Poésie dans la ville

L'encart Textes libres (p. 17) présente un choix de poèmes écrits par des enfants pendant la semaine d'animation appelée «Poésie dans la ville».

Comment cela s'est-il passé ? Comme F.R.3 Picardie nous a posé la même question, nous reproduisons quelques extraits de l'interview.

Christian. - Tout est venu d'une idée des enfants qui était de mettre en forme les poèmes qu'ils pouvaient écrire et cette mise en forme passait par, entre autres, la confection d'affiches sur lesquelles ils écrivaient et décoraient leurs poèmes. Ils ont eu aussi l'idée en observant leur commune de coller ces affiches aux lieux et places des affiches publicitaires et des débuts d'affiches électorales qui existaient. Alors j'ai pensé qu'il était important de donner à ce projet l'ampleur qu'il méritait et j'ai donc demandé l'aide d'organisations pour revaloriser encore plus le travail des enfants : au Centre d'Action Poétique (C.A.P. 80), aux Maisons de jeunes de Longueau et d'Amiens Sud-Est, à l'I.C.E.M. et à deux revues La Bonde et Poévie.
Le journaliste. - Cela fait beaucoup d'organisations. Comment s'est déroulée cette semaine ?
André. - Différentes manifestations se sont déroulées tout au long de cette semaine mais l'accent a été mis surtout sur l'expression des enfants à travers des points forts qui étaient une pièce de théâtre et une pièce de marionnettes qui étaient réalisées et interprétées par des enfants, mais aussi à travers des ateliers où les enfants pouvaient créer des instruments de musique ou s'exprimer par la peinture ou l'écriture ou la parole, etc. Cela se passait à la Maison pour Tous et on y tenait tout particulièrement car un des principaux rôles d'une telle maison c'est de permettre l'expression de toute une population et encore plus quand il s'agit d'enfants.

De la préparation au jour J

Depuis le mois de janvier nous étions au travail, enfants et adultes. Dans la classe Éric avait pris la responsabilité de la collecte des affiches-poèmes. Il avait écrit à d'autres classes du département, aux correspondants de Giromagny, aux classes avec qui on échange régulièrement des journaux scolaires : les textes, les affiches n'arrêtaient pas de nous arriver.
Le 20 mars toute l'école a voté : il fallait bien choisir ! Nous ne pouvions tirer toutes les affiches en sérigraphie. Ce vote a permis un premier échange très important sur la poésie entre les enfants : beaucoup de questions, beaucoup d'avis, de critiques, beaucoup d'envies aussi !
Plus le 30 mars fatidique approchait, plus .a classe ressemblait à une ruche : les derniers tirages du numéro spécial du Petit cheminot Poéville et du catalogue de l’exposition séchaient à droite et à gauche, transformant la classe en «sèche-papiers». Au C.M.2 on s'activait aussi : à chaque récré on fignolait encore et encore le Château hanté. Pendant les moments de peinture ou de travail libre, C.M.2 et perf. préparaient les décors, mettaient la dernière main aux costumes et aux marionnettes de L'Arbre sorcier.
De leur côté, les adultes ne chômaient pas non plus : les maisons de jeunes tiraient les affiches, le C.A.P. 80 préparait ses anthologies pour les classes, on réunissait et organisait la bibliothèque permanente dans les écoles. Des échanges très intéressants avaient lieu pendant les réunions de travail régulières qui se tenaient avec le groupe École Moderne et les autres organisations : centre d'action poétique, maisons des jeunes et les représentants des revues La Bonde et Poévie.
Et le 30 mars est arrivé ; tout était prêt : on n'est jamais prêt ! Dans une heure ce sera l'inauguration que nous avions conçue comme une rencontre. Nous étions là, adultes et enfants «responsables », fébriles, un peu anxieux dans cette maison de jeunes de Longueau lieu central de la semaine. Dans le foyer et dans le hall les 89 affiches-poèmes fixées sur des cartons pendus au plafond: aucune sé­lection ; elles y étaient toutes. Dans la grande salle, la documentation de la C.E.L. sur la poésie et l'expression libre, des numéros de Poévie, les affiches tirées, deux ou trois micros, quelques boissons, des «coins» délimités par des plantes pour pouvoir discuter, échanger. Et vers 18 h le flot a commencé à arriver : des enfants, des enfants, encore des enfants. Nous attendions surtout des adultes ce jour-là et il y eut autant d'enfants, heureux d'être là, parlant, expliquant aux autres, aux adultes, goûtant au champagne, faisant visiter l'exposition. La rencontre eut lieu aussi avec quelques «poètes», écrivains ou chanteurs.
Jean-Pierre DELERM et sa guitare nous donna un aperçu du «Cabaret» du dimanche à venir. Les officiels étaient un peu perdus. L'inauguration annonçait une semaine mouvementée et pendant la mini conférence de presse qui suivit nous donnions les principaux rendez-vous de la semaine et surtout celui du macadam-poème du lundi dans les rues de la ville.

