L’EXPOSITION DE CAEN

Ce n'est pas seule ment pour offrir une fête de la couleur, ni satisfaire à une tradition bien établie que lors de chaque congrès l'I.C.E.M. organise des expositions. II s'agit, avant tout, marquer son existence et sa vitalité aux yeux de tous. C'est un moyen pour nous faire connaître et en quelque sorte reconnaître

C'est en s'adressant à la sensibilité du grand public que l'exposition art enfantin cherche obtenir cette reconnaissance.

A Caen, l'ensemble des œuvres offertes aux regards apportait la preuve de notre pratique du respect des personnalités, à la fois par la diversité des inspirations et par la multiplicité des techniques employées.

C'est parce qu'elles sont le témoignage concret de l'évolution de la sensibilité des enfants et des adolescents que leurs oeuvres sont à considérer avec le même sérieux que celles des adultes. Les unes et les autres participent au même titre au patrimoine culturel commun.

La pédagogie Freinet, montrant jusqu'où on peut aller lorsqu'on permet l'expression libre dans ses tâtonnements, témoigne.

Dans le même temps, elle appelle, elle interpelle pour une prise de conscience, pour une sorte de communication, pour une invitation aux autres à se joindre à nous, afin de permettre un prolongement de l’œuvre commune.

Une exposition : c'est faire en sorte que, par le regard, on puisse réfléchir à un passé pour mieux l'appréhender et mieux préparer un à venir.

Groupes départementaux de la Mayenne et du Calvados

 

Lorsque nous avions choisi le théâtre de Caen pour y organiser une exposition basée sur « l’art enfantin », nous nous étions fixé plusieurs objectifs : nous adresser au grand public et le toucher par la présentation des activités artistiques des enfants de nos classes, faire sentir, que par l'expression libre tout enfant peut faire autre chose qu'un dessin sur une petite feuille, qu'il est capable d'exprimer et de faire sentir, à travers ses essais, toute sa sensibilité, ses émotions, sa vision originale du monde.

Ce n'est qu'en juin que nous avons pu vraiment commencer nos travaux (les documents n'arrivent pas vite...). Nous voulions, en accompagnant l'exposition de citations extraites de l'Art enfantin et des bouquins du mouvement, faire passer les buts de celui-ci et aussi donner des précisions sur certaines techniques.

Mais le théâtre possède son équipe « expo» avec laquelle nous voulions monter les éléments.

De mercredi en mercredi, nous n'avons pu avoir que des discussions avec les responsables auxquels, finalement, nous avons fourni tous nos documents.

Dans ces conditions quel a été l'impact de notre exposition ?

Jacques SlGNOL

Les citations que vous trouverez dans les pages qui vont suivre ont toutes été tirées d'articles parus dans la revue Art enfantin depuis son premier numéro jusqu'à aujourd'hui.

Nous avons voulu restituer ce qu'aurait dû être l'exposition de Caen si elle avait été réalisée selon le projet de nos camarades du Calvados : une exposition jalonnée d'appels à la réflexion.

   

En relisant les pages de notre revue depuis ses premières hésitations jusqu'aux nôtres actuelles, nous avons pu constater qu'au cours de ses vingt ans d'existence (1959-1979), au travers de son évolution, se posent toujours les mêmes interrogations fondamentales, les mêmes inquiétudes, la même réalité de notre pratique, la même affirmation sur l'essentiel de notre vision du monde.

Mais cela pourra-t-il changer jamais ?

Ainsi nous aurons choisi des citations et, par elles-mêmes, nous nous serons exprimés d'autant mieux qu'elles nous auront donné le bénéfice de la force tirée de l'antériorité et de l'autorité reconnue à ceux qui les avaient émises.

Ce n'est donc pas en toute innocence que nous aurons choisi ce moyen pour appeler à la réflexion sur notre présentation.

Puisse ce retour aux sources du passé nous permettre de mieux préparer le futur prochain qu'il nous faut prendre en charge, les uns et les autres, là où nous sommes.

Guy GOUPIL

   

A propos de l'art et de l'art enfantin

Nous dirons tout de suite, pour simplifier les choses, que nous n'avons aucune prétention à l'art si l'art doit être considéré comme fruit exceptionnel d'une âme exceptionnelle, tourment de solitude, essence de haut raffinage. Nous sommes par instinct et par conviction, étrangers aux chasses gardées d'une culture qui a ses hiérarchies, ses idéologies, ses dignitaires, et ses prébendes comme toute église.

Élise FREINET - N° 1

Il est nécessaire de le proclamer : le dessin d'enfant est une chose de l'art authentique valable.

Fernand LÉGER - N° 5

Nous avons dit : « L'art enfantin n'a aucune prétention si ce n'est celle de nous faire la preuve qu'il existe ». Mais exister suppose une volonté de vivre.

