Cinéma

Des yeux habiles

Les expériences de création cinématographique, mises à part celles concernant les travaux dits «amateurs», faites en dehors des circuits commerciaux habituels sont nombreuses. Si beaucoup ne font que répéter les genres cinématographiques établis, des recherches originales se développent pourtant, en France et à l'étranger.
Citons pour mémoire les travaux de James Blue ou de Richard Reacock aux Etats-Unis, ceux de Christian Zarrifian de Jean-Pierre Beauviala ou de Jean-Luc Godard.
D'autres expériences, menées avec plus ou moins de suite ont été faites à partir de la vidéo (enregistrement magnétique des images).
On le voit, l'idée de substituer partiellement au système actuel où une minorité habile et bien équipée fabrique des messages audiovisuels pour une majorité silencieuse, un système d'échanges d'informations dont la nature est très variée mais dont le support reste le film ou la bande magnétique, cette idée avance sûrement. l'École Moderne a sa place dans ce vaste mouvement ,car dès 1926, Freinet et Daniel échangeaient des films 9,5 mm réalisés dans leurs villages respectifs et donnaient une dimension nouvelle à la correspondance interscolaire. La création de la Cinémathèque de l'Enseignement Laïc (C.E.L.), quelques années plus tard, montrait déjà le souci qu'avait le mouvement de l'École Moderne d'intégrer le cinématographe au travail scolaire et il est émouvant de relire aujourd'hui la correspondance des pionniers girondins de cette technique car on y trouve par exemple, dans une lettre de 1930 : « L'idéal serait de faire réaliser des films aux enfants comme on les fait écrire » Depuis, jamais dans le mouvement, n'a été perdue de vue l'importance de la création audiovisuelle dans les domaines du son, de la photo, du film.
Rappelons encore ici les «films C.E.L. de 1949 à 1952 voir encadré) ainsi que les débuts prophétiques de la commissions « Radio » de l'I.C.E.M. en 1947, la ténacité et l'ingéniosité de Pierre Guérin et de Gilbert Paris qui nous dotaient d'un excellent magnétophone qui devait donner le départ à une extraordinaire moisson de documents sonores et à la création de la B.T. Sonore. en même temps, dans ce qui était devenu « la commission moyens audiovisuels» s'amorçaient les expériences réalisation de films à l'école. Dès avant 1960, M. Tabet réaliser des films 8 mm dans sa classe et dans les années 65, Alain Hymon ouvrait la voie à la réalisation super 8 avec des films d'animation et de « fiction ».
Enfin, avec une sérénité remarquable, Marc Guétault inventait, voici plus de  10 ans, une technique de réalisa­tion de films animés bien adaptés aux enfants (cf. SBT n° 387).
Nous n'aurions garde d'oublier ici nos camarades de l'OCCE et, en particulier, Jean Guézennec, qui, depuis plus de quinze ans fait réaliser des films d'une qualité remarquable par ses élèves du lycée Corneille de Rouen.

La création audiovisuelle

Ainsi, au fil des années, se maintient cette ligne qui nous semble essentielle et que Freinet définissait ainsi : « L'audiovisuel, pour être efficace, doit être abordé par la création à condition de disposer d'outils bien adaptés à l'entreprise et d'appliquer des règles techniques simples mais solides».
Cette simple phrase contient, en fait, l'essentiel de la question posée par la réalisation du film à l'école. Pourquoi la création cinématographique est-elle le meilleur moyen d'aborder la connaissance de l'image ? Il serait trop long ici d'entrer dans les détails d'une réponse complexe. Mais en schématisant à l'extrême, on peut dire que l'utilisation traditionnelle de l'audiovisuel à l'école laisse l'enfant passif face à l'image qui lui est proposée. Certes, cette image est discutée, commentée mais son « code » est accepté par l'enfant en tant que récepteur. I1 ne tient que le bout d'une corde dont il ne voit pas le point de départ et cette corde peut le conduire n'importe où. Nous prétendons qu'il faut aussi qu'il soit, parfois, l'émetteur du code car il en comprendra mieux et les difficultés et les subtilités. Il nous semble indispensable que l'enfant mesure, par sa propre activité, le double pouvoir de l'image qui fixe un instant ou un lieu puis qui les restitue en des durées et en des endroits complètement différents. Démythifier le cinéma, c'est sans doute, essentiellement, prendre conscience de cette « irréalité-vraie » du film. Et cela ne peut se concevoir qu'en suivant, de bout en bout, la chaîne de fabrication.

