LA MUSIQUE

On en a besoin

TOUT LE TEMPS

« Chanter, c'est comme rire, c'est passer un moment heureux, joyeux. J'écris une chanson comme je dessine ou touche de la terre, tout simplement pour moi et les autres. Je ne cherche pas à comprendre pourquoi j'écris et je chante. Chanter pour moi, c'est être heureux de créer et de proposer. »

Ces quelques lignes de Dominique montrent l'importance du « fait musical» (ici la chanson accompagnée de guitare) dans la vie de l'adolescent et prouvent que ce  « fait musical » est possible dans les classes du second degré.

Il y a, je crois, au niveau des créations de ce genre, deux besoins essentiels : l'expression d'un moi profond, une espèce de vibration de l'être qui, pour être perçue de façon presque totale et intime par les autres, le groupe classe par exemple, a besoin d'être « portée », transmise, par la musique, et la volonté de communication, peut-être à un niveau plus sensible et même certainement plus sensuel que lorsqu'il s'agit d'une expression écrite, simple (on atteint au domaine de la sensibilité poétique). Bien entendu ces besoins (au sens vital du mot) ne peuvent éclore et vivre que dans un climat propice de confiance, de communication, de chaleur humaine. On éprouve rarement l'envie de se dire profondément à des gens avec qui on n'a pas d'affinités particulières ou qu'on ne connaît pas.

Les chansons présentées dans le disque ICEM n° 12 offert à tous les abonnés ont été créées dans des classes du second degré, de la 6e à la terminale

Dire que ce ne sont pas n'importe quelles classes, voire n'importe quels maîtres peut paraître prétentieux mais il est certain que ces créations n'auraient pu voir le jour sans le climat chaleureux qui a animé les groupes dont ont fait partie les auteurs.

Ce ne sont pas non plus des créations fortuites.

 « Chanter c'est comme dessiner... », écrire... et à ce titre c'est un moyen d'expression dont l'enfant dispose, comme de l'écriture, de la danse, etc., et c'est dans ces conditions que les chansons sont nées. Elles ont été créées dans des classes de «français» (CEG et lycée) et non pas dans un cours de musique. Elles devraient pouvoir l'être aussi et surtout dans ces mêmes cours ! Elles sont nées d'un besoin qu'avaient ces jeunes gens et ces jeunes filles de dire, de se dire.

Le texte a parfois précédé la musique, soit chez l'auteur lui-même, qui a écrit et ensuite créé une mélodie, soit de la part d'un autre camarade qui s'est vu proposer un dépassement de son texte grâce au support musical. Mais la plupart sont nées d'emblée sous la forme de chanson. Elles sont enfin chansons et non textes accom­pagnés de musique. Elles ont été ensuite proposées au groupe et reçues par lui, dans ce contexte d'interpéné­tration des propositions d'autrui, dans ce contexte d'accueil qui existe dans nos classes. Je veux dire par là qu'il n'y a vraiment aucun caractère d'une quelconque « consom­mation » à ce niveau tout comme aucun des auteurs n'est vedette ou tend à vouloir l'être. Non ! I1 s'agit d'un message d'un peu de soi qu'on offre aux autres comme l'écrit Évelyne :

« Quand je chante, c'est un peu de mes rêves qui s'en vont loin de moi, qui s'échappent et que je ne cherche pas à rattraper. Et même si ma voix ne plaît pas à tout le monde, je m'en fiche, je peux au moins dire que je n'ai pas peur de la vie, que je n'ai pas peur du monde. Et si il y a au moins quelqu'un. qui peut m'aider, je ne l'appellerai pas et je ne le retiendrai pas ; il viendra près de moi, il m'accompagnera puis il s'en ira... »

 Les moments de ces échanges sont toujours d'une grande richesse émotionnelle. Mais il n'y a pas d'acceptation béate. On discute, on critique, on propose, on aide. C'est ainsi que bien souvent le premier «Jet » est repris, amélioré, transformé. L'auteur « retouche » son texte, cisèle sa musique, non pas pour faire plaisir aux autres, ou pour satisfaire à une mode, mais parce qu'il sait qu'il vit en confiance, que les autres ont perçu son appel, sa joie, sa tristesse et qu'il faut aller plus loin.

