dessin de M'an Jeanne

Chez M’AN JEANNE

Une grand-mère qui dessine

A Fontenoy-en-Puisaye, le château du Tremblay.

Pas un château luxueux, non ! plutôt une ferme flanquée de deux tours... Une aile de ce château a été aménagée en galerie d'exposition par deux artistes qui vivent et travaillent là.

L'un d'eux, à la mort de son père, a recueilli sa mère, une vieille femme usée, fatiguée, qui a passé toute sa vie comme ouvrière agricole dans des fermes de la région.

Au contact des artistes qui fréquentent la galerie, au contact de leurs œuvres, soudain, à 71 ans, alors que rien ne le laissait présager, cette vieille femme s'est mise à dessiner...

- Si on m'avait dit fa dans l'temps, j'l'aurais jamais cru ! dit-elle volontiers.

Encouragée par son entourage, elle a pris la chose très au sérieux. Elle créa d'abord des sortes de bandes dessinées où elle racontait ce qui se passait autour d'elle (voir page 5) puis elle inventa un monde fascinant d'animaux et de personnages (voir la BTJ n° 112 du 25 avril 75), souvent les deux mêlés. Enfin, une production naïve qui, à mon avis, avait tout pour séduire les enfants.

C'est pourquoi, après avoir fait de nombreuses diapositives sur M'an Jeanne (c'est le nom de cette dame) et sur ses dessins, j'ai décidé de les projeter aux enfants, en classe.

   

Première approche

Ils ne la connaissaient pas et n'avaient jamais entendu parler d'elle. Je leur ai présenté les dias sans commentaires, commençant par :

le visage de M'an Jeanne

ses mains

ses premiers dessins

J'ai laissé chacun s'exprimer sur ce qu'il voyait :

- Qui c'est ?
- Que fait-elle ?
- On dirait un dessin d'enfant !

Grande surprise quand, sur l'écran, ils ont découvert que ces dessins, c'était « la vieille dame » qui les faisait ! Surprise, mais surtout très vif intérêt. Que de questions :

- Pourquoi dessine-t-elle ?
- Depuis quand ?
- Que fait-elle de ses dessins ?

   

Le contact

Quand j'ai dit où elle habitait :

- On pourrait aller la voir !

Effectivement : dix kilomètres et nous y étions, moi et les six enfants que j'avais pu caser dans ma voiture ! Et là, nous avons vu M'an Jeanne, nous lui avons posé de nombreuses questions, vu ses dessins de près, en vrai. Nous avons découvert sa technique.

 

   

Une répercussion immédiate

Après notre visite, l'atelier « pastel à l'huile » est sorti de l'ombre et c'est lui qui a eu la vedette. M'an Jeanne nous avait dit :

- J'utilise des pastels à l'huile, de toutes les couleurs qu'on s'imagine que ça fait joli; mais y a aussi le papier qui y fait pour beaucoup.

En effet, faites du pastel sur du papier blanc, vous aurez sans doute un beau graphisme mais rarement plus : refaites le même dessin sur un papier noir, rouge, bleu... et vous verrez chanter les couleurs !

Donc j'ai cherché dans mon meuble à papier tout ce que j'avais comme canson de couleur. Des matières premières de qualité, des enfants encore tout émerveillés de ce qu'ils avaient vu, un maître qui porte une plus grand attention à cet atelier : encouragements, valorisations et c'était le succès garanti !

Chacun voulait essayer, puis recommencer pour faire autrement, faire un fond avec des petits ronds comme Sylvie ou bien de grands traits rapprochés comme Francis ou bien trouver soi-même une façon originale d'opérer.

   

Quels apports

A part le succès de l'atelier pastel, que nous a apporté notre visite à M'an Jeanne ?

Il y a d'abord eu le contact de la vieille dame et des enfants. M'an Jeanne a été très heureuse de l'intérêt que portaient les enfants à ses dessins.

Quant aux enfants, ils ont vu de près une artiste. En fait pour eux, ce n'est pas une artiste avec ce que l'adulte met derrière ce mot, pour eux c'est UNE GRAND-MÈRE QUI DESSINE, oui, mais c'est avant tout une grand-mère. Le contact a été profond et immédiat.

   

Dans l'éducation artistique, le contact direct avec un artiste me paraît essentiel. On donne ainsi à l'oeuvre sa dimension humaine. L'artiste, on peut le voir, le toucher, lui parler; l'oeuvre quand on peut la voir, elle, est trop souvent sacralisée, inaccessible.

M'an Jeanne, les enfants l'ont vue dessinant sur la table de sa cuisine, son chien près d'elle.

Elle fait la cuisine; elle a une vraie existence ; elle vit, comme le papa ou la maman ou le voisin qu'on côtoie. Ses dessins alors ne sont plus vus comme des objets matériels, du pastel sur du papier, ils retrouvent leur existence par rapport à elle, M'an Jeanne qu'on a rencontrée.

   

Il n'y a plus l'oeuvre et nous, il y a en plus son créateur. Il faut à mon sens ces trois partenaires pour que l'approche soit complète.

Peut-être ces enfants auront-ils plus nard l'envie de rencontrer d'autres artistes, peut-être auront-ils envie devant une oeuvre d'aller au-delà et d'y chercher l'homme qui se cache derrière. Peut-être tout simplement seront-ils plus curieux que la moyenne de nos contemporains face aux choses artistiques... Peut-être. Ce dernier point serait-il seul atteint que ce serait déjà beaucoup.

Quant aux artistes, ils apprécient en général beaucoup les contacts qu'ils ont avec les enfants. L'expérience menée à Auxerre dans le cadre du musée (voir compte rendu dans le numéro 74 d'Art Enfantin et Créations) ne peut que nous conforter dans cette certitude. Ils trouvent avec les enfants un contact vrai, authentique, dépourvu de tout vernis culturel. Les questions jaillissent, les enfants veulent savoir, ils veulent comprendre, ils veulent pénétrer. Par là même l'artiste ne fait-il pas aussi oeuvre éducative ?

J'ajoute que cette visite, outre l'apport pédagogique sur le plan artistique, nous a permis de réaliser un montage audiovisuel et une BTJ sur M'an Jeanne dans lesquels la démarche suivie par les enfants découvrant l'œuvre et l'artiste a été respectée.

 Daniel CARRE

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