui beaucoup de progrès ont été faits; le «truc»: prendre des notes. Nous faisons un court résumé à la fin de chaque chapitre du conférencier. Cela ne fait pas trop perdre de temps, cela ne coupe pas trop, et cela évite de reprendre des faits éloignés.

J'avoue qu'en ce domaine, je n'ai pas encore trouvé un point d'équilibre véritable. Nous passons par des échecs et des réussites, assez heurtés. Mais les élèves sont passionnés par cette forme de cours. Et il me semble impossible de revenir en arrière.

Évidemment, les leçons à apprendre par coeur disparaissent du même coup, et les parents s'étonnent de cette lacune. De temps à autre, je fais une interrogation écrite - annoncée - pour vérifier les connaissances. On apprend ainsi beaucoup de vocabulaire. Incroyable comme certains élèves étaient déjà moulés en début d'année: plus assis, plus endormis que des vieillards de 40 ans (intellectuels cela s'entend) et d'un mauvais goût à faire déclarer à tout collègue qu'ils étaient irrécupérables. Peu à peu, nous parlons des peintres, des musiciens, un élève de 4e M2 travaille sur une présentation de Picasso. J'ai des reproductions, on fera une exposition.

10. La bibliothèque:  nous l'avons organisée nous-mêmes, avec des livres achetés par les élèves, apportés de la maison où ils dormaient. Chaque semaine, nous prêtons des livres, parfois même après un cours, en dehors de l'horaire habituel.

11. Le journal:  je ne m'en suis pas occupé jusqu'à ce début de décembre; j'en parlais aux élèves, ils savaient qu'il y en aurait un. Mais je m'aperçois qu'il est un peu tard et je me demande si je pourrai le ronéoter avant les vacances de Noël. Les enfants ont choisi de l'appeler Le trait d'union.

Pour eux, j'ai l'impression que ça reste encore un peu vague. Ils ne voient pas bien ce que ce sera.

12. L'ambiance de la classe:  elle est bonne, me semble-t-il. J'ai plaisir à me retrouver avec les gosses. Ceux-ci semblent heureux; très actifs, ils participent pleinement à ce que nous faisons : suggestions, propositions, documents sont nombreux, et ils réclament des exposés, des lectures, ce qui me semble un bon signe. Certains collègues m'ont déclaré qu'ils étaient contents de l'esprit qui régnait parmi les élevés. Je me suis efforcé de leur faire découvrir la solidarité qui les liait.

13. La coopérative:  elle s'est mise en place progressivement et je dois dire qu'elle ne se précise vraiment que depuis que la correspondance a commencé. Grâce à quelques courtes réunions en début d'heure, nous avons pu régler un certain nombre de cas d'élèves:

- ne travaillant pas,

- posant des problèmes par leur attitude.

Cela a un peu bousculé des habitudes, mais a été très fécond.

14. L'enseignement de la grammaire:  ma bête noire et celle des élèves. Impossible de faire des leçons magistrales, c'est ridicule. Alors? Je fais comme je peux: grammaire appliquée après l'orthographe, en travail dirigé, en texte libre.

 Mais je me pose des questions: cela ne me paraît pas très satisfaisant. Ce qui me fait peur: qu'ils ne sachent rien l'an prochain avec le collègue qui les prendra. Ce qui me rassure: ils savaient très peu en début d'année et pourtant le collègue de l'an dernier leur infligeait de belles leçons doctrinales avec exercices d'application et exemples pris dans  les meilleurs auteurs.

C'était donc une faillite. Mais moi-même? Je ne sais pas...

15. Les fêtes de fin d'année:  nous avons fait dans chaque classe un sapin de Noël. Ambiance agréable; on a joie à se retrouver. Bien sûr, les collègues ont été surpris, de même que les supérieurs.

16. Les relations avec les collègues;  Je m'y trouve amené tout naturellement et je voudrais en dire quelques mots avant de conclure ; elles sont «bonnes»: on m'observe. Vous pensez bien qu'on me regarde de près. On épluche mon cahier de textes et on visite mes salles de classe durant mon absence.

La directrice du C.E.S. est très libérale et ne m'a fait aucune remarque quant à mes méthodes de travail. Elle connaît Freinet, elle a abonné les classes de transition à la B.T. J'ai fini par faire mon trou. Et je creuse sans mot dire, me contentant de hurler quand on me marche sur les pieds.


