TECHNIQUE

Un nouveau matériau : la pâte de polystyrène fondu à l'essence et colorée au solucolor

Si Freud offre avec le Rêve - voie royale à l'inconscient - un chromosome de plus à notre culture, plus que jamais on peut constater que le tâtonnement expérimental et ses cheminements constituent, sans hallucination aucune, la voie naturelle d'accès au coeur de l'enfant, à son éveil, à sa réalité.

Un psychiatre écrivait que son intérêt pour les tâtonnements d'un pédagogue - donc de ses élèves - cessait à partir du moment où celui-ci essayait – légitimement ! - de les ranger dans des formulations théoriques... Sage attitude face à la vie qu'il est bien difficile de mettre en cage de quelque façon que ce soit ! Aussi voici le compte rendu de tâtonnements sur un matériau découvert, inventé par mes élèves - bien malgré moi ! - au cours de l'année scolaire 72-73 et plus particulièrement dans ses trois derniers mois.

I) LA PRÉPARATION DE LA PÂTE :

Que faut-il ?

* Peu de choses ; du polystyrène. Ici, à La Réunion, les enfants disent du « liège artificiel ». On le ramasse sous forme d'emballages perdus - pour peu de monde d'ailleurs ! - caisses d'huile ou autre protection utilisée pour l'emballage et le transport de frigorifiques, d'appareils ménagers fragiles. En général ça ne coûte rien. Est-ce que cela durera ?

* Ajoutons de l'essence ordinaire et de la poudre solucolor. Mais d'ailleurs de simples pigments devraient suffire.

   

Dans un bocal propre, on verse 2 ou 3 cm de poudre puis de l'essence jusqu'au 2/3 de la hauteur. On casse des morceaux de « liège » qu'on plonge dans l'essence. II faut en mettre beaucoup et bien les immerger pour qu'ils « fondent ». Quand le « liège » est fondu, on vide l'essence qui peut rester et pour éviter que la pâte colle à la main, on remplit le bocal d'eau. On laisse reposer 2 à 5 mn. Ensuite on retire la pâte à la main pour la « patrouiller », c'est-à-dire la pétrir. II ne faut pas avoir peur de la rouler dans les mains. Bientôt elle est prête.

Quand les « gobes », c'est-à-dire les boules de pâte sont prêtes, on les pose sur un support bien propre, rhodoïd par exemple. Pas de bois ni de papier : ça colle ! La pâte préparée peut attendre environ 4 heures à l'air avant de commencer à sécher. Si on veut conserver les « gobes » plusieurs jours, on les immerge dans de l'eau.

Quelques remarques : Au cours de la préparation il n'est pas toujours nécessaire de mettre de l'eau, il arrive que la pâte ne colle pas dès le début et on le sent bien ! L'essence super ne convient pas car ici pâte est très collante et il est alors très difficile de s'en défaire ! Aussi faut-il avoir prévu des produits de nettoyage. Nous avions sous la main de l'essence, de l'alcool, parfois du savon... terre, sable, papier, feuilles de papayes - très efficaces ! - Attention l'essence peut brûler ou du moins irriter les épidermes sensibles ! La pâte prête ne tache absolument pas : j'ai vu des enfants se l'appliquer en masque sur le visage ou se faire des gants...

   

II) LES DIFFÉRENTES UTILISATIONS :

La pâte étant faite, reste le problème du support. Nous avons donc « tâtonné les supports ». Et beaucoup sont utilisables. Le Rhodoïd d'abord - récupération chez les imprimeurs, procédé offset - qui peut être ensuite décollé, découvrant un véritable glaçage. On peut aussi travailler sur le verre, vitres, plaques de polystyrène (on coupe le fond d'une caisse par exemple avec une égoïne), bois, plaques à oeufs, ressort de matelas, fil de fer, pierre. La pâte présente cet intérêt qu'elle s'accroche à tout.

* On peut faire des dessins (des choses plates).

* On peut emmailloter le fer (pâte armée) : la pâte enveloppe le fer comme du caoutchouc et se « déroule » de la gobe comme la laine sur le rouet - du moins presque -.

* Sur les plaques à oeufs que l'on peut plier, arrondir, agrafer.

* On peut habiller des branches d'arbres.

* Non teinté le « liège »fondu - la pâte - gonfle mieux. On peut coller des morceaux de liège, faire des moisons ; la colle : c'est l'essence.

* Emmanuel a travaillé le « liège » à la cigarette.

* On peut faire aussi de la dentelle de liège : on verse doucement l'essence au compte-gouttes sur le liège de façon que l'épaisseur du liège reste très mince. Ces dentelles sont belles par transparence ou à la lumière artificielle.

* Évidemment on peut s'en servir comme de la simple pâte à modeler... besoin d'une armature - fil de fer par exemple -; en étirant la pâte on obtient un véritable tissu très fin et brillant.

* On peut s'en servir pour faire des cartes en relief.

   
 
   

*Enfin je me laisserai aller à l'anecdote :

Une collègue nous donne un matin des bouteilles de plastique d'un litre et demi en disant que nous ferions bien quelque chose avec ça !... D'abord on a eu droit à un concert de trompettes, ensuite quelques élèves ont coupé la partie conique de la bouteille et ont continué de jouer. Puis Charles a introduit une boule de pâte dans le cône, il a soufflé, soufflé... la pâte a gonflé comme un ballon puis a éclaté !... En travaillant cette technique, surtout en dosant la pression du souffle, il est arrivé à un véritable ballon d'au moins 70 cm de « diamètre » : quelle joie !... A la récréation suivante, après avoir bouché l'orifice du cône avec le bouchon - puisque c'était une bouteille -, et mis de la pâte autour du bouchon pour qu'il n'y ait pas de fuite d'air, mes « lascars » ont pendu leurs ballons comme des jambons sur une poutre pour les faire sécher. Après séchage on obtient un véritable tissu très fin qui devrait pouvoir servir à quelque chose ?... Ce premier jour-là, les ballons perdaient de leur beau volume car souvent de la pâte restante coulait en stalactite à l'Intérieur du ballon, le distendant. Jusqu'à présent, malgré mon désir (?) d'arriver à une « tradition » de la pâte soufflée, cela n'a débouché sur rien ! Qui nous livrera ses réussites ?