CHRISTIAN

Un exemple de la démarche d'une des classes qui a réagi au projet et y a participé.

Particulièrement intéressé par la poésie au double titre de lecteur et de «poète» (pourquoi donc toute personne qui écrit régulièrement des poèmes ne pourrait-elle pas se dire poète ? Faut-il donc être publié et connu pour être poète ?), animateur depuis deux ans du Centre d'Action Poétique et de la revue Poévie, je me suis efforcé de créer et d'entretenir dans ma classe un climat propice à la création poétique et d'organiser le lieu et le temps pour que la poésie y soit présente en permanence : bibliothèque, affiches, fichier de poèmes, cahiers individuels et collectifs, réalisation de montages poétiques en liaison avec la musique, le mime, l'expression corporelle et les arts plastiques... Et je crois y avoir partiellement réussi...
Mais la sclérose guette l'enseignant trop peu méfiant. Il doit y faire face, provoquer et exploiter des interventions surgies du groupe-classe.
Après la visite d'une imprimerie, l'accueil de deux poètes, la réalisation de plusieurs spectacles en collaboration avec des comé­diens, la proposition de la classe de perf. Anatole-France de Longueau fut accueillie avec un enthousiasme unanime. L'affiche-poème restait l'un des domaines de l'activité poétique les moins exploités dans ma classe. Je m'en étais peu préoccupé et les enfants semblaient désintéressés ou angoissés par de grands formats. L'appel de leurs camarades de Longueau fit oeuvre d'explosif: 8 élèves sur 14 réalisèrent des affiches-poèmes, certains plusieurs.
Motivés par l'aspect collectif de l'entreprise (des dizaines de classes y participèrent) et par la possibilité d'exposer à des centaines de personnes ce qu'ils avaient fait, les enfants se sentirent vite parfaitement à l'aise devant la feuille vierge. La plupart du temps, ils préparaient une maquette sur une feuille 21 x 29,7 et en discutaient avec leurs camarades. Cela semblait les sécuriser. Certains inventèrent le poème en même temps que le dessin. La majorité reprit un dessin déjà inventé.
Deux ou trois élèves refusèrent au dernier moment de donner leur affiche pour l'exposition et préférèrent l'offrir à leurs parents. Les enfants montrèrent une grande exigence pour le soin du travail, ce qui explique le nombre restreint des réalisations malgré les nombreuses heures consa­crées à cette activité. Celle-ci se poursuivit d'ailleurs bien au-delà de la semaine Poésie dans la ville et aboutit à la fin l'année scolaire à une exposition affiches-poèmes présentées dans le cadre a fête de l'école.
Tous auraient voulu participer au collage sur les murs de Longueau et aller voir l’exposition. A cause des difficultés de transport, quatre d'entre eux durent être délégués par leurs camarades. Ce sont ceux-là qui proposeront, pendant les derniers jours de classe, d'organiser à Longpré-lès-Amiens une manifestation similaire.
Peut-être pourra-t-on concrétiser ce souhait partagé par tous au cours de la présente année. Une autre classe est déjà prête à participer activement au projet.
Quoi qu'il en soit, la semaine Poésie dans la ville aura eu des répercussions considérables au niveau de la classe: les enfants : sortent sécurisés et valorisés, plus curieux. Ils ont aussi une conscience plus juste de l'importance des rapports poème-espace. Ils désirent enfin prendre en charge un projet d'animation poétique dans le quartier. Sans aucun doute, nos activités poétiques seront plus variées et fructueuses cette année.
Merci aux élèves de la classe de perf. A-France de Longueau et à leur maître.

