Théâtre National des Enfants

Jack Lang, directeur du Palais de Chaillot, a réussi à créer à Paris le Théâtre National des Enfants (T.N.E.).

Il s'agit de monter et de présenter pour les enfants des spectacles gratuits issus d'initiatives diverses (entièrement ou partiellement produits par le T.N.E.).

En accord avec l'armée, dans la cour du château de Vincennes plusieurs chapiteaux ont été dressés. Là se trouvaient aussi des ateliers (peinture, théâtre, etc.) qui fonctionnaient, comme les spectacles, durant les matinées et les après-midi.

Ont été présentés

En Mai :
L’APPAREIL PHOTO
VENDREDI OU LA VIE SAUVAGE
LE PETIT PRINCE
Et un spectacle audio-visuel
en juin :
JEANNE L’ÉBOURIFFÉE De Catherine Dasté
LA MALÉDICTION DES CAPÉTIENS
E.N.F.A.N.C.E. 7.3
GAGAKU, spectacle japonais
LES PETITES CHOSES (danse)

L’APPAREIL-PHOTO

L'histoire et les maquettes ont été inventées par la classe de Mme Nicole DELVALLÉE École Jean-Jaurés de Sartrouville (Yvelines).

D'autres classes, celles de Mme METTE et de M. Camille DELVALLÉE (École Jean-Jaurès), et celle de Mme Yvette LONGCHAMPT (Groupe Scolaire, Cité Pramontal, Montélimar), ont été intéressées épisodiquement à cette création.

Mise en scène: Mireille FRANCHINO
Assistants à la mise en scène : Alain FREROT, Alain WENDLING
Décorateur: Gérard LO MONACO
Costumier: Pierre BETOULLE
Musique : .Jean-François GOYET, Christophe SOTO, la classe de Fère-en-Tardenois (Aisne) de Jean-Pierre LIGNON
Régie des éclairages: Jean BEAUFORT
Costumes, accessoires, décors réalisés par les Ateliers du Théâtre National de Chaillot

A partir du scénario de base, les personnages et les dialogues ont été construits grâce aux improvisations collectives des comédiens : le plus souvent effectuées en présence et avec la collaboration des enfants.
Gérald CHATELAIN : un passant, un malade, un commissaire, un écolier, un soleil, un ouvrier, un soldat, un mort, la femme en bleu, un enfant de Mme Boule - piano.
Jean COTTREL : l'appareil-photo.
Albert DELPY : un passant, un enfant de Mme Boule, l'abeille, le médicament, un écolier, un gardien de prison, un bedeau, un métronome, le général, un gros ver de terre, la photo de Barbuche.
Daniel DER GARRABEDIAN : un passant, la photo de la poubelle, un microbe, un écolier, un mort, le patron de l'usine, un enfant de Mme Boule, un soldat.
Mireille FRANCHINO : la photo de Mme Boule, la photo du pâtissier, la femme en bleu, la fleur, l'institutrice, une ouvrière, le mange-guerre, une passante, une vieille femme, un grand ver de terre. - accordéon -
Alain FREROT : Barbuche.
Jean-François GOYET : Benjamin, un mort, la femme en bleu. - piano, trombone, trompette -
Gérard LO MONACO : le pâtissier, la femme en jaune, l'écolier, la photo du clown, un ouvrier. - banjo, guitare –
Cathy QUESEMAND : une passante, Mme Boule, une écolière, la femme du patron. - baryton -
Édith SCOB : Rose, la femme en jaune.
Christophe SOTO : le conteur, l'enfance de Mme Boule, un écolier, un oiseau, un ouvrier, un président d'État, un clown : - harpe, cornet, guitare, hélicon, quatro, accordéon -
Jean-Robert VIARD : la sardine, le mille-têtes, le curé, la photo du malade, un soldat. - piano –

   

L’ APPAREIL PHOTO

Nous avons fait une sculpture avec de vieilles ferrailles recouvertes de filasse trempée dans du plâtre.

Elle représente une chèvre sur laquelle nous montons souvent à califourchon pour faire du rodéo ou de grandes chevauchées sur la pelouse de l’école.

Un jour, certains d’entre nous l’ont utilisée comme appareil photo dans une pièce de théâtre libre.

