BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE MODERNE

 

LES TECHNIQUES

AUDIO-VISUELLES

 

Par

C. FREINET

et les Commissions de l’I. C. E. M.

 

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SOMMAIRE

 

 

CONSÉQUENCES PSYCHOLOGIQUES
SOCIALES ET CULTURELLES DE
L'EXTENSION DES TECHNIQUES
AUDIO-VISUELLES

Photographie, radio, disques, télévision, magnétophone, sont des inventions d'une portée considérable. Il n'est nullement dans notre intention d'en minimiser l'importance. Elles sont, comme la langue, la meilleure et la pire des choses selon l'usage qu'on en fait.

Essayons d'apprendre à nous en mieux servir pour les buts qui sont les nôtres : la formation maximum de l'individu par l'exaltation de toutes ses facultés et possibilités au service d'une vraie culture qui prépare en l'enfant l'homme de demain.

Pour cela une analyse préalable est indispensable des processus nouveaux que les techniques audio-visuelles ont mis en action.

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Faisons donc un peu d'historique.

Le cinéma, — et la photo dont il est issu — sont plus qu'un amusement ou même qu'un moyen d'éducation. Ils sont plus qu'un septième art. Ils sont une nouvelle forme de penser et de s'exprimer et posent de ce fait un problème excessivement grave qu'on considère rarement comme il devrait l'être.

Et c'est sur ce point particulier que je désire insister.

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Avant l'invention de l'imprimerie, la culture était exclusivement verbale. Nous avons tendance à la minimiser, comme nous minimisons la marche à pied à l'ère des avions à réaction. Et quand nous y avons recours, nous imaginons mal les performances courantes des hommes se déplaçant à pied : 20 ou 30 km nous paraissent aujourd'hui comme épuisants. Avant l'invention des autres moyens de communication, l'homme pouvait marcher et courir pendant des heures et des jours.

On imagine aussi mal ce que pouvait être une expression et une culture exclusivement basées sur la parole. Tout juste parle-t-on couramment des philosophes qui, au coin des places grecques, transmettaient à leurs disciples l'expression de leur sagesse.

Ce n'était pas qu'à ce degré que fleurissait la culture de la parole. Elle fleurissait plus encore dans le peuple où parler était un art dont on usait couramment.

Les grands Romans du Moyen Age se transmettaient exclusivement par la parole et, au cours des veillées d'hiver qui étaient alors un lieu de fraternisation et de culture, les conteurs et les poètes étaient capables d'inventer ou de redire — parfois en les adaptant — des œuvres qui duraient des heures ou des jours.

On se plaint maintenant de la faiblesse de la mémoire de nos enfants et on nous invite à cultiver cette mémoire en ressuscitant un par cœur scolastique qui l'annihile. Mais il y a un siècle seulement les hommes avaient une mémoire considérable qui était alors le moyen essentiel de culture.

Les hommes pensaient en parlant. Les hommes et les enfants pensaient et apprenaient en parlant. Les  idées et les pensées étaient pour eux des paroles, avec leur intonation et leurs variantes.

Cette culture a eu sa majesté, qu'on néglige souvent trop, comme on néglige le confort des calèches parce qu'on les compare à nos autos au lieu de les considérer dans leur contexte de l'époque.

Toutes les belles œuvres du folklore sont le fruit de cette culture. Nous avons peine à imaginer aujourd'hui qu'un homme puisse créer et ciseler un poème, sans avoir seulement un crayon, exclusivement par la mémoire et le langage. Et c'était pourtant le processus courant il y a cent ans à peine.

Il faut croire que cette culture avait son intensité et sa splendeur puisque chaque village possédait alors ses poètes, ses chansonniers, ses diseurs de proverbes ou de bons mots, ses conteurs, ses philosophes.

II était alors certains hommes qui ne s'exprimaient pas par le langage mais avaient appris à s'exprimer par l'outil : c'étaient ceux qui gravaient au couteau les meubles de leur demeure ou qui sculptaient la pierre ou fondaient le métal. Les cathédrales ont été la fleur de cette culture de l'outil.

Ces hommes pensaient déjà différemment. Ils pensaient moins par la parole, mais par l'outil, la main et le geste.

L'écriture est venue qui était un perfectionnement considérable de la technique d'expression. Désormais, on pouvait écouter parler ceux qui étaient loin ou qui étaient morts.

Mais la technique en était difficile et, de ce fait, restait réservée à une élite ou à des spécialistes. Elle est restée difficile et c'est pourquoi elle n'a remplacé que très lentement la culture de la parole qui a gardé longtemps sa suprématie.

A cause même de cette difficulté technique, l'École en est restée bien souvent, et presque exclusivement à l'ère de la parole. C'est par la parole que la pensée des maîtres se transmettait le mieux à leurs disciples ou à leurs élèves. Les leçons sont le reliquat, si important encore, de cette forme de culture.

A cause justement des difficultés techniques qui en gênent le développement, la culture du livre a mis longtemps à se généraliser. On ne peut même pas dire qu'elle se soit vraiment généralisée en ce sens que la grosse majorité des hommes de nos jours ne pensent pas en fonction de l'écriture.

Nous, qui, par la force des choses, sommes devenus des spécialistes de cette forme de culture, avons tendance à penser et à nous exprimer, non par la parole ou par le dessin, mais par l'écriture et l'imprimé. Notre pensée semble instable et fugitive si nous ne la fixons en temps voulu sur le papier. Notre mémoire elle-même s'est détériorée et rouillée par défaut de fonctionnement. Tout ce qui trouvait autrefois une place de choix dans ses méandres est aujourd'hui inscrit noir sur blanc sur un bloc-notes et nous sommes perdus si nous n'avons plus un crayon et un bout de papier.

L'étude n'a peut-être jamais été faite des différences de processus d'une pensée qui fonctionne par la parole ou par l'écrit. Cette différence existe pourtant et elle est radicale et souvent définitive. Si notre humanité n'est pas devenue davantage une humanité de l'écriture, c'est tout simplement que la technique de l'écriture est trop complexe et que les modes d'expression et de pensée par le langage sont restés beaucoup plus familiers à nos enfants.

Notre éducation elle-même, au premier et au second degré, est restée partagée entre ces deux formes. Le monde actuel pense plus encore par la parole que par 1’écrit, étant donné surtout que la radio est venue renforcer encore l'importance de la parole. Il n'y a pas, en tous cas, une coupure profonde et irrémédiable entre ces deux formes.

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II n'en est pas de même de la révolution qui peut amener une véritable mutation, qui est actuellement en cours.

La science contemporaine a permis de substituer à l'expression et à la pensée par la parole ou par l'écrit, la pensée par l'image ; d'abord, par l'image fixe, puis aujourd'hui, par l'image animée.

Quand, il y a cinquante ans, nous pensions à un paysage familier ou à un être cher, nous les voyions, nous les sentions, comme qui dirait intérieurement, à tel point que, pour mieux les voir, mieux les sentir, nous fermions les yeux. Ces pensées, ces images, elles se sensibilisaient dans tout notre être ; intégrées à toute notre vie physiologique et sensible, elles faisaient partie de nous, elles mûrissaient en nous.

L'écriture était parvenue déjà à les détacher artificiellement de notre être, comme si elles avaient une vie propre qui pouvait combiner son devenir et ses réussites. Il  n'y a qu'à voir comme pensent, sentent et aiment les adolescents et les adolescentes qui se sont nourris artificiellement de la presse du cœur ou du roman policier.

Leurs processus de pensée et de vie sont différents.

 

 

Or, l'image est aujourd'hui reine. Et, contrairement à ce qui s'était passé pour l'écriture et le livre qui ne sont pas parvenus à se substituer au langage, nous sommes aujourd'hui en présence d'une technique qui tend à généraliser son emprise. Ce n'est plus seulement une élite ou une minorité de privilégiés ou de spécialistes qui est désormais touchée, mais la masse du peuple et la masse des peuples puisqu'il est des pays entiers qui passeront peut-être d'une culture de la parole à la culture de l'image, sans passer par l'intermédiaire de l'écriture et du livre.

Il est plus facile de manœuvrer un appareil photographique qui ne coûte guère plus cher qu'un livre, que le livre lui-même ou la plume. Et le plus inculte des hommes ou des femmes peut s'asseoir aujourd'hui au cinéma et participer d'une féérie qui, sans fatigue, sans apprentissage technique, permet de s'imprégner de pensées, de sentiments et de modes de vie qui nous sont extérieurs et étrangers.

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Il ne s'agit nullement de s'élever a priori contre telle découverte technique qui influence et modifie nos modes de vie. Tout le progrès est à ce prix : il est des découvertes d'outils et de techniques qui sont susceptibles de modifier nos modes de vie individuels et sociaux.

Encore faut-il, pour qu'il y ait progrès, que cette influence se fasse dans un sens bénéfique.

Or, malheureusement, toute technique nouvelle a son côté positif et son côté négatif. Et malheureusement aussi, dans le système social et économique actuel, les techniques nouvelles sont aux mains de grandes concentrations industrielles et financières, qui ne s'intéressent qu'à l'aspect bénéfique financier de l'opération et qui ne craignent pas de flatter les plus bas instincts de l'homme pour augmenter leurs profits.

C'est un des aspects de ce problème dramatique que nous voudrions soumettre à l'attention de tous les hommes soucieux de progrès.

Mais nous voudrions, d'abord, susciter l'examen d'un autre aspect du problème qui est, à mon avis, d'une immense portée psychologique, philosophique, pédagogique et culturelle : le règne de l'image, sous toutes ses formes, est en train de modifier dans ses profondeurs et jusqu'en ses racines, le mode de pensée, d'expression et de vie de nos générations.

La culture par la parole, quelque peu modifiée par la culture par l'écrit et le livre, est en train d'être remplacée, peut-être totalement, par une culture par l'image.

Nos enfants pensent désormais par images ; ce n'est plus en eux qu'ils cherchent les résonances aux appels du milieu ; c'est dans l'image, qu'ils l'extériorisent ou la traduisent.

L'image, en général, l'image animée en particulier, sont en train de transformer radicalement les processus mentaux de nos enfants. Nul ne semble encore s'en être avisé. On se plaint seulement que nos enfants ne soient plus capables d'attention hors de l'image, qu'ils traduisent tout en dynamisme gestuel, qu'ils n'aient plus le temps de retourner et de remâcher leurs propres pensées, qu'ils perdent, de ce fait, leur personnalité originale, pour se dissoudre dans une sorte de collectif de l'image.

Nous étions fatigués naguère, quand nous avions voyagé longtemps en auto ou en train et que nous étions comme ivres du défilé hallucinant des personnages et du paysage. L'enfant est soumis aujourd'hui, et dès son plus jeune âge à cette hallucination. Mais, et c'est naturel, il s'en accommode et s'y adapte. Or cette accommodation et cette adaptation modifient en profondeur et d'une façon sans doute irréversible, les formes d'éducation et de culture.

Il faut bien nous dire que les enfants de l'ère atomique ne sont plus du tout ce que nous étions à l'ère des premiers chemins de fer. Il ne suffit pas de dire que, voyant beaucoup plus d'images que nous n'en voyions au début du siècle, ils sont plus instruits de toutes choses. Ce sont les changements intervenus de ce fait dans les processus de pensée et de vie qui doivent être étudiés de très près.

Or, jusqu'à ce jour, les éducateurs ont fait volontiers comme les villageois d'il y a 30 ou 40 ans, qui maudissaient les premières autos parce qu'elles bouleversaient les habitudes du village. Les éducateurs maudissent de même les habitudes nouvelles qui font que les enfants ont tout vu et connaissent tout, mais en surface seulement, parce que l'image et le cinéma ne leur ont guère présenté qu'un aspect extérieur, et parfois truqué, des choses; qu'ils n'ont plus l'habitude de l'effort intellectuel et de la concentration puisque les mécanismes sont actionnés de l'extérieur et non plus de l'intérieur et que se substitue ainsi à nos modes de pensée intime une sorte de deuxième zone qui risque d'uniformiser notre humanité en un aspect grégaire d'une culture fallacieuse.

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Nous sommes donc engagés non point comme on pourrait le croire dans la discussion accessoire d'un processus formel mais dans l'évolution historique même de l'éducation et de la culture.

Ce sont là des questions qui devraient faire l'objet d'études attentives afin de mieux connaître les dangers possibles et les erreurs de cette nouvelle culture. Nous avons nous-mêmes amorcé ces recherches par la mise au point expérimentale d'une pédagogie moderne qui, dépassant les vieux outils et les techniques démodés, s'applique à tirer le meilleur profit culturel possible des innovations scientifiques contemporaines.

D'abord, nous replaçons la création et l'expression personnelle au centre de tout notre processus éducatif. Par le texte libre, par le dessin libre, l'enfant garde ou reprend sa personnalité et une personnalité peut-être inébranlable qui ne se laissera pas facilement déranger de sa route par la pensée d'autrui.

Par le dessin encore, par l'emploi rationnel de la documentation illustrée, par l'utilisation de la diapositive, du cinéma et de la télévision, nous faisons nos enfants acteurs du monde qu'ils auront à affronter. Et vous savez que notre état d'esprit change totalement en face d'une œuvre, selon que nous l'examinons en tant qu'auteur ou que spectateur.

Le visiteur qui admire une exposition de dessins parvient difficilement à établir les contacts avec les œuvres qu'il examine. Mais s'il a lui-même créé et dessiné comme le font les artistes, alors il comprend mieux et différemment les tableaux exposés. Vous lisez un recueil de poèmes. Cela peut vous intéresser et vous émouvoir, mais si vous avez écrit vous-même des poèmes alors vous considérez l'œuvre des autres sous un autre angle.

C'est parce que, par l'imprimerie et le journal scolaire, nous habituons nos enfants à confronter leurs pensées et leur vie à celle d'autres enfants, qu'ils abordent le phénomène journal d'adultes avec un esprit tout différent d'où n'est jamais exclue la critique.

Si nos enfants ont utilisé le cinéma ou la télévision, si nos jeunes étudiants pouvaient mener des enquêtes au cours desquelles ils utiliseraient le magnétophone, la radio, les vues fixes, le cinéma et la télévision, si toute cette nouvelle technique était, non pas surajoutée et plaquée sur d'anciennes pratiques scolastiques, leur culture nouvelle — qui pourrait être exaltante — serait totalement intégrée dans les formes modernes d'information et de culture. L'Enfant, l'École, la Société ne conserveraient alors du règne actuel de l'image que ce qu'elle est en mesure de nous offrir, pour notre progrès commun.

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Ne rejetons pas toujours les responsabilités sur les seuls producteurs de films. C’est comme si nous accusions exclusivement les producteurs d'autos du désordre et des accidents dont notre inexpérience est souvent responsable.

Ce désordre culturel persistera tant que l'École prétendra éduquer les enfants avec des outils et selon des systèmes valables il y a 50 ans, mais qui sont débordés par la technique contemporaine. Il subsistera, s'il y a d'une part, à l'École, les leçons, les bras croisés, le par-cœur, les exercices morts, et hors de l'École l'enivrement des images, des illustrés et du cinéma.

C'est vers une éducation moderne que nous devons nous orienter, vers une culture moderne qui saura garder de la culture du passé tout ce qu'elle avait de profond, d'unique, de majestueux, et qui saura en même temps suivre, en imagination et en images, le spectacle presque divin d'un Spoutnik s'en allant vers le soleil.

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A TEMPS NOUVEAUX,
TECHNIQUES NOUVELLES

 

Le monde qui s'impose à l'enfant en 1962 est totalement différent de celui qui s'offrait à nous au début du siècle.

Au cours des trente dernières années notamment, la nature et le milieu autour de nous se sont radicalement transformés et l'évolution se poursuit à un rythme sans sans cesse accéléré. Il ne suffit plus de dire comme certains pédagogues que cette évolution n'empêche nullement de fonctionner comme autrefois, la culture étant, selon eux, immuable et éternelle.

Si elle veut préparer l'enfant à son rôle d'homme dans la société de demain, l'Education doit tenir compte de ces transformations décisives et irréversibles.

Les techniques audio-visuelles sont parmi les éléments dominants de cette évolution du milieu :

— Les images, presque inexistantes il y a trente ans, ont envahi le marché avec les catalogues, les livres, les affiches et surtout les journaux et les livres illustrés où les comtes genre américain se substituent presque totalement aux histoires à lire et à méditer.

— Les disques et le magnétophone substituent la parole à la langue écrite ;

— Et aujourd'hui la radio et la télévision substituent à la connaissance naturelle du monde un moyen obsédant de diffusion nationale et internationale.

Que cela nous plaise ou non, ces techniques existent. Elles n'ont pas été inventées par les éducateurs, mais par des techniciens, des producteurs, des spéculateurs et des Etats qui ne se sont nullement préoccupés d'éducation et qui nous mettent pour ainsi dire aujourd'hui devant le fait accompli.

Les Techniques audio-visuelles ont suscité un monde nouveau auquel il nous faut, bon gré mal gré, nous adapter.

 

L'Ecole ignore encore les Techniques audio-visuelles

 

Si l'éducation n'était pas directement dépendante du milieu extérieur à l'école, nous n'aurions pas encore à nous émouvoir car l'Ecole française à tous les degrés, ignore encore à 95 % ces techniques audio-visuelles.

— Les manuels scolaires sont, il est vrai, un peu plus illustrés et coloriés qu'il y a trente ans. Mais la débauche de dessins et de couleurs que nous regrettons parfois ne compromet pas encore le regain d'intérêt qu'elle suscite chez les étudiants de tous degrés.

— Les livraisons de vues en noir et en couleurs, d'ailleurs ordinairement soignées et intéressantes, sont utilisées mesurément dans une minorité de classes et restent de ce fait pratiquement sans danger.

— Les projections de bandes et de diapositives en noir et en couleurs ne sont utilisées que dans une faible proportion de classes et sont de ce fait, pédagogiquement négligeables.

— Il en est de même pour les disques qui sont employés dans un nombre limité de classes pour la danse ou le chant.

— Le magnétophone en est encore au stade expérimental.

— La radio et la télévision restent accessoires dans les classes qui ne disposent que rarement des moyens d'obscurcissement.

Nous aurons donc relativement fort peu à dire sur ce qui est à l'Ecole pour ce qui concerne les techniques audio-visuelles. Nous devrons plutôt étudier ce qui devrait et pourrait être.

C'est tout le problème qui se pose pour la modernisation de notre enseignement en ce qui concerne plus spécialement les  techniques audio-visuelles.

 

Par contre l'action extérieure de
Techniques Audio-visuelles
est désormais déterminante et nous ne pouvons plus la négliger

 

Les techniques audio-visuelles déjà reines hors de l'Ecole vont le devenir davantage encore au cours des prochaines années. Elles sont à peu près toutes, dès maintenant, dangereuses dans leur excès. C'est sur cet excès que nous devrons essayer d'agir

Par la culture orale nous entrons directement en rapport avec les personnes qui nous écoutent et réagissent à ce que nous formulons. Il n'y a là aucun hiatus : la parole est intimement mêlée à la vie.

L'imprimerie a amené une première perversion du processus. Celui qui écrit n'a plus en face de lui l'auditeur qui écoute et répond ; son écrit sera comme mis en conserve à l'intention de ceux qui en auront communication sans rien connaître de la personnalité et du milieu vivant de l'auteur. L'œeuvre en sera, pour employer un mot à la mode, en quelque sorte désincarnée, avec quelques avantages, mais aussi de graves altérations pour l'évolution même de la culture.