JEAN-PAUL

« Macadam-poème», fête dans la ville

Les élections cantonales venaient de se terminer. La ville était couverte d'affiches à recouvrir et la municipalité nous avait laissé les panneaux électoraux. Un itinéraire avait été prévu à partir de l'emplacement de ces panneaux et le cortège se mit en branle. Le garde-champêtre était là pour veiller à la circulation. Des musiciens venus d'Amiens épaulaient les enfants qui avaient amené les instruments construits dans les classes ; les enfants-sandwiches nous signalaient à l'attention comme si ce petit monde «bizarre» ne surprenait pas déjà la population sortie sur le pas de la porte, malgré l'orage qui menaçait. Et ce fut le collage sur les panneaux électoraux, les murs, les poteaux, le parking du supermarché, le parking des routiers et les affiches qui vont partir très loin collées sur le camion. La musique, la colle, les affiches, les tracts-poèmes distribués au hasard des passants, les journaux scolaires vendus à la criée. Et ce fut l'orage, le retour précipité à la maison de jeunes, le chocolat chaud. Mais le collage reprit une fois les dernières gouttes tombées. On peut même dire qu'on colla toute la semaine, remplaçant çà et là les affiches déchirées. Il faut dire que les affiches ça se déchire (surtout quand certaine personne, enseignant de surcroît, conseille aux enfants de le faire !).
La soirée du mardi et la journée du mercredi furent consacrées aux ateliers.
Trois avaient été mis sur pied pour la journée entière : atelier peinture, atelier musique et atelier d'écriture. Nous n'avions d'ailleurs pas exclu au départ qu'il puisse y avoir échange entre les participants à ces trois ateliers mais cela ne s'est pas fait en réalité. Nous ne fûmes pas étonnés de constater que l'atelier qu'on avait baptisé - à tort certainement pour les enfants qui ne voyaient pas bien ce qu'on pouvait y faire à part le fait d'écrire - «atelier d'écriture» fut le moins fréquenté. Faut-il en conclure que, à l'image de ce mercredi, le moyen d'expression par l'écriture (ici poétique) est le parent pauvre d'une famille où expression plastique et musicale se taillent la bonne part du gâteau de la créativité (qu'il ne faut surtout pas prendre pour une tarte à la crème !). Certes non, car les enfants qui jouèrent avec nous et avec les mots ce mercredi à l'atelier dont nous étions responsables prirent autant de plaisir que leurs camarades des autres ateliers.

JEAN-FRANÇOIS

Animer un atelier d'écriture avec des enfants totalement inconnus ayant de 6 à 12 ans, à l'extérieur de la structure sco­laire ? Cela me tentait beaucoup, mais en même temps j'avais peur. Peur que les participants s'ennuient, peur qu'ils chahutent, peur d'être trop directif... Quand on ignore tout du passé familial et scolaire des enfants, jusqu'à même leur âge et leur nombre, et qu'on ne peut être guidé par aucune expérience personnelle du même type, sans aucun doute on a peur. Heureusement, nous étions deux animateurs et nous nous connaissions assez bien.
D'énormes surprises nous attendaient...
10 heures... Aucun enfant ne se présente à l'atelier d'écriture.
11 heures... Personne.
12 heures... Nous allons manger; un peu déçus mais surtout perplexes ! L'information a-t-elle été satisfaisante ? Les enfants savaient-ils ce qu'est un atelier d'écriture ? L'après-midi apporta des éléments de réponses.
Trois enfants de 7 à 10 ans arrivent. De toute évidence ils ont peur. Ils ressortent puis ils rentrent. Ils semblent énervés. Je leur parle des activités possibles et leur propose d'essayer: «On repart quand on veut». Ils acceptent.
Après une lecture de quelques textes extraits de livres qu'ils semblent feuilleter avec plaisir, nous leur proposons un jeu sur la structure : « Compère qu'as-tu vu ? » Puis les langues se délient.
Des textes spontanés surgissent. Sur le cirque. Alors on dessine le cirque sur une grande feuille. L'atmosphère est détendue. Personne ne désire s'en aller.
15 h 30: nous proposons de découper des mots dans des journaux et des revues et de les coller comme on veut sur des grandes feuilles. Le découpage plaît beaucoup. On choisit les mots avec en­thousiasme. Mais le collage s'avère plus délicat. «Ça ne veut rien dire.» «C'est bête.» ,On gaspille du papier. » « Oh, mais ça ne va pas ? tu colles tout à fait de travers.»
17 h : on essaie de jouer avec des instruments de musique. Mais la tension est trop grande. Il vaut mieux se quitter. Alors les enfants repartent, surpris de l'heure passée trop vite, étonnés aussi d'avoir pu inventer autant de textes. «C'est la première fois. C'est bien. Dis, on peut revenir mercredi prochain ? »
Non, les enfants, c'est impossible. Car voyez-vous, nous ne sommes pas animateurs C'était pour du beurre. Remarquez, a existe des animateurs, si on les paie... Seulement ...
A moins que... la municipalité !... ou le Conseil Général... Enfin, on ne sait jamais, on verra bien.
Et puis, dites, les enfants, pourquoi n'en feriez-vous pas autant à l'école ? Gaspiller du papier, coller de travers, dire des choses qui ne veulent rien dire... Peut-être que votre instituteur voudrait bien s'amuser, lui aussi... Oui, c'est ça, parlez-lui de notre atelier...