C’était tellement drôle que nous avons eu l’idée d’inventer toute une histoire pleine d’aventure dont le personnage principal serait un appareil photo fait de ferrailles et vivant comme un animal ou un enfant.

NOTRE VIE

Le mois de mais est encore placé sous le signe du théâtre :

Nous allons à Paris voir L’Appareil Photo, le spectacle que nous avons inventé et mis au point avec Mireille Franchino et ses comédiens. Nous en revenons vraiment très contents. Nous regrettons seulement que la fin que nous avions prévue n’ait pas pu être mise au point faute de temps. Il est dommage aussi que certains costumes n’aient pas été faits ou terminés à temps pour les représentations publiques.

À la fin du mois, quelques comédiens accompagnés de Mireille sont venus nous voir à l’école. Monsieur Bertrand était là car il nous a proposé de préparer un reportage sur notre spectacle pour Art Enfantin et Créations (nous avons d’ailleurs profité de sa visite pour lui remettre une lettre où nous lui disions comme nous avons aimé le dernier numéro d’Art Enfantin consacré à la poésie).

Certains d’entre nous vont à paris avec la maîtresse le samedi et le mercredi. Ils voient plusieurs spectacles présentés dans la cour du château de Vincennes dans le cadre du Théâtre National des Enfants.

Enfin nous allons tous voir le nouveau spectacle de Catherine Dasté au théâtre de Sartrouville. JEANNE L’ÉBOURIFFÉE nous amuse et nous intéresse mais nous sommes déçus car l’histoire qu’on commence à nous raconter n’a pas de fin…

EXTRAIT DU JOURNAL SCOLAIRE

« Glane »

TOUS

CONVERSATION CHEZ NICOLE APRÈS LA CLASSE

Ont participé : Nicole Delvallée, Mireille Franchino, Jean-Pierre Lignon, quelques comédiens et quelques enfants.

Reportage de MEB.

- L'APPAREIL-PHOTO, pour les enfants de ta classe, pour toi, Nicole, c'est quoi ?

- C'est leur vie ! C'est eux ! On a défini ce personnage de L'APPAREIL-PHOTO comme leur propre présence dans ce monde, dans leur famille, dans la rue, dans le super-marché, au milieu de la société telle qu'elle est.

- ça vous a « servi » à quoi de monter ce spectacle ?

- A quoi ?... Notre grande préoccupation, c'était de savoir qui on est... La grande réflexion, c'était de prendre conscience de qui on est...

Moi, c'est ma préoccupation...

C'est aussi la préoccupation de Mireille : « Qui sommes-nous ? » Tenter de comprendre qui on a en face de nous : et puis, surtout s'accepter ! S'accepter soi-même et accepter les autres. C'était ça le parti-pris, au départ. C'est ça que j'essaie de vivre avec mes gosses.

   

- Et comment ça s'est passé ?

- C'est toute une histoire ! une histoire d'éducation... C'est un ensemble de relations : une institutrice, une classe, un metteur en scène, un groupe de comédiens. Et tout cela agit ensemble.

- Précise la relation enfants-comédiens...

- Ils sont venus très souvent dans la classe. Parfois tous les douze ensemble. Et ils se sont totalement intégrés à notre travail. Je retrouve de leurs dessins parmi ceux des gamins ! Ils ont aussi découvert la pédagogie Freinet... A un moment, même, ils m'ont contestée : pour eux, l'expression libre, c'était d'abord la liberté. C'est-à-dire n'importe quoi, n'importe comment, l'abandon ! Le défoulement surtout ! Ils ne comprenaient pas que, parfois, je doive me fâcher. Que je sois exigeante avec les enfants, avec leur travail.

- Sans cette exigence, sans cette recherche de qualité, la réalisation du spectacle, né dans ta classe, trois ans auparavant, aurait-elle été possible ?

- Sûrement pas ! Absolument pas ! Toute oeuvre aboutie exige la volonté d'aller jusqu'au bout. Jusqu'au dépassement. A chaque fois, c'est le meilleur de soi-même qu'il faut donner. Il faut toujours aller à la limite supérieure. Et en sachant qu'on peut encore la dépasser la fois suivante ! Oui, j'avoue que je suis très exigeante envers les gamins.

Et Mireille l'était aussi avec les comédiens ! ... mais nous en reparlerons !

