Ecouter le disque

Notre musique

Musiques concrètes

Qu'est-ce que c'est ?

Nous avons appelé notre musique « concrète » parce qu'elle est constituée â partir d'éléments préexistants, empruntés à n'importe quel matériau sonore, qu'il soit bruit ou son musical, puis composée expérimentalement par une construction directe, aboutissant à réaliser une volonté de composition sans le secours devenu impossible, d'une notation musicale ordinaire.

Pierre SCHAEFFER

Voir la BT 753 pages 38 et 39

Et voici les cinq règles citées par Pierre Schaeffer dans le livre « La Musique concrète » collection Que sais-je ?)

*PREMIÈRE RÈGLE : apprendre un nouveau solfège par des écoutes systématiques d'objets sonores de toute espèce. L'unique nécessaire est ici de savoir entendre, bien que des rudiments de techniques (acoustique, électronique) soient naturellement susceptibles de faciliter cet apprentissage.

* SECONDE RÈGLE : créer des objets sonores, c'est-à-dire s'exercer à la réalisation effective de sons aussi divers et originaux que possible, par opposition à l'acte traditionnel consistant à écrire sur du papier interligné des notations correspondant à des configurations de signes abstraits.

*TROISIÈME RÈGLE : modeler les objets musicaux, c'est-à-dire apprendre à utiliser « des appareils à manipuler les sons » (sans les confondre avec des instruments de musique) : magnétophones, microphones, filtres, etc.

*QUATRIÈME RÈGLE : avant de concevoir des oeuvres, réaliser des études, semblables aux « exercices d'école » de la musique traditionnelle, en ce qu'elles contraindront le débutant à choisir parmi la diversité des ressources disponibles et des mises en oeuvre possibles.

*  CINQUIÈME RÈGLE : le travail et le temps, indispensables à toute véritable assimilation.

   

Petite discographie

PHILIPS MODERN MUSIC SÉRIES 835 485 ET 835 486

BERIO : Momenti Ommagio à Joyce - MADERNA : Continuo - FERRARI : Visage I- BARONNET et DUFRENE : U47 - XENAKIS : Orient Occident – KAGEL : Transicion 1 - EIMERT : Sélection I - HENRY : Entité - LIGETTI : Artikulation - POUSSEUR : Scambi – BOUCORECHLIEV :Texte I

BAM LD 070 (recommandé dans la BT 772)

SCHAEFFER : Étude aux allures et aux sons animés – FERRARI : Étude aux accidents et aux sons tendus – PHILIPPOT : Ambiance I – SAUGUET : Premier aspect sentimental - XENAKIS : Dramorphose

PHILIPS 836 899

HENRY : Variation pour une porte et un soupir

DGG  LP 16 133

STOCKHAUSEN : Gesang der Junglinge, Kontakte

École de Bresles - 60

Classe de perfectionnement de Jean-Louis Maudrin

Dans l'école nous échangeons quelquefois des élèves.

Un jour deux élèves de ma classe sont allés dans la classe de la collègue du CM2 pour participer à l'interview enregistrée de personnes ayant vécu la guerre de 14-18

A leur retour, ils nous racontent ce qu'ils ont entendu, mais nous voulons en savoir plus long. Un enfant va chercher la bande magnétique. Triomphalement, il revient.

On met le magnétophone en route... mais surprise, il sort des bruits bizarres du haut-parleur : une voix piaille, une autre grogne. On entend en même temps une voix très aiguë et des borborygmes.

Que s'est-il passé ? Rien que de très courant : sur notre magnéto deux pistes nous écoutons une bande enregistrée par un magnéto quatre pistes... dont deux pistes sont utilisées, de plus nous écoutons en 19 cm/s des enregistrements faits en 4,75 et en 9,5 cm/s

Mais pour l'instant l'explication technique nous intéresse peu. Tout le monde rit. Denis, un mal-entendant, vient coller son oreille contre le haut-parleur. Lui aussi apprécie.

Hervé, le responsable du magnéto - un CEL - tripote les têtes magnétiques, les monte, les descend : une voix grave vient de temps en temps, repart, revient et les rires redoublent.

Puis il pense à la technique du montage qu'il connaît bien. Il fait tourner les bobines à la main... alors là c'est encore mieux, il retourne la bande, remonte les têtes magnétiques et passe la bande à l'envers : la voix est grave, le borborygme aigu, il change de vitesse, s'affaire... Tout le monde est subjugué, c'est la même bande et pourtant c'est toujours différent... et c'est drôlement rigolo !

Jean-Patrice : « On pourrait faire de la musique comme ça ! » Allons-y ! Jean-Patrice et Hervé essayent : les créations vocales reviennent dans la classe.

Le groupe des auditeurs s'effiloche, les tâtonnements des copains sont fortement concurrencés par les ateliers permanents... Infatigablement, les enregistrements sont écoutés, bricolés, on essaie les voix, les percussions, la cithare trouvée dans une poubelle, on change les vitesses, on écoute la bande à l'envers, on tourne les bobines à la main.

Je vais chercher le magnéto de l'école. Je le branche au nôtre - en position de copie, touche pose enfoncée - quand les enfants veulent enregistrer, il leur suffit de relever cette touche.

Quand les enfants ont trouvé un effet intéressant, ils travaillent sur la bande originale (en la conservant) et enregistrent sur le deuxième magnétophone les effets obtenus.