Les Techniques audio-visuelles ont généralisé le processus. Il se produit alors le même phénomène que pour l'emploi de plus en plus généralisé des conserves alimentaires, qui sont totalement détachées des éléments qui les ont produites.

Quand nous étions petits, au début du siècle, nous ne connaissions qu'un nombre réduit de plantes et de fruits. Mais quand nous buvions du lait, quand nous mangions des pommes ou du raisin, nous savions d'où ils venaient. L'alimentation restait alors pleinement pour nous une fonction naturelle et vitale.

Un chemin caractéristique et peut-être irréversible a été franchi au cours de ces dernières années. De plus en plus les enfants des villes et des grands ensembles sont totalement ignorants de la nature et de l'origine des produits qu'ils consomment. Ils n'ont jamais vu de vaches et encore moins de chèvres et ils se demandent parfois sérieusement par quels procédés de matière plastique se fabriquent les raisins ou les ananas en boîte.

On dira qu'après tout, cela est bien indifférent. Cela n'est pas tellement sûr : il suffit de voir avec quel surprenant appétit des enfants mangent des pommes de terre qu'ils ont fait cuire — ou plutôt noircir — dans le feu qu'ils ont allumé clandestinement dans un champ ; combien ils se régalent de la salade et des radis qu'ils viennent de cueillir dans leur jardin et qui, en plus de l'aspect nourriture physiologique, portent en eux un élément affectif psychique, sensitif qui influe directement sur la digestion et l'assimilation. Et les chasseurs le savent bien qui bouderont le lièvre acheté à l'épicerie, mais savoureront le gibier qu'ils ont tué eux-mêmes et qui, ils en ont l'assurance, ne saurait leur faire de mal. Il y a la même différence pour le petit pêcheur entre le poisson qu'il a péché lui-même et qui a un goût particulier, et la friture achetée qui n'a que le goût des préparations anonymes.

L'enfant rechignera de même devant une culture de conserve alors qu'il s'enrichira de la vraie culture qui lui est pour ainsi dire consanguine.

C'est aller chercher bien loin, dira-t-on, les avantages et les dangers des Techniques audio-visuelles.

L'analogie est pourtant flagrante ; et c'est à cette origine profonde qu'il nous faudra voir naître la perversion audio-visuelle dont nous sommes aujourd'hui les victimes. Brusquement, une partie, la plus vitale du monde qui nous porte, s'évanouit comme si un cataclysme enfouissait nos propres racines et nous restons là à évoluer artificiellement dans cette sorte d'espace sidéral qui ne retrouve plus ses assises.

Cette désadaption n'est pas totale avec la photo, le disque et la radio qui n'ont pas envahi, techniquement, tout le champ de notre propre vie. Nous regardons l'image mais nous voyons encore, à côté, les objets ou les arbres réels ; le disque est comme un accompagnement plus qu'une obsession. La radio elle-même avec ses tares que nous dénoncerons, n'a pas encore l'emprise totale que nous vaudra l'image animée, dans l'atmosphère irréelle des salles obscures.

Avec le cinéma et la télévision au contraire nous quittons notre milieu familier pour pénétrer dans un autre monde. Et cela est si vrai qu'à la sortie d'une salle de cinéma, ou une fois tourné le bouton de la TV, nous marchons comme un somnambule et qu'il nous faut un temps plus ou moins long pour nous réhabituer à notre vie, et nous n'y parvenons pas toujours totalement.

C'est comme si on nous prenait devant la porte de notre maison et qu'on nous promène en avion par dessus les villages, les villes, les pays, et jusqu'aux planètes voisines. Nous en reviendrons ahuris de notre périple, mais nullement enrichis par ce survol sur-humain.

Nos enfants sont aujourd'hui soumis radicalement, parfois pendant plusieurs heures par jour, à cette désadaptation totale. Tout leur devient familier, hors leur propre milieu : la terre, la mer et le ciel, les secrets des plantes et du monde infini des animaux et des insectes, bientôt l'immensité des planètes. Mais ils n'en connaîtront pas pour cela le monde où ils vivent et dont ils sont désormais comme monstrueusement détachés.

Et cette science extérieure aux individus pose alors des problèmes qui donnent le vertige, et qu’on s’essouffle à résoudre hors de leur contexte vital, dans l'abstrait, dit-on trop facilement. Nous discutons dans des septièmes ciels mais nous restons incapables de résoudre les problèmes élémentaires de notre pauvre vie. Cette impuissance nous déséquilibre jusqu'à faire de nous des sortes de rois déchus qui ont la nostalgie des temps de splendeur et ne pourront se résoudre aux exigences terre à terre de notre siècle.

Dans mon livre : Essai de psychologie sensible appliquée à l'éducation (I)Editions de l'Ecole Moderne française - Cannes.) j'ai beaucoup parlé de l'échafaudage de la personnalité :

Nous en jetons les bases solides et inébranlables au cours du Tâtonnement expérimental de nos premières années quand, les pieds ou les genoux collés au sol, nous fixons lentement les fondations sûres de notre personnalité. On commence à reconnaître aujourd'hui que nous devenons ce que nous préparent et nous font nos premières années.

L'on comprend aussi qu'aucune science extérieure, aucun verbiage ni aucune image ne suppléeront à cette nécessaire expérience. L'arbre a besoin d'enfoncer ses racines dans le sol pour qu'elles y développent leurs pointes nourricières et fixatives. Si, pour aller plus vite, pour obtenir des résultats plus rapides on néglige cet enracinement, l'arbre, après un progrès qui fait illusion, ira s'anémiant jusqu'à disparaître.

Avec les techniques audio-visuelles on croit avoir atteint à de nouveaux secrets de la vie qui semblent dépasser et rendre superflue l'expérience de base. A quoi bon perdre son temps à regarder longuement une graine pousser et fructifier, alors que le cinéma ralenti va nous faire assister en quelques minutes à l'événement ? A quoi bon un jardin où les légumes poussent avec tant de peine alors qu'on les voit au cinéma grandir à vue d'œil ? Un les avait à peine semés que les voilà déjà dans le cageot du marchand !

La science, la fausse science qui est illusion et donc erreur nous hisse ainsi artificiellement à un premier et deuxième étage de notre échafaudage. Mais le voilà qui est branlant parce que les piquets ont été mal assurés au sol, et que nous en avons le vertige jusqu'au déséquilibre et au désarroi. Et de là-haut, de ce premier ou deuxième étage, nous voyons les choses non comme elles sont, vues d'en bas, mais déformées par l'illusion de la perspective. Nous sommes parfois si inquiets que nous voudrions, à certains moments, redescendre au rez-de-chaussée de la vie; mais nous ne le pouvons plus, parce que l'ascension elle-même a été artificielle et que l'échelle qui y avait servi n'était pas prévue pour cet exercice.

Il y aurait bien une ressource : sauter de l'échafaudage et, en bas, reconstruire patiemment, répondre par notre effort obstiné à nos essentielles démarches naturelles.

Nous nous y résolvons difficilement parce que, de ce premier étage, nous avons la sensation euphorique de dominer le monde et d'en être à jamais les maîtres, ce qui nous vaut un certain nombre de fausses manœuvres et d'erreurs de comportement qui nous sont souvent fatales.

C'est bien ce qui arrive dans la pratique.

Nos enfants d'aujourd'hui, nourris d'illustres et d'images animées, de mots, d'anecdotes et de chiffres, connaissent tout. Ils sont renseignés sur tout, sur les modes de vie des divers peuples de la terre, sur le fonctionnement et la portée des armes de tous calibres, sur les productions et les cultures.

Comme leur mémoire est vivace et fidèle, les connaissances s'y entassent jusqu'à former un magma alourdissant et stérile.

Interrogez les enfants sur la réalité et la valeur de ces connaissances : vous vous rendrez; compte qu'ils sont vraiment à un premier étage où les a montés la technique actuelle, mais qu'ils ne sont nullement initiés aux éléments naturels de leur fausse science.

C’est exactement le contraire de la culture, et c'est ce qui est grave. Si nous ne parvenons pas à réagir et à rétablir la hiérarchie normale des valeurs et des connaissances, nous aurons bientôt des  générations d'adolescents et d'adultes, très instruits de toutes choses, susceptibles même de répondre avec brio aux jeux fameux de la RTF, mais qui n'auront plus ni pensée personnelle enracinée dans leurs éléments de vie ni pouvoir de création, ni même de vulgaire bon sens en face des urgences du milieu.

Cette perversion des techniques audio-visuelles d’apprentissage et d'information serait catastrophique pour notre éducation, pour notre culture, pour notre civilisation.

Dans une très intéressante étude publiée par 1’UNESCO: Responsabilité de l'éducateur des adultes dans un monde en transformation, Ch. H. Barbier écrit :

"Le problème fondamental de l'éducation des hommes c'est de les aider efficacement sur le chemin de leur devenir ; c'est d'éclairer leurs relations avec eux-mêmes, avec les autres, avec l'Univers; c'est de les tenir éveillés de manière qu'ils ne perdent pas la partie essentielle d'eux-mêmes ; qu'ils demeurent attentifs à leurs questions profondes, à leur vie personnelle, à leur vie familiale, à leur vie sociale."

Tel est le but de notre pédagogie.

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École traditionnelle et  Techniques audio-visuelles risquent fort bien de faire bon ménage et le cas échéant de se compléter parce que fondées sur des principes identiques : la primauté de l'instruction et de l'information qui agissent de l'extérieur, sur des individus qu’on juge incapables de penser raisonnablement et d’agir par eux-mêmes, dans un permanent climat de passivité.

Qu'on le veuille ou non, même si on abuse parfois pour les justifier du mot à double sens de méthodes actives, l'École traditionnelle et les Techniques audio-visuelles s'accordent sur leur fonction enseignante.

Leur action est incompatible avec l'activité vraie des enfants. Avec elles l'individu n'est plus acteur de son devenir, il devient spectateur passif avec toutes les déformations éducatives que cela comporte.

Nous ne saurions trop comparer cette attitude individuelle et sociale à celle des milliers de sportifs qui s'entassent dans les stades pour assister à un match spectaculaire. Ils sont 30.000 spectateurs dont la principale activité est constituée par les trépignements, les applaudissements et les vociférations. Ils regardent trente acteurs.

Nous insistons en préambule sur ces considérations préalables parce qu'elles sont indépendantes de la valeur intrinsèque des images et des films. C'est la technique qui nous vaut ces tares ; et elles sont en train de détériorer tout notre comportement et même notre vie. Il y a divorce entre la science et nous. Nous utilisons des forces dont nous ignorons l'origine et la portée et que nous déclenchons en appuyant sur un bouton, geste spécifique des robots. Et c'est à bon compte, sans effort, que nous prenons ainsi un bail de jouissance sur l'apport, bon ou mauvais, des civilisations.

Si nous avons une nette conscience de ces vices majeurs des techniques audio-visuelles d'une part, des processus naturels d'éducation et de culture, d'autre part, il nous sera plus facile :

— de critiquer sans exagérations mais sans faiblesse, ces Techniques audio-visuelles telles qu'elles existent.

— de chercher les solutions valables pour le proche avenir.

L'homme est perdu s'il ne retrouve pas, malgré les mécaniques les plus envoûtantes, la possibilité de bâtir sa personnalité et de réfléchir longuement aux choses de sa vie.

Nous discutons de ces choses comme si elles avaient besoin, pour prendre authenticité, du blanc-seing de nos considérations théoriques. Alors qu'il suffit de regarder autour de soi pour retrouver la justification indéniable de nos affirmations.

Le cinéma a sans conteste sur les enfants une emprise totale, surtout lorsqu'il est employé à exciter ce que tout individu porte en lui de malsain et de sauvage ; l'aventure, la bagarre, le meurtre et le crime.

Et je voudrais pourtant opérer, sous contrôle, une démonstration d'une grande portée pédagogique et photographique ; la TV. projetterait dans une salle de libre accès quelques westerns ou même l'Homme invisible. Mais, dans une carrière toute proche, comme nous l'avons à l'École Freinet, des enfants seraient en train de construire des cabanes en pierres, bois et branchages. Ils auraient même terminé un souterrain où ils renouvelleraient l'expérience et l'épreuve du spéléologue Siffre. Mieux ; entre les deux pierres d'un foyer improvisé brûlerait le feu dans la braise duquel on ferait cuire des pommes de terre, qu'on mangerait plutôt toutes noircies que cuites, mais avec quels délices.

Je gage, et j'en ai fait souvent l'expérience que la TV. hurlerait en vain ses appâts. Les enfants seraient tous à leurs expériences qui, à la base, assoient les personnalités. Ou je ferais une autre expérience. Il faudrait au préalable que j'axe mes élèves sur des travaux de création et d'invention qui les passionnent : fabriquer un poste à galène, préparer la cuisson à la poterie, sculpter, en liaison avec leurs grands centres d'intérêt. Quelques-uns, ceux qui sont trop déformés déjà par l'enseignement reçu et qui n'ont pas encore repris goût aux grandes vertus du travail, seraient attirés par la TV. Mais les autres, ceux à qui nous avons redonné le goût du vrai travail, n'iraient à la TV. que lorsqu'ils auraient achevé leur œuvre.

C'est pour les mêmes raisons que les enfants au-dessous de 6-7 ans, qui sont placés dans un milieu naturel avec un large éventail d'activités fonctionnelles ne sont absolument pas attirés par la TV.

On nous dit bien qu'il est des familles où les enfants de deux ou trois ans sont des passionnés de TV. et l'UNESCO nous apprend qu'il est des pays où l'on parle d'introduire la TV. dans les Écoles maternelles. Évidemment la perversion est de tous les âges. Il est au moins monstrueux que des parents et des éducateurs oublient à ce point que le petit enfant doit poursuivre son indispensable tâtonnement expérimental, qu'il doit, avant de se lancer dans le monde en technique et en esprit,  gratter la terre, couper des branches, patauger dans l'eau et dans la boue, regarder vivre oiseaux et insectes et s'implanter ainsi solidement dans ce sol qui sera sien et sur lequel il pourra bâtir ensuite une personnalité efficiente.

La plante s'accroche à l'humus et y vit par les racines avant de s'élancer vers le ciel. L'enfant et l'homme ne peuvent pas s'arracher sans danger à leur destinée d'êtres vivants. Mais on peut les aider à lancer très loin leurs racines pour mieux se nourrir, à renforcer leur tige qui portera les rameaux fertiles dont nous pouvons et devons faciliter, servir et renforcer la fructification.

A nous de voir comment nous devons opérer dans la pratique pour que les Techniques audio-visuelles servent puissamment la formation et la fructification de l'homme.

 

LES TECHNIQUES AUDIO-VISUELLES
AU SERVICE DE LA PÉDAGOGIE MODERNE

 

On a tant écrit, sur les Techniques audio-visuelles, du bon et du mauvais - qu'il nous serait facile de remplir des pages avec les critiques que, après tant d'autres, nous pourrions formuler.

Mais il ne suffit pas de se plaindre, de regretter et de dénoncer. Encore faut-il essayer de mettre un terme aux erreurs et aux dangers qui sont aujourd'hui sous-jacents dans toutes les discussions sur ce thème.

Comme pour toutes les disciplines nous sommes à la recherche de solutions pratiques qui permettront l'intégration des Techniques audio-visuelles dans une pédagogie qui, seule, sait où elle va et ce qu'elle veut. L'adaptation de ces techniques à une pédagogie périmée ne saurait être qu'un mariage hors raison qui conduirait à une redoutable faillite.

Nous apportons nos solutions expérimentales et nos projets de recherche et d'action.

 

LES PREMIÈRES ARMES DE L'AUDIO-VISUEL

 

L'IMAGE COMPLÉMENT DE LA LEÇON ET DU LIVRE

II y a cinquante ans, les classes étaient nues et les livres austères. L'imprimerie avait la prétention de se suffire pour intéresser enfants et adultes aux divers aspects d'une culture intellectualiste réservée d'ailleurs à ceux qui se prétendaient l'élite.

Puis les premières images gravées ont illustré timidement quelques manuels de lecture, mais ce n'est qu’il y a trente ans environ que l'image s'est présentée aux éducateurs comme complément aux leçons d'histoire et de géographie.

L'audio-visuel était en marche.

LE FICHIER DOCUMENTAIRE (FICHIER SCOLAIRE COOPÉRATIF).

Nous avons les premiers introduit dans nos classes il y a trente ans l'image documentaire par la préparation et l'édition de notre Fichier Scolaire Coopératif.

Nous avons alors engagé les éducateurs à recueillir autour d'eux, tous les documents illustrés qui étaient mis à leur disposition par certaines maisons d'édition et par quelques rares revues. Rappelons qu'à l'époque l'image n'avait pas encore conquis sa royauté, que les clichages étaient rudimentaires, que la couleur n'avait pas encore cours et que les grandes revues illustrées n'avaient pas encore envahi le marché populaire. Cette documentation, donc encore rare, n'en avait que plus d'intérêt et de portée. Nous la classions méthodiquement par notre classification décimale et elle nous permettait ainsi de rendre plus précises et plus intéressantes nos leçons, surtout en histoire, géographie et sciences.

LE FICHIER SCOLAIRE COOPÉRATIF connut ainsi, avant la dernière guerre, un succès encourageant. Désormais nos leçons d'histoire pouvaient déborder le verbiage condensé des manuels. En géographie, nous donnions vie à une infinité de notions dont la connaissance n'était jusqu'alors que verbale. Les manuels de géographie de l'époque - et il en reste certainement encore de ce modèle - comportaient dès leurs premières pages la description classique d'une île : "un morceau de terre entourée d'eau de toutes parts."

Avec le fichier nous mettions à la disposition des élèves des vues diverses d'îles de toutes sortes. Désormais, sans rabâchage, ils savaient ce qu'était une île, même s'ils n'étaient pas en mesure d'en formuler la définition.

Tous les éléments de l'étude géographique étaient ainsi concrétisées par les vues de notre Fichier : les cols et les prés, les vallées torrentielles et les cours d'eau de plaine, la diversité des habitations et des travaux, tout ce qui fait l'essentiel de la connaissance vraie et profonde du milieu.

LA COLLECTION BIBLIOTHEQUE DE TRAVAIL (B.T.)

Le Fichier documentaire, qui reste pleinement recommandable, suppose une excellente classification — ce qui demande temps et méthode.

Nous avons apporté une information plus pratique avec notre Collection Bibliothèque de Travail dont chaque brochure (il y en a 550 à ce jour) traite un thème particulier, avec une large proportion de photos et de dessins qui accompagnent et complètent le texte.

LES VUES FIXES :

Et puis une mode est venue, que nous avons d'ailleurs contribué à susciter : celle des vues et films fixes. Leur sortie coïncida avec l'institution de la Loi   Barangé qui offrait aux écoles des fonds à dépenser. Il y eut alors une telle débauche d'images qu'on en fut bientôt saturé et qu'il y eut un recul qu'allait bientôt compenser la pratique beaucoup plus mesurée et plus sage des diapositives.

LE PREMIER CINÉMA SCOLAIRE : LE PATHÉ BABY :

II était simple, l'image restait bien quelque peu capricieuse, mais elle était animée et elle nous enchantait.

Il était léger et maniable. Un enfant l'installait en une minute et projetait de petites bobines que nous pouvions acheter ou louer et dont quelques-unes nous font encore rêver : Félix le chat-Charlot-Nène-Les Misérables-La Roue...

