LE MUSÉE

Domaine des enfants

Dans notre action éducative, un de nos soucis est de donner à nos enfants la possibilité d'une expression libre artistique la plus complète possible, à l'école, entre autres lieux. Ce n'est pas facile, c'est parfois presque impossible, compte tenu des effectifs ahurissants, des locaux inadaptés, des crédits insignifiants et de notre formation insuffisante. Chacun de nous s'y emploie comme il peut. Nous ne sommes pas tous persuadés que cela suffise : de même que nous essayons d'enrichir l'environnement scolaire de nos élèves avec des disques, des livres, nous apportons en classe des documents : BT d'art, reproductions de peintures, parfois même une oeuvre originale... Nous essayons aussi dans la mesure du possible, d'emmener nos enfants dans les musées, de leur faire rencontrer des artistes.

Il est rare que ce soit facile de faire prendre contact avec « l'art des adultes » : rien n'a été prévu pour. C'est pourquoi il nous a semblé important de parler de l'expérience tentée à Auxerre.

Dans une petite ville de 40 000 habitants, typique de la province française de 1974, dormait un musée poussiéreux comme tant d'autres. Un jeune conservateur décide de le faire vivre, de transformer le mausolée en centre culturel ouvert aux écoles. Son argument est de poids :viennent au musée 500 « clients » adultes de la ville mais il y a plus de 7 500 scolaires, « clients potentiels ». I1 rencontre l'intérêt et le soutien d'un IDEN et de l'Inspecteur d'académie : des conditions locales exceptionnelles lui permettent d'obtenir la mise à sa disposition de deux instituteurs de l'École Moderne, pour quinze jours, puis pour un et deux mois. Le centre d'action et d'animation culturelle de l'Yonne assume les charges financières d'une exposition entièrement destinée aux enfants.

   

Une exposition d'Art entièrement conçue pour les enfants, ce n'est déjà pas banal mais qu'en plus elle soit préparée par des enfants, cela semble exceptionnel. En moins de quinze jours, 500 enfants et adolescents de 5 à 17 ans trièrent parmi les toiles du musée et firent des commentaires et des remarques (pour une présentation complète de la démarche de travail se reporter au n°5-6 de L'Éducateur). Ces impressions, imprimées, furent affichées à côté des oeuvres présentées. Comme les collections du musée ne sont pas très à jour (les dernières acquisitions datent du début du siècle), des artistes contemporains vivant dans l'Yonne prêtèrent des oeuvres qui furent, elles aussi, commentées par les enfants. Afin d'élargir le panorama présenté, un montage audiovisuel fut réalisé selon le même procédé : choix et commentaire par les enfants. Un atelier s'ajouta à l'exposition afin que les classes venant en visite puissent peindre et dessiner. Les artistes qui avaient prêté des oeuvres vinrent à tour de rôle bavarder avec les enfants. Malgré une prolongation d'un mois de l'exposition, on ne put éviter de refuser un tiers des classes avant demandé à venir. Par contre il est prévu que l'exposition circulera dans le département et de nouveaux projets, tirant parti de cette expérience, sont à l'étude pour 74-75 Est-il possible de finir par un rêve : QUE PETIT À PETIT, DANS CHAQUE DÉPARTEMENT LES ENFANTS INVESTISSENT LES MUSÉES. Il y aurait d'ores et déjà des expériences en cours : Soissons, Blois, Marseille, Grenoble... Ne pouvons-nous pas pousser à la roue, chacun de toutes nos forces ?

R. CROUZET

   
   
   
   
   
   
   
   
   

Au musée d’Auxerre

Deux classes maternelles ont été très impressionnées par une statue en bois de F.Brochet. A la suite de leur visite elles ont réalisé des albums, des statuettes sur ce même thème de la mère de l’enfant.

Nous avons conservé pour Art Enfantin les témoignages d’expression des enfants de retour en classe après leur visite. Les autres œuvres présentées à l’exposition font l’objet d’une B.T à paraître. L’édition d’un ouvrage donnant le compte-rendu complet de cette expérience est prévu pour plus tard.

La « maman » de F.Brochet.
Elle est debout
Sur un bois.
Elle a un petit bébé tout nu.
Il fait dodo mamour.
Elle a une longue robe qui cache ses mollets
Elle a de longues mains.
Elle est mince.
Elle est lisse.
Elle est douce.
Elle est en bois.

   

Dans une autre classe, le tremplin a été un tableau de M. Varlet.

Nous ne connaissions pas spécialement M. Varlet.
Un jour, pour enrichir la collection des oeuvres dont nous préparions l'exposition, nous avons présenté son tableau :
Voici une partie des commentaires qu'il a suscités :
Le bas du tableau a explosé et tout est en mouvement.
C'est extra moderne, c'est quelque chose qui n'existe pas.
Tu ne vois pas ce que c'est mais lui, le peintre, il le ressent.
Il s'est laissé faire par son imagination, par son idée.
C'est agréable et dangereux à la fois, j'aimerais m'y promener.
C'est le pays où on n'a pas d'ennui, le pays où on n'arrive pas au bout.
- C'est peut-être de la musique en peinture ; pour les notes graves, des grosses taches de couleurs sombres et pour les aiguës, des couleurs claires. C'est une partition mais en couleur, ça va bien avec la musique pop. Non ! ce n'est pas de la musique pop, c'est une musique lente car ce sont des notes qui se prolongent.
- ça, nous, en classe, on va le chanter et le danser.

