UN FANTASISTE

Aujourd'hui, comme tous les jours, tout est triste autour de X. Tout est triste sur le chemin qui le mène à son usine, ce matin. Il va encore respirer ces odeurs nauséabondes et «indigestes » qui se propagent jusque dans les rues... Mais il n'est pas désespéré... Il n'ira pas à l'usine ce matin ! Non ! Après tout, il n'a rien à perdre. Il n'ira pas à l'usine ! Il se munit de pots de peinture et se met à peindre, sa maison d'abord, puis la voyant rire seule, il peint et dessine sur toutes celles du quartier. L'artiste naît en lui. Sa main droite et sa main gauche font des arabesques folles sur la pierre et le ciment et bientôt les maisons sont de grosses fleurs multicolores et X se met à danser. Il est heureux, enfin ! Entré en usine après son certificat, il n'a jamais rien réussi puisqu'il n'a rien fait dans sa vie ; mais il n'a que trente ans et rien à perdre. Grâce à lui, ce matin-là, quand les gens se réveilleront, ils seront heureux, comme lui et surtout grâce à lui... Mais les gens n'apprécient pas toujours les fantaisistes et X va passer sa première nuit en cellule. Heureusement, sur lui, il a encore un peu de peinture et comme sa prison est grise et sent mauvais...

C'est plus fort que lui, à présent dès qu'il se trouve dans un endroit gris et triste il se met à le peindre, à peindre n'importe quoi ou à peindre la vie. Il se prive parfois de pain pour acheter des couleurs. Sans couleurs, la vie lui semble impossible ; elles l'aident à respirer. Malheureusement, les forces de l'ordre n'apprécient guère ce genre de peintre-barbouilleur et, assez régulièrement, il va passer son week-end en cellule, sous l'oeil amusé et habitué du commissaire de police.

X n'est pas mécontent de retrouver sa prison, elle est à son goût. Les policiers n'ayant pu effacer les traces de son passage, lui ont laissé la même cellule... Et X ayant vendu sa maison pour acheter de quoi peindre et manger un peu, dort à la belle étoile en semaine et barbouille le commissariat de police pour pouvoir y entrer en fin de semaine.

Hélas cette vie ne dura pas longtemps. Un certain ministre ayant été averti, le fantaisiste X finit ses jours dans une maison de psychiatrie toute blanche où il tomba fou de ne plus voir de couleurs.

DOMINIQUE

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