Et puis avec une caméra bon marché, nous filmions nos bandes de dix et vingt mètres que nous envoyions à nos correspondants.

C'était vraiment le cinéma pédagogique.

Hélas ! le progrès technique l'a tué. La question du cinéma scolaire reste tout entière à résoudre.

Fichier coopératif. Bibliothèque de Travail, vues fixes et animées sont restés familiers à un bon nombre d'écoles qui en tirent, quelles que soient les méthodes pédagogiques employées, une amélioration certaine des Techniques de travail. A ce niveau, nous restons dans le cadre de l'utilisation optimum de l'image au service de l'enseignement.

LA PERVERSION DE L'IMAGE PAR LES ILLUSTRÉS D'ENFANTS GENRE COMICS.

Au temps heureux, il y a quinze à vingt ans, où l'image pouvait encore être formative, nous avions fait vivre, avec, il est vrai, des miracles d'ingéniosité une revue d'enfants La Gerbe qui alliait les textes d'enfants aux images, aux dessus, aux gravures et aux photos pour un ensemble de lectures agréables et éducatives.

Mais les illustrés pour enfants sont venus, comme un raz-de-marée, anéantir tous nos espoirs d'éducateurs.

Non pas que nous puissions, pas plus que pour le cinéma, incriminer une volonté délibérée de mal faire. A vrai dire le problème pédagogique et moral n'a jamais effleuré seulement l'esprit de marchands pour qui comptait seul le chiffre du tirage, source de confortables bénéfices.

Et pour les grands éditeurs de publications pour enfants, une invention américaine : les Comics allait pervertir totalement l'usage jusqu'alors acceptable de l'image fixe.

Dans les journaux et livres pour enfants de l'ère nouvelle, l'image allait peu à peu remplacer le texte à lire, qui n'était plus là qu'un support accessoire.

L'image désormais se suffit - et ce sera la grande révolution anticulturelle de notre époque.

Évidemment, l'image est expressive par elle-même.Mais l'enfant, de plus, l'interprète et se l'approprie jusqu'à lui faire exprimer ses craintes et ses rêves. Il se produit là le même phénomène que pour les dessins d'enfants que l'auteur explique a posteriori en leur donnant une explication tout à fait différente de celle qui les avait fait naître. Et ce n'est pas un des moindres attraits des Comics que chaque lecteur les met à la sauce qui lui convient : la porte reste toujours ouverte à l'aventure.

DÉSORMAIS L'ENFANT NE LIT PLUS. IL N'A PLUS BESOIN DE LIRE PUISQUE L'IMAGE LUI SUFFIT.

Et tout naturellement l'enfant abandonnera les honnêtes revues qui s'obstinent à vouloir être intelligentes et à parler aux enfants le langage clair et précis des textes imprimés. Et il se jettera avec avidité sur un quelconque journal d'enfants où il aura des images à son saoul, en noir et en couleurs, ou bien il cueillera dans les kiosques ce qu'il appelle "ses livres", ce qu'achètent les enfants à partir de 3 ans, ces immondes éditions composées exclusivement de comics qu'il parcourt comme il regarde les images du cinéma.

Par la méthode analytique de lecture, l'enfant apprend à lire syllabes par syllabes pour former des mots. Par la méthode des Comics l'enfant se contentera de regarder globalement textes et images. De son coup d'œil qui balaie la page il construit grosso modo une compréhension générale qui n'est souvent qu'approchée, exceptionnellement exacte.

Une nouvelle technique est née qu'il nous sera très difficile de contrebattre. L'enfant prend un livre illustré auquel il aurait consacré autrefois, avec plaisir, une ou deux heures. Il l'a "lu" en cinq minutes mais sa compréhension est un amalgame de dessins, de quelques mots devinés au passage en fonction de l'image, de son rêve et de son imagination. Et cela n'a que fort peu à voir avec la lecture méthodique et juste qu'enseigne l'école.

Cette compréhension globale et rapide, en un clin d'œil, n'a pas que des défauts. Elle devient même une nécessité de notre monde mécanisé, dominé par la vitesse. La méthode traditionnelle, par sa lenteur maladive, coupe les ailes à la compréhension. Par sa lecture balayante, l'enfant d'aujourd'hui délivre quelques-unes de ses qualités maîtresses : subtilité, intuition, vitesse de compréhension.

L'idéal serait de tirer parti de ces avantages tout en ramenant le lecteur à la nécessité et au sens de la vraie lecture.

POUR UNE LECTURE VIVANTE :

Nous nous appliquons à normaliser la lecture pervertie par l'image, en donnant à nos enfants le besoin d'écrire pour correspondre avec ses camarades, là, le dessin ne suffit pas : il nous faut un texte exact, minutieux, qu'on compose lettre à lettre, qu'on ajuste ligne à ligne, paragraphe à paragraphe, pour créer la phrase qui portera dans les autres écoles l'essentiel de notre présence et de notre vie.

La désaffection actuelle des enfants pour les textes écrits est certainement à l'origine des insuffisances graves qui vont jusqu'à la dyslexie, cette maladie pédagogique de notre siècle.

Dans la mesure où nous redonnons à nos enfants l'habitude du travail minutieusement mené ; où nous rétablissons la primauté majestueuse de l'écriture nous repousserons au second plan la perversion de l'image dont nous avons dit les conséquences.

ET, DU COUP, NOUS CONTREBATTRONS L'IMMORALITÉ DES COMICS.

C'est une question qui dépasse le cadre des soucis pédagogiques de cette étude. Mais tous les maux qui atteignent l'enfance et la jeunesse hors de l'École ont leur répercussion à l'École même.

On sait qu'il existe une Commission de Surveillance des publications enfantines qui n'a sans doute pas toujours les coudées très franches dans ses interventions. Elle n'a que rarement à intervenir pour le libellé des textes. Un texte c'est trop net et trop précis et les mots y disent ce qu'ils veulent dire et tomberaient très vite sous le coup de la loi.

Alors on reste prudent.

Il n'en est pas de même pour le dessin qui exprime parfois l'inexprimable et l'inexprimé et pour lequel il est bien délicat de faire des procès d'intention. Alors, les éditeurs de publications pour enfants s'en donnent à cœeur joie. Nous avions noté déjà l'an dernier à notre Congrès qu'il n'y a aujourd'hui aucun journal commercial d'enfants qui ne comporte des coups de couteau et de revolvers, des coups de poing, et le spectacle brutal hélas ! n'émeut plus les enfants, d'hommes qui souffrent et qui meurent. Tout simplement parce que pour vendre les journaux il faut des revolvers et du sang.

Comme tout film qui se veut un succès - et nous en reparlerons en fin de cette étude - doit nécessairement comporter des scènes d'immoralité qu'une société soucieuse de son avenir ne devrait jamais tolérer.

L'EPIDIASCOPE : C'est un appareil qui est réservé semble-t-il, à l'enseignement secondaire ou supérieur et dont on n'a nullement tenté l'adaptation à notre école primaire.

Il serait pourtant pour nous l'appareil presque idéal. Il permettrait :

— La projection d'un texte ou d'un dessin libre (en noir ou en couleur).

— Un jour prochain : la projection au tableau des textes manuscrits ou dactylographiés, ce qui éviterait l'écriture au tableau.

— Projection des dessins séparément ou par bandes ;

— Réalisation de véritables films fixes préparés par les enfants.

— Présentation de tous documents pendant les conférences d'enfants.

— Étude d'insectes.

— Projection des lettres reçues etc...

L'appareil ferait certes un peu double emploi avec le projecteur fixe. Pourtant la question vaudrait d'être reconsidérée, surtout si on parvenait à produire un épidiascope ne chauffant pas et ne nécessitant pas, donc, un système de refroidissement toujours onéreux.

 

 

LA PHOTOGRAPHIE A L'ÉCOLE

 

Il fut un temps, et nous n'en sommes pas encore bien loin, où la photo était pour la plupart un phénomène mystérieux. Elle était entre les mains de spécialistes et on en usait avec respect pour garder à tout jamais l'image des grands événements de la vie : du baptême au mariage, en passant par le beau militaire en costume, et les cérémoniales réunions de famille.

La photographie s'est bien vulgarisée ; l'image a envahi toutes les publications et conserve encore beaucoup de pouvoir, surtout quand elle s'anime au cinéma et à la télévision. Elle est alors en passe de devenir une dangereuse idole. Il nous faut donc domestiquer l'image, faire de la photo un outil, et c'est possible à l'école.

Nos enfants qui s'interrogent sur tout, se demandent aussi comment on peut mettre leur image dans une boîte, puis sur le papier. Je me rappelle que cette question m'a été plusieurs fois posée par mes élèves. Et je sais que nous n'en sommes bien sortis que la dernière fois, parce que nous l'avons passée d'un bout à l'autre au crible de l'expérience tâtonnée. Nous avons fait des appareils sans lentilles, avec des boîtes de craie et de Tonimalt. Nous avons vu l'image sur le verre dépoli ;

puis nous avons exploré la pellicule et les papiers que nous avons vu noircir et se transformer. Nous avons sorti les paysages de nos boîtes et de nos cuvettes. Nous avons décortiqué le phénomène pour mieux l'assimiler. Nous y sommes parvenus en grande partie et cela nous a rendus hardis. Nous savons maintenant qu'un appareil à photos n'est pas un objet magique ; nous savons où l'image se forme et comment on peut la modifier, parce que nous avons essayé les uns après les autres beaucoup de "loupes". Et cette année les découvertes continuent.

Jaky et Bernard construisent à partir d'un vieil appareil 9 X 12 à plaques, un appareil à photographier les oiseaux. Leur travail est allé de l'optique (éclaircir le rôle du diaphragme) à la menuiserie (construire une petite cage qui allongeait l'appareil et recevait une pellicule). La première pellicule nous a donné 4 bonnes photos sur 13. La deuxième nous livrera ses secrets bientôt. Jaky et Bernard perfectionnent leur machine, avec un acharnement qui me prouve que nous avons eu raison d'entreprendre cette expérience.

Ces exemples, pour vous dire ce que nous avons fait pour comprendre la photo. On peut penser que ces expériences ne sont pas indispensables et que notre appareil ne vaudra jamais un bon téléobjectif. Peut-être ; mais je crois que cela prépare merveilleusement à aller plus loin. Jaky me demandait dernièrement ce que coûtait une caméra, et si on ne pourrait pas en acheter une. Si je leur avais mis en main d'autorité au départ, un bel appareil de 2 ooo F., d'abord leurs mains non entraînées n'auraient pas su par quel bout le prendre, et je ne suis pas sûr qu'il aurait soulevé la même passion. Quand je les vois quitter la classe dans la journée, pour aller, l'air grave et à pas de Sioux, vers la cabane en bois où leur appareil attend les oiseaux, je pense que c'est bien.

Si j'ai parlé d'abord de cette étape de la connaissance de la photo, c'est qu'elle a été pour nous la plus enrichissante. Mais ce n'est pas tout, évidemment.

Il existe des appareils tout prêts et souvent bien faits : il faut les utiliser. Nous en avons deux en classe, et nous les avons mis au service de notre travail : photos pour nos livres de vie, pour nos correspondants, reproduction de documents pour illustrer nos enquêtes, par exemple. Nous avons adapté un appareil pour photographier de près insectes et fleurs, et nous avons aussi une installation de notre cru pour photographier au microscope. Il est alors possible de garder témoignage de nos découvertes et observations. Puisque une bonne photo, comme un bon croquis, vaut mieux qu'un long discours, pourquoi s'en priver ? Aussi nous ne partons jamais faire nos enquêtes à travers le pays, sans emmener un appareil.

Donc, la photo a bien sa place dans nos classes ; à condition de ne pas la considérer comme une fin en soi, mais comme un excellent outil au service de l'expression et des recherches de nos enfants.

Mais il faudra encore, pour que cette place devienne importante, que nous puissions développer et tirer nous-mêmes nos photos, pour en diminuer le prix de revient. L'installation d'un laboratoire à l'école n'est pas très coûteuse ; encore faut-il en avoir la place. Car nos bâtiments sont trop souvent conçus en fonction du pupitre et du porte-plume. Certaines maisons fournissent maintenant un matériel permettant de tirer des photos au grand jour. Bien qu'il nous prive de l'agrandissement et de quelques autres possibilités, il constitue déjà un progrès.

La Commission de Sciences travaille beaucoup à la photo en ce moment, et bientôt ses travaux vous permettront d'aller plus loin.

 PELLISSIEE - (Isère)

 

LES DISQUES

 

Nous ne parlerons pas de l'immense production actuelle de disques dont l'utilisation en classe peut être étudiée :

Pour la musique.

Pour l'étude de textes d'auteurs.

Pour les documents historiques etc.

Nous verrons seulement comment certains disques pourraient être incorporés à notre pédagogie qui ne se nourrit pas de projets mais de réalités.

Nous avons été les premiers, il y a trente ans, à lancer le Disque d'Enseignement pour l'apprentissage du chant, des danses - folkloriques et autres - des évolutions, des aides et accompagnements pour fêtes scolaires.

Ces disques, simples et à la mesure de nos classes, nous avaient rendu de très grands services.

Et puis la production industrielle a sorti une telle quantité de disques de toutes sortes que notre production pédagogique en a été noyée. Il en résulte qu'il en est aujourd'hui des disques comme des films : il est des éducateurs particulièrement intéressés qui tentent un effort, pas toujours sans valeur. Mais il n'y a plus aucune entreprise méthodique de réalisations de disques pédagogiques.

Pour nous, nous n'avons guère conservé que :

— Les BT sonores avec disques.

— Les disques de musique naturelle.

— Les disques de chants d'enfants.

Nous tâcherons de continuer dans cette voie parfaitement originale, strictement liée à toute notre pédagogie.

 

 

LE MAGNETOPHONE A L'ECOLE

 

Une très récente brochure de l'UNESCO : n° 48 de la série "Études et Documents d'Éducation" contient les rapports d'experts internationaux sur les "Nouvelles méthodes et techniques d'éducation", c'est-à-dire essentiellement sur les machines audiovisuelles.

Il est curieux de constater que si les rapports ont développé les questions relatives à l'emploi de ces machines et à l'amélioration scolaire qui en résulte, par contre, on ne trouve pas la moindre petite expression montrant que les promoteurs de ces techniques ont entrevu les possibilités de contacts humains qui sont offertes à l'élève du demi-siècle grâce à elles. Ces machines ne restent que des moyens renseignement qui distribuent un programme commun à tous les élèves d'une nation et auquel l'esprit doit se plier inconditionnellement.

Sans négliger l'apport que peut représenter pour une école la réception d'un programme de radio ou de télévision dont l'exploitation sera faite coopérativement par les enfants et un maître qualifié, un éducateur à part entière, il nous semble que la place de ces programmes distribués devrait être nettement secondaire.

Dans l'arsenal des machines audiovisuelles, nos préférences iront très nettement à I'ENREGISTREMENT MAGNÉTIQUE ET A LA PHOTOGRAPHIE qui, dans l'état actuel de la technique et des conditions économiques permettent une gamme d'activités supérieures à la seule réception d'un message. Le magnétophone est un OUTIL, permettant quotidiennement l'expérimentation, la création, l'expression libre. C'est pourquoi nous parlons de "techniques sonores".

 

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Nous nous contenterons dans cette brochure d'aborder les lignes de force de ces techniques, qui

 seront exposées en détail dans un autre numéro. L'information et la formation qu'elles nécessitent, si on veut les intégrer dans l'école moderne, sont complexes et c'est d'ailleurs pourquoi I'ICEM ( Institut Coopératif de l’Ecole Moderne – Cannes.) organise au cours des grandes vacances chaque année depuis 9 ans, un stage spécialisé.

Ce qui a séduit les instituteurs de l'École Moderne dans l'enregistrement magnétique, c'est la possibilité de l'intégrer dans la correspondance afin qu'il véhicule toute une charge affective combien dynamique.

Voici plus de 13 ans, à une époque où nos propos prêtaient à sourire, les techniciens ne parlaient pas encore de "laboratoire de langue" et "d'autocorrection programmée", et pourtant les vertus de l'enregistrement magnétique introduit dans les processus d'acquisition naturelle étaient démontrées.

 

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Tout le monde est d'accord sur les possibilités offertes par l'enregistrement magnétique : MIROIR

 IMPITOYABLE.

La. possibilité offerte à l'enfant d'entendre le son de sa voix a pour lui quelque chose d'un peu magique. Il est à la fois ravi et un peu effrayé les premières fois. Il est d'ailleurs surpris de ne pas la reconnaître... c'est qu'il ne l'a jamais entendue... Tous les camarades de classe disent pourtant :

«C'est Jacques, c'est Alain, c'est Martine». Ce que nous croyons être notre voix est transmis à notre oreille autant par les vibrations de notre système osseux que par l'air ambiant. Après l'enregistrement, la liaison entre le haut parleur et notre oreille est réalisée uniquement par l'air. C'est alors seulement que nous écoutons NOTRE voix.

Il est très difficile également de construire une bonne critique de ce que nous venons de dire ou de lire. Nos souvenirs même immédiats sont trompeurs.

Le magnétophone fixe des moments fugitifs et permet de critiquer à loisir les documents enregistrés. Vous pourrez dire alors « écoute comme tu lis ton texte, comment les camarades l'entendent ». Vous parlerez le même langage ; l'enfant aura une exacte connaissance de ses erreurs ce qui lui permettra de faire porter ses efforts là où il faut en participant pleinement à sa propre évolution.

Le climat créé par la présence du magnétophone est aussi bénéfique. Tenir le micro est un acte qui engage, dont on sent la responsabilité. Il ôte toute possibilité de feinte aux hâbleurs, aux "malins". Des timides peuvent s'affirmer parce que leur petite voix, habituellement noyée parmi celle des ténors, est révélée et mise en valeur par le truchement de la diffusion et que la collectivité en découvre toutes les sensibles nuances et l'émotion.

Notons aussi que l'enfant a alors le sentiment profond de l'utilité du travail qu'il exécute et que son effort est naturel et total. Il ne travaille pas "pour du beurre" et il utilise des techniques qui sont celles du monde adulte et plus particulièrement du monde moderne vers lequel il aspire, et qu'il aime, qui est avant tout le sien. Sur quel contenu doit-on utiliser ces vertus autocorrectives de l'enregistrement magnétique ?

C'est là que l'on peut distinguer des courants assez différents.

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L'ENREGISTREMENT MAGNETIQUE

 

AUXILLIAIRE D'ENSEIGNEMENT

L'autocorrection sur des exercices de chant, de récitation, de lecture, d'élocution choisis par le maître est la plus connue et la plus pratiquée dans l'ensemble des classes françaises.

Donnons quelques informations sur l'extension de pareils procédés tels qu'ils sont développés dans les LABORATOIRES LINGUISTIQUES A AUTO-INSTRUCTION PROGRAMMÉE aux USA, et peut-être bientôt en France. Le laboratoire linguistique comprend un magnétophone, un micro, un casque d'écoute. L'élève peut entendre un instructeur, l'imiter et entendre sa propre voix en la comparant à celle du professeur. "De nos jours, disent les promoteurs de cette méthode, l'enseignement d'une langue étrangère débute ordinairement par une longue période pendant laquelle l'élève écoute et essaie de parler sans lire ni écrire. Cette méthode est fondée sur le principe que l'élève a déjà appris sa propre langue en l'entendant parler et qu'il a donc certaines aptitudes spéciales pour apprendre une autre langue de la même façon".