Pour avoir discuté avec des collègues d'autres lycées, qui étaient au C.P.R. l'an dernier avec moi, et pour avoir vu leurs difficultés, leurs échecs et leurs recherches, je crois que le mouvement ouvre vraiment une voie nouvelle et féconde à notre enseignement, et à nous aussi en tant qu'individus.

Fernand Garnier

C.E.S. d'UGlNE (Savoie)

Annexe II

Au C. E. G. de Chamalières

Vers un approfondissement du texte libre

par Janou LÈMERY

 Dans une classe de 4e, nous démarrions le samedi 2 octobre avec Oradour-sur-Glane. Entre «La partie de pêche», «Les grottes de Bétharam», «Ma passion pour l'automobile», ils avaient choisi le plus dramatique. D'emblée, nous entrions donc dans le sérieux.

 Martine était passée dans ce village pendant les vacances dernières... Elle avait eu un choc affectif profond en y pénétrant et avait transcrit très maladroitement et avec beaucoup trop de réalisme sa visite. La mise au point collective visa la sobriété, l'affinement de l'évocation, de l'émotion, et très vite, un choeur parlé, né spontanément des lectures faites en équipes pendant l'heure de travail dirigé, leur fit découvrir Aragon dans «La ballade de celui qui chanta dans les supplices» (que tu dis avec tant de tempérament timide Marie-Claude, le jour que nous avions invité notre directeur pour t'entendre!), «Je vous salue ma France», Eluard dans «Liberté» et «Courage», R.Desnos avec«Demain», Vercors dans une large extrait de «Le silence de la mer», un V. Hugo moins scolastique dans «C'est à l'aube».

 Picasso avec «Guernica» enrichit la grande geste du sacrifice d'Oradour...

 Le cinéma et, en parallélisme, la musique, avec Beethoven et Chostakovitch, complétèrent la fresque. Le professeur de musique acceptant gentiment de collaborer avec moi depuis l'an dernier déjà où il avait aidé Yves à transcrire les musiques libres qui accompagnaient ses poèmes, nous eûmes pendant l'audition quelques impressions et dessins libérateurs de correspondances baudelairiennes. Bernadette écrivit à propos de la 6e symphonie de Beethoven: «Le premier mouvement évoque un paysage gai, souriant: Oradour dans /a paix, dans la joie... Au 4e mouvement des sifflements de flûtes, des sifflements de balles, une musique assourdissante... Nous voudrions fuir loin, loin pour échapper à cela, comme nous voulons échapper à tout prix aux horreurs de la guerre, Quand l'orage est fini, /e soleil revient tandis qu'à Oradour, /es martyrs morts pour la France ne sont pas revenus, ne reviendront jamais.»

 

Christian, à propos du 4e mouvement: «Un tourbillon de colère détruit le calme, la fraîcheur. Ce tourbillon est chaud. On y respire mal. On a envie de mourir, On devient fou... Cette douleur disparaît peu à peu.»

Et l'on pourrait citer les impressions de Martine ou de Bernadette sur la 5e symphonie de Chostakovitch mais on ne peut tout dire.

Nous pûmes louer à la Fédération des oeuvres laïques le court métrage sur le «10 juin 1944» de Maurice Cohen. Ils retrouvèrent, grâce aux travellings de la caméra, à la voix neutre du récitant, la sobriété exemplaire que nous avions recherchée, et sentirent que cette sobriété voulue du commentaire, de l'image, amplifiait le registre tragique du martyre... Et la vie complexe, en marge de tous les cloisonnements, apparut à travers le même problème vu par des poètes, des artistes, un cinéaste, des gens moyens, des voisins.

 Deux élèves travaillèrent pendant deux heures de dessin à la création de l'illustration. II fallut faire des essais de couleurs, discuter, compa­rer, chercher les symboles les plus évocateurs, et les réalisateurs de « l'atelier pochoir » se mirent à l'oeuvre. Pour cette page donc, parue dans notre journal Joie de Vivre:

-  un texte libre très moyen

- une socialisation enrichissante du texte dans la mise au point collective

- un vrai travail d'équipe pour l'impression et l'illustration.

Voici tout d'abord le texte libre initial:

Oradour-sur-Glane

Pendant les vacances je me suis rendue à Oradour-sur-Glane avec mes parents, Ce village incendié par les Allemands le 10 juin 1944 est situé à quelques kilomètres de Limoges.