Bref retour à la découverte du matériau et conclusions :

Oui, si je reviens en arrière, c'est simplement pour mettre en évidence le fait que cette découverte s'est faite malgré moi. Dans la classe puisqu'il y avait une imprimerie - qui, en F.E. pourtant, ne servait guère - il y avait donc de l'essence et puis traînaient ces caisses de polystyrène si pratiques pour certains rangements. Malgré mes interdictions renouvelées, Antonio, élève difficile ne sachant pas lire, que certains tests crucifieraient du terme de « caractériel », faisait fondre des morceaux de polystyrène. Un jour il prit un bocal qui avait servi à la peinture et au fond duquel devait rester un bon centimètre de poudre séchée... Cette fois-là, c'est lui qui vint me voir avec son « chewing-gum rouge » ! Autant dire que l'après-midi fut fébrile et bien utilisée... Six bons mois après, quand je regarde ce couple de danseurs de séga, je trouve que la pâte brille toujours du même éclat. Les couleurs n'ont pas bougé, c'est du « solide » ! Et n'est-ce pas cette solidité qu'il faut pouvoir offrir aux oeuvres enfantines ? Lors d'une exposition ces oeuvres avaient été salies : l'ajax ammoniaqué dilué leur a rendu toute leur brillance et leur attrait. En fait l'essence restant dans la pâte lui donne un éclat aussi riche que celui des véritables peintures à l'huile. Et puis on fait véritablement ses mélanges de couleurs.

Enfin, je crois que c'est surtout mon attitude qui était significative : je refusais à Antonio l'exploration de la matière. Et n'est-ce pas à cette matière que les enfants sans cesse veulent nous conduire, nous « re-conduire » ?

La matière, c'est-à-dire les matériaux... La dite sublimation ne dévoile-t-elle pas son sens le plus matériel ? Si longtemps on a refusé aux enfants une certaine matière - la leur - et ses plaisirs, ne faut-il pas accepter au moins le transfert de cette activité et de ses plaisirs sur d'autres matériaux ? N'est-ce pas dans ces classes vides de matériaux que l'on sent une certaines présence de l'adulte...

   

Cette expérience non programmée m'a montré - l'atmosphère de découverte et des premiers essais est intraduisible - combien étaient importantes les manipulations les plus élémentaires avec la matière la plus brute. Il semble donc urgent qu'un atelier découverte et expérimentation s'installe dans un coin de la classe. Un endroit où, à volonté, l'enfant pourra essayer, tâter, tâtonner la matière brute. Cette année par exemple, quelques élèves ont démarré sur le plomb-récupération de batteries et à Noël, la classe est bien avancée dans ce matériau. Bien sûr, pour chaque matériau, il faut trouver ce qui le « fond » véritablement, ce qui permet de le modifier, de le maîtriser, le dominer à volonté : pour le polystyrène, l'essence ; pour le plomb, le feu, évidemment - un camping gaz suffit - ce feu qui émerveille tant ! Donc le plomb nous a déjà conduits à différents moulages : des coeurs ! des poignards, des pistolets - pour soi d'abord, puis pour les correspondants - moulés dans du bois, puis le bois étant trop dur, dans du lino. On a coulé le plomb. quelle magie ! II y a environ un mois des pères Noël sont « sortis » incrustés de cuivre, barbes et chevelures rougeoyantes ! Puis on a introduit des petits morceaux de verre de couleur ! Quelle féerie !

Le plomb ?... S'il y a une activité qui ouvre - à l'emmuré - le geste et l'éveille un peu – c’est-à-dire qui satisfasse son auteur - c'est bien sûr le monotvpe... Eh bien tenez, le plomb...

Mon fils, 7 ans, a voulu fondre son hg... Il l'a fait couler d'un geste cabalistique sur le carrelage... 5 secondes après le plomb était dur. Pascal a ramassé son oeuvre avec curiosité, il y a vu un éléphant, « un vieil éléphant qui travaillait un peu et des oiseaux ». La coulée s'était organisée en courbes capricieuses et fines... On cherchait à faire des personnages... J'ai signalé le procédé de sculpture dit « à la cire perdue »... Et ça marche. Le premier personnage - énigmatique d'ailleurs - est sorti il y a dix jours ; ça va bientôt être l'artisanat car chacun se rue sur la matière...

Bref, tout cela pour dire que l'enfant, d'emblée, choisit la matière - le papier même le plus beau lui est d'utilisation bien secondaire - qu'il faut lui permettre de la faire sienne véritablement. Après l'imprimerie, « rendons » aux enfants la matière... La possession de la matière est le sésame de l'individu, sésame qui se façonne au moment où l'enfant cherche puis trouve le moyen - le feu, l'essence... - de dominer, de condamner et à la matière d'obéir, ouvrant ainsi tout grand son coeur.

Yves LACOUR
22, rue Leconte-de-Lisle
Grand Fond
97434 Saint-Gilles-les-Bains
Île de la Réunion

   

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