En guise de conclusion: la fin de l'interview de F.R.3 Radio-Picardie midi

Le journaliste. - Quels sont les constats que vous pouvez faire après avoir vécu cette semaine de poésie avec les enfants ?
Christian. - Nous pratiquons régulièrement l'expression libre dans la classe avec une motivation qui est le journal scolaire mais j'avais remarqué que les textes individuels ou collectifs de poésie étaient assez rares. C'est pour cette raison qu'au début de l'année scolaire avec l'aide du C.A.P. 80, j'avais essayé de mettre l'accent là-dessus, mais ce qui nous paraît important par rapport à cette semaine poésie ce n'est pas l'événement dans le fait qu'il est exceptionnel, c'est beaucoup plus les constats que l'on peut en faire et les prolongements, la nouvelle pratique quotidienne qui va en découler.
Jean-Paul. - Le premier constat est positif : de nombreux enfants sont venus, ont participé aux différentes activités, aux ateliers, de nombreux parents se sont également intéressés à la semaine ou ont accompagné les enfants et sont venus voir l'exposition mais il y a un aspect négatif: on a constaté au niveau des ateliers un blocage énorme des enfants devant une feuille de papier pour peindre, devant du bois ou des instruments pour jouer, ou devant un micro au niveau de la poésie orale. D'où vient ce blocage? Nous, on constate simplement que dans l'état actuel des choses, on ne permet généralement pas aux enfants de s'exprimer régulièrement et dans de bonnes conditions matérielles et psychologiques car il nous paraît absolument aberrant que des enfants de 8, 10 ans se retrouvent devant une feuille d'un mètre sur deux, sans savoir qu'on peut en faire quelque chose.
Journaliste. - C'est vrai pour les enfants, ça l'est peut-être encore plus pour les adultes. Est-ce que vous, vous écrivez ?
Christian. - Oui nous écrivons, mais le problème, ce sont ceux qui n'écrivent pas et en particulier les enfants qui n'écrivent pas et n'écriront pas quand ils seront adultes. Il serait donc intéressant qu'à la suite de cette Semaine, les ateliers que l'on a mis en place et que les enfants réclament encore, puissent se poursuivre.
Journaliste. - Qu'attendez-vous de la poésie ? Pourquoi tenez-vous à ce qu'elle soit vivante pour les enfants ? Quelle utilité ?
Jean-Paul. - Nous pensons qu'il n'y a pas d'avenir pour notre société si nous n'avons pas préservé un minimum de racines pour l'individu et c'est encore plus vrai pour les enfants qui sont de plus en plus agressés, manipulés et qui ont de plus en plus de mal à s'y retrouver. En leur permettant d'accéder au langage poétique et de jouer avec le matériau poétique, ils vont pouvoir s'y retrouver et exprimer toutes les choses profondes, toutes les angoisses qu'ils ont à exprimer et que les adultes n'écoutent jamais, d'où l'importance de telles initiatives, d'où l'importance de la démarche du C.A.P. 80, de l'I.C.E.M...

Ce travail a été réalisé grâce à la participation de la classe de perfectionnement A.-France de Longueau, du C.E. P.-Baroux de Longueau, de l'école de Longpré-les-Amiens, de Francis CAMPION, Jean FOUCAULT, Jean-François LAVALLARD, Jean-Paul LEVASSEUR, Guy LHEUREUX, Françoise LONGEART, André MUSETTE, Christian PETIT, Françoise PLET, Françoise RICHON et Danièle VANGERMÉ.

 
 
 
 
 
 

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