Au lieu de s'exercer à parler 1 ou 2 fois par période de classe, l'élève peut parler tout le temps. Il élimine grâce au casque les influences perturbatrices des voisins et écoute d'aussi près que possible la voix de l'instructeur. Les séances de laboratoire sont de 25 mn environ.

Il ne semble pas que, actuellement en France, l'enseignement des langues soit basé sur le principe essentiel de faire parler d'abord "pendant une longue période". Les camarades s'étant aventurés à faire pratiquer la langue orale accompagnée de correspondance interscolaire sonore avant la grammaire écrite ayant subi des foudres...

QUELLE EST NOTRE POSITION ?

Sans nier la valeur autocorrective de pareils laboratoires, leur efficacité sur le rendement scolaire, il nous est impossible de ne pas relever les lacunes profondes.

Les linguistes disent "apprendre à lire des ouvrages étrangers n'est plus l'objectif essentiel de l'apprentissages des langues vivantes ; il est évident que maintenant, il faut que tous les élèves pratiquent activement cette langue". Pourtant, ils ne font aucune mention d'une CORRESPONDANCE SONORE ET MANUSCRITE qui à notre sens est essentielle pour la motivation et qui apporte son contenu dynamique, chargé d'affectivité.

Nous pensons qu'une correspondance interscolaire intégrée dans l'enseignement devrait être OBLIGATOIREMENT adjointe à des pratiques d'autocorrection en laboratoire, et que d'autre part le contenu des "bandes robots" utilisées par l'élève devrait être conçu de manière à éclairer, à compléter cette correspondance.

Une pareille organisation de l'enseignement des langues modifie de fond en comble les pratiques habituelles, les cours, et semble a priori augmenter le travail des professeurs devant chaque année adapter leur enseignement à ce qui serait reçu des correspondants travaillant selon le même esprit.

Sans aller jusque-là, disons nettement que déjà, l'alliance entre les pratiques de laboratoire linguistique, le cours et une correspondance insterscolaire intégrée sonore et manuscrite peut être une solution présente. Les récentes expériences tentées entre certaines écoles des USA, de Yougoslavie et de France d'autre part, montrent l'efficience de cette conception et l'intérêt soulevé chez les professeurs de langue de ces pays. Un nombre considérable de professeurs de français des USA réclament une correspondance avec des écoles françaises... (qui répondent mal à leur désir, d'ailleurs). Malgré les efforts de la Fédération internationale de correspondance interscolaire qui a son siège à l'IPN de Paris, Rue d'Ulm (5e), du Centre international scolaire de correspondance sonore (BP 14 Ste Savine, Aube) la correspondance est presque encore "clandestine", mal intégrée dans l'enseignement quotidien, trop laissée à l'initiative de l'élève, les professeurs n'ayant pas le temps d'en tirer tout le profit.

Il est vrai que la correspondance sonore interscolaire, qu'elle soit entre élèves de même langue ou de pays différents, pour être efficace, doit répondre à certaines exigences que l'expérience de ces dix dernières années nous a permis de découvrir, mais qui sont mal connues encore de l'ensemble  des  enseignants. S'interpénètrent :

a) Des connaissances techniques de manipulation de matériel, (qualité sonore du matériel, vitesses de défilement, prise de son).

b) Des informations sur les possibilités esthétiques du son enregistré (technique du montage, découpage dans la bande, rapprochement de séquences différentes etc.)

c) Une formation de l'éducateur  dans la pratique des techniques d'acquisition naturelle qui donneraient l'esprit dans lequel sera réalisé le contenu de ces échanges.

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Dans le moment actuel, ces facteurs ne se trouvent pas rassemblés comme ils le sont pour la correspondance interscolaire dans les classes primaires, c'est pourquoi, à notre sens, la pratique de l'autoinstruction programmée dans le domaine des langues vivantes n'apparaît que sous un aspect auquel nous formulons de sérieuses restrictions. Disons, aussi, que pour "l'usager moyen", l'étudiant, elle est aussi fastidieuse qu'un exercice... — et ça va encore moins vite à faire, ajoutent-ils... Motivation... motivation où es-tu ? Pourtant... 

 

 

MAGNETOPHONE

 

OUTIL DE L'ÉCOLE MODERNE

I°) Processus  autocorrectif   en  circuit  interne,  dans la classe.

Le langage constitue dans notre vie un moyen de communication bien plus employé que le texte écrit. Les rapports humains sont régis avant tout par des conversations... directes ou téléphoniques... il en va de même pour bon nombre de relations commerciales. Les lettres confirment ou précisent parfois des points. C'est tout. Et nous sommes appelés à voir une augmentation importante des communications téléphoniques. Il faut exposer en un temps minimum des exigences, des griefs... et combien d'adultes sont incapables de le faire, ont peur du téléphone ?

Exerçons-nous suffisamment nos enfants à dominer leur langage ?

La structure des classes nous oblige encore bien trop à dire : tais-toi... et parle... mais parle à bon escient, vite et bien, car on est pressé...

Heureusement que malgré tout, nos efforts à l'école moderne tendent à réduire "le bavardage du maître", que l'ensemble de nos travaux de classes sont des comptes rendus coopératifs. On peut dégager le schéma général : expression libre, établissement d'un complexe de travail, travail individualisé, ou par petits groupes, recherches ou expériences, ensuite compte rendu, exposés, conférences sur ces travaux avec participation du maître, et enfin mise en forme scolaire, puisqu'elle est nécessaire.

Nos élèves s'habituant à parler, "directement ", notes en main, acquièrent rapidement une certaine maîtrise du langage grâce à cette élocution motivée.

L'enregistrement, puis l'écoute et la critique de cette élocution, contribuent à hâter considérablement la maturité de "l'oral". C'est déjà un travail sonore fort "payant".

Disons aussi que, pour le maître, le bénéfice est également considérable. Qui n'a pas écouté "sa classe" se connaît bien mal et ne soupçonne pas les erreurs vers lesquelles il est parfois entraîné même si au départ les intentions sont pures... nous aurons l'occasion de développer en détail ces possibilités.

2°)  LA CORRESPONDANCE SONORE INTERSCOLAIRE.

Il ne peut y avoir une correspondance interscolaire uniquement sonore. Le magnétophone est seulement le dernier outil découvert permettant un lien puissant, plus dynamique entre des enfants et complétant admirablement les lettres, journaux, albums, colis etc..., liens qui seront maximum lorsque chaque école ira en voyage-échange vivre chez; l'autre une dizaine de jours, pendant les vacances... si les finances des coopératives en offrent la possibilité.

 Cette correspondance contiendra l'expression libre, toutes les créations permises par l'enregistrement magnétique.

- Les messages personnels

 

- Les discussions entre enfants, véritables textes libres oraux.

- Les chants libres, la musique libre.

- Les reportages documentaires ; instantanés sonores, interviews, le plus souvent accompagnés de photos, diapositives ou album, colis etc... 

Ce sont là d'ailleurs de véritables réalisations d'art sonore ou audiovisuelles.

 Chacune de ces réalisations, intégrées dans la correspondance interscolaire, mérite un examen attentif, pour en définir l’emploi qui bien sûr sera différent selon les âges des enfants, de la maternelle à la classe de fin d’études.

 Nous nous contenterons ici de définir les points communs valables pour tous.

 a) IL FAUT METTRE LE MAGNÉTOPHONE ENTRE LES MAINS DES ENFANTS, ils ne faut pas qu'ils pensent que c'est « le jouet du maître » et qu'ils ne sont que des exécutants tout juste maîtres du contenu.

b)  IL NE FAUT PAS IMITER LES ÉMISSIONS RADIOPHONIQUES... et l'expérience nous montre que le débutant ne choisit pas toujours les meilleures ni les plus simples, tel le "grand conte radiophonique " dont les difficultés de réalisation provoquent un résultat très souvent puéril.

c) IL NE FAUT PAS ENREGISTRER DES TEXTES  "ÉCRITS" qui ne vivent pas, passent mal à la réception de la bande. C est ce qui est le plus difficile.

d) Pratiquez l’INSTANTANÉ SONORE, cette technique de base, discussion libre, débats entre enfants.

e) ÉCHANGEZ ÉCHANGEZ... pour créer la MOTIVATION [sans quoi le magnétophone sera rapidement relégué dans le placard...

f) Joignez des PHOTOS, DES COLIS POUR ILLUSTRER VOTRE TEXTE.

g) II faut connaître LA PRATIQUE DU MONTAGE, qui  peut être exécutée par les grands élèves. Il faut envoyer aux correspondants un message sonore court, qui parlera à 1’esprit et au cœur, mais pour qu'il possède ces qualités il faut qu'il soit suffisamment concis et ordonné, sans quoi la lassitude s'emparera des correspondants malgré l'intérêt affectif.   Monter,  c'est-à-dire découper dans la bande, retirer et ajuster des éléments, rapprocher des séquences enregistrées en des lieux et endroits différents, un ensemble cohérent.

 Cette pratique est la clef, rien de valable ne sera fait si elle n'est pas mise en œuvre. Elle conditionne également le matériel employé, tous les magnétophones ne se prêtant pas au montage des bandes. La méconnaissance du montage enserre l'utilisateur  dans le carcan stérilisant  "de la machine qui déroule  aveuglément".

Grâce à elle nous pouvons vraiment parler "d'esthétique radiophonique de techniques éducatives" à la portée des enfants. En deçà, nous ne pouvons considérer l'utilisation du magnétophone que comme un simple divertissement et nous affirmons que les sommes investies ne sont alors pas rentables.

Tous ces points de pédagogie spéciale de l’enregistrement magnétique à l’école moderne sont traités en détail dans nos stages et seront illustrés dans une BEM prochaine.

 

NOS B.T. SONORES (Grand Prix du Disque- 1962 de l'Académie Charles Cros)

 

JUXTAPOSITION DU SON MAGNÉTIQUE ET DE LA DIAPOSITIVE COULEUR OU NOIR ET BLANC

 

C'est au Congrès d'Aix-en-Provence en 1955 que nous avions rendu compte des premières expériences.

La commission des techniques audiovisuelles de l'ICEM a ensuite rapidement constitué une sonothèque coopérative  qui  groupait  les  meilleures  réalisations échangées entre les écoles et bien sûr, les ensembles son et diapositives.

Les  documents audiovisuels  de  l'ICEM :  BT - Sonores ne sont que l'élargissement à un public plus vaste de ces richesses crées par des classes, pour leurs correspondants.

"Un grand prix international du disque Académie" Charles Cros" 1962 a récompensé les efforts de notre commission de travail en consacrant ainsi une formule originale très souple  d'emploi.

 La radio scolaire emploie aussi maintenant cette idée  appelée  "Radio vision". Dans les classes recevant le  programme radiophonique on passe les vues diapositives vendues à l'avance» au moment où le diffusé. La possibilité le commentaire est offerte de façon à constituer une documentation  audiovisuelle   utilisable  postérieurement à l'émission.

Nos BT Sonores ont un autre contenu et incitent les classes qui travaillent avec, à effectuer de pareilles réalisations pour leurs correspondants.

II suffit de posséder un magnétophone et un appareil photographique pour apporter dans la correspondance interscolaire des éléments  extrêmement  dynamiques : quoi de plus simple que de photographier les aspects de la classe, du village et de les faire commenter par les  enfants ? Notre vie quotidienne, avec quelle joie elle sera sentie, là-bas au loin, et quel complexe de travail riche de possibilités éducatives, scolaires et culturelles !

La possibilité de l'exploitation séparée des éléments sonores et visuels, comme pour la BT Sonore permet une souplesse d'emploi très grande allant jusqu'à l'utilisation pour la conférence d'enfants.

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LE MATÉRIEL.

 La possibilité de mettre en chantier un pareil programme dans une classe école moderne, est conditionnée par la possession d'un certain matériel et aussi par la connaissance des possibilités et des limites offertes par l'enregistrement sonore.

 Définissons rapidement les normes auxquelles nous sommes fidèles depuis longtemps déjà et qui sont une des causes de nos succès internationaux.

1°) Le magnétophone scolaire ne doit pas être celui de l'amateur,  mais  celui d'un professionnel.

2°) C'est-à-dire que la qualité sonore donnée sera suffisante. Que le micro responsable du son capté ne sera pas traité en "accessoire de second ordre".

3°) Que l'écoute collective dans la classe sera confortable (possibilité d'un haut-parleur détachable que l'on peut placer selon les normes de l'acoustique).

4°) Le maniement devra être simple et ne nécessiter la manœuvre que d'un minimum de boutons (mono-commande) à la portée de tous.

5°) La  mécanique   et  l'électronique  devront  être robustes même si ces avantages se paient par un certain prix et un certain poids.

6°) L'appareil devra au moins posséder un défilement de la bande de 19 cm à la seconde... de stabilité rigoureuse.

7°) Le réglage de têtes magnétiques devra être soigné, et mieux, l'appareil devra posséder un réglage des têtes magnétiques afin de pouvoir rattraper certains écarts de réglages pouvant exister avec l'appareil du correspondant. Sans cette possibilité l'échange des bandes est pénible, les sons étant très assourdis.

8°) Nous déconseillons formellement l'appareil à pistes ou à faible vitesse qui ne permet aucun montage de la bande enregistrée. L'appareil double piste défilant à 19 cm (et aussi à 9, 5 à la seconde pour avoir la possibilité de prendre certains documents d'archives) nous semble le minimum.

Pour la réalisation d'une correspondance sonore interscolaire bénéfique, nous affirmons que les faibles vitesses et la présence de 4 pistes sont dangereuses. On utilise moins de bande bien sûr mais... on ne peut rien en faire de valable... on perd pratiquement les possibilités de contacts avec d'autres collectivités ou d'autres hommes éloignés. En réalité, on gaspille des crédits même si au départ le prix d'un matériel valable comme l'est notre enregistreur CEL paraît plus élevé.

9°) Un enregistrement médiocre à l'origine restera médiocre, aucun traitement ne pouvant l'améliorer. Que dire de l'effet qu'il produira chez le correspondant ? De même que les enfants ne lisent pas un journal scolaire sale et mal imprimé, ils n'écouteront rapidement plus un enregistrement confus fatiguant à entendre. Toute exploitation deviendra impossible, les efforts de tous seront gâchés.

10°) II existe bien sûr d'autres difficultés : locaux mal adaptés (heureux ceux qui bénéficient de l'acoustique "simplement" correct !) effectif des classes, crédits de fonctionnement insuffisants. Les  réussites sont peut-être encore trop liées au hasard rassemblant une somme de facteurs favorables : effectifs et locaux compatibles avec un travail normal, compréhension de l'administration et du milieu, dynamisme de l'animateur.

Malgré tout, grâce à la diffusion d'informations plus complètes, à une formation plus approfondie telle que nous la pratiquons il est possible dès maintenant d'augmenter considérablement les réussites.

C'est pour résoudre ces difficultés et prévenir les dangers que nous nous sommes organisés et que nous œuvrons avec nos modestes moyens, en collaboration avec les hommes et les services publics qui croient que les machines sont là pour augmenter les possibilités créatrices de l'homme, en un mot pour augmenter son bonheur.

P. GUERIN

 

 

LES TECHNIQUES AUDIO-VISUELLES
MAJEURES : RADIO, CINÉMA, TÉLÉVISION

 

Les diverses techniques audio-visuelles que nous venons de passer en revue n'ont qu'une portée relative sur le comportement des individus et le ton de l'École. Elles sont sans total danger. Même les journaux d'enfants avec leurs comics n'auraient pas produit de vraie révolution dans notre vie si leur action n'avait été renforcée dangereusement par le cinéma et, aujourd'hui par la télévision.

C'est sur ces trois techniques que nous aurons donc à nous étendre tout particulièrement.

Pour apprécier équitablement l'influence de ces trois techniques non seulement sur nos processus scolaires mais également sur la vie des hommes, sur leur activité et leur originalité, il nous faut une importante discussion préalable sur les buts possibles de ces techniques.

II nous faut alors reprendre la démonstration que nous faisons en pédagogie entre l'instruction et l'acquisition des connaissances d'une part, la formation de la personnalité d'autre part, qui est éducation et base de culture.

Il fut un temps, au début du siècle, où les masses avides de ce savoir qui leur semblait donner la puissance, recherchaient les connaissances comme susceptibles de contribuer d'une façon décisive à leur formation intellectuelle, civique, morale et sociale.

Un enfant qu'on enseigne,est  un homme qu'on gagne.

disait Victor Hugo. Et on le croyait. Ce fut l'âge d'or de l'École Publique qui distribuait la "science" comme un bienfait universel.

Les progrès scientifiques, la multiplication accélérée des livres et revues, aujourd'hui le cinéma et la radio nous apportent trop de connaissances et on se rend compte à l'usage :

1°) qu'il n'y a nullement parallélisme entre la quantité de connaissances que possède un individu ou l'évolution de sa compréhension, de son bon sens, de sa générosité, et en définitive, de sa "culture".

2°) Que les connaissances, dont on croyait au début du siècle qu'il était possible de faire le tour, sont infinis et que c'est une tâche vaine que d'essayer de les dominer.

3°) Que l'accumulation des connaissances est un danger puisqu'elle risque de faire disparaître la compréhension et l'esprit.

4°) Qu'il faut donc chercher une autre solution au problème de la culture.

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Le langage audio-visuel a d'ailleurs quelque fois simplifié ces données en substituant au mot d'instruction chargé d'une certaine portion de culture, celui d'information qui est aujourd'hui à la mode, ou à la presse d'information, les bulletins d'informations de la Radio et de la T.V.

L'information, c'est l'action d'apporter aux individus un certain nombre de connaissances indépendantes à l'origine de la pensée et de leur vie, comme ces pierres, ces vasques, ces pots de fleurs, ces piquets qu'on ajoute à un jardin qu'on prétend enrichir.

S'il y a, à l'origine, un ordonnateur, quelqu'un qui, pour des raisons personnelles veut embellir son coin de champ et qui, dans ce but, sucessivement, expérimentalement, y ajoutera tout ce qui peut servir à cet embellissement, il commencera par défoncer, bêcher et fumer le terrain qui existe pour en tirer le maximum ; il taillera ou greffera les plantations existantes ; il installera des canaux d'arrosage. Il pourvoiera, d'abord, à la culture de base indispensable.

Cette base établie, mais seulement alors, et s'il en a la possibilité, il fera appel à l'apport extérieur pour améliorer son jardin. Il achètera des plants nouveaux, installera des massifs et des treilles, achètera des pots de diverses sortes. Mais il les achètera et les installera en fonction de ce qui est de façon à garder à son jardin sa nature originale et sa fécondité.

C'est ce que nous recommande notre pédagogie : cultiver d'abord notre propre terrain pour le rendre meuble et fertile ; y planter les arbustes et les arbres, y semer les graines qui l'enrichissent par nature. C'est notre premier travail, le travail de défrichement et de culture. Sur ce terrain désormais fertile, votre apport extérieur prospérera dans le cadre de votre projet général et enrichira sans cesse votre installation.

Mais il y a aussi le processus nouveau-riche du propriétaire qui ne veut pas perdre son temps à défricher un terrain qu'il peut, directement, par l'apport extérieur, modifier à sa fantaisie. Il aura effectivement un beau jardin mais dans lequel la nature première, animée ou morte sera tout simplement recouverte par les plants et les arbres qu'on y aura accumulés et qui s'y acclimateront difficilement jusqu'à dépérir, par les plantes en pots qui feront illusion tant qu'il y aura de la

terre riche dans le vase, et qu'on lui apportera méthodiquement cette indispensable humidité que la plante ne peut plus puiser dans l'humus nourricier.Cet apport extérieur ne s'est pas incorporé au sol vivant ; les racines sont restées en surface, attendant l'arrosoir du jardinier. Même dans sa splendeur fragile il manquera à cette terre l'humus qui le féconde et fait qu'elle s'épanouit selon sa nature, originale et puissante, capable de résister par elle-même le jour où cesserait l'intervention extérieure qui a, un instant fait illusion.