Cette idée de dépassement, de volonté de perfection, est quoi qu'on veuille dire des adolescents, profondément ancrée en eux, s'ils savent qu'ils seront accueillis, soutenus, encouragés, aimés. Et j'ai vu de ces collaborations entre élèves de 6° et de 3° qui faisaient chaud au cœur à tout le monde ! Et je me souviens d'une élève rebutée par " l'apprentissage du piano " qui, après avoir abandonné deux ans, a éprouvé le besoin de le reprendre avec enthousiasme parce que les chansons qu'elle avait pu faire, accompagnées de guitare, ne lui suffisaient plus. Il lui fallait pour pouvoir inventer autre chose un support technique qu'elle n'avait pas et qu'elle désirait obtenir maintenant.

J'ai vibré moi-même, du même enthousiasme qui animait mes élèves lorsque, tous ensemble, nous reprenions, pour notre plaisir, des chansons, des mélodies qui resteront en nous comme autant de moments de bonheur.

Il est possible donc, nécessaire, essentiel, de créer, de goûter, de vivre la musique en classe avec des adolescents, Cette musique naît, comme support à des textes simples, poétiques, d'une sincérité et d'une spontanéité sans artifices. Elle peut être aussi support d'un montage de textes, de photos (à ce moment elle est créée par les élèves à l'aide d'instruments qu'ils fabriquent eux-mêmes, ou choisie dans les oeuvres qu'ils ont à leur disposition), de toutes autres formes de créations. Quand on sait quelles agressions déversent la radio, la télévision et les disques, on ne peut pas ne pas encourager nos élèves à vivre et à chercher autre chose. Ces créations d'ailleurs agissent de façon radicale pour détruire tout le mythe de 1a chanson actuelle souvent de si mauvaise qualité, mélange très spécial de mauvaise « musique » et de « poésie insipide », car le goût et la recherche du vrai et du beau ne supportent pas (longtemps) la bêtise. Je sais que parfois, dans les chansons, dans leur rythme  dans leur forme transparaissent les « canons » actuels, les « recettes », mais c'est inévitable ! Cependant ces marques s'effacent pour arriver, avec le temps, l'amitié, la technique, à des créations personnelles authentiques.

Cela ne va pas sans problème. La musique est un parent pauvre de l'éducation (comme toute la culture artistique d'ailleurs) souvent pratiquée par des hommes et des femmes d'une grande sincérité, maïs aussi, souvent octroyée au rabais par des " volontaires " qui manquent de technique (ce qu'on ne peut pas toujours leur reprocher, c'est évident). Notre éducation crée un désert culturel qui profite au show business !... C’est ainsi que l'apport technique ou culturel du maître pour provoquer ou aider ce dépassement dont je parle plus haut, n'est pas toujours possible. Et pourtant, comme il est bon parfois de faire entendre à un petit bonhomme de 6° qui vient de présenter une petite chanson (comme il dit) que le rythme de sa chanson (qu'il trouve drôle ou bête) ressemble un peu à celui d'une mélodie d'un auteur connu, d'un grand ! Comme il est bon de chercher des correspondances dans la musique, toute la musique ; et comme on fait des découvertes ! (chansons populaires et folklores). Et ainsi on va vers les autres... Mais là alors on cherche la musique, on va vers elle parce qu'on en a besoin, on la vit. Bien sûr cela suppose du temps, des connaissances, du matériel, des locaux. Qui peut se vanter en France actuellement de disposer du strict nécessaire ? Mais on peut faire aussi avec peu et beaucoup ... d'amour !

Et l'on s'étonne de trouver chez les jeunes ce manque d'intérêt, cette espèce de recul vis-à-vis de la création musicale, du chant même tout simple I

« La musique on en a besoin tout le temps » m'a dit un élève, c'est vrai ! J'aimerais que nous puissions toujours être prêts à répondre à ce besoin.

« Quand je chante je m'évade de ceux en qui je n'ai pas confiance, en qui je ne peux pas croire ; je m'évade un peu de mes soucis et je ne m'appartiens plus, j'appartiens à celui qui peut m'aider, qui peut chanter et qui peut rêver près de moi. »

Évelyne

Michel VIBERT CEG Douvres

 
 

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