Élise FREINET - N° 6

Le mot prestigieux d'art qui porte en lui une seigneurerie qui s'impose, nous le prononçons, nous, de façon familière et bon enfant car il fait partie intégrante de nos activités quotidiennes. L'art, pour nous, c'est le visage du beau travail mené jusqu'à la limite de nos exigences et qui donne le contentement en embellissant la vie.

Élise FREINET - N° 7-8

L'art n'est point un jeu pouvant prétendre à une absolue liberté comme tant semblent le croire encore. L'art n'est pas non plus un jeu gratuit ; c'est une activité offensive. Quand on tente d'exprimer le monde, de le réfléchir en soi, est prise, dès l'origine, une attitude que l'on pourrait qualifier d'impérialiste. On veut conquérir et exploiter ce qui dans notre esprit - pour qu'aucune confusion ne se glisse - signifie « utiliser le monde dans son sens le plus haut possible ».

LURÇAT, cité par Élise FREINET - N° 34

Qu'est-ce donc que l'art enfantin ?

Il me semble que c'est, avant tout, pour l'enfant, une certaine manière de vivre et d'être au monde, une façon chaleureuse, éclatante, libre de manifester ses pouvoirs de création, ses émotions, ses prises de possession les plus profondes de lui-même et de son milieu.

Un art de vivre sans souci des conventions, des règles et des lois de la bienséance adulte, une incessante provocation à la joie.

Madeleine PORQUET - N° 35-36

   

Les enfants ne sont pas moins doués et il y a une sagesse à la source de leurs dons. Moins ils ont de savoir-faire, plus instructifs sont les exemples qu'ils nous offrent... et il convient de les préserver très tôt de la corruption.

Paul KLEE. 1912

A huit ans on est en pleine forme, après on se prolonge.

PICASSO,

cité par Édith LALLEMAND - N° 28

L'art a ce privilège d'aller plus loin que la réalité et l'étonnant est que l'enfant sente cela sans se soucier jamais de le servir puisque son privilège est justement de l'ignorer.

Elise FREINET - N° 47

L'art n'est ni l'objet ni la nature, c'est ce qui est derrière, au-delà c'est le dépassement.

MEB - N° 72

Le modèle n'est ni au dedans, ni dans la nature extérieure : il est dans l’œuvre même.

ALAIN (Système des Beaux Arts)

Ce n'est pas une des moindres trouvailles de notre École Moderne d'avoir découvert à l'épreuve de la pratique, que la création artistique, loin d'être une activité exceptionnelle, est un fait courant qui témoigne, sous une forme un peu plus raffinée, de l'étonnante aptitude créatrice de l'enfant.

Élise FREINET - L'Enfant artiste

L'art n'est qu'une manière un peu plus habile, minutieuse, fervente de s'exprimer.

Art enfantin n° 28

On est artiste comme on est maçon au pied du mur, cuisinier devant son fourneau, et forgeron sursoit enclume.

Élise FREINET - N° 45

   

Que faisons-nous ?
D'où venons-nous ?
Où allons-nous ?
Et pourquoi la vie ?
Le secret reste bien gardé. Et l'homme s'agite, évolue, progresse, se multiplie, s'engendre. Il passe. Paradoxalement, il n'y a guère que l'art qui survive, que l'art qui parvienne à marquer, à tracer, à jalonner les chemins de cette quête éperdue et... désespérée jusqu'alors...

MEB-N°60

À propos du «beau »

Est-ce beau ? Les enfants ne se posent pas de questions subsidiaires. Ils sont au-delà des soucis intellectuels, à l'unisson de la nature qui a ses caprices et ses fantaisies, invente des organes superflus, des appendices exclusivement décoratifs, des mutations étrangères aux lois strictes de l'espèce, mais qui toujours, à travers remous et courants rétablit l'équilibre des choses vivantes : ça tient debout magnifiquement. Faut-il appeler ces créations «culturelles» ou les rejeter sans ambages au domaine des incohérences d'un instinct dominé par le fantasque et aussi par cet absurde enivrant, source inépuisable de la joie créatrice ?

Élise FREINET - N° 25

On peut couper en quatre les cheveux de la dialectique, à propos de la beauté, en quatre ou en mille, peu me chaut : on ne pourra jamais supprimer cette aspiration au fond de l'être humain, car elle lui apporte, s'il y est perméable, les instants les plus purs et les plus profonds d'apaisement et de plénitude.

Paulette QUARANTE - N° 45

Il n'y a ici aucune prétention à faire beau, sélect, démonstratif : nous proposons seulement des actes venus en totale sincérité.

Ils ont pour nous signification d'éducation naturelle et profonde qui délivre à la fois un ordre organique et dirigé, revalorisant sans cesse la fonction enseignante.

