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Nous recevons cette lettre de notre camarade Inès BELLINA, 284 bis, rue Solférino, Lille.

Cela fait depuis le Congrès de Nice que je rumine des choses à vous dire, vous direz que j'ai eu le temps puisqu'il y a eu Lille après, mais c'est quelque chose de difficile.

Tout d'abord, je tiens à préciser que si je n'exerce plus en tant qu'institutrice, je suis restée en contact, lointain il est vrai avec vous et que ma position n est pas critique mais amicale.

C'est le dernier Art Enfantin (n°62) qui est en cause, mais en fait c'est l'orientation qui est prise et qui me donne l'impression que vous jouez les apprentis sorciers. En effet, de plus en plus, ce que vous publiez relève d'une pathologie créatrice et la question que je vous pose est la suivante. Devant les appels au secours que vous lance l'enfant que faites-vous ? Vous contentez-vous de vous extasier sur son oeuvre ou l'aidez-vous ? Si vous l'aidez, comment le faites-vous ? Certains dessins sont des dessins d'enfants très psychopathes qui ont besoin bien sûr d'une pédagogie créatrice et permissive mais qui ont aussi besoin d'être reçus en profondeur, d'être expliqués à eux-mêmes, qui ont besoin qu'on les aide à se structurer et à structurer le monde dans lequel ils vivent. Le faites-vous ? Comment et avec qui ? Qui vous contrôle, vous et vos propres fantasmes face à ces enfants ?

Il me semble, pour travailler très souvent avec des enfants psychopathes, que l'expression ne suffît pas. Ce n'est pas parce que quelqu'un crie au secours qu'il est sauvé pour autant. C'est bien, qu'il puisse crier, mais il faut aussi que ce message soit entendu au-delà de l'explicite qui, au fond, n'est que le sommet de l'iceberg. Or, ce dont j'ai peur, c'est que certains enfants crient et ne soient entendus qu'au niveau d'un esthétisme. J'ai entendu à Lille, j'ai oublié son nom pourtant je le connais, et je ne mets pas en doute ni sa grande sensibilité ni son savoir-faire, quelqu'un parlant d'un certain Joël qui est à l'école Freinet dire : « Il a des idées formidables, il imagine des gens s'agitant dans une poche fermée. » Ce n'est pas difficile d'y voir un fantasme de matrice ; si Joël par ailleurs était un garçon équilibré, cela ne me ferait pas peur, mais manifestement ce garçon a besoin d'aide, il semble hésiter entre deux statuts. Je ne conteste pas que le travail qui est fait est valable, il s'est épanoui et il est heureux dans ce cadre, mais que faites-vous pour le préparer à un cadre qui sera forcément plus frustrant ? Comment l'aidez-vous à renoncer à cette mère qui n'était pas valable mais dont il conserve la nostalgie ?

De même pour les dessins d'Augustin Jimenez. Peut-être que c'est un génie ; mais pour moi c'est surtout un garçon qui s'évade. S'il conserve tout de même le contact avec le réel, aucun problème mais est-ce que ça ne fera pas un second Alain Gérard ? Notre mission est-elle de promouvoir une création que nous ne recevons comme telle que si elle dérive d'une pathologie, parce que c'est extraordinaire et original, ou bien de considérer comme création ce qui est ressenti comme tel par l'enfant ?

Seconde question, face à une pathologie, que faire ? Enfermons-nous l'enfant dans sa création (telle cette institutrice qui fît une exposition de dessins d'un enfant dessinant des bébés dans le ventre de leur mère, si bien qu'il en a fait pendant toute l'année puisque cela semblait faire plaisir à l'institutrice ‑ je caricature sans doute ou bien entendons-nous la question posée par l'enfant, y répondons-nous d'une certaine façon quitte à courir le risque d'avoir une production moins prestigieuse mais un enfant plus apte à affronter les autres ?