Faut-il se lancer dans la réalisation de film

sans un apprentissage des règles générales de cette réalisation? Nous répondrons catégoriquement non.
Des expériences nombreuses nous ont prouvé :
1° - Que des classes habituées au maniement du son et de la diapositive obtenaient, d'emblée, de meilleurs résultats cinématographiques.
2° - Une pratique assez développée de l'expression libre sous toutes ses formes était indispensable.
3° - Une bonne connaissance des règles simples de l'image, menée à partir de la bande dessinée par exemple, donnait une grande efficacité au film réalisé.
Sans doute, faut-il s'accorder sur ce qu'on peut appeler «l'efficacité» d'un film. Un film sera efficace lorsque les intentions de l'auteur seront clairement perçues par le spectateur. C'est une règle essentielle hors de laquelle on n'aura toujours que des brouillons de films. Or, ce que nous voulons, c'est développer une création cinématographique qui soit une branche à part entière de l'art enfantin dont elle peut, d'ailleurs, faire la synthèse. I1 nous semble donc très important que le film naisse dans une atmosphère de classe habituée à la création, pour s'échapper des schémas traditionnels du film.

La réalisation est-elle difficile ?

Les problèmes techniques sont relativement simples donc. L'essentiel reste 1a conception du film. On peut partir d'un texte libre ou d'un travail de la classe : il nous semble indispensable que le point de départ soit l'enfant. Les grandes lignes du film sont tracées. On procède ensuite au découpage qui est le travail le plus délicat car il faut traduire en images ce que l'on voudra faire éprouver au spectateur. Cet « exercice» peut être fait par toute la classe et guidé par le maître qui devra toujours veiller à la clarté du message proposé. Ce découpage en séquences et en plans peut être élaboré à partir de découpages de films existants qui serviront de modèles. Cela fait, on part en campagne avec des équipes spécialisées (éclairage, secrétaire, opérateurs, chronométreurs et... acteurs, au besoin). Reste le plus important, le montage. A la réception des bobines, on les projette, on les critique, on retient la meilleure séquence (qu'on aura pris soin de numéroter à la prise de vue). A l'aide d'une visionneuse à main une ou plusieurs équipes de deux ou trois enfants collent les meilleurs passages en tenant compte du rythme qu'ils veulent donner au film. Cela peut se faire très vite (quelques heures).
Il existe aujourd'hui, sur le marché, d'excellents appareils de prises de vues qui font tout : la mise au point, le cadrage ou le calcul des distances. Il suffit de choisir celui qui est le moins sophistiqué, qui comporte un minimum d'éléments (photographie vue par vue, variateur de vitesses, zoom de qualité), de se munir d'un bon pied bien lourd, de deux appareils d'éclairage de 1000 watts et de réflecteurs de lumière en papier « alu » et vogue la galère ! C'est plus facile que d'imprimer ! Sans doute est-ce plus coûteux. I1 faut compter environ 10 F la minute de projection mais les sommes investies sont facilement récupérables lors d'une projection publique par exemple.

Productions ICEM

Aujourd'hui, nous pouvons mesurer le développement de cette technique puisqu'à notre connaissance, dans l'I.C.E.M., les productions de films peuvent se répartir ainsi :
- films d'animation : .......................................                30
- films de fiction :           .......................................         50
- films de reportage :        ....................................          11
- films de « recherches » :       ..............................         10
Soit au total une centaine de films répertoriés depuis huit ans. Une vingtaine de réalisations sont annoncées.
C'est très peu par rapport au nombre de classes pratiquant l'expression libre. I1 faudra un jour s'interroger sur les causes profondes de ce divorce entre l'École Moderne et le film. Mais c'est beaucoup, si l'on considère la relative nouveauté de l'entreprise. Une centaine de camarades nous sont par ailleurs connus.
Les sujets des films sont très variés. Les reportages, qui sont souvent une manière de démarrer l'entreprise, concernent les milieux où vivent les enfants (la ville, le village, la classe de neige, le journal scolaire, l'organisation de la classe ; des usines ou des ateliers). Les films d'animation débordent d'invention. On en jugera à travers ces quelques titres : « A la chasse», «L'arbre», « Au zoo », «La bulle », « Caroline» (poupées animées), Pédali-pédalo », « Famille fleurs à la mer», «La mort du Soleil», etc.
Les œuvres de fiction sont aussi d'inspiration très variées.
Elles abordent les problèmes des pré-adolescents ou des adolescents. Elles sont des mises en images de contes, de chansons, de poèmes. Chez les plus jeunes elles sont souvent des parodies critiques de grands genres cinématographiques.
L'inventaire serait évidemment trop long à faire ici, mais il prouve la richesse de la voie que nous suivons. Certes, bien des problèmes demeurent, le plus important étant de développer notre action. 11 faut, pour cela, faire circuler des films mais les copies coûtent cher. Il faut organiser des circuits d'échanges (mais qui veut s'en charger?) ; il faut multiplier les projections publiques dans toutes nos manifestations : bref, il faut des bras pour nos yeux ! On embauche chez Jean Dubroca, 1, allée Leconte-de-Lisle, 33120 Arcachon. Mais nous avons le temps car l'avenir est pour nous...