- L'APPAREIL-PHOTO : pourquoi ?

- C'est précisément la recherche des images : la nôtre et celle des autres !

Mais d'une manière nouvelle ! Tu te souviens comment ça commence : d'un côté, BARBUCHE un vieux photographe traditionnel, ne faisant que du noir et blanc... De l'autre, une jeune photographe, ROSE : elle fait de jolies photos en couleur et de plus, elle est amoureuse de BENJAMIN...

En se préparant, un jour, à déjeuner ensemble, ils débarrassent l'atelier et pour cela ils jettent dans la poubelle tout un tas de vieilles choses.

   

Et voilà que sort de la poubelle un appareil-photo nouveau genre : un appareil-photo vivant ; et qui fait des photos vivantes, qui sont en couleur, qui parlent et qui marchent. Et maintenant on va photographier la vie : Madame BOULE et ses neuf enfants, un malade et son médicament, un grand ver de terre, des morts, un général et des soldats, un patron d'usine et le travail à la chaîne, le Mille-Têtes qui prévoit tout, un curé, la classe et la maîtresse, le Grand Distributeur de caddies, la Fête obligatoire, et puis, pour terminer, on photographiera... le bonheur !

- Et BARBUCHE ?

- Oh ! BARBUCHE c'est la tradition et la routine... I1 volera l'appareil-photo. Mais celui-ci refusera de travailler et de vivre pour lui !

Et en définitive, l'action profonde de la pièce c'est l'histoire de la rééducation de BARBUCHE : c'est la trame psychologique voulue par les enfants. Et c'est plein d'espoir !

- Parce qu'il rendra l'appareil-photo à ROSE et BENJAMIN pour faire la photo du Bonheur ?

- Là., tu veux en savoir trop ! Va voir la pièce ! Va le revoir avec tes lecteurs !

   

- Alors, parlons de la façon dont se sont passées la préparation et la réalisation du spectacle.

- Lentement d'abord. Sans préoccupation de réalisation et de mise en scène (le producteur-mécène était tout à fait hypothétique !)

Mireille FRANCHINO venait régulièrement dans la classe participer à nos activités dramatiques - en tant que comédienne = théâtre libre, jeu dramatique, inventions de thèmes, études de mouvement.- et aussi mise au point, enrichissement, affinement de « l'histoire » que nous créions tous ensemble, patiemment, semaine après semaine.

- Et au bout de trois ans, c'était prêt. Mireille ?

- On n'a jamais été prêt ! On a failli ne jamais l'être !

- Toi, tu peux parler du rapport comédiens-enfants...

- Pour nous, comédiens, c'est un enrichissement ! Les enfants ont travaillé avec nous et ils ont participé à des répétitions. Souvent nous sommes partis de leurs improvisations. Reprises, ensuite, aussi, en improvisation par les comédiens.

Les enfants ont critiqué notre jeu et la conception même de nos personnages. Ils se font aussi, dans leur jeu, des critiques que nous n'osons pas nous faire nous-mêmes. Ils le font sans se vexer, sans en garder rancune : ils sont dans l'action ! et dans la vie... Pour eux une critique, ce n'est pas un jugement !

Ils nosu ont aidés à aller plus vite !

-Jusqu'au moment où...

 

   

- Oui, jusqu'au moment où ça n'a plus été possible... La permanente remise en cause du jeu démoralisait certains comédiens qui n'étaient pas préparés à un tel travail... Il a fallu que les adultes préparent seuls leur spectacle ; en respectant les dialogues notés, les situations entrevues dans les improvisations ou racontées et notées, comme les décorateurs et les ateliers de costumes du Palais de Chaillot ont scrupuleusement suivi les dessins et les maquettes des enfants. Mais il nous fallait donner vie à des personnages. Il nous fallait avoir le temps de les découvrir et de les camper. Nous avons une grande part dans le spectacle. C’est naturel !Et il nous en a fallu des discussions pour tous être d'accord !

- Et maintenant ? Est-ce que c’est terminé ?

Pas seulement pour L'APPAREIL-PHOTO mais pour le théâtre pour enfants en général ? Est-ce que d'autres expériences sont en cours ?

- Une voie est tracée.