Élise FREINET - N° 13

L'enfant est à la lettre un révolutionnaire, un contestataire permanent et son grand pouvoir de contestation réside dans sa faculté de créer un monde nouveau, un univers sans limite.

Clem BERTELOOT - N° 68

La peinture enfantine cesse d'être naturelle dès que l'intention de REPRÉSENTATION l'emporte sur la nécessité instinctive de la PRÉSENTATION.

C. COMBET - N° 6

   

A propos de l'attitude du maître

Pour voir fleurir dans sa classe le libre dessin d'enfant il faut non seulement l'aimer mais en avoir le besoin. Et pour en ressentir le besoin, il suffit peut-être tout simplement de le laisser entrer.

Simone SENCE - N° 6

Laissez-vous porter par l'enthousiasme et ses manifestations .spontanées : admirez et faites admirer, aux enfants, aux parents venus vous voir, à vos amis... Communiquez votre foi ! Elle éduquera et portera toute la classe vers de nouveaux sommets. «L'art est la plus haute joie que l'homme se donne à lui-même» dit Karl Marx.

Jeanne VRILLON - N° 13

Oui il faut partir, nous enrichir toujours de tout ce que propose l'enfant. Aller avec lui vers l'avenir dans le sentiment d'une vocation de même essence que la sienne avec la certitude d'honorer l'homme dans l'enfant.

Élise FREINET - N° 6

Certains fruits sont précoces, d autres plus tardifs: Mais soyons confiants. Vos soins ardents et attentifs seront leur soleil d'octobre.

Jeanne VRILLON - N° 13

Que l'enfant voie dessiner autour de lui, qu'il puisse considérer les oeuvres de ses camarades, il se persuadera alors de l'éminence possible du langage dont il vient de découvrir la genèse.

Mais ce tâtonnement suppose une débauche d'expériences dont quelques-unes seulement seront réussies.

Et c'est ce qui effraie la scolastique qui a besoin d'apprendre aux élèves à dessiner à raison de deux heures par semaine. C'est comme si on espérait que l'enfant puisse apprendre à marcher en s'exerçant une heure par jour, ou à parler en parlant aux rares heures fixées par l'horaire.

Célestin FREINET - N° 9

(Une heure de dessin dans les horaires des collèges aujourd'hui qu'on veut réduire encore dans les horaires à venir !)

   

Le dessin dans la psychologie de l'enfant

Détrompez-vous, l'enfant est très peu dans la classe où vous l'installez. Il habite la terre. C'est un vrai vivant. Il possède le monde et le monde le possède.

Jacqueline BERTRAND - N° 46

L'enfant qui dessine, peint, brode, modèle librement, accomplit un véritable travail dans lequel toutes ses facultés se trouvent engagées et non seulement ses pouvoirs sensoriels, moteurs, imaginatifs, mais encore ses possibilités mentales et sensibles, son esprit et son coeur

Madeleine PORQUET - N° 7-8

Ainsi l'enfant se constitue à travers ses oeuvres. Y inventant, il s'invente, y choisissant, il se choisit.

Madeleine PORQUET - N° 9

Pour qu'il construise au fil des jours son futur, fait des apports du monde moderne et des racines ancestrales retrouvées, l'enfant doit s'exprimer mais aussi agir, se confronter avec les autres et aussi avec lui-même, dépasser le geste spontané pour accéder au geste librement choisi, dépasser la simple "permissibilité", comme ils disent, les gens savants, pour accéder à la fierté de celui qui sait reconnaître et faire siennes les qualités mêmes de la vie.

Paulette QUARANTE - N° 65

L'individu a besoin de réussir. L'échec est toujours destructeur et désorganisateur. 11 est la maladie, la souffrance et la mort.

Et l'individu veut vivre.

Célestin FREINET

Le dessin est un des moyens les. plus propres à nous révéler ce qui préoccupe l'âme enfantine.

CLAPARÈDE,

cité par Maurice PIGEON - N° 23-24

Le dessin est aussi un autoportrait inconscient. Il nous permet de voir comment le sujet se sent par rapport à l'objet qu'il veut dessiner, cet objet étant, en quelque sorte, une projection de lui-même.

Françoise DOLTO,

citée par Maurice PIGEON - N° 23-24

En guise de conclusion

L'enfant-artiste... Le mot artiste n'est là que parce que nous n'en avons pas d'autre à notre disposition.

M.-L. et P. CABANES - N° 25

L'enfant-artiste sera-t-il ou ne sera-t-il pas ?

Nous n'avons pas de position - ni prise, ni à prendre - mais nous avons des problèmes... qu'il est d'usage que nous tentions de résoudre ensemble !

MEB-N°89

 

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