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A L'ORIGINE de toute pédagogie, à l'origine de toute   formation individuelle profonde, il y a toujours, et il doit y avoir la culture personnelle, ce sol qu'on remue, ces productions venues des profondeurs qui, le moment venu affleurent et s'épanouissent, et toute cette richesse infinie  qui est notre première conquête.

Vous n'avez; rien si vous n'avez pas cela, rien d'original, d'essentiel, de solide, d'équilibré, de  "vivant".

Nos techniques s'appliquent à donner cette "culture" qui prend son vrai sens de fertilisation de l'être dont nous préparons l'éclosion.

Et pourtant nous dira-t-on, tout ce que nous offre ou nous impose de nos jours l'audio-visuel, c'est intéressant, voir passionnant et donc utile. N'est-il pas bonde pénétrer ainsi tous les secrets de la vie et de découvrir artificiellement, le vaste monde que nous parvenons à connaître mieux que si nous l'avions effectivement parcouru. Qu'étaient les habitants du siècle dernier, confinés dans leur village et n'ayant rien vu au-delà des montagnes qui le limitent, à côté de ces "hommes du XXe siècle" pour qui rien ne semble inconnu? Et à ce gabarit, l'écolier de huit ans, assidu de TV., serait-il véritablement supérieur au savant à demi-ignorant du XIXe siècle ?

Cette comparaison nous incite justement à reconsidérer ce phénomène des acquisitions et des connaissances, de l'information.

Et nous nous poserions les questions suivantes :

1° Les connaissances relativement réduites qui nous venaient autrefois des leçons, des contacts avec d'autres hommes, ou de nos propres observations, étaient relativement réduites et peu ou prou assimilables.

Avec la radio et la TV. nous sommes contraints, par le biais de l'écran et de l'image animée, d'ingurgiter une somme de connaissances sans limites.

Cette masse de connaissances nous sert-elle en définitive, non seulement à l'Ecole mais dans la vie ?

Quelle qualité cultive-t-elle si ce n'est la mémoire et ce n'est pas certain puisque nos grands-parents avaient une meilleure mémoire que nous !

Il y a là une enquête qu'il y aurait lieu de mener objectivement. Pour ce qui nous concerne, et selon notre propre expérience, nous dirons que cette information n'ajoute rien par elle-même à nos possibilités, sauf si elles s'intègrent à notre propre culture et apportent dans ce cas une information directement utilisable.

2°) Les individus qui ne voient ni cinéma ni T.V. et qui écoutent peu de radio sont-ils démunis par rapport aux autres devant les nécessités de la vie ?

Nous n'en croyons rien. On peut posséder une information très étendue, connaître une infinité de mots, de choses, de villes, de machines, de bêtes et de plantes et ne posséder aucune des qualités qui font intelligence et efficience. La notion intime des rapports entre toutes choses, la connaissance des voies, parfois secrètes du comportement en face de la vie.

Regardons autour de nous ces individus qui ont, du fait des techniques audio-visuelles une débordante information, ces enfants qui peuvent nous parler de tout : des caractéristiques des marques d'autos et de la valeur des sportifs, des cultures de la Polynésie ou des aventures des coupeurs de tête, mais chez qui le jugement, le bons sens, les possibilités de pensée et d'action sont presque annihilées. Il ne reste que le vernis extérieur.

3°) Et nous nous posons même une troisième question : l'accumulation des connaissances non intégrées à l'être, en mettant l'accent sur des connaissances qu'on dit  "objectives"  parce  qu'elles  sont sans  résonances sur notre comportement, ces connaissances ne seraient-elles pas en définitive cause d'une forme moderne de , l'abêtissement ?

4°) A choisir entre cette accumulation objective et une certaine pénurie de connaissances qui laisserait à l'individu profond toutes possibilités intelligentes, ne devrions-nous pas, en définitive, pencher pour la dernière solution ?

Si par suite de je ne sais quel cataclysme, disparaissaient le cinéma et la T.V. qui sont les plus importantes, y aurait-il vraiment cataclysme social ? Notre vie spirituelle, affective et sociale serait-elle gravement compromise ? Nous ne le pensons pas, la plupart des travailleurs en congé payé ne prennent-ils pas intentionnellement pendant un mois un bain de silence ; et n'est-ce pas peut-être là la meilleure des raisons de leur repos moral et de leur rééquilibre ? Si disparaissaient cinéma et T.V. il y aurait tout simplement un vide chez certains individus, comparable à celui qui atteindrait dangereusement parfois les fumeurs et les buveurs à qui on supprimerait tabac, apéro ou coca-cola.

Mais rien ne nous affecterait dans l'essence même de notre vie.

Il en irait tout autrement si, par une erreur sociale et technique inimaginable, s'atrophiaient chez les individus : l'intelligence, le sens arithmétique, historique, artistique, social, si les individus étaient comme des outres débordantes de matériaux mais qui seraient incapables d'agir en hommes.

Alors, ce serait la grande nuit des fins de civilisation.

Si donc on pourrait supprimer sans dommage les  techniques audio-visuelles, c'est qu'elles ne nous sont pas essentielles et que, éducativement parlant, on ne  devrait les tolérer et les accepter que lorsqu'elles peuvent servir notre développement et notre culture.

Tout le reste est perversion, haschisch que nous devons éviter, ivresse qu'il nous faut condamner.

On dira que nous sommes rigoristes et sectaires et qu'il ne faut tout de même pas rejeter ainsi inconsidérément, le splendide apport de la science contemporaine.

Nos enfants bénéficient d'heures de T.V. et il nous arrive à nous aussi de passer quelques heures devant le petit écran : cela n'enlève rien à la rigueur de nos considérations. Ce faisant, nous sacrifions à l'audio-visuel tout en sachant que nous n'en tirerons que fort peu d'avantages, avec seulement ce trouble et ce vide qui s'installe en nous et que la vie peine parfois à rattraper.

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Et nous en revenons à notre jardin. On y accumule tant de pots, qui ne sont d'ailleurs pas sans beauté, que le propriétaire, jaloux de sa richesse, en oublie de cultiver sa terre qui en devient stérile et sur laquelle on ne retrouve plus les sentiers primitifs qui l'avaient pendant si longtemps vivifiée.

S'il n'y a qu'un propriétaire dans la région qui ait ainsi changé la vraie matière de sa terre, le mal ne sera pas grand et on viendra peut-être, comme on va au cirque applaudir l'équilibriste qui marche sur ses mains. - admirer cette débauche de nature surajoutée pour montrer les vertus et les possibilités de ce qu'on appelle la civilisation. Mais qui, sous l'effet d'une technique alléchante, la pratique des pots se généralise et c'est toute une contrée qui en deviendra stérile.

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C'est devant ces faits nouveaux qui se trouve brusquement placée la pédagogie d'aujourd'hui.

On pourrait dire, à la décharge de l'École qu'elle jusqu'à ce jour, malgré elle, esquivé la difficulté en ne pratiquant pour ainsi dire aucune des techniques audiovisuelles que le progrès a placées jusqu'à sa porte. Mais le problème ne s'en pose pas moins à elle puisque les enfants qu'elle accueille sont tous désormais des enfants du siècle et que malgré elle ce sont des fils du cinéma

ket de la T.V. qu'elle devra éduquer. Il ne lui restera bientôt plus, si elle n'y prend garde qu'à jongler avec les pots de fleurs. Le jardin et l'homme auront disparu.

Ajoutons pour aggraver l'événement, que les pots de fleurs - disons l'information - sont aujourd'hui internationaux. Ils n'ont plus de racines dans le milieu vivant. Ils sont comme une deuxième nature qui est en train de recouvrir la vraie nature, dont on ne retrouvera peut- être plus les bienfaits.

Si encore cette deuxième nature était riche, équilibrée, féconde et généreuse comme l'est la vraie nature, les fruits qu'elle porte seraient peut-être valables. Mais c'est le drame de cette deuxième nature qu'elle agit et s'impose sans aucun souci d'éducation, de formation et  d'humanité.

La Télévision[1], écrit JOSEPH ROVAN, n'a pas été découverte ni réalisée par une volonté éducative, l'utilisation éducative, l'insertion dans une vaste conception de l'action éducative de la  Société Moderne sur elle-même, telle qu'elle commence à paraître possible et même nécessaire à beaucoup d'esprits novateurs, c'est en quelque sorte, pour  la  télévision un   sous-produit,  une  "utilisation secondaire" ; c'est le produit d'une ruse du Weltgeist[2], qui détourne les instruments de leur signification première, et les retourne même complètement, parfois, contre cette signification.



[1] Télévision et Education Populaire, n° 8,27, rue Cassette, Paris (6e).

[2] "L'esprit universel", selon la philosophie hégélienne.

 

Cette affirmation n'a pas qu'une valeur historique et contemplative. La réflexion sur l'utilisation éducative de la télévision, et les tentatives pour réfléchir l'impact de ce puissant instrument dans un sens éducatif, viennent en général en second lieu, quand l'instrument existe déjà, quand il a déjà pris, ou est en train de prendre des formes et des structures techniques, administratives et culturelles qu'il sera plus difficile ensuite de modifier, à qui il sera plus  difficile  d'insuffler  une  volonté  pédagogique. Les prétentions de la volonté éducative sur la télévision ont généralement pris trop tard conscience de leur propre urgence, de leur propre nécessité.» Notre tâche est peut-être impossible. Cet outil que nous n'avons pas choisi mais qui s'est imposé à nous hors de l'École, pourrons-nous l'acclimater vraiment chez nous, le mettre un tant soit peu à notre service, le domestiquer, faute de ne pouvoir ni le chasser ni le détruire ?

Ne serons-nous pas, ne sommes-nous pas déjà, gagnés de vitesse, et ne resterons-nous pas impuissants devant des individus qui dès le plus jeune âge, ont eu leur vraie nature active et créatrice recouverte par le vernis de l'information et l'illusion des pots de fleurs ?

Ce doute, cette crainte, ne sont pas, hélas ! de simples formules littéraires. Nous nous demandons, et non sans raison hélas ! si nos meilleurs efforts porteront encore leurs fruits et dans quelle mesure il ne faudrait pas mobiliser dès maintenant parents et pouvoirs publics contre un danger qui menace toute la culture spirituelle de notre enfance et de notre jeunesse.

 

 

QUELLE SERA NOTRE MÉTHODE D'INTÉGRATION DES TECHNIQUES AUDIO-VISUELLES DANS LE COMPLEXE DE NOTRE PÉDAGOGIE MODERNE ?

 

SOLUTIONS PRATIQUES

 

A la base - et c'est un impératif que  rien ne pourra échanger - il y a toujours la culture personnelle.

Nous prenons ce mot de culture non dans le sens d'un  philosophie scolastique mais dans sa valeur presque originelle du paysan qui cultive son jardin, le bêche, le fume, y plante de bonnes graines dont il surveille la croissance en la préservant de tous dangers extérieurs.

Notre pédagogie apporte, dès la plus tendre enfance, cette possibilité de culture.

La pédagogie traditionnelle avait fait croire aux enfants que leur nature n'était ni assez riche ni assez meuble pour assurer par elle-même la montée des pousses et leur fructification et qu'il fallait lui assurer de l'existence les éléments vitaux dont elle va pouvoir se passer.

Or, nous avons longuement fait la preuve que la nature de l'enfant est bien ce sol immensément fertile, où les racines s'enfoncent jusque dans les profondeurs d'un subconscient que nous ne parvenons pas encore à sonder.

Les idées, les gestes, les initiatives et les créations s'y développent comme les primevères et les violettes poussent au pied des buissons apparemment stériles dès que les agite le printemps.

Mais ce qui est exact, c'est que cet élan de vie incommensurable est délicat et fragile ; qu'un changement de climat peut compromettre toute germination ; qu'un coup de bêche donné mal à propos obligera les racines à se recroqueviller sur elles-mêmes, tout juste capables de continuer une vie souterraine qui ne connaîtra point d'éclosion ; et que toute végétation s'éteindra si vous la recouvrez de pots de fleurs étrangers qui tuent la vie originelle.

Mais quand les plantes auront prospéré, qu'elles se seront renforcées ; lorsqu'elles auront fait la preuve de leur vitalité, alors elles seront indestructibles. On pourra même alors les encombrer de pots de fleurs : elles seront capables de contourner l'obstacle, de l'enserrer sous leurs volutes, de se nourrir peut-être même de leurs réserves pour attester le triomphe de la vie.

Faire ce travail de fondation sera notre principal souci.

Le cinéma et la TV cultivent d'une façon maladive l'illusion et le  rêve. Ils déforment, techniquement, la réalité, ne serait-ce que par les variations de temps, de climat, de lumière et de bruits susceptibles d'imposer une sorte de distorsion aux éléments qui restent vrais dans leur nature mais faux cependant dans leur expression.

Notre préoccupation de base sera - à tous les degrés d'ailleurs, - de replonger sans cesse les enfants dans la vraie vie de leur milieu, de les confronter avec les éléments, de leur faire éprouver les lois élémentaires qui président à leurs relations avec tout ce qui les entoure, de leur faire découvrir et expérimenter les lois de la nature et de la vie de façon que, forts de cette formation inébranlable, ils puissent résister aux distorsions des techniques audio-visuelles et être en mesure d'infléchir à leurs besoins le milieu factice de l'image animée.

C'est ce travail en profondeur que nous réalisons (par l'expression et la création dans toutes les disciplines, le travail individuel et collectif, l'expérimentation permanente, les contacts naturels avec le milieu par le texte libre, l'imprimerie, la correspondance, les recherches historiques, géographiques et scientifiques, les comptes rendus et conférences.

Pour ce travail de formation, nous aurons recours à tous les outils, à toutes les techniques audio-visuelles et autres dont nous pourrons disposer : gravures, photos, téléphone, magnétophone, radio, cinéma et même télévision, si tant est que nous puissions en influencer les programmes. Car alors, ces techniques et tout ce qu'elles nous valent s'incorporent à nos recherches et à nos travaux. Et c'est l'urgence de notre activité constructive qui nous guidera dans le choix des images qui nous seront présentées.

Alors, nos enfants deviendront et resteront des hommes capables d'échapper à l'abêtissement audiovisuel comme ils résistent à la drogue, comme ils repoussent tout ce qui contrarie leur puissant sentiment de vie.

 

 

DÉMYSTIFIER LES TECHNIQUES AUDIO-VISUELLES

 

C'est justement en pratiquant nous-mêmes dans le complexe de notre pédagogie les techniques audiovisuelles que nous pourrons contribuer à démystifier cinéma et T.V. notamment.

«La TV, à sa manière, s'introduit dans le quotidien[1]... Elle y introduit la magie. Il suffit de tourner un bouton pour que des images de V au-delà entrent dans la maison...

Profiter de l'omniprésence et de l'omniscience, faire apparaître ou disparaître les images à volonté, invite à l'attitude magique. La télévision alors réduit à néant les conduites techniques ou logiques élaborées au cours des siècles par l'humanité. Il n'est plus besoin, pour se déplacer, d'effectuer des trajets longs et pénibles ; pour rencontrer une personnalité d'entreprendre des démarches, d'user  de  recommandations,  de  fixer  des  rendez--vous, d'attendre, de revenir, de soutenir le regard de l'autre, de discuter avec lui. La Télévision fait tout cela, instantanément, "comme par enchantement". Le téléspectateur éprouve alors la plaisir propre de la magie ; celui de l'action à distance, - le bouton du récepteur devient l'équivalent de la baguette des fées. »

La masse des enfants - et même des adultes – se laisse prendre à cette magie.

II y a plus grave pour ce qui concerne nos enfants : nos efforts éducatifs, de la maternelle jusqu'à la fin de la scolarité, visent à faire sortir l'enfant de cette brume indécise où la réalité côtoie la fiction jusqu'à s'y mêler, où l'imagination se distingue mal encore de la réalité, où le rêve se confond avec le vrai, où l'enfant prend conscience de ses propres contours qui s'identifient longtemps avec les êtres et les choses qui l'entourent, dans un animisme que les psychologues ont essayé de définir.



[1] Max EGLY et F. HORVAT : J'aime la TV. (Ed. Denoel).

 

Or, cet effort de clarification de l'individu qui est la mesure même de l'éducation, le cinéma et la T.V. le contrarient en produisant, comme dans les songes, des faits, des états, des comportements qui retournent magiquement au flou et à l'indécis, à cet état d'esprit où tout est valable, où les ombres sortent de la lumière et y retournent, où les soleil s'éveillent et s'éteignent, où les bruits prennent une résonance inédite.

Et nous posons comme tâche urgente aux psychologues le soin d'étudier expérimentalement le danger mental et psychique que la nature même des techniques audio-visuelles fait courir aux enfants fragiles, à ceux qui n'ont pas encore assis leur personnalité et pour lesquels le brouillage audio-visuel pourrait bien être catastrophique.

Que ces enfants-là ne distinguent pas nettement l'image de la réalité et qu'ils imitent automatiquement un certain nombre de gestes malsains du cinéma qui pourrait en douter ?

Voici quelques réflexions notées par M. Le Coq, instituteur à Pléboulle, (C.-du-N.), au cours d'une conversation avec des enfants qui avaient subi la veille les après-midis et les soirées des dimanches de T.V. :

 — C'était beau, hier soir à la Télé !...

 — Oh oui !...

 — Ils ont encore tué des Indiens ?

 — Oh oui ! T'as vu ?...

 — Depuis le temps qu'ils en tuent, il ne doit plus en rester ?

 — Hier soir, il n'en restait plus que deux...

 — Ils sont donc bien méchants ceux qui les tuent ?

 — Oh ! les Indiens aussi. Ils ont brûlé un homme tout vivant... on l'a vu !"

Et voici, à propos de Rintintin : « Sur la route, ils rencontrent la diligence des Apaches. Ils se cachent. Rintintin saute sur le toit de la diligence, et, sans bruit, s'en va vers l'avant. Il saute sur le conducteur et il y a une bagarre...

Les Indiens veulent faire griller le gros bonhomme. Ils l'ont déjà ligoté ; mais le lieutenant Master arrive, les chevaux des Indiens marchent sur la dynamite qui explose. Il y a seulement deux rescapés parmi les indiens. "

Mythe, réalité, magie, mensonge, confusion mentale ; Comment voulez-vous que l'enfant s'y reconnaisse s'il n'a acquis par son éducation - scolaire et extra-scolaire, une expérience suffisante pour lui faire discerner le vrai du faux ?

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Le meilleur moyen de démystifier les techniques audio-visuelles, c'est d'en découvrir les secrets.

Nous nous laissons tous prendre à l'illusion des prestidigitations. Mais qu'un opérateur nous fasse pénétrer un jour dans le monde mystérieux des prestidigitateurs ; qu'il nous révèle comment on cache une bille dans le creux de la main, ou une carte sous le bras, et la magie est dévoilée. Elle ne jouera plus avec la même intensité car l'enfant cherchant lui-même, dira : « Oh ! c'est facile, il avait la carte dans ses doigts... je vais essayer  moi-même. »

Nous avons ainsi démystifié le journal en imprimant nous-mêmes nos textes et en éditant un périodique. Nous savons désormais que le contenu n'en est point parole d'évangile, qu'il peut comporter des exagérations et des erreurs selon l'humeur et le talent de qui le rédige, selon l'honnêteté de qui les contrôle.