   

Nous sommes allés

avec le tableau dans la classe de Jean-Paul Leau pour filmer et enregistrer ses élèves qui voulaient le chanter et le danser :

Ils ont d'abord expliqué leurs musiques à leurs camarades.

- Pour les couleurs claires, j'ai pris les sons qui n'étaient pas forts.

- Moi, je faisais des bosses pour les couleurs foncées.

- Moi, c'est aigu pour les couleurs claires.

Et puis leurs danses :

- Les couleurs m'ont donné une idée de sable ; c'est pour ça que je voulais une musique arabe, c'est pour ça que je voulais me mettre en maillot de bain et que J'avais apporté un .foulard...

- J'ai pensé à des filles qui s'allongeraient par terre et, comme il y a trois points, trois filles et trois garçons qui danseraient en traversant les filles.

- On a tendu nos foulards pour faire les vagues  parce que sur le tableau ça ressemble à des vagues.

   
   

La danse en classe «AVANT»

La classe : dix filles, dix garçons, du CE2 au CM2
a) LES FILLES : dansent très souvent pendant les ateliers et aussi le vendredi soir après la classe.
Précision : par décision coopérative, chaque vendredi c'est « la fête » pendant une heure supplémentaire ; les tables sont repoussées contre les murs.
Soit qu'on présente les pièces ou danses qu'on n'a pas eu le temps de montrer en semaine,
soit qu'on crée sur des disques apportés par les gamins ou qu'on fasse du théâtre improvisé.
LES FILLES DANSENT TOUJOURS ENTRE ELLES

b) LES GARÇONS : un ou deux mis à part, ils semblent avoir décrété une fois pour toutes que la danse est du domaine des filles. Celles-ci les qualifient gentiment de lourdauds. Le seul rôle qu'elles leur accordent est celui de spectateurs ou quelquefois, quand cela est indispensable, le rôle de figurants ne devant qu'exécuter scrupuleusement les gestes qu'elles leur ont indiqués. En gros, donc... ... LA DANSE APPARTIENT AUX FILLES

LE « LUNDI »

Ce fameux lundi après-midi donc - il a marqué, les enfants en parlent toujours - c'est l'effervescence en classe. On a sorti toutes les tables, toutes les chaises car ON LES ATTEND : la toile, les caméras, les projecteurs, les appareils photos et les opérateurs (connus et inconnus : ils viennent à cinq).
C'est comme au cinéma !
D'aucuns (quelques garçons) ont apporté des instruments supplémentaires : guitares, harpe, harmonicas, d'autres (les filles) ont apporté disques, foulards, préparent des costumes, elles ont même pensé aux maillots de bain mais... il y a des gens que l'on ne connaît pas !
Tous les projecteurs sont installés, le magnéto prêt à fonctionner, les caméras chargées. La toile, elle, est installée de telle manière que tous les enfants la voient.
- Bon, on y va!
- Vous avez dit jeudi dernier que vous alliez danser, chanter ce tableau !
- Ben... Oui m'sieur !
TRÈS LONG SILENCE
Évidemment ça ne va pas partir au quart de tour. C’est même très long à démarrer. Nous repartons à zéro. Au bout d’une demi-heure, de re-tâtonnements nécessaires, c’est chaud et nous arrivons à quelque chose d’extraordinaire.
Je passe sur tout ce que les enfants ont créé deux heures durant pour m’attacher seulement au fait important de l’après-midi et aux répercussions de cette expérience.
Tout d’abord Renaud a repris son idée évoquée précédemment  au musée devant la toile (voir album ci-dessous intitulé Mon tableau, qu’il a d’ailleurs écrit une semaine après ce lundi) et immédiatement
LES GARCONS ONT DÉMARRÉ
Renaud sentait très bien ce qu'il nous avait dit mais il était incapable de le danser seul.
Alors il s'est transformé en maître de ballet, guidant ses copains, distribuant et expliquant les rôles à chacun. Nous étions tous béats (nous les adultes !) et moi particulièrement. Pour la première fois depuis que je les connais (trois ans et quatre pour certains) je découvrais mes garçons sous un jour nouveau.

La danse en classe « APRÈS »
DÉBLOCAGE CHEZ LES GARÇONS
Ils ont dansé entre eux. Revanche possible? Présence des caméras?
- devant les filles
- devant des étrangers à la classe (rôle de témoins? de juges moins partiaux que les filles ?)
Ils ont été le pôle d'attraction - et l'ont bien senti -
- des filles
 - des adultes
Ils étaient à l'aise.
Donc, brusquement, prise de conscience collective des garçons :
« ON SAVAIT PAS DANSER MAIS ON A DANSÉ ET C'ÉTAIT CHOUETTE!»
LA POSITION DES FILLES :
*ont découvert que « leurs garçons » n’étaient pas des balourds
* ont cessé de jouer les vedettes en ce domaine
*ont intégré les garçons à leurs danses.
Il y a eu déblocage au niveau de la danse qui est devenue un moyen d'expression au même titre que les autres.
Il est certain que ce déblocage aurait pu et dû avoir lieu beaucoup plus tôt : c'était mon rôle de le faire se produire, mais j’avoue que, bien que conscient du problème, je l'ai toujours un peu minimisé profit d'autres qui m'apparaissaient plus importants.
J'ai eu tort : dans nos classes toutes les formes d'expression sont étroitement imbriquées et l'épanouissement de l'une d'entre elles entraîne souvent l'enrichissement de toutes les autres.
   

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