En franchissant la grille, nous apercevons /es maisons entièrement détruites, puis l'église d'où une femme s'échappa. Nous parcourons ainsi /es rues du village mort où nous découvrons un ancien café, une boulangerie, Nous arrivons à l'octroi où l'on peut voir les restes de literie, des pièces de monnaie, des clous soudés entre eux, des jouets et toutes autres sortes de matériaux. Le silence règne dans cette salle du souvenir.

Continuant notre visite, nous approchons de l'ossuaire où sont réunis les os des 321 martyrs.

En repartant nous passons devant la boutique de souvenirs où nous achetons des cartes postales. Nous continuons notre route et je sais que jamais je n'oublierai cet émouvant spectacle.

Martine Caignol

 Voici maintenant ce texte, tel qu'il fut imprimé dans notre journal joie de Vivre après mise au point collective.

Annexe III

Au C. E. G. de Thônes

Une conférence d'élève

par Pierre ANDARELLI

CONDITIONS DE TRAVAIL:

15 élèves par classe de 4e et 5e, à Thônes, vallée de la Haute-Savoie, c'est-à-dire milieu rural.

POURQUOI UNE CONFÉRENCE D'ENFANTS?

S'ils redoutent cet exercice pour sa difficulté, les élèves aiment l'affronter, sentant qu'ils trouveront là un moyen d'affirmer leurs jeunes forces.

MOTIVATION:

II me semble que les élèves de 13­14 ans sont attirés par deux sortes de problèmes:

- sujets de dépaysement total: satellites artificiels; vie des hommes primitifs;

- ou au contraire, réflexions sur la vie quotidienne, ou la vie des hommes de leur région.

Ils sont dans ce cas tout étonnés de s'apercevoir que le banal peut être magnifié par un simple regard. Ils aiment ce contact direct avec le réel et que ce réel prenne, du fait qu'ils l'observent, une dimension nouvelle. C'est à cette dernière catégorie que je rattacherais le sujet que Patrick avait choisi spontanément: «La vie dans les alpages».

A la base de ce choix, il y avait peut-être également pour Patrick le désir d'informer son correspondant (nos correspondants, élèves de Madame Goure, sont presque tous fils de mineurs).

TRAVAIL DE PRÉPARATION:

- Part de l'élève :  pendant environ un mois, mais de façon très décontractée (il ne faut pas que de tels exercices surchargent les élèves au détriment de disciplines «importantes»).

Ce fut pour Patrick l'occasion de s'interroger lui-même (puisqu'il avait mené cette vie) et surtout d'interroger de vieux terriens de son entourage.

Ici intervient une part intéressante du travail: je connais mal ce milieu et il me semble que les jeunes parlent peu aux vieux et qu'un tel exercice est, pour les uns comme pour les autres, un moyen de favoriser un contact qui ne se fait plus: le vieux s'étonnant de voir qu'un jeune se pose des problèmes, et le jeune ressentant le besoin de recourir à l'expérience de l'adulte.

- Part du maître: 'ordinaire, j'interviens à plusieurs reprises. On me montre les différentes étapes du travail, les ébauches successives. Sans imposer mon point de vue, je donne des conseils en discutant librement avec l'élève. Le jour de l'exposé, je connais exactement le contenu de ce qui va être présenté. Pour cet exposé, exceptionnel­ement, ne voulant pas que l'on me soupçonne de faire lire mon travail par un élève, je suis assez peu intervenu ; j'étais d'ailleurs mal placé pour le faire, car étant étranger à la région, j'en savais sur ce sujet beaucoup moins que mon élève, et je m'étais contenté de remarques concernant la forme.

MODE DE PRÉSENTATION : LA BANDE

Quelques temps avant, des élèves avaient réalisé des boîtes enseignantes, d'après les plans parus dans L'Éducateur. pensa que ce serait un moyen original de présenter la conférence: il la transcrivit sur bande.

Je pense qu'il n'y a pas seulement là un moyen accessoire d'utilisation de la bande et de la boîte. Sur bande, l'enfant sent la nécessité d'une programmation. Cette feuille qui forme un tout, et qui s'enroule autour d'elle-même, sans les interruptions nécessaires de la page, ne peut servir de support qu'à des idées qui s'enchaînent.