Je ne veux pas dire par là, que toute création enfantine soit pathologique, du tout ; mais il semble que les choix faits depuis quelque temps ne dépareraient pas les études de dessins faites sur des catégories de psychopathes dans des revues spécialisées de psychiatrie. Est-ce cela l'Art enfantin ? En ce cas, et je vous le dis, en toute amitié, l'image que vous donnez est celle de dangereux irresponsables, puisque vous présentez en modèle ce qui devrait être accompagné de commentaires autrement nuancés.

A propos de l'article sur B. (page 26), j'ai peur que le problème ne se soit figé et qu'il ne soit difficile maintenant de l'aider car B. a trouvé une forme d'équilibre, ce qui ne signifie pas d'adaptation... mais c'est facile de dire, je ne sais pas ce qu'on aurait pu faire ; en ce qui me concerne j'aurais réclamé l'aide d'un C.M.P.P. ou d'un psychiatre psychologue, ne serait-ce que pour contrôler son évolution et trouver un relais de dialogue plus personnel.

Maintenant que j'ai dit ce que j'avais à dire, il faut que je reconnaisse loyalement qu'en ce qui me concerne, j'ai de plus en plus l'habitude d'adolescents en difficulté et de moins en moins l'habitude d'adolescents normaux, c'est-à-dire ayant un niveau satisfaisant d'adaptation, qu'en principe la normalité est sans histoires. Mlle Chiland dit qu' « il faut un peu de névrose pour réussir » mais point trop n'en faut... Peut-être que le travail qu'on pourrait mener c'est d'essayer de rechercher des indices d'alerte qui nous amèneraient à nous pencher sur les productions de certains enfants ou adolescents, car je maintiens les questions que je posais :

- permissivité dans quel cadre ? en vue de quoi ?

- expression créatrice, oui, mais comment la recevoir ?

- création au sens du maître ? ou au sens de l'enfant ?

Voici en désordre ce que j'avais à vous dire ; peut-être qu'après tout mes réserves sont inutiles, mais j'avais envie de vous les dire, parce que je gardais cela pour moi depuis trop longtemps et qu'après tout l'Art Enfantin est une revue qui peut aller dans d'autres milieux et que je vous aime bien.

Nous laissons le soin à chacun de méditer quelque temps sur les questions posées par notre camarade.

Dans un premier temps, et ce n'est pas une réponse mais seulement une illustration, nous proposons un tableau extrait de BIZARRE (n° d'avril 56) et classant quelques « artistes » dans le bottin de la folie, par département mental... L'art n'est-il pas dans notre monde aliénant, une réaction ???

BULLETIN DE TRAVAIL

de la Commission Art Enfantin de l'I.C.E.M. ‑ Pédagogie Freinet.

Notre revue désire avant tout porter témoignage, et rester un écho.

Elle désire encore s'adresser directement aux enfants et aux adolescents : s'ouvrir davantage à eux.

Aussi les débats, les polémiques, les problèmes plus spécifiquement pédagogiques et s'adressant plus particulièrement aux enseignants et aux adultes trouvent tout naturellement leur place dans le BULLETIN DE TRAVAIL de la Commission Art Enfantin. Écrivez, participez, souscrivez à ce bulletin en vous adressant à son responsable :

Roger CROUZET - École de Villefargeau par 89000 AUXERRE

Dans les nouvelles structures de travail de l'I.C.E.M., les bulletins ont été regroupés. Ainsi une publication intitulée « Créations et Expressions » regroupe les anciens bulletins des commissions suivantes :

* Art Enfantin (1)

* Connaissance de l'enfant

* Expression corporelle et jeu dramatique

* Musique

* Sexualité

Le responsable de ce bulletin Créations et Expressions est J.-P. LIGNON, 7, rue Gambetta, 02130 – Fère-en-Tardenois.

Pour ce qui concerne particulièrement l'Art Enfantin continuez à adresser votre copie à Roger Crouzet, à son adresse.

(1) Art Enfantin et expressions graphiques : tout ce qui concerne la recherche et la création dans le domaine du journal scolaire.

Le disque ICEM n° 7 RECHERCHES SUR LA VOIX (HORS COMMERCE) n'est livré qu'aux abonnés à Art Enfantin et Créations ayant souscrit au supplément.

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