Les essais dureront jusqu'à la fin de l'année. Les enfants sont fascinés, moi aussi d'ailleurs, par l'univers sonore qu'ils explorent. Un seul bruit enregistré peut produire des heures de créations, toujours renouvelées. Les critères esthétiques sont bousculés, on ne peut plus dire si c'est beau ou non, si ça plaît ou non. Les enfants se trouvent devant l'inouï... devant un monde neuf dans lequel les facteurs d'échec ont disparu. Quelle impression pour des enfants de classe de perfectionnement !

Et les oeuvres de Pierre Henry ou de Schaeffer ne viennent que les confirmer dans leurs recherches.

La musique libre permet déjà une libération de l'enfant par une expression voilée : l'enfant est masqué comme derrière un castelet... mais ce sont les mots qui sont déguisés. Cela lui permet de s'exprimer avec moins de censure, de laisser beaucoup affleurer l'expression de ses pulsions, sans pour autant se mettre en insécurité, au contraire en utilisant ces pulsions. La sublimation est de fait dans la musique libre. Mais dans le cas de la musique concrète, l'expression est encore plus voilée et libérée de toute contrainte esthétique ou morale. L'enfant est libre devant un monde sans limites, sans interdits. Il se heurte cependant à la réalité qui est le matériel. Mais sans grand apprentissage, il arrive à produire des sons qui l'étonnent, le séduisent et l'emportent au-dedans et à l'extérieur de lui.

J.L. MAUDRIN

   

École de Villers Saint-Barthélemy - 60

Classe de Michel Debray

Cette bande est le digest d'une série d'enregistrements réalisés par quelques équipes ayant travaillé pendant une courte période au cours de laquelle les expériences des divers groupes des musiciens de la classe s'orientaient sensiblement dans le même sens.

Après avoir tenté, vainement, de jouer pour de « vrai » sur des instruments « véritables » (guitare ou table musicale de notre fabrication), on s'est aperçu que la caisse de la guitare pouvait avoir une belle résonance quand on tapait dessus sans trop se soucier de ses cordes.

On s'est aperçu que la chaise au dossier métallique, les capuchons du stylo, la boîte de chaussures, le plateau de balance, le fauteuil pivotant qui grince, la boîte de Vache Qui Rit, la pièce de monnaie dans un bol, etc. pouvaient contribuer largement à la création musicale.

Au départ, les enfants avaient été un peu déçus par les résultats de leurs recherches. Sans harmonie, sans code, sans structure mémorisable, leur musique ne leur semblait pas être de la « vraie » musique. Avec Xénakis, Schaeffer, la musique électronique norvégienne, le clavecin moderne ou le free jazz, ils ont pris conscience de l'existence d'une autre musique. D'une musique débouchant sur l'infini et dé­routante liberté.

Le grand intérêt de cette musique libre-libre c'est que, en dépit de la liberté, un bruit parasite demeure parasite, c'est que, malgré la diversité des sons, les « bruits » involontaires n'ont pu trouver grâce sous les ciseaux du montage.

C'est à l'occasion d'un repiquage que les enfants ont pris conscience des possibilités créatrices du magnéto.

Je les avais invités à tripatouiller les boutons. Ils ne s'en sont pas privés et ils ont eu raison. Passer de 9,5 cm/s à 19 cm/ s et c'est la rigolade des sons dégringolés.

Tourner le sélecteur de pistes : et les paroles inversées et accélérées des copains de la piste 2 viennent poser leur contrepoint.

Et le micro du magnéto ! le micro placé sur le clavier vibrant de la guitare, le micro dissimulé dans la caisse, le micro utilisé comme chevalet supportant la tension des cordes, le micro - potentiomètre au maximum - cognant sur les incisives, tout proche du claquement de langue et du jeu de la salive entre les dents, le micro n'est plus un machin tout bête, en érection fixe, le micro, on peut le balader, se le placer sur la poitrine et tousser comme chez le docteur, le cacher sous un meuble ou lui laisser frôler la rotation de la bobine d'enroulement. Les rires et les mots d'amour de la fin sont des morceaux de défoulement gentiment provocateurs - et c'est pas sûr !

La musique libre se fait hors de la classe, dans le logement, loin des bruits de la classe et de la censure du groupe ou de l'adulte. On est entre soi. On se marre et, si on est amoureux on déclare sa flamme par procuration : le magnéto est un chouette confident !

Michel DEBRAY

École de Miermaigne – 28

Classe de Jacky Chassanne

Des bouteilles que l'on frappe ; de grandes feuilles de papier (monotypes) qui pendent à un fil et qui émettent des sons divers selon leur nature et le contact des doigts, des vitres tout aussi capricieuses ; la résonance sourde d'une grosse tonne à fuel... ; un magnétophone qui a révélé, au hasard des montages, ses possibilités de créations magiques provoquées par un défilement anormal de la bande, etc.

Voilà quelques éléments d'une frénésie qui s'empara des enfants et les conduisit, par la technique du montage, à l'élaboration de « l'Orage ». Un travail qui me paraissait à peine achevé. Ma logique d'adulte, ma culture d'adulte me poussèrent à suggérer un début, une fin... !

Les enfants cherchèrent sans pouvoir trouver. Ce n'était pas leur logique, leur sensibilité qui leur dictaient cette recherche, et la réussite obtenue les satisfaisait.

Ces deux petites minutes de musique avaient demandé de longues heures de travail. Mon exigence était superflue.

J. CHASSANNE

   

Télécharger ce texte en RTF

Retour au sommaire