Chez un sculpteur

Michel AUBRUN

A propos du 1%

Chaque fois que l'on construit une école, l'implantation d'un élément décoratif est prévu: c'est le 1%  (1% du prix de revient). Les élèves de 5e sont allés discuter chez le sculpteur, M. Aubrun : ils ont parlé de l'oeuvre d'art, baptisée depuis : « Grèce », « Ruines », « Hiroshima », suivant les états d'âme...

• LE PROF - Pensez-vous que les tas de terre, les murs qui se dressent dans la cour ont changé quelque chose ?

• UN ÉLÈVE - Oui, c'est moins plat, c'est plus joli...

• LE SCULPTEUR - Autrefois, on mettait une sculpture, là, sur un socle, et puis on ne faisait que la regarder, tandis que là, au moins, on peut se promener au milieu, c'est fait pour vous. Et puis les murs changent tout le temps, avec le vent, avec le soleil...

• UN ÉLÈVE - Est-ce qu'il y aura des fleurs, de l'herbe ?

 

• LE SCULPTEUR - Il y en a sur les pelouses ; et sur les « bosses », c'est vous et vos profs qui planterez ; comme dans le bassin, si vous désirez mettre des poissons, des têtards, des grenouilles... Il y aura des endroits au soleil, à l'ombre ou à l'abri du vent, des coins un peu tranquilles où vous pourrez bavarder avec des copines...

• UN ÉLÈVE - Les murs de briques, vous allez les nettoyer ou les peindre ? Les briques ça fait pas fini... Ce serait plus beau !

• UN AUTRE - La hauteur, c'est calculé ou c'est le hasard ? Les rebords sont faits pour les coudes...

* LE SCULPTEUR - Ils peuvent être faits pour eux ; mais je l'ai fait exprès parce que si on continue une ligne droite on finit par « s'embêter ». Qu'est-ce que tu préfères, toi, une grande route nationale ou un petit chemin, pour te promener à pied ? Pour l'oeil, c'est pareil, s'il regarde une ligne droite qui ne finit pas il finit par s'ennuyer ; c'est pour cela qu'il y a des points plus hauts, des creux, des bosses, tu comprends ?

• LE PROF - On nous dit que c'est une sculpture. Pensez-vous que c'en soit une ?

• LES ÉLÈVES - C'est un décor.

- Non, c'est pas une sculpture.

 - C'est un ensemble.

- Non ; c'est plutôt une construction.

- Pour moi, une sculpture c'est taillé dans la pierre ; tandis que là ce sont des briques qui ont servi à monter ces murs.

- C'est pas une sculpture, ça représente ni une fleur, ni un homme, ni quelque chose qu'on voit.

• LE SCULPTEUR - Une sculpture peut être en bois, en plâtre, on peut prendre tout ce qu'on veut comme matériau. C'est comme pour la peinture : tu en as qui essaient la peinture à huile, la gouache, l'aquarelle... Du moment que c'est un volume, c'est une sculpture... C'est un ensemble que j'ai voulu faire avec de la terre, du béton et de la terre cuite... Une sculpture, c'est pas seulement ce qui est dur, qui existe, ce n'est pas seulement la forme, mais c'est aussi les trous et l'espace qu'il y a autour.

Quand tu regardes 1e ciel, il est vide. Si tu mets un volume au milieu il est changé, le ciel ! Ici, c'est pareil, c'est tout l'espace qui change. Quand tu es ici, tu ne vois plus le paysage, la cour du C.E.S comme avant puisque tu as des murs qui arrêtent ton regard.

• UN ÉLÈVE - Pour faire ces murs, vous avez pris des briques, vous les avez arrangées pour que ce soit plus joli, mais vous n'avez pas calculé, mesuré ?

• LE SCULPTEUR - Parfois j'ai mesuré ; je les ai aussi arrangées comme je le sentais, peu à peu, en changeant, exactement comme un texte libre ; on recommence, on met un mot à la place d'un autre, on reprend et peu à peu on essaie pour que le texte soit exactement ce qu'on veut dire et bien dit : c'est ce qu'il faut que je fasse, c'est mon métier : essayer de dire quelque chose et le dire le mieux possible.

• DES ÉLÈVES - Ça ressemble à rien...

- Ça ressemble à un monde qu'on peut inventer.

 - C'est marrant.

- Moi je ne critique pas la façon dont s'est fait, mais ça ne me plaît pas : il faudrait un massif, des fleurs, une sculpture qui représente quelque chose, je sais pas moi, le buste de Jules Verne ! (1).

• LE SCULPTEUR - C'est le monde que j'ai inventé, mais ce n'est pas le tien ; et il ne peut pas plaire à tout le monde. Le buste de J. Verne ?! Pourquoi pas, mais moi je ne pouvais pas le faire et puis ce serait supprimer toute place à l'imagination...

Cela ne te plaît pas mais tu peux le trouver bien agréable et bien commode cela pourra te servir : c'est la différence avec une autre manière de sculpter qui est seulement une sculpture que tu contemples tandis qu'ici, c'est comme une place publique

• UN ÉLÈVE - Imaginer, rêver devant des cubes contenant 1200 élèves, c'est pas possible : le C.E.S. est trop grand, 1a décoration trop petite.

• LE SCULPTEUR - Tu crois qu'un sculpteur, un peintre, ça peut servir à quelque chose dans notre société, dans le monde où on vit ?

• LES ÉLÈVES - Oui, à décorer.

- A rendre la vie plus agréable.

• LE PROF - Etre prof de grammaire, c'est quand même plus important qu'un sculpteur !

   

• LE SCULPTEUR - Tu crois qu'il y a toujours besoin de choses utiles dans la vie ?

• UN ÉLÈVE - Ça dépend ! Chacun ses goûts ; si certain, préfèrent être prof de grammaire que sculpteur, ça les regarde...

• UN AUTRE - Pour être sculpteur, il faut avoir fait de la grammaire

• LE PROF - Peut-être que pour faire de la grammaire avec plaisir, il faut aimer la sculpture...

• UN ÉLÈVE - Ça sert à rien les choses utiles !

(1)Nous sommes au C.E.S Jules Verne

Extraits de la conversation enregistrée par les élèves de 5e en juin 1974 avant la fin des travaux.

Le débat est ouvert

Georges BELLOT

C.E.S Jules Verne

84130 Le Pontet

   

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