Alors, la presse d'information sera pour nous moins dangereuse et nous distinguerons dans les livres la part d'invention et d'imagination qui peut en faire le charme, mais peut aussi en compromettre la portée humaine.

Nous démystifions la radio avec l'emploi du magnétophone, dont nous apprendrons la technique et la portée. Nous saurons en tous cas que la Radio, comme l'enregistrement magnétophonique, est l'œuvre d'hommes comme nous, qui ont leurs erreurs et leurs faiblesses et dont nous découvrons plus facilement les insuffisances avec un esprit critique courageux et averti.

 Nous démystifions le cinéma, et donc la Télévision dans la mesure où nous participons nous-mêmes à la création et à la réalisation de bandes animées. Alors la magie de la T.V. jouera moins intensément. Nous saurons détecter sous l'illusion des truquages, la réalité telle qu'elle est. Nous serons en mesure de puiser dans cette technique exaltante tout ce qui peut éventuellement servir à la culture de notre personnalité.

Il n'est d'ailleurs pas indispensable de recréer les diverses techniques. C'est une nouvelle attitude essentiellement critique qu'il faut susciter en face de ces productions parfois diaboliques, mais dont nous pouvons domestiquer les éléments. Notre pédagogie nous y aidera.

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LES CINÉ-CLUBS ET LES TÉLÉ-CLUBS

 

Pour les adolescents et même les adultes qui n'ont pas pu, et ne peuvent pas bénéficier d'une éducation qui leur enseigne à juger sainement les éléments audio-visuels dont ils  sont les spectateurs, la pratique des cinés-clubs ne saurait trop être recommandée.

Les spectateurs eux-mêmes choisissent coopérativement les films qui les intéressent. Ils s'informent sur les détails de leur production. Après la projection une discussion s'engage, avec si possible les auteurs et les acteurs. On analyse, on critique, on démystifie l'œuvre pour se l'approprier en un examen collectif qui se poursuivra dans les familles ou à l'atelier.

Il est regrettable que cette fonction essentielle du Ciné-Club ne puisse pas fonctionner avec une T.V.qui est actionnée de Paris avec des programmes rigides établis longtemps à l'avance.

Qui inventera une formule valable de télé-club ?

 

 

CINÉ-CLUB ET LIBRE EXPRESSION

 

La raison d'être d'un Ciné-Club de Jeunesse est sans conteste la discussion qui suit la projection d'un film. A Grenoble, nous faisons cette discussion entre la projection du court-métrage et celle du film de la séance suivante, ceci pour nos adhérents de 10 à 18 ans. Pour la section enfants 6 à 9 ans, il s'agit d'autre chose, la projection et le dialogue enfants et adultes ne font qu'un.

Notre façon de procéder est le fruit de treize années de mise au point. Nous essayons de l'améliorer sans cesse. En procédant ainsi tous nos adhérents sont obligés de participer peu ou prou aux discussions, qui parfois atteignent une grande ampleur.

Pour la discussion d'un film nous n'avons pas d'idées préconçues. La filmographie publiée à son sujet n'a que peu d'importance pour nous; nous voulons connaître l'opinion des jeunes avant tout et c'est en partant de ce qu'ils nous apportent d'opinions justifiées, pertinentes ou erronées que nous engageons la discussion.

C'est notre section "Jeunes adhérents", 10-13 ans qui, à ce sujet, est la plus intéressante. Parfois 30 jeunes à la frimousse éveillée se pressent autour du micro. Il y a d'abord ceux qui posent des questions sur les points qui leur ont paru obscurs ou sur quelque procédé qu'a dû employer le cinéaste pour réaliser certaines séquences ; puis défilent ceux qui ont quelque jugement à nous apporter. La plupart viennent s'exprimer oralement se contentant parfois de jeter un simple coup d'œeil sur un petit papier froissé. D'autres cependant ont rédigé à l'avance leur intervention.

L'intervention spontanée, lors des discussions avec les adolescents (14-18 ans) est l'exception.

Plus exactement, elle est celle d'habitués qui trouvent toujours à critiquer les intentions des adultes quant au choix des films, pour finalement en dire le plus grand bien. On n'en est pas à une contradiction près. A cet âge on est ou audacieux ou timide. Les audacieux sont peu nombreux qui viennent parler spontanément. Les timides, les réfléchis préparent soigneusement leur intervention. En général, les jeunes responsables du bureau viennent tirer les conclusions des débats. Ceux-là ont déjà un sérieux entraînement de "responsables".

Les interventions des jeunes faites, c'est le moment de la vraie discussion toujours pleine d'intérêt.

Jusqu'à l'an dernier, nous n'avions , par suite de difficultés, pu mettre au point un autre mode de communication de pensée, le plus ancien de tous, celui qui a permis à nos ancêtres de Lascaux de nous transmettre leur message : le dessin et la peinture. Nous l'avons tenté cette année et le résultat est des plus encourageants.

L'intervention par le dessin, plutôt la communication enfant-adulte par le moyen du dessin, nous l'avons réalisée en partie cette année ; elle a été probante avec la section jeune. Je suis en possession, actuellement, d’une centaine de dessins au crayon, à la plume, au stylo bille, de

peintures à l'aquarelle, à la gouache se rapportant à une dizaine de films, tous très significatifs de 1’attitude d’un Jeune de Ciné-Club vis-à-vis du Cinéma.

Beaucoup de ces dessins ne sont que des esquisses rapides, mais certains sont dignes de figurer dans une exposition d'art enfantin.

Grâce à un dessin rapide, l'enfant peut préciser les moments du film qui l'ont ému, qui l'ont amusé ou fait rire. Un tout petit dessin situe souvent le moment crucial de 1’action ; ainsi très rapidement avant toute discussion nous savons déjà ce qui a frappé, ce qui a étonné, ce que 1’on a retenu.

En principe nous ne projetons pas de films où la bagarre, la violence régnent en maîtresses. Cependant, il y a des films où la violence et la bagarre, réduites à leurs justes valeurs, donnent à ceux-ci une virilité réconfortante et en font de bons films pour jeunes. A notre programme de la dernière saison, nous avions inscrit deux films : L'homme des Vallées perdues et Les Révoltés du Bounty. Notre programme étant publié en début de saison il nous valut la protestation d'une mère de famille. Nous aurions pu lui répondre que la violence de "Shane", le héros de la Vallée perdue, de Shane, le bagarreur, venu de loin, de Shane qui sait manier le revolver et qui, grâce à son adresse, à sa rapidité, à son sang-froid, abat le bandit à la solde de ceux qui veulent chasser les paisibles cultivateurs, est une violence aussi salutaire que celle d'un Duguesclin, celle d'un Jean Bart, celle d'un "héros" anonyme de la Résistance, et qu'à tout prendre le Cinéma montre moins d'horreurs que le livre d'histoire de son fils. Mais là n'est pas la question. Nos films étaient-ils des films exaltant la violence et par conséquence nocifs ? Nous devions répondre à cette seule question ; il nous fallait attendre la projection, sentir les réactions des jeunes et répondre avec des arguments. Les dessins de nos jeunes ont répondu pour nous et nous pouvons rassurer la maman inquiète : notre choix était bon, et le film n'a exalté que de bons sentiments.

En effet, parmi les dizaines de dessins que nous avons recueillis avant le discussion de  L'homme des vallées perdues, un seul relate une scène de violence, la plus cruciale, la scène déterminante du film : celle où le bandit engagé vient de tuer un des fermiers d'un coup de revolver. Cette peinture à la gouache est une des plus belles que nous ayons obtenue cette année. Jusqu'à présent, les fermiers ont subi la loi des éleveurs qui envoient leurs troupeaux paître dans les cultures. Quelques-uns ont abandonné leurs maisons, la peur gagne, elle deviendra presque générale après ce crime. La méchanceté, la cruauté des éleveurs est dépeinte par le rictus cruel et cynique du tueur ; la bonne foi des cultivateurs s'étale avec le sang qui sort de la blessure du pauvre fermier. Ou bien Shane, le justicier, triomphera ou il sera abattu par le tueur. Hormis ce chef-d'œeuvre tous les autres dessins représentent des scènes champêtres ou la beauté rustique, la force des bûcherons, le calme des mares où le cerf vient boire avec les animaux de la ferme. C'est cela que Shane a sauvé, Shane qui est parti, laissant désolé le fils du fermier ami. C'est cela que les jeunes ont retenu du film, que nous considérions comme un beau film en couleurs pour nos jeunes. Leur jugement exprimé davantage par le dessin que par la parole nous a donné raison et c'est ce que nous pouvons affirmer à la maman inquiète.

Pour Les Révoltés du Bounty, c'est une véritable flotte de voiliers paisibles sur une mer calme que nous avons obtenue.

Ce qui nous enchante dans ces dessins naïfs c'est souvent la poésie qui s'en dégage : poésie de la danse que Charlot exécute pour la Joie de la Gamine des Temps Modernes. Pour ce film, nous avons des dessins plus émouvants dans lesquels les enfants nous montrent qu'ils ont bien compris que le travail à cadence rapide, imposé par une chaîne sans pitié, est un travail inhumain, et c'est la danse hagarde de Charlot armé de sa clef à molettes qui visse, qui visse par gestes saccadés, tout ce qui est protubérance, qui revient dans plusieurs croquis.

Il nous a été donné, cette année, de réaliser une expérience intéressante. Une association de parents d'élèves nous ayant demandé de venir entretenir ses adhérents du problème Cinéma et Jeunesse nous avons à la suite de cet entretien qui fut intéressant, décidé de projeter le même film, d'une part aux enfants, d'autre part à leurs parents et de confronter les jugements, les réactions des uns et des autres. Le film fut projeté devant 700 enfants, garçons et filles de 3 groupes scolaires et, le lendemain, devant 200 de leurs parents.

Le film choisi : Ces Sacrés Gosses, film un peu vieillot peut-être, danois d'origine, mais assez bien doublé, est un film valable pour tout public, nous le savions générateur d'amples discussions.

Parmi le public enfantin, nous avons reconnu quelques fidèles du Ciné-Club. Tout de suite après la projection, une discussion spontanée mais très écourtée, par suite du peu de temps dont nous disposions permit de tirer une conclusion un peu hâtive bien sûr, et me permit de demander aux jeunes de m'adresser, pour le lendemain, tous les dessins que le film leur suggérait. Le lendemain avant la projection réservée aux adultes j'étais en possession d'une centaine de dessins et de quelques appréciations écrites. D'autre part, j'eus, avec les fillettes d'une école amie, un long entretien grâce auquel nous pûmes dégager les idées essentielles du film : « Des enfants n'ont pour jouer qu'une courette sordide entre des maisons lépreuses. Le concierge de l'immeuble n'aime pas les enfants qu'il brime, aussi les jeunes, sous la direction de Christian, se sont ligués contre lui et lui rendent au centuple la monnaie de sa mauvaise pièce. Sous la conduite de Christian, le plus

déluré des garçons, la rébellion contre sa fausse autorité s'organise et c'est bien une "bande" qui répond aux vexations par des coups sournois. Le mauvais concierge s'en va, il est remplacé par un brave homme qui aime les enfants et va s'ingénier pour leur procurer de saines distractions. Il libère une cave, il la transforme en atelier et rallie à lui tous les jeunes, sauf Christian qui sent que son autorité de "chef de la bande" est bien compromise. A cette action toute simple s'ajoute une action secondaire qui est semblable à celle d'Emile et les Détectives. Action policière qui oppose les enfants à un jeune voyou qui avait établi son quartier général dans la cave et qui s'est arrangé en semant de faux indices pour faire arrêter le bon concierge pour un vol que lui-même avait commis. Grâce à la ténacité des jeunes, grâce aussi à Christian qui se rallie à eux car il a décelé la perfidie du jeune voyou celui-ci est capturé, ficelé et livré à la police. Le concierge, libéré, revient, les enfants lui font une chaleureuse réception. La dernière brimade, celle de l'affiche qui interdit aux chanteurs ambulants de venir dans la cour disparaît, subtilisée par un jeune. Les musiciens qui sont là, ayant compris eux aussi que les saines distractions sont admises, entonnent un air joyeux. La petite courette sordide du début, maintenant propre et avenante, sera le lieu de rassemblement pour les distractions saines, c'est elle qui apportera la joie à tous, petits et grands. »

Tel est le scénario, telle est l'histoire qu'ont retenue les "fin d'études" avec qui j'ai pu discuter amplement. La caméra, elle, n'a pas chômé, elle nous a fait faire connaissance avec les pauvres intérieurs où parents et enfants vivent entassés, sans confort, sans hygiène. Elle nous a fait connaître la sœur de Christian, qui assure le vivre et le couvert à son frère, mais qui sollicitée par ses propres problèmes, celui de son mariage et de son logement, s'occupe peu de sa santé morale. Nous avons aimé la jeune marchande de journaux et nous avons bien compris qu'un sentiment nouveau était né, qui unissait Christian à cette jeune fille. C'est l'amour qu'il éprouvait pour elle qui lui a fait découvrir la duplicité du jeune voyou. Et surtout nous avons parlé longuement du bon concierge. De ses idées généreuses. Nous avons parlé loisirs et saines distractions.

Tout le film serait à conter par le détail, car tout détail est utile et concourt à l'action qui est menée rondement et c'est ce que nous ont conté les centaines de dessins que m'avaient remis les enfants. Ce qui est caractéristique des graphismes enfantins c'est que les enfants ont été très sensibles au symbolisme du film dont les moments cruciaux se déroulent derrière des barreaux. Barreaux de la rampe d'escalier que les enfants scient pour réparer l'auto que le mauvais

concierge a cassée. Barreaux que les enfants replacent pendant que le bon concierge est en prison. Barreaux derrière lesquels les enfants jouent, barreaux derrière lesquels les voleurs se rassemblent, barreaux qui, d'ailleurs, seront ceux de leur première prison. Barreaux symbolisant le manque de liberté des enfants, et aussi barreaux joyeux de la rampe réparée devant qui, cette fois, les enfants reçoivent leur ami sorti de prison. Une fillette a bien montré la valeur du symbole en dessinant une cage, celle de l'oiseau du concierge, cage joyeuse dépourvue de barreaux que le canari peut bien quitter mais où il reste, pour fêter le retour de son maître, peut-être.

Le film projeté aux adultes, la discussion avec eux s'engagea plus difficilement. C'est en devinant et en relevant plutôt qu'en entendant certaines réflexions formulées à voix basse que le dialogue s'engagea. La timidité vaincue, il n'y avait pas de micro, heureusement, nous pûmes parler d'éducation, de milieu social, de loisirs, d'H.L.M. et de l'organisation de l'Education permanente : ce que, somme toute, les enfants de l'Ecole de filles de la Rue Sidi-Brahim avaient senti spontanément, avaient traduit par leurs dessins et dont j'avais pu discuter amplement et facilement avec ces fillettes.

« Les enfants seraient-ils plus perspicaces que leurs parents? » tel était le titre du compte rendu de cette réunion que fit le lendemain un quotidien grenoblois.

Plus perspicaces, ce n'est pas certain, plus spontanés, certes. Et surtout ils avaient pu, avec beaucoup de facilité, me faire part de tout ce qu'ils avaient senti grâce à leurs petits dessins hâtifs.

Un enfant avait même résumé tout le film en un seul dessin représentant à la fois la rampe d'escalier, celle du temps du mauvais concierge avec ses barreaux sciés et cassés, celle du retour du bon concierge, reluisante de propreté, de santé avec ses barreaux neufs. Et derrière ces barreaux, je sentais la joie de l'enfant qui les avait dessinés, joie de celui qui a compris et qui le fait savoir aux autres.

Par le dessin l'enfant découvre son âme, par le dessin il communique avec nous, avec ses camarades ; à nous de l'employer, à nous de nous servir de ce moyen si efficace pour des fins éducatives.

RAOUL FAURE,

Président du Ciné-Club

de la Jeunesse de Grenoble.

Vice-Président

de la Fédération des Ciné-Clubs de Jeunes.

 

 

LE CONTENU DES TECHNIQUES AUDIO-VISUELLES

 

ON NE NEUTRALISE QUE CE QU'ON REMPLACE :

II ne servira de rien de pester contre cet envahissement des techniques audio-visuelles si nous ne trouvons le moyen, pratique, de contrebalancer et de compenser leur influence, si nous ne suscitons quelque intérêt qui, à quelque moment du moins, puisse arracher les individus à l'emprise implacable.

Cet intérêt nouveau, c'est le travail.

Quand l'enfant, dans un milieu trop pauvre pour ses besoins, ne sait que faire d'intelligent et de valable ; s'il n'a ni la place ni la latitude pour se livrer à quelque jeu naturel, il regardera des images ou tournera le bouton de la T.V. s'il en a la possibilité. Quand les adultes ne savent pas quoi faire, ils jouent aux cartes, boivent et fument.

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C'est dans la mesure où nous organisons dans nos classes le travail vivant que nous faisons passer à l'arrière-plan des techniques pédagogiques le cinéma et la T.V. qui ne sont que d'accidentels secours - qui pourraient être, il est vrai, de qualité - l'essentiel étant la vie et le travail.

On voit l'importance que nous accordons, dans l'histoire des Techniques audio-visuelles au renouveau d'activité et de création suscité par notre pédagogie. Nous ne prétendons pas que ce renouveau peut se suffire pour essayer de réaliser des techniques audio-visuelles utiles et souhaitables. Nous apportons du moins notre pierre à la lutte contre les grandes entreprises obscurantistes, d'autant plus dangereuses qu'elles prennent volontiers figure d'avant-garde, à la lutte contre la passivité, l'engourdissement, la robotisation avant-coureurs d'une décadence qui est là, à nos portes.

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Avant d'entrer dans un détail essentiellement complexe et fluctuant, nous nous sommes appliqués à réfléchir avec vous aux éléments du problème audio-visuel pour que nous soyons en mesure de choisir avec bon sens parmi les solutions, parfois alléchantes, qui nous sont offertes.

Cela ne signifie nullement que nous sous-estimons les nombreux efforts entrepris par tant de bonnes volontés pour tirer de la radio, du cinéma et de la télévision notamment quelque chose d'utile et d'acceptable.

A la lumière de nos réflexions nous allons maintenant passer en revue ce qui a été fait et ce qui peut se faire pour les diverses techniques, en mettant l'accent naturellement sur l'exigence particulière de notre pédagogie moderne.

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LA RADIO :

S'il nous est bien difficile d'en faire usage dans nos classes primaires, hors l'apprentissage du chant, et des langues il n'en serait peut-être pas de même au 3e degré où de nombreuses émissions pourraient être utilisées. Mais il faudrait renoncer aux écoutes collectives qui ne sont que des ersatz de leçons. Une pédagogie moderne, basée davantage sur le travail individuel ou par équipe pourrait utiliser avec profit des séquences choisies d'avance dans les programmes ou dans les bandes magnétiques, comme nous choisissons les documents complémentaires pour nos conférences dans notre fichier ou notre collection B.T.

Souhaitons qu'un jour prochain une chaîne de classes secondaires travaillant selon nos techniques puissent mettre sur pied l'utilisation pédagogique de la radio en fonction de nouvelles conditions de travail.