L'idée, en se moulant sur cette «forme», doit se plier à des exigences d'unité, de continuité et d'essentialité. L'enfant ressent le besoin de trouver des rapports.

Les «antibandes» vous diront que je fais de la mauvaise littérature. Mais je vous livre là des pensées sincères.

J'y vois même un autre avantage, touchant non plus à la conception mais à l'exposition: lorsque les élèves copient leur conférence sur classeur, n'étant pas tenus par la place, ils ont tendance à développer, à écrire ce qu'ils diront. Au moment de l'exposé, pour peu que le trac les affole, ils succombent facilement à la tentation de lire leur texte, l'exercice perdant alors toute saveur pour les auditeurs.

La bande, parce qu'elle ne peut supporter qu'une structure, un plan détaillé, ne peut comporter toutes les explications. Ce qui oblige l'enfant à donner ces explications oralement, comme le ferait un conférencier qui de temps en temps parcourt ses notes.

En ce sens la bande favorise l'expression orale,

LES DOCUMENTS

L'élève avait ressenti la nécessité d'illustrer son texte et d'apporter des preuves. II avait préparé:

- des photographies dont certaines prises avec l'appareil acheté par la coopérative,

- des matériaux de construction de chalets, des outils,

- de belles sonnailles,

- il y avait un magnifique «diplôme d'alpage» qu'il a oublié d'exhiber.

GLISSEMENT DU TRAVAIL INDIVIDUEL AU TRAVAIL COLLECTIF

Certains documents avaient circulé en classe. Ce qui a donné à tous l'envie de faire quelque chose. Et lentement a pris naissance l'idée d'une enquête collective. 'un a pensé que cette enquête, pour que les correspondants en profitent, pourrait être enregistrée sur magnétophone. N'en possédant pas, nous l'avons emprunté à d'aimables collègues. Chacun a préparé des questions sur le sujet. En séance commune ces questions ont été lues, les meilleures ont été retenues, groupées, classées.

Et un dimanche, entassés dans la voiture d'un père d'élève, nous voilà partis chez un vieux paysan de La Clusaz. Mais, intimidé par l'appareil, il fut assez peu prolixe. II fallut choisir un autre interlocuteur. Et ce fut un reportage étonnant, entièrement réalisé par les élèves.

Un professeur de lycée dont je regrette d'ignorer le nom, m'a dit que les réponses du paysan pourraient servir d'objet d'étude, qu'il y avait un rapprochement à faire avec Ramuz (j'avais égaiement pensé à Giono). II y a donc là des prolongements inépuisables pour la lecture expliquée.

Intéressés, les élèves décidèrent d'aller plus loin en interrogeant quelqu'un qui aurait un autre point de vue sur le problème. Ils s'adressèrent au Directeur de la Caisse du Crédit Agricole. Faute de temps, ce témoignage n'a pu être passé au cours de la démonstration. II était intéressant car il débouchait sur les solutions à apporter à des problèmes, en particulier sur la nécessité de créer des coopératives, ce qui, dans cette région assez traditionaliste, prend des allures de révolution.

DÉROULEMENT

Présentation : L'élève fit donc son exposé qu'il illustra de dessins. II fut beaucoup plus rapide qu'il aurait pu l'être, présenta ses documents, fit entendre le reportage.

Travail collectif: Pendant l'exposé chaque élève note:

- des questions (suppléments d'information);

- des jugements critiques sur l'exposé.

La part du maître: Ici intervient un moment de l'exposé sur lequel j'aimerais avoir votre avis, car reproche me fut fait, par un camarade suisse, d'être intervenu. J'aimerais, si vous êtes de cet avis, que vous me le fassiez savoir. Je pense, quant à moi, que la part du maître consiste à faire ce que l'élève ne peut faire. Et je pense selon l'expression de Le Bohec que: «Le maître qui ne sait pas intervenir quand il le faut est un zéro».

J'aime cette partie du travail parce que la classe, longtemps contenue, explose. Les élèves posent leurs questions, le présentateur répond et sans jamais rien écarter qui vienne des enfants, j'interviens pour mettre en relief certaines questions dont les prolongements sont intéressants. Je n'apporte rien par moi-même, je mets en lumière.

Ensuite, s'il me semble que certains aspects importants du problème n'ont pas été abordés (et ce fut le cas pour cette conférence) me mettant sur un pied d'égalité avec les élèves, je pose des questions comme l'aurait fait l'un d'eux et chacun essaye d'y répondre.