J. D.

LA C.E.L. ET LE CINÉMA

C.E.L.: Cinémathèque de l'EnseÎgnement Laïc. C'est à Bordeaux que le noyau. réside. C'est en 1928, après le Congrès de Paris, que « cinémathèque, radio et imprimerie à l'école » fusionnent pour former la CEL : Coopérative de l'Enseignement Laïc.
Le Pathé-Baby : 9,5 mm, c'est l' âge d'or du cinéma à l'école. La prise de vue, la technique du tournage, la projection et le matériel (il y a même une caméra-projecteur !) sont simples, solides, bon marché. Aucune complication, aucune sophistication, aucun snobisme. Malheureusement le profit et le «progrès », la tête en bas ont fait disparaître cet âge-là !
1948: « L'École Buissonnière» de J.P. Le Chamois, c'est une bonne expérience de collaboration. Dés cette époque, nous pensons avec C. Freinet à produire sur deux plans ;
* pour mieux faire connaître la pédagogie Freinet et pour que le cinéma participe à la formation des jeunes et des nouveaux
* produire pour les enfants, et dans la plus grande part possible, avec eux.
Nous créons « Les Film CEL » avec un budget à base d'actions coopératives. Près de l'école du Pioulier à Vence, un studio est aménagé (tournage, salle de montage, projection). De nombreuses réalisations sont mises en chantier jusqu'à 1954 où toutes les activités cinématographiques ont cessé sans jamais reprendre.
* Productions «pédagogiques»
- LE CHEVAL QUI N'A PAS SOIF que j'ai réalisé en deux temps : à Paris avec Y. Georget et G. Theuriet, à Vence pour la partie « classe » : on y voit C. Freinet qui fait la classe.
Noir et blanc, 15 mn environ, sonore 16 mm..
- LE LIVRE DE VIE DES ENFANTS DE L'ÉCOLE FREINET J’ai mis en images des textes libres quotidiens des enfants et avec eux : en couleur. 30 mn environ. Sonore 16 mm.
Tout un plan de travail de mise en images des « Dits de Mathieu» de C. Freinet avait été élaboré.
* Productions «pour les enfants »
- SIX PETITS ENFANTS ALLAIENT CHERCHER DES FIGUES
Film de 30 mn en noir et blanc, sonore 16 mm que j'ai réalisé avec les enfants de l'École Freinet : ils en sont les acteurs.
Ce film a obtenu le premier prix de sa catégorie (filles de 7 à 10 ans) au Concours International de Paris (Grand Prix « Crin Blanc»).
- LA FONTAINE QUI NE VOULAIT PLUS COULER
Réalisation originale d'animation de statuettes faites par les enfants de l'École Freinet, film de 30 mn en couleur sonore 16 mm.
Ces films peuvent encore être projetés dans de bonnes conditions techniques (16 mm sonore optique). Mais depuis cette époque, la production cinématographique n'est plus devenue qu'une aventure financière...
En 1964-65 une nouvelle expérience de réalisation avec les cinéastes Rebillard et Thaler : Les Productions de Touraine. Trois films sont diffusés
- Au matin de la vie
- Genèse
- Le Poème d'exister
en 16 mm noir et blanc sonores optiques d'une durée de 30 mn chacun. Réalisés à l'École Freinet de Vence. Les Productions de Touraine n'existent plus.

M.E. BERTRAND

 
 
 

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