Pour l'instant, nous restons très circonspects en face d'émissions qui s'adressent à des classes traditionnelles rebelles par essence à l'utilisation vivante et dynamique de la radio.

Je donnerai seulement mention de l'utilisation qui pourrait être éminente, de la radio pour le travail à domicile - que nous ne jugerons pas puisqu'il s'agit là d'un travail traditionnel, alors que toute une pédagogie moderne pourrait être réalisée à l'intention de ceux qui auraient la chance d'être ainsi dégagés de l'emprise scolaire.

Il faudrait évidemment pour expérimenter la partie de notre pédagogie en ce domaine, avoir à notre disposition une chaîne de radio. Ce sera pour plus tard, espérons-le.

Une expérience qui me semble considérable est celle qui se poursuit à Besançon pour l'apprentissage rapide et méthodique des par la combinaison de plusieurs techniques. Cette expérience nous apporte au moins la preuve que les techniques nous seront précieuses le jour où nous aurons la possibilité de les utiliser rationnellement.

La place nous manque pour entrer dans le détail de ces techniques.

 

LA TÉLÉVISION :

Nous limiterons ici nos observations à la T.V. enfantine et scolaire. Il y aurait certes beaucoup à dire sur la T.V. pour les adultes, que voient pourtant tant d'enfants, même si on l'affuble du petit carré blanc.

Nous dirons seulement, comme pour la presse, que le scandale, le meurtre et le crime y tiennent une place prépondérante qui condamne d'avance la majorité des émissions.

Au point de vue enfantin et scolaire, nous distinguerons :

1°) LES FILMS SPÉCIFIQUEMENT RÉCRÉATIFS dont nous critiquerons la fréquence plus encore que la valeur intrinsèque.

Jamais les enfants n'avaient connu tant de récréations de toutes sortes.

Nous n'avions, nous, au début du siècle que les jeux naturels, avec la terre, l'eau, le feu, les arbres et les plantes, qui nous étaient, il est vrai, une bien grande richesse dont peu d'enfants de nos jours peuvent bénéficier. Les récréations étaient pour nous superflues.

Les enfants sont aujourd'hui sollicités par une infinité de jeux plus ou moins artificiels, par les journaux illustrés, par le cinéma et la TV. Comment leur est venu ce changement ? Là encore, c'est le milieu extérieur qui en a décidé : l'exiguïté des logements, la nudité des rares espaces libres autour des HLM, la disparition si regrettable de tous les animaux domestiques ont laissé les enfants sur leur faim. Il fallait pourvoir au vide ainsi créé : le commerce s'en est chargé : l'immense variété des jeux et des jouets, des appareils mécaniques, des journaux illustrés. Cela ne suffisant pas toujours, on leur a donné du cinéma et de la TV qui sont l'équivalent des tranquillisants en pilules que distribuent les pharmacies.

On dira : il y a pourtant des émissions intéressantes pour les enfants. Comme il y a de belles poupées. Mais le commerce nous lance ainsi dans une dangereuse impasse. La solution n'est pas là : elle est vers le retour à un milieu naturel où l'enfant puisse mener ses expériences, avec des bois, des insectes, des plantes, des ateliers, des outils, des marches, des baignades, des excursions.

Si nous avions à nouveau tout cela nous pourrions réduire au strict minimum les techniques éducatives pour retrouver la vie.

Comment renverser le courant ? En prenant d'abord une nette conscience des réalités et en éduquant parents et maîtres sur les conditions indispensables d'une bonne éducation.

2°) FILMS INSTRUCTIFS D'INFORMATION : Il y en a de fort bien faits. On pourrait en développer encore le nombre. Ils pourraient être comme des BT visuelles et sonores que les écoles modernes utiliseraient pour leurs travaux vivants. Mais attention à l'excès d'information dont nous avons dit tout le mal.

 

3°) FILMS DE TRAVAIL: C'est le domaine au sujet duquel nous voudrions dire plus attentivement l'aide que le cinéma et la TV pourraient apporter à notre éducation.

Ne nous étonnons pas si la télévision en général et la télévision scolaire en particulier sont presque exclusivement d'information et d'acquisition de connaissances. Tant que nous n'aurons pas influencé suffisamment la grande masse des écoles, la TV sera une émission d'instruction pour des écoles qui se satisfont de cette instruction.

Mais il y aura beaucoup à faire le jour où une pédagogie moderne, au premier et au deuxième degré appellera l'aide active des techniques audio-visuelles.

C'est l'avis aussi de M. D euzède qui dans un récent numéro de Réalités présente un projet de Télépédagogie. Besogne délicate dans le contexte éducatif, social et administratif contemporain. Et je crains justement que, faute d'avoir opéré les distinctions de principe que nous avons énoncées, l'auteur n'engage l'éducation qu'il souhaite dans une voie où risque de sombrer l'esprit.

Pour la première fois, dit-il, dans l'histoire humaine, un même message de qualité, aisément fabriqué, commodément répété, peut être présenté instantanément sur l'ensemble d'un réseau national de récepteurs, facilement constitué et peu coûteux à entretenir.

Ce sont de tels messages, fabriqués par des fonctionnaires dont nous ne sommes pas sûrs de la qualité, qui seraient destinés à être répétés, et dont nous nous méfions en tout premier lieu. Et nous faisons toutes réserves sur l'opinion de M. Dieuzède : Le message télévisuel est intime, personnalisé, réaliste, présent.

Théoriquement peut-être. Dans la pratique, non.

D'abord, le beau langage nous est toujours suspect. Et d'autant plus qu'il vient de plus haut.

La personnalité, l'intimité, cela ne se noue pas dans la stratosphère, mais dans les rapports humains, de travail et de pensée qui s'établissent d'hommes à hommes, dans la vie de chaque jour.

La partie technique, oui, peut fort bien nous venir de Paris ou d'ailleurs. Les IBM françaises fonctionnent aussi bien que les IBM américaines, mais elles ne font pas de sentiment. Pas de sentiment à la radio ou à la TV. Cela n'est pas de leur domaine. Le sentiment nous le retrouverons nous-mêmes à la base, dans notre inévitable part du maître.

C'est par suite de cette confusion des rôles que le projet Dieuzède nous paraît dangereux. La présente situation, dit-il, conduit en effet à associer directement la télévision à l'action éducative et à envisager une relève pédagogique partielle des maîtres auxquels la télévision viendrait apporter un soutien systématique.

Dans son projet, Dieuzède intervertit à mon avis les rôles. Il confierait à la TV le soin de présenter les notions, ce qui est, partout, la chose la plus délicate et qui ne devrait intervenir que lorsque, par une pédagogie appropriée, les élèves auraient été sensibilisés à ces notions et éprouveraient le besoin alors de demander l'aide de la TV pour les études à entreprendre. La TV ne pourrait guère, en l'occurrence, que poser des pots de fleurs.

Il laisserait aux maîtres la part que je confierais plus volontiers aux machines, cette besogne mineure d'exercices d'assimilation et de contrôle d'acquisitions pour lesquels le maître aurait à sa disposition des instructions lui permettant de conduire des exercices d'appli cation des notions télévisées.

Il s'agit là, vraiment, de l'adaptation pure et simple de l'audio-visuel à un enseignement traditionnel qui n'en serait affecté ni dans sa nature ni dans son esprit : l'exposé du professeur serait remplacé par l'exposé d'un professeur spécialiste télévisé. Le professeur, ou son remplaçant - car on aurait moins besoin de compétence pour cette fonction accessoire - ferait les répétitions et les exercices.

Ce serait peut-être une solution pour résoudre passagèrement la crise de recrutement des professeurs. Elle ne résoudrait pas la crise de l'enseignement qui s'enfoncerait un peu plus dans l'impasse de son traditionnalisme stérile.

Je crois par contre que serait possible dans le deuxième degré la reconsidération inverse que je propose. C'est au professeur qu'il appartiendrait de procéder aux travaux vraiment éducatifs, qui ne peuvent être efficients qu'au niveau des individus et des classes. Toute la partie répétitive serait du ressort de la RTF, dans des conditions à préciser naturellement. Sous la direction de la RTF tout le travail à tendance mécanique pourrait être effectué dans des salles spéciales équipées pour l'audio-visuel avec seulement l'aide et la surveillance d'assistants qui dégageraient le maître

qui pourrait alors se consacrer au travail qui lui est spécifique.

Que la chose soit possible : le nouvel enseignement technique nous en apporte la preuve. Les travaux pratiques - qui préparent les notions théoriques – se font par équipes de 12 à 15 sous la surveillance des assistants. Là aussi, un enseignement individuel plus technique, télévisé de Paris, pourrait intervenir.

Je souhaite que des expériences soient menées dans ce sens pour la mise au point d'une pédagogie dans laquelle les techniques audio-visuelles auront une part qui peut être importante, et peut être même décisive.

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Nous n'avons pas la prétention d'examiner ici dans le détail les expériences qui se poursuivent en France et à l'étranger et auxquelles nos adhérents eux-mêmes ont intelligemment participé.

Malheureusement, le cinéma et la télévision qui sont nés de conditions non éducatives et se sont imposées par des considérations économiques, financières et politiques sont en train, pour le premier degré comme pour les autres enseignements, de s'adapter, pour les consolider, aux méthodes traditionnelles.

La TV remplacera le maître. Telle est la menace qui pèse sur le proche avenir de notre enseignement. Elle se substituera tout simplement à ce guide-âne que sont les manuels et dont les maîtres restent les fidèles serviteurs.

Si l'enseignement se contente en effet de la technique des leçons, on n'a pas tort de juger qu'un instituteur national puisse devenir l'animateur des robots locaux. Et l'on continuera à faire à la TV les expériences qui étaient jusqu'ici l'apanage du maître. Nous verrons sur l'écran un professeur montrer comment on dessine ou on moule une coquille d'huître, ou selon quelles règles scolastiques on modèle un lapin qu'on tient docilement devant soi en lui distribuant de temps en temps quelques carottes.

Si vous aviez entendu les protestations et les rires de nos élèves devant de telles démonstrations pour eux insolites !

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Dans tous les domaines, le cinéma et la télévision, ces forces explosives qui, s'ajoutant au dynamisme des élèves, permettraient tous les espoirs - se mettent au pas de la pédagogie immobiliste et réactionnaire.

N'attendons pas que l'audio-visuel transforme ces données. Changeons les principes et la structure de notre pédagogie. Il nous sera facile alors de mettre debout la véritable télépédagogie au service de la libération en l'enfant de l'homme de demain.

C.F.

 

LES TECHNIQUES AUDIO-VISUELLES DANS LES PAYS SOUS-DÉVELOPPÉS

 

Nous sommes menacés en France par une "télépédagogie" que nous pourrions dire scolastique parce qu'elle sera mise au service de la scolastique au lieu d'aider les éducateurs à prospecter l'éducation constructive de demain.

La menace est hélas ! consommée pour ce qui concerne le problème de l'éducation dans les pays dits sous-développés, où il s'agit de rattraper un retard ancestral pour ce qui concerne "l'alphabétisation" des grandes masses qui ont naguère accédé à une indépendance pour laquelle les colonialismes ne les avaient nullement préparées.

Une télépédagogie est en voie de réalisation dans ces pays, à grand renfort d'un matériel audio-visuel excessivement coûteux, parachuté d'Europe sur des villages et des tribus qui n'y ont vu qu'une nouvelle magie dont, nous pouvons le prédire, la faillite est certaine.

Pourtant ce problème de l'éducation des grandes masses indigènes a fort bien été étudié par les diverses personnalités indigènes ou de race blanche qui, sous l'impulsion de l'UNESCO s'en sont préoccupées.

Nous citerons notamment un certain nombre d'observations favorables contenues dans le rapport établi par une réunion d'experts tenue à Paris du 13 au 20 mars 62 et à laquelle participait notamment M. Dieuzède.

Selon le mandat qu'elle avait reçu cette commission devait passer en revue les dernières réalisations concernant l'emploi éducatif de la radio et de la télévision, les techniques de l'instruction programmée et l'usage de calculatrices pour le traitement des données relatives à l'éducation.

Voilà bien des grands mots et des machines complexes pour apprendre à lire, à écrire et à penser à des individus qui n'ont pas encore pris contact seulement avec ce que nous appelons notre civilisation.

Et ce n'est pas tout.

Les participants avaient à se mettre au courant des progrès récents touchant l'utilisation future de satellites artificiels. Ils devaient également tenir compte du fait que les nouvelles méthodes et techniques bouleversent à coup sûr les systèmes d'enseignement, les programmes scolaires, la conception des bâtiments scolaires, ainsi que la formation et la répartition du personnel enseignant. Toutefois, les participants ont été unanimement d'avis que si les changements envisagés allaient étendre considérablement le champ d'action et d'influence du personnel enseignant, le rôle personnel du maître conserverait une importance essentielle dans le processus d'acquisition des connaissances. Aussi les nouvelles méthodes d'éducation doivent-elles principes fondamentaux d'une saine pédagogie.

La discussion a fait ressortir que le processus d'instruction ne pouvait être assimilé à un transfert mécanique de connaissances.

Les experts estiment eux aussi qu'en tous cas l'alphabétisation doit servir à préserver et à développer la culture locale aussi bien qu'à favoriser la diffusion du fonds commun des connaissances humaines.

L'apparition des nouvelles techniques a pour effet de remettre en question certaines pratiques d'une pédagogie trop empirique et de stimuler la réflexion sur le processus de la pensée dans ses rapports avec les mécanismes de l'apprentissage.

Ils estiment qu'en tous cas l'alphabétisation doit servir à préserver et à développer la culture locale aussi bien qu'à favoriser la diffusion du fonds commun des connaissances humaines.

Voilà la théorie.

Examinons la pratique à la lumière justement de ce que nous avons dit déjà sur ce thème, avec cette différence que, en France, les techniques audio-visuelles entrent en concurrence avec une organisation déjà existante et qui ne se laisse pas facilement déposséder, alors qu'en Afrique noire par exemple elles ont la prétention de partir sur du neuf et du vierge puisqu'elles considèrent volontiers comme sans valeur, donc négligeable, la culture millénaire de ces pays.

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Déblayons d'abord le terrain en bannissant de notre vocabulaire ce triste mal d'alphabétisation.

L'alphabétisation c'est l'action par laquelle on enseigne l'alphabet, disons plutôt par laquelle on enseigne aux individus à lire et à écrire. La mécanisation qui préside à cette acquisition, la hâte avec laquelle on procède pour que cette alphabétisation soit acquise en un temps record montrent bien qu'il s'agit seulement du montage artificiel de mécanismes, indépendamment de la compréhension et de la vie des individus. Nous nous plaignons déjà de la mécanisation excessive de nos techniques traditionnelles qui enseignent la lecture ou l'écriture de mots dépourvus de sens. Que sera-ce lorsqu'on prétend enseigner en quelques semaines une langue étrangère à des enfants ou des adultes qui ont d'autre part leurs modes de vie et de culture ?

Dans notre étude : Méthode naturelle de grammaire, nous avons reproduit un texte écrit par des adolescents et des adultes qui avaient été soumis à ces mécanismes. Ils connaissaient presque à la perfection les règles et les secrets mais ils étaient incapables de se servir de cette langue artificielle pour s'exprimer et pour communiquer avec leurs congénères.

Voici une lettre reçue il y a quelques jours par la CEL à Cannes :

A Monsieur le Directeur,

Je suis un peu pressé de vous écrire couramment, en foi de ce petit passage que je lis, sur vous votre éducateur n° I du Ier Octobre de 1961. Je. suis ambitieux attiré la qualité de votre étoile des éditions de l'École Moderne (physique-chimie).

C'est avec plaisir que je vous demande des renseignements précis.

Ce gros cahier de physique et chimie m'indique votre chemin, Monsieur le Directeur, permettez-moi de vous exprimer ma joie et vous questionner sur votre brochure de fabrique.

Au point de vue éducatif, une telle pratique est totalement condamnable. Qu'on la fasse avec les livres, avec les manuels que l'UNESCO imprime avec le cinéma ou la télévision, elle est dans tous les cas besogne vaine, donc inutile.

Et une tare complémentaire de cette pratique, d'ailleurs liée à la précédente, c'est qu'une telle alphabétisation se fait à un niveau scolaire ou mécanique qui n'a absolument aucune relation avec les pensées et les modes de vie des populations à éduquer.

Par nos techniques nous réagissons déjà en France contre cette éducation désincarnée qui n'a aucune prise affective et vitale sur les individus et qui donc ne les concerne absolument pas en profondeur, que dire alors de techniques apparemment évoluées qui seront aux prises avec des modes de vie totalement différents, avec lesquels elles ne peuvent avoir aucune véritable prise de contact ?

Nous ne sommes pas les seuls à jeter le cri d'alarme. Dans une étude sur L'Éducation des adultes et le développement communautaire de M. PETIT, responsable du bureau de la recherche pédagogique dans les régions sahariennes, nous lisons : Nous pensons que dans la plupart des tentatives de scolarisation des nomades ou même d'approvisionnement, les données du problème ont été mal posées. Le plus souvent en effet on a isolé le problème de l'enseignement de son contexte humain, économique et social. Or, il est impossible, dans la réalité, de dissocier ces différents éléments. L'expérience nous enseigne qu'il est vain d'instruire si l'on n'agit pas, parallèlement, sur les autres secteurs d'activité de l'homme, et si notamment l'acquis scolaire n'aboutit pas à une application immédiate et pratique, de quelque nature qu'elle soit.

Et voici quelques recommandations de l'auteur et que nous faisons volontiers nôtres :

Ne jamais imposer des idées ou des concepts étrangers au pays, mais plutôt convier les individus à une synthèse originale entre les valeurs profondes de leurs traditions, et les impératifs de leur évolution...

Bannir du programme envisagé les réalisations spectaculaires et les exploits techniques.

Ne jamais donner primauté à la technique. La technique doit être asservie à l'homme. Ce qui n'exclut pas, bien au contraire, une étroite et constante collaboration entre tous les techniciens etc...

On lira en fin de ce chapitre le compte rendu par M. l'Inspecteur Primaire JAEGLY, détaché au Tchad pendant plusieurs années, le bilan de quelques essais audio-visuels.

Un de nos correspondants du Cameroun nous écrit lui aussi : Des plans de développement ont été élaborés afin de développer l'économie du pays et permettre l'élévation du niveau de vie. L'École doit contribuer à la réussite de ces plans en formant des producteurs équipés pour la production au village.

Actuellement l'École fait faillite car elle ne collabore en rien au plan de développement ; elle ne contribue en rien à la production nationale. Au contraire, son effet est négatif car elle éloigne les jeunes du village...

Nous sommes loin des appareils audio-visuels.

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DES SOLUTIONS PRATIQUES :

 

Les méthodes qui ont fait faillite en France : cours ex-cathedra, manuels scolaires, études par cœur, leçons et devoirs sont d'avance condamnés à la faillite dans les pays en voie de développement et nous nous étonnons que les experts de l'UNESCO puissent en recommander l'essai.

Les techniques audio-visuelles qui ne sont pas encore de pratique courante dans les écoles françaises et sur lesquelles nous faisons "tant de réserves ne doivent pas être ainsi parachutées à coups de millions gaspillés, dans des écoles qui appellent d'autres techniques de travail.