Enfin, et cette partie n'a pu être abordée faute de temps, aurait dû se situer la partie critique, chacun apportant des remarques sur la forme et le fond.

APPRÉCIATION

Ce genre d'exercice n'est pas notable. On ne demande pas de notes. Les enfants sentent bien que ce genre de richesse échappe à la sécheresse d'une petite appréciation chiffrée.

UTILITE

- Pour l'élève qui réalise ce travail, il me semble inutile d'insister sur le profit qu'il peut en tirer.

- On pourrait objecter que ceux qui écoutent sont passifs. Oui, mais quand c'est l'un des leurs qui parlent, ils écoutent si bien!... Et d'autre part, cet inconvénient masque peut-être un bienfait. En effet, au cours d'un exposé fait par le maître, même selon les méthodes actives, les enfants n'osent pas mettre en doute ce que le maître les a aidés à découvrir.

Et s'ils sont plus actifs quant au comportement, ce comportement lui-même masque une attitude intellectuelle assez passive, l'enfant étant sûr que ce qu'il est en train de découvrir est vrai et n'a pas été mis en doute.

Il n'a pas alors à exercer son esprit critique. contraire, lorsque c'est un camarade qui parle, il sait que ce qui est exprimé peut être sujet à caution, qu'il peut exercer, face à ce qu'il écoute, son esprit critique. faut assister à une telle séance pour s'apercevoir que les enfants sont impitoyables et laissent rarement passer des erreurs et des fautes, et qu'ils savent reconnaître la richesse d'une conférence bien faite.

DANGER

Cet exercice risque d'être une occasion de cabotinage. Je ne pense pas que ceux qui y ont assisté aient eu l'impression d'assister à un numéro de cirque. J'avais à cet effet choisi un élève moyen.

Au contraire, il me semble que nous avions en face de nous un enfant qui faisait des efforts, non pas pour briller, mais pour essayer de se surmonter et se vaincre lui-même.

QUELLE PLACE DONNER A CET EXERCICE?

II est évident qu'il est apparemment difficile de faire entrer ce travail dans nos petits emplois du temps. Pourtant cela touche:

- à la géographie: étude d'un comportement humain; étude d'une production agricole.

- à l'histoire: étude d'un genre de vie;

- aux sciences: on parle avec précision d'animaux, de plantes;

- au travail manuel: prise de photographies.

- Cela touche à l'expression écrite: puisqu'il y a mise en forme d'une pensée abstraite;

- à l'expression orale: puisqu'il y a échange de communication;

- et dans la mesure où les élèves critiquent ce qu'ils entendent, cela touche à l'explication de texte.

- La conférence débouche sur la lecture de textes d'auteurs (ex.: Ramuz).

Pour ma part, je ne pense pas me dérober en situant cet exercice au moment où un élève est prêt à le faire et ses camarades désireux de l'écouter.

REFLEXlONS

Si nous avons de la difficulté à faire entrer cet exercice dans notre classe, cela met en valeur le fait qu'il est malaisé de faire entrer la vie dans le cadre étroit de nos emplois du temps et de nos programmes.

Je pense que ces exercices ressemblent à ces enfants un peu gênants parce que débordants de vie, et que nous n'avons pas le droit de les écarter sous prétexte qu'aucune rubrique rassurante ne leur correspond dans l'emploi du temps et qu'ils ne recouvrent aucun point précis du programme.

La richesse du contenu met en évidence la pauvreté du contenant. Ce ne sont pas ces exercices qui doivent être supprimés, ce sont nos emplois du temps et nos programmes qui doivent éclater.

Cet exercice est un peu gênant, un peu débordant, tant mieux! C'est le signe qu'il ne s'agit pas d'un exercice scolastique mais d'un exercice vivant, tire sa richesse de la vie dont il est issu et sur laquelle il débouche.

P. A.

Annexe V

Un essai en classe de physique et chimie

Dialogue entre

Françoise BOUPLET et Paul Le BOHEC

Françoise Bouplet:

- Autrefois, je dictais un plan détaillé du travail à effectuer. Puis, j'ai renversé totalement la vapeur: j'ai essayé la recherche libre. Mais, sauf pour quelques élèves, l'échec a été complet. Je ne sais d'ailleurs pas trop pourquoi.