Ce qu'il y a de certain, c'est que dans les sondages effectués au cours de ce mois de mai au château de Vincennes, ce que les enfants ont préféré, c'est, en premier lieu, les ateliers où ils pouvaient faire du théâtre et en second lieu L'APPAREIL-PHOTO.

- Mais de cela on n'en parle pas trop ! Les responsables du Théâtre National n’ont pas cru à ce spectacle. J.LANG l’a dit et il l'a déclaré au NOUVEL OBSERVATEUR : il ne « croit pas à l'art enfantin ». Il dit que « ce sont les adultes qui prennent plaisir à accrocher les dessins, les enfants s'en moquent, eux ! »

L’art ne consiste pas à accrocher des oeuvres à des cimaises ! Il consiste à faire, à s'exprimer et à communiquer! Et le théâtre est aussi un moyen pour des enfants de transmettre ce qu'ils expriment ! Aux enfants comme aux adultes !

   

[Quelques enfants réagissent : - Mais les peintures des adultes est-ce que c'est toujours de l'art ?Faut-il y croire ?]

- Quel bilan rapide peut-on faire aujourd'hui alors que le spectacle est terminé et qu'on ne sait pas où et quand il pourrait être repris ?

- En tant que comédiens, impressionnés comme nous l'avons été par le contact de travail et de création avec les enfants, ce que nous ne pouvons que réclamer c'est d’aller encore plus à fond dans les rapports enfants-comédiens : il aurait fallu, il faudrait vraiment vivre et travailler ensemble durant les deux ou trois mois de préparation et de répétitions précédant la première représentation.

- Et les attaques ? Celles de Michel Droit à l'ORTF ?

Celles d'une certaine presse et plus encore le silence fait autour de la pièce par rapport aux autres spectacles de T.N.E. ?

- Sur la forme nous en avons dit assez. Sur le fond il est clair que les enfants ont montré de leur monde une image sans fard...

   

I1 y a forcément une critique de la société dans laquelle nous vivons puisque L'Appareil-Photo est rejeté et renvoyé de partout : il agit librement, et tout de suite il est brimé !

Ils ont créé des images, par exemple : à l'école ; quand l'Appareil-Photo arrive, il trouve une guitare, il en tire les cordes, il entoure les murs de la classe, et cela fait de la musique quand les enfants les touchent. Il fallait conserver cette image ! et montrer comment s'effondre ainsi l'école traditionnelle...

Ceux qui se sont sentis touchés ont réagi et d'autant plus bêtement et méchamment que la blessure était vive !

- Raison de plus pour défendre le spectacle !

- Et la musique, Jean-Pierre ?

- Une partie seulement du spectacle a été enregistrée par des enfants. L'autre partie est jouée devant les spectateurs par des musiciens qui ont composé les accompagnements.

- Pourquoi une partie seulement ?

- Nous n'avons pas fait spécialement cette musique pour le spectacle. C'était des enregistrements issus de notre travail quotidien, quand les enfants créent librement. Nous avons apporté nos bandes et les comédiens ont choisi ce qui leur plaisait. Puis ensuite, en connaissant le scénario, on a refait et enregistré des passages. Il y a une fusion entre les créations spontanées, les oeuvres nées pour la pièce ; et du côté des comédiens, des moments sont inspirés par des thèmes entendus dans la classe et d'autres totalement inventés par eux.

- Dans l'idéal, tout un spectacle pourrait-il être mis en musique par des enfants ?

- Naturellement ! Je veux dire à la fois que c'est possible ! Et qu'ils peuvent le faire sans contrainte !

   

La conclusion nous appartient :

SUIVRE LES ENFANTS JUSQU'AU BOUT !

Jamais on n'a réussi à aller aussi loin dans le respect du compagnonnage adultes-enfants, comédiens -enfants, comédiens -enfants - auteurs qu'au cours de la réalisation de L'APPAREIL-PHOTO ; jamais on n'a pu obtenir autant de moyens pour réaliser cette conformité, mais surtout jamais personne n'avait osé - partant d'une image aussi libre, aussi débridée, aussi riche, aussi  mouvante, aussi « actuelle », mettre en scène une vision du monde qui, à coup sûr, ne peut pas manquer de choquer ou d'émouvoir les adultes.

Ce n'est pas le plus mince mérite accordé à l'APPAREIL-PHOTO !

 MEB

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