Michel Bertrand est mort à Mons
À l’ombre d’un arbre
Le 25 août 1979
Mais ce que nous avons mis en terre, ce n’est que l’écorce de Michel B.,
Seulement la défroque provisoire qui fait couler nos larmes,
Seulement le masque.
Reste MEB poète à qui la mort donne sa vraie dimension, efface les bavures,
gomme les ratages et délivre intacte et pure la pensée dans le silence
-la pensée privilège-
-la pensée privilégiée qui est la marque de notre combat à tous,
l’héritage de Freinet, le don unique pour nos enfants, le signe qui nous réunit,
la trace indélébile que laissent derrière eux les vivants et les morts,
-la pensée-liberté que MEB après Élise Freinet a constamment fait éclater
dans les pages d’Art Enfantin.
Aujourd’hui, exceptionnellement, nous mordrons quelques pages d’Art Enfantin
pour laisser éclater grâce au silence des enfants les cris de MEB.
   
 

L’ARBRE DONT JE NE M’ÉLOIGNERAI JAMAIS

J'aurai un arbre dans le corps
quand je s'rai mort
et que ma graine
aura mûri d'un chêne

J'aurai un arbre dans le corps
pour faire le vent
et que le temps
bourgeonnera encore

J'aurai un arbre dans le corps
moi jamais mort
et toujours beau
coiffé de chants d'oiseaux

J'aurai un arbre dans le corps
au cimetière
et ma prière
craquera de bois mort

J'aurai un arbre dans le corps
planté bien dru
au ventre cru
de mes défunts transports

J'aurai un arbre dans le corps
pour m'ombrager
et m'abriter
m'ôter le mauvais sort

J'aurai un arbre dans le corps
avant que flanchent
mes quatre planches
de pauvre sycomore

J'aurai un arbre dans le corps
de ceux qu'on sème
nus sans décors
dans les cris quand on s'aime

J'aurai un arbre dans le corps
de quelque ami
dont les semis
se souviendront encore

L'arbre qui sera dans mon corps
un beau matin
il sera mort
il faut en faire un deuil

Et quand il sera mort mon arbre
de son bois dru
comme ma barbe
qu'on en fass' ton cercueil

Je n'ai fait que semblant d'avoir des ailes
des élans bienheureux de bagatelles
qui vous font croire alors à trop de zèle

Faire semblant de rire me désole
et semblant d'être fâché. Est-ce que
faire semblant de pleurer me console

pour avoir à pleurer sur des vraies peines
comme j'ai dû trop bien faire semblant
pour voir saigner de rougeoyantes veines

je n'aurai plus jamais que le désir
de mes baisers sur tes paupières pire
je ferai bien semblant de t'écouter

tu ne reviendras pas dans ma maison
à cause de l'ombre et de la poussière
mais je ferai semblant d'avoir raison

nous mourrons comme des reptiles
lorsque viendra l'aube si douce

Enroulés au long de nous-mêmes
fiers et prudents dans nos devoirs
indifférents aux cris blasphèmes
déjà bien habitués au noir...

Je suis lié par des mots
j'ai fait trop de bruits
et je n'entends plus mes paroles

Je suis lié par mes rêves
j'ai vu trop de cris
ils m'ont scié doigts et mains

Je suis lié par mes attentes
j'ai fait un seul éclat
et je n'offre plus de lumière

Je suis lié par mes images
j'ai brouillé le paysage
et les frissons de sang crèvent

J'ai l'absence rivée
aux frissons de ma peau

C’EST UN PET…

            I

Je n’ai jamais su faire
que gueuler dans un trou
un grand trou dans la mer
rempli de rien du tout

que recevoir à peine
un écho de ma voix
qu’une chanson qui traîne
et qui cherche sa voie

j’fais du bruit pour rien dire
j’enguel n’importe qui
parfois je fais sourire
on m’envoie : c’est exquis

c’est bien fait pour ma gueule
j’ai mal choisi mon trou
ce trou pour moi tout seul
rempli de rien du tout

            IV

L’homme qui va venir
n’aura pas de jardin
pas l’ombre d’un sourire
pas l’ombre d’une main

comme loups dans la horde
l’homme qui vient danser
fait un nœud dans la corde
pour mieux se balancer

je suis venu pareil
tout nu tout déconfit
ma présence au soleil
c’est un pet comme on dit

et la voilà l’issue
la grande porte ouverte
la gloriole qu’on sue
et puis rien Adieu Berthe !

PRÉMISSES ET PRÉMICES DES DÉSERTS

Je vais sans doute et sans ferveur
cesser de respirer à coeur ouvert
pour ne plus désirer l'air
que j'ai rejeté déjà goûté
et refoulé

Je vais sans doute et sans chaleur
cesser de voir en yeux rieurs
pour ne plus contempler les images
que j'ai caressées à jamais froides
et foulées

Pourtant je te promets
de jamais te haïr

Je pars dans les déserts la tête froide

... D'avoir été la feuille
soulevée dans le vent des intérêts
produits d'un capital agent double

... De ne plus être dans le vent
des mutuelles tempêtes

mais seulement celui battu
dans les déserts aux cactus rouges

je n'ai plus de mots ni de chants
que des paroles vertes pas mûres

Plus aucune salade
Non merci ! jamais de vinaigre !

   

IL FAUT

j'y consens bien
que les déserts soient immenses

- on va nous voir...
- et jamais nous entendre !

Mais les amours des Dieux
ne meurent jamais tristement
NON

Les Dieux ne meurent pas faute de respirer
mais faute de regards et de chants caressés
mon désert ne peut pas cacher mes cris si lourds
mes cris qui ne sont que des cris
jamais cachés et jamais nus
des cris à découvert
et non voilés

comme tu le sais faire
             comédien accompli
dans tes jardins artificiels

moi
mes ciels d'artifice
sont des fêtes mourantes

je n'ai pas confiance aux choses cachées

et ne s'éclairent plus que des cris

FIN EXIT SORTIE et REMEMBER

   

A chaque fois j'ai peur
de me souvenir
d'avoir mordu dans ton fruit
d'y avoir porté mes lèvres
de t'avoir brûlé

Dans les déserts les fruits
            ont des ombres immenses

J'aimais l'hymne chanté de nos chairs communes
Il nous faudrait encore des rêves bleus communs
au lever du Soleil un bout d'hiver encore
atteint à force de temps
            et d'espace

NON les Dieux ne rneurent pas
d'une façon commune

mais d'un commun effort
            dans un commun oubli
            chacun effaçant l'autre
et jusque dans leur ombre
dans
le souffle des noms qu'ils ne porteront plus

S'envoient-ils aussi
SANS PLUS SE RECONNE ÊTRE ?
             sans plus se re con naître ?
             sans plus
sans n'être plus sang moins
            égale faim

Amoureux des échos
            des ondes des sillages
de l'ombre noire portée dans le contre Soleil

je t'aimais pour m'avoir aveuglé de lumière
si bien que le désert me devient familier

Laisse-moi dire :
j'ai peur
d'avoir à dire tout ça !

je répète le texte que je ne saurai dire

Les voyages qu'on fait
            violent des vierges redoutées

 

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