Paul Le Bohec:

 - Cela est dû sans doute à la nouveauté de la situation. Partout, jusqu'à présent, et depuis leur plus tendre enfance, les élèves avaient dû écouter leur professeur. Aussi cette soudaine liberté /es a effrayés. Ils n'y étaient pas préparés. Il y a un apprentissage de la liberté à faire, surtout dans un tel contexte.

-  C'est vrai. Mais, pour moi aussi, c'était un apprentissage et j'étais aussi un peu effrayée de mon audace. J'ai tout de suite trouvé une position de repli: j'ai proposé des études : étude de la soude, du volume d'un gaz en fonction de la pression, des différences de potentiel prises en différents points d'un circuit...

Ce qui m'a surprise, c'est que les enfants sont allés dans des directions que je n'avais pas prévues. Ainsi, ils avaient réduit de la litharge avec du charbon de bois et ils ont refait l'expérience avec du minium, ce que je n'ai trouvé sur aucun livre.

 A propos de litharge, je dois te signaler quelque chose: deux élèves avaient donc obtenu du plomb. Ils semblaient émerveillés de leur «découverte». Ils rassemblaient avec amour les gouttelettes brillantes pour en faire une plus grosse. Et ils ont refait l'expérience trois fois de suite dans des conditions identiques. S'ils avaient fait varier les  quantités, j'aurais accepté ; mais non, c'était rigoureusement la même expérience. Et pourtant ils devaient avoir compris. Et ce qui m'a étonnée, c'est que les autres élèves se sont mis à leur tour à refaire l'expérience. Je l'avoue, cela me dépasse.

 - Eh bien! à mon avis, cela s'inscrit parfaitement dans /a théorie du tâtonnement expérimental de Freinet. "Toute expérience réussie amène aussitôt sa répétition». Cette phase de la répétition est très importante, C'est, au départ, une sorte de vérification. C'est comme si tes élèves n'en croyaient pas leurs yeux ; il fallait qu'ils recommencent plusieurs fois pour y croire vraiment. Après la vérification vient /'assimilation: il faut beaucoup de répétitions pour que l'expérience soit parfaitement intégrée à l'individu.

«Tout acte réussi par autrui est imité lorsqu'il s'inscrit dans la chaîne d'expériences en voie de formation». Les autres garçons ne se sont pas contentés de voir et de croire ce qu'ils voyaient; ils ont voulu croire à ce qu'ils avaient fait, avec les mains et non plus seulement avec les yeux. Le groupe est aussi une personne et il passe aussi par /a phase de la répétition.

-  Mais, alors, il y a une perte de temps considérable. Et on risque de tourner en rond,

- Non, car les expériences ne sont jamais identiques et il se produit toujours à un moment ou à un autre un écart qui permet de prendre la tangente, Il y a un écart dans les faits, mais aussi dans les esprits. Au début, /es élèves sont sensibles aux gros enseignements de l'expérience mais peu à peu ils s'affinent et deviennent aptes à apercevoir des différences qu'ils n'avaient pu saisir au premier abord. D'ailleurs, ils ont étendu leur expérience au minium. Et puis, Rousseau n'a-t-il pas dit: «L'essentiel, c'est de perdre du temps»? Si tes élèves perdent du temps maintenant, c'est qu'ils n'ont pas eu le loisir d'assumer cette perte de temps plus tôt. Ils ne se conduiraient pas comme des gamins s'ils avaient pu expérimenter dans leur jeune âge, Ils seraient au-dessus de ça et quelques répétitions suffiraient pour qu'ils croient à ce qu'ils auraient fait et même à ce qu'ils auraient vu. L'expérience justement leur aurait permis de transposer plus vite et d'accepter plus facilement. Mais ici, comment veux-tu qu'ils ne se comportent pas comme des enfants puisque, dans ce domaine, ils commencent à peine, ils n'en sont encore qu'à l'enfance?

- Tu m'ouvres des horizons: je me rends bien compte que je vais devoir m'intéresser à la psychologie. Mais j'ai aussi tâtonné sur le plan des comptes rendus.

- Pourquoi donc voulais-tu ce compte rendu individuel alors que les enfants travaillent par groupes de deux?