C'est parce que nous avons notre longue expérience de techniques modernes en France, dans de nombreux pays étrangers, et même pour l'enseignement bilingue, que nous osons apporter pour l'éducation dans les pays en voie de développement des solutions que nous ne prétendons pas idéales mais qui n'en seront pas moins supérieures à tout ce qui a été tenté jusqu'à ce jour, parce que, tout en enseignant les techniques indispensables elles préparent une culture née du milieu qui s'enrichira de l'apport technique des autres civilisations.

A la base, et nous l'avons suffisamment montré au cours des pages qui précèdent, il y a la vie des individus dans le milieu. L'enseignement ne partira donc jamais ni des manuels qui apportent la vie d'autres milieux, ni des moyens audio-visuels qui déracinent élèves et étudiants.

Il nous faut comme en France d'ailleurs, changer l'ordre des processus : partir non de connaissances qui seront parachutées de l'extérieur mais du récit et du texte libre en langue maternelle, traduit ensuite si nécessaire, en langue nationale, mis au point par le maître, accompagné du dessin et de la peinture, du chant, de la musique et de la danse qui sont eux aussi des modes d'expression essentiels.

Les textes ainsi choisis seront ou imprimés ou polygraphiés, ce qui est à la portée de toutes les écoles. Ils seront complétés par des textes d'adultes tirés des fichiers, des livres, du cinéma ou de la télévision.

Les feuilles imprimées seront échangées avec les productions similaires d'autres écoles.

Ce travail élémentaire de base, né de la vie du milieu, s'ouvrant sur de larges horizons est absolument indispensable. Rien ne peut le remplacer. Une préparation adéquate des éducateurs leur permettrait de  réaliser ainsi une pédagogie simple et à la portée de tous.

C'est là la partie vivante de l'éducation, celle qui s'accroche au milieu dont elle est l'expression, qui donne aux individus le sens et le besoin, l'appétit de la connaissance et de l'instruction.

A partir de cette base élémentaire pourront fleurir des techniques que nous ferons les plus intéressantes et pour lesquelles, comme dans nos classes, nous pourrons avoir recours éventuellement à quelques techniques audio-visuelles : images, photos et diapositives, cinéma et télévision avec prudence, histoire, géographie, sciences.

Notre Boîte enseignante et nos bandes programmées pourront dès octobre, y rendre les plus grands services.

Tout cela n'est peut-être pas spectaculaire. Ce n'est pas forcément rapide. Les techniques audio-visuelles peuvent à peine en accélérer le rythme.

Mais il n'y a pas d'autres méthodes si on veut non seulement instruire les individus, mais leur donner aussi une véritable culture - qui n'est pas strictement intellectuelle, mais qui fera évoluer progressivement, sans grave hiatus, les techniques de travail et de vie.

Nous tâcherons au cours des années qui viennent, de créer, dans les pays en voie de développement des entreprises-témoins qui montreront la supériorité de notre pédagogie sur des pratiques mécanique qui seraient la mort de toute civilisation dans des pays qui méritent mieux que d'être  "robotisés."

C. F.

 

 

EXPÉRIENCES D'ÉDUCATION DE BASE AU TCHAD

 

Deux expériences d'éducation de base ont été tentées au Tchad. L'une en 1956, l'autre en 1959. Dans l'esprit de leurs organisateurs, elles devaient servir de banc d'essai et préludaient à une action généralisée en vue de combattre l'analphabétisme. Le Tchad en effet était à l'époque l'un des pays d'Afrique possédant un très faible taux de scolarisation.

La première tentative eut pour cadre le Guéra. Il s'agit là d'une région montagneuse, très pauvre, couvrant 60000 km2, peuplée seulement de 140 000 habitants. Ceux-ci sont des cultivateurs fermement attachés à leurs croyances ancestrales, vivant encore à l'écart des grands courants d'évolution. L'expérience fut entreprise sur huit villages seulement.

L'équipe chargée de la mise en œuvre comprenait un administrateur, un instituteur, un médecin, un agent des services agricoles. Ces fonctionnaires français étaient secondés par dix moniteurs de l'enseignement, un infirmier, une infirmière autochtones.

Les buts de cette mission étaient variés, multiples, immenses. Il fallait enseigner le français, des rudiments de lecture et d'écriture, améliorer l'état sanitaire, apporter les éléments d'une meilleure hygiène, élever le niveau de vie par l'apport de pratiques culturales nouvelles.

 

Pour y atteindre la mission disposait d'un matériel important : groupe électrogène, camion, cinéma, projecteurs pour films fixes, épidiascope, magnétophones, tourne-disques, photographes, amplificateurs.

Des disques et des films complétaient l'équipement, les uns éducatifs, les autres récréatifs. Une partie était sonorisée dans la langue du pays par les membres de la mission. Ainsi pensait-on toucher les habitants par le truchement d'instruments audio-visuels, qui leur auraient appris les dangers d'une vie sans hygiène, leur auraient enseigné des méthodes de culture plus rentables.

Les enfants, garçons et filles, que l'on avait pu rassembler par des moyens divers furent mis à l'école.

Il ne fut pas question de leur donner un enseignement classique analogue à celui des écoles primaires. Par une méthode audio-visuelle accélérée, et des alphabets idéo-graphiques on se proposait en six mois de leur apprendre à lire et à écrire le français, sans les sortir de leur famille, sans provoquer de rupture avec le milieu, les croyances, les coutumes, sans les "détribaliser". Cet enseignement sommaire et rapide était doublé de cours d'adultes qui devaient permettre dans les villages intéressés, d'apprendre à une partie de la population à parler, lire et écrire le français.

Des causeries simples sur l'hygiène étaient diffusées aux enfants des écoles et aux populations. En même temps, l'agent des Services agricoles donnait des conseils et illustrait son enseignement par la projection de films documentaires sonorisés en dialecte local.

L'expérience dura six mois. D'autres étaient prévues qui ne virent jamais le jour. En dépit d'un déploiement de matériel considérable, en dépit du dévouement qui fut apporté, en dépit de l'optimisme officiel de règle, l'expérience s'avérait être un échec.

Insuccès également, cette seconde expérience tentée en 1959. La formule cette fois était différente. L'objectif était restreint à l'apprentissage d'un français élémentaire, de la lecture et de l'écriture. Par contre, elle s'adressait à un échantillonnage de population plus varié, plus étendu, plus dispersé.

Des postes récepteurs de radio à pile furent répartis dans les grands centres urbains. Trois fois par semaine, la station émettrice de Radio Tchad diffusait une série de leçons dont la durée totale atteignait une heure. Les auditeurs étaient réunis dans des salles de classe autour du récepteur. Ils disposaient d'un lot de fiches (lecture, écriture, calcul) et sous le contrôle d'un moniteur exécutaient les consignes dictées par le speaker. Le moniteur n'était qu'un intermédiaire autant que possible muet. Il avait pour tâche de répéter les consignes, d'en contrôler la bonne exécution. Il devait s'abstenir de toute initiative. Le déroulement de la leçon ne lui accordait pas le temps d'intervenir.

Cette expérience de télé-enseignement dura quatre mois. Elle attira dans ses débuts de nombreux auditeurs. Les uns venant par curiosité, les autres parce qu'ils occupaient une fonction administrative subalterne et ressentaient la nécessité de savoir lire et écrire.

Mais très vite les effectifs s'amenuisèrent. L'expérience fut abandonnée. Ici   encore, l'échec était incontestable.

Pourtant à chacune de ces tentatives on avait "mis le prix", on avait fait appel à des exécutants dévoués, consciencieux, on avait fait une large publicité et l'on pensait que l'attrait exercé par des appareils audio-visuels constituerait un mobile suffisamment puissant pour retenir l'adhésion des populations. On espérait ainsi parvenir à alphabétiser rapidement un très large auditoire. La radio, le cinéma étaient censés pallier l'insuffisance tant en nombre qu'en qualité du personnel enseignant autochtone. Mais on eut recours obligatoirement à des formules rigides, à des procédés de mécanisation. Il fallut nécessairement passer outre à certaines conditions locales. C'est alors l'outil qui devenait le véritable centre d'intérêt, impersonnel, sans vie. On dispensait une forme d'enseignement collectif, le plus inefficace peut-être parce qu'artificiel, inadapté. Mais surtout on avait omis de tenir compte de l'inutilité de l'école tant que subsisteraient les structures sociales du moment. Et c'est là qu'il faut rechercher la cause profonde de l'échec des tentatives d'alphabétisation.

G. JAEGLY, I. P.

 

Une expérience : LE MAGNETOPHONE AU SERVICE DE L'ÉVOCATION HISTORIQUE

 

Il va sans dire que toute recherche ou interview ne peut se traduire et se communiquer mieux que par un texte qui, lu par son auteur devant ses camarades, est mis au point au cours d'une discussion collective en classe.

De notre documentation d'histoire locale, nous avons tiré le scénario d'un spectacle "Son et Lumière" intitulé : "Si Virton m'était conté". Évidemment, nous avons dû remanier le texte de base soit en faisant parler la ville personnifiée ou en extrayant les événements les plus évocateurs. La première partie met en scène les comtes de Chiny qui prirent part aux Croisades : à la demande de certains acteurs, elle fut traduite en dialogue. La seconde partie évoque les sièges de Virton : des nombreux sièges que la ville eut à subir, nous n'en avons retenu que trois : celui de 1521, où l'assaillant fut mis en fuite ; celui de 1552, où les défenseurs capitulèrent après une belle résistance ; et celui de 1643, où de guerre lasse, ils ouvrirent les portes à l'ennemi. Cette capitulation s'explique du fait des atrocités commises tant par les alliés que par les ennemis, ainsi que du fait des ravages causés par la famine et par la peste.

Les monologues et les dialogues des enfants, de même que les chants d'accompagnement furent enregistrés sur bande magnétique. L'émission en public lors de la distribution des prix exigeant une certaine tenue, les acteurs se sont astreints à plusieurs répétitions afin d'obtenir une bonne élocution. Ce résultat fut atteint avec d'autant plus de facilité que le Gaumais disert s'oppose nettement à l'Ardennais taiseux et que le magnétophone offre la ressource de permettre l'autocritique, l'effaçage et l'auto-correction des fautes ainsi que la fixation de l'expression orale convenable, comme l'imprimerie le fait des textes libres.

L'évocation du passé s'obtint par divers moyens :

a) Par des chants : le chœur à plusieurs voix "Frère Jacques" évoque la fondation de l'abbaye d'Orval ; "La tour prends garde"... Va-t-en te plaindre selon le cas aux ducs de Bourgogne, de Bouillon ou d'Orléans" servit  d'accompagnement aux différents sièges.

b) Par des disques ; cloches et carillons d'Orval, pièces d'orgue de 1096 et 1172, marche funèbre...

c) Par du bruitage : galop, hennissements, trompettes, troupes en marche, canonnade... Dans ce domaine, les enfants font preuve d'une imagination, d'une faculté d'imitation surprenantes. Le galop s'obtient en martelant le dos d'un condisciple, alternativement des deux mains dont les paumes se frottent au passage. La canonnade, en frappant de la paume des mains les parois d'un bureau métallique. Un coup de mousquet, en laissant tomber sur le pavé une torpille à capsules. Dans ce domaine, certains enfants sont pleins de ressources et possèdent un véritable don d'imitation.

Cette représentation dramatique se faisant sur scène il nous fallut camper un décor suggestif. La reproduction de la porte de France s'imposait comme fond de décor : un paravent tapissé de papier à briques et surmonté de créneaux postiches, tenait lieu de remparts. Il était surmonté d'un bâti en bois et carton tapissé qui figurait l'étage et la toiture de la porte de France. A l'avant-scène, derrière une tour en demi-lune, se tenait le personnage de la ville, vêtu d'une robe diaphane barrée d'un grand cordon vert et blanc, le front ceint d'une couronne crénelée. Il portait un drapeau et un bouclier aux couleurs de la cité. Des boucliers sur lesquels étaient peintes la croix rouge des croisés, ou les deux truites des comtes de Chiny et "cinq blanches croix" complétaient le décor moyennageux. Des projecteurs invisibles projetaient des lueurs d'incendie sur le rideau rouge de l'arrière-scène qui par moment s'agitait doucement.

Comme on le voit, les activités manuelles, même le montage électrique, trouvaient à s'exercer une fois de plus au service de l'évocation d'un passé dont beaucoup étaient loin de soupçonner la richesse et la grandeur.

M. LEBRUN, Virton (Belgique)

 

 

ENQUETE SUR LES TECHNIQUES AUDIO-VISUELLES AU SEIN DE L'OCCE

 

En accord avec l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne, et à l'intention du Congrès de Niort, l'Office Central de la Coopération à l'Ecole a lancé une enquête auprès des Coopérateurs scolaires :

Comment les appareils ont-ils été acquis? - Avec quels moyens financiers? - Quelle part prennent les élèves à l'utilisation des appareils? - Quels résultats sont obtenus? - Difficultés rencontrées - Vœux?

L'énumération des questions posées montre bien que notre enquête ne visera pas à donner des enseignements mais à renseigner.

Renseigner les maîtres actifs, expérimentés, toujours chercheurs en leur matière, sur le succès relatif de telle ou telle technique, les conditions d'emploi, et leur permettre de préparer les appareils très bien adaptés, les notices techniques les plus complètes pour que la mise en œuvre et l'utilisation ne soulèvent aucune difficulté.

Renseigner les Jeunes, pour leur faire ressortir un ordre d'urgence peut-être, ou tout au moins détailler les intérêts d'une technique par rapport aux autres, ses avantages, ses inconvénients, pour leur permettre un choix dans lequel leur personnalité aura également à intervenir d'une manière évidente. Etudier les méthodes d'utilisation et voir celles qui provoquent l'enrichissement le plus certain. Etre enfin informé sur les conditions matérielles à réunir, tant au départ qu'en cours de fonctionnement. Ces conditions matérielles doivent d'ailleurs être examinées par tous, car nos organisations centrales, conscientes de ces besoins recensés, peuvent avoir à agir pour les améliorer en faveur de leurs adhérents. Difficultés d'installations matérielles et d'horaires qui se conjuguent pour la plupart des techniques. Elles étaient à l'origine des agréments, des occupations meublant un loisir. Elles ont toujours un pouvoir évocateur, accru encore par les perfectionnements permanents. Elles captent les sens, enveloppent l'esprit, exaltent l'imagination. Mais malheureusement, le temps s'écoule. La mise en place des appareils dans des salles non appropriées, prend de précieuses minutes ; les réglages sont délicats, les élèves trop nombreux...

Et puis, après l'audition de disques, après la projection de film, comment réintégrer le cadre si rigide de l'emploi du temps, alors que l'imagination exaltée déborde bien au-delà des baies vitrées des classes, transperce les hauts murs pour courir aux horizons ?

Il faut intégrer l'utilisation des appareils et les conditions les meilleures seront à étudier.Difficultés d'approvisionnement en matériel consommable, par suite de moyens financiers réduits ou de liaisons mal commodes avec les centres économiques où s'effectue le choix. Nous savons bien que de nombreux camarades utilisent en classe "leur" appareil, achètent à leurs frais bandes ou pellicules. Des solutions sont demandées, il faudra les envisager, et la forme coopérative sera largement appliquée sans doute. Pourra-t-on mettre sur pied des ententes pour prêts d'appareils, de disques, de films ? Certes, dans plusieurs départements existent des organismes de l'Education Nationale ou des œuvres laïques habilités à ces entreprises. Il faudra créer là où les besoins l'imposent.

Amélioration ou adaptation des documents existants réalisés comme guides. Des propositions sont énoncées. Nous savons qu'il y a des difficultés majeures à vaincre. Il nous faut au moins les signaler.

Enfin, l'enquête a montré le poids considérable que les taxes courantes constituent pour les collectivités scolaires. Si les personnes privées sont sollicitées, c'est qu'on pense qu'elles font une utilisation normale de leurs appareils (télévision, radio). Un établissement scolaire, une Coopérative scolaire, qui organise une écoute des émissions éducatives, pendant l'horaire scolaire, ne devrait pas se voir charger de frais.

Les techniques audio-visuelles apportent des éléments particulièrement riches de progrès ; nos modestes moyens ne nous permettent pas d'être aussi largement utilisateurs que le "siècle" ne le rend nécessaire ; nos solutions sont à étudier.

  Notre enquête se propose encore d'autres buts. Quelle est la part des élèves dans l'utilisation des techniques ? Ils seront demain propriétaires d'appareils. Mieux : ils sont déjà aujourd'hui, dans leur famille, le manipulateur de TV, l'auditeur de radio le plus attentif — les parents parlent — le chasseur de sons ou chasseur d'images le plus curieux et le plus inventif.

Et d'autre part, ces appareils sont d'une fidélité de reproduction qui fait réfléchir. La grand'mère faisait un conte de fées d'une aventure, le papa s'arrangeait pour que le récit d'un fait divers se termine bien. Le speaker dit crûment l'accident, la télévision montre tout net une opération, ou un monstre.

Quelle part ont nos Coopérateurs dans l'initiative de l'achat d'un appareil, dans la décision d'utilisation? Il y a des enthousiasmes à susciter, des curiosités à éveiller avant, des recherches à provoquer, à orienter.

Les manettes, de plus en plus simplifiées, les cadrans, les ressorts, les bras mobiles, les trépieds d'appui, sont des accessoires lourds parfois, d'une manipulation délicate, qu'on ne peut confier à des muscles trop jeunes, à des mains inexpérimentées. De même, les images, les sons, ne peuvent être reçus profitablement sans éducation préalable.

Nos jeunes auditeurs, associés intimement à l'œuvre culturelle, donneront tous leurs efforts pour que les ressources nécessaires à l'entretien soient trouvées, car, grâce à l'électrophone, la radio, le cinéma, la télévision, ils apprennent à mieux connaître les hommes d'hier et d'aujourd'hui. Passionnés de cette nouveauté, l'effort commun leur sera plaisir. C'est par l'action que se poursuit alors la prise de conscience coopérative. Non seulement on aura collaboré à l'acquisition de l'appareil, à la mise en œuvre après préparation, mais on assurera toute mesure nécessaire à l'approvisionnement et on sera avide d'exploiter les résultats, de donner à ceux-ci les formes les plus flatteuses pour rehausser, aux yeux d'autrui, le profit reçu par chacun de la part de l'effort de tous.

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L'introduction des techniques audio-visuelles est souhaitable, et même nécessaire. Sont-elles d'un emploi facile? difficile? Il s'agit de s'adapter. Les conditions matérielles sont, en général, très peu satisfaisantes au départ : on ne peut obscurcir facilement les salles pour les projections, ou bien il y a trop d'élèves pour leur permettre de se succéder dans la salle spécialisée. Les cloisons sont trop minces, ou les pièces mal commodes pour l'utilisation des appareils sonores. On manipule avec difficultés parfois. Enfin, même si l'on a pu surmonter des pannes, il arrive que certaines techniques ne puissent être abordées qu'après une information précise et spécialisée. D'où la recherche de documents appropriés.

Ce sont là des résultats généraux extraits des 680 réponses reçues, dans lesquelles 24% nous parlent de l'utilisation de projecteurs fixes, 30% des électrophones, 30% de la Radio, 13% du Cinéma, 11% du Magnétophone, 10% de la Télévision, et 3% de la Photo.

L'étude détaillée révèle de très nombreuses réussites.

Nous serons appelés sans doute, après la discussion souhaitable des besoins généraux, à l'exposé des conditions particulières.

Remercions, avec empressement, les nombreux correspondants ayant participé à l'enquête pour la sincérité de leurs réponses et l'ampleur qu'ils ont donnée aux études qui leur étaient proposées.

R. MERIC.

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