-  Pour pouvoir donner des notes. Mais je me suis rendu compte que j'avais mis le doigt dans un engrenage. Si je voulais faire prendre une attitude objective devant les faits, il fallait que les conditionnements anciens disparaissent. En effet, le compte rendu individuel fourmillait d'erreurs dues à ce besoin de se raccrocher à n'importe quelles connaissances, au hasard. Ou bien, l'élève prenait son livre, y cherchait l'expérience et la recopiait, parfois, mot pour mot. Pas de danger ainsi d'écrire des bêtises et d'avoir une mauvaise note. Même si l'expérience réelle aux T.P. n'avait pas réussi, sur le compte rendu, elle était parfaite. La raison de tout cela, c'est la note ; c'est elle qui est à l'origine des truquages parce qu'elle conditionne la sécurité. Mais quand, sur tes conseils, j'ai donné quelques bonnes notes, comme ça, sans interrogation, à des garçons qui avaient été très actifs, l'atmosphère a changé. Maintenant, je m'oriente vers le compte rendu collectif établi au cours de l'heure suivante. Cela a l'avantage de récapituler les différentes voies de recherche et de faire rectifier les erreurs par les élèves, entre eux.

 - C'est ce que nous appelons la leçon "a posteriori». C'est une sorte de synthèse qui porte ses fruits parce qu'il y a à ce moment des réponses à des questions restées en suspens. Dans la leçon habituelle, c'est la réponse qui précède la question.

Annexe VI

Au C. E. G. de Chamalières

Un enseignement homogène

Expérience menée par Janou et Edmond LÈMERY

Mes petites souris

Ces petits animaux à queue trop longue, aux yeux rouges exorbités, aux pattes minuscules et aux oreilles dentelées, sont pour moi l'objet de beaucoup de tendresse.

Un jour, une souris grise se prit dans un piège que papa avait posé à la cave. Elle était si mignonne que l'idée d'en acheter une blanche me vint tout de suite à l'esprit. L'après-midi même, je courus au magasin. Maman m'avait bien recommandé de ne pas prendre le couple. Là, je pus voir toutes sortes d'animaux: des oiseaux de différentes espèces, des poissons rouges, des tortues, d'amusants perroquets, des petits chiens et deux grandes cages grouillantes de souris blanches. J'aperçus aussi des hamsters. Des petites bêtes charmantes! Et j'aurais voulu en acheter un. Mais en regardant mon porte-monnaie rempli de pièces de dix et vingt centimes, puis en contemplant l'étiquette du prix de l'une de ces bêtes, je changeai tout de suite. J'achetai donc une souris qui était beaucoup moins cher.

C'était une femelle qui allait bientôt faire des petits. Maman ne voulait pas un couple, craignant la reproduction très rapide de ces animaux. En l'achetant, je ne lui ai pas désobéi.

Je baptisai ma petite bête Cléopâtre.

Je l'installai dans une vieille cage d'oiseaux. Dans du coton et du papier journal qu'elle eut vite grignotés et déchiquetés, elle fit son nid. Tous les matins, en me réveillant, j'allais la voir. Un jour enfin, au fond du nid, je pus apercevoir des petites bêtes ou plutôt de minuscules boules roses qui se remuaient et qui couraient sans cesse. Mais leur mère les cacha jalousement dans son nid. Je ne pus les apercevoir que trois semaines plus tard. Qu'elles avaient changé! Elles étaient maintenant toutes blanches. Elles grandirent rapidement et devinrent aussi grosses que leur mère. II y en avait huit. J'en ai donné et vendu, il m'en resta trois: Cléopâtre, Marie-Antoinette et César.

Un mois plus tard, les deux femelles firent seize petits. Je séparai mâles et femelles. En deux mois, j'en vendis treize; il me restait deux mâles et trois femelles. Mais un jour, pendant que je nettoyais leurs cages, mâles et femelles entrèrent dans la même. Ce jour-là, je devais être distrait, je ne m'en aperçus pas. Je ne le vis que deux jours après. C'était trop tard! Si bien qu'un mois plus tard, le fond du nid grouillait de petits.

J'ai renoncé à les séparer. J'en ai eu un grand nombre. Un jour j'ai pu les compter : j'en avais quarante-cinq!

Souvent on peut me voir avec une souris blanche dans ma poche, en général les plus apprivoisées qui me connaissent bien; ce qui ne manque pas de provoquer certaines réactions dans mon quartier.

Je n'y fais guère attention, j'aime tant ces animaux si familiers!

Christian VIALLE

et ses camarades de 4e A

 

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