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Chroniques de l’ART VIVANT

N°28 de mars 72

(Abonnement 25 F par an ; le n° : 3 F 10, rue Treilhard, Paris 8e

Direction : Aimé Maeght)

Nous pouvons nous attarder un peu longuement sur ce numéro qui comporte un dossier intitulé : L'art et l'enfant. Enfin !

Oui, enfin ! car depuis le temps que nous adressons régulièrement à toutes les revues d'art le service gratuit de notre revue - depuis dix ans, et toujours en vain.... voici un dossier qui montre l'intérêt de certains esthètes pour « notre » problème.

Notre problème qui est posé ainsi, en guise de présentation par J.C. (Jean Clair, rédacteur en chef) :

« Pervers polymorphe » (selon Freud), l'enfant tout jeune est aussi un créateur tout azimut. Diffuse, non canalisée, sa créativité se déploie spontanément dans des « œuvres » qui font souvent notre admiration. Vient l'école. Vient le dressage. Viennent les cours de dessin, et les cours de morale. Répression, censure, interdits, tabous : les classes de l'école deviennent des écoles de classe : une préparation à la soumission. De l'enfant exhibant fièrement une génitalité triomphante, on réussit à faire un adulte honteux. De l'enfant créant spontanément des dessins somptueux, un amputé des yeux et de la main. Répression de la sexualité et répression de la créativité vont de pair. Cela donne vingt ans plus tard - hors de la petite caste des privilégiés - des mutilés, manchots et aveugles.

Les rapports de l'art et de l'enfant sont donc des rapports cruciaux. L'enseignement de l'art, l'éducation artistique peuvent être, selon qu'on les considère, des instruments d'oppression ou des moyens de libération. L'art est le domaine réservé d'une élite : il peut être demain le forum des sensibilités. On a entouré les musées de cordons sanitaires pour que nul n'y entre qui n'ait montré patte blanche: on peut faire qu'ils soient demain les lieux vivants d'une culture nouvelle.

Et de citer ensuite Elise Freinet et le numéro 45 d'Art Enfantin.

Mais le problème débouche sur celui des rapports de l'art et de son public. Avec un peu de confusion, on oublie donc les rapports de l'enfant avec l'art et surtout de l'école avec l'art.

Mais, me direz-vous, l'art et l'école l'art à l'école, c'est surtout de notre ressort... A « l'Art Vivant », on ne met pas les pieds à l'école (ni l'école dans l'Art Vivant !). N'empêche qu'il est significatif que l'on ne peut qu' « oublier » l'école et les enseignants et leur enseignement... (une fois cité l'Art Enfantin !)

Et malgré tous nos efforts !

Le dossier L'art et l'enfant se compose de :

1°- TEMOINS ET PROBLEMES

* des enfants à la Biennale de Paris il s'agit du récit par Cueco, peintre et mari d'une institutrice du XXe arrondissement, d'une odyssée : la visite effectuée au Parc Floral par 90 enfants accompagnés... ô débâcle !

* Une lectrice écrit, traitant du problème de la visite des musées par des groupes d'enfants, le jeudi, et du mauvais accueil réservé.

2° - REFLEXIONS

* Commentaires sur la visite, toujours par Cueco (assez amer...)

* Naissance d'un musée pour enfants par Catherine Huber, assistante au musée d'Art Moderne de la Ville de Paris. Expérience, pour le moment stoppée !

3° - SOLUTIONS : Les musées animés

• Le public à la découverte...

• Le musée à la découverte...

• Un musée nouveau

D'autre part nous pouvons lire, sous forme d'un débat organisé par Lise Brunet avec des professeurs de danse : L'Enfant et la danse. Il ne s'agit, évidemment pas, de la danse à l'école, mais des écoles et des cours de danse... Notons une réplique que nous soulignons :

Le cloisonnement dans l'enseignement est très grave. On enseigne tout sans faire aucune synthèse. Dans les arts, c'est la même chose, aucun lien entre un cours de danse ou de peinture.

Je crains, pour ma part, à voir dans nos classes se créer des « ateliers », fussent-ils libres ! et pire, permanents ... qu'on assiste au même cloisonnement... Chose d'autant plus grave que nous n'aurions aucune synthèse à faire : il suffirait de ne pas découper la Vie, la vie des enfants, de la classe, l'activité vraie du groupe, en rondelles de saucisson ! Une même expression libre (comme cela veut dire bien autre chose que le mot à la mode « créativité » !...) peut trouver sa voie, à la fois dans le geste, le chant, le trait, l'objet créé et le texte dit ! N'oublie-t-on pas trop souvent, la musique créant l'ambiance sur la lecture d'un poème, la danse autour d'une sculpture, le décor peint pour l'action dramatique ?

Enfin, même s'il ne s'agit plus d'enfants, il s'agit d'enseignement : « A Vincennes un enseignement musical nouveau ». Présenté par Daniel Caux, il s'agit de la mise en place, depuis 1968 par Evelyne Andréani d'un département musique à l'esprit nouveau.

Comment imaginer un cours de musique qui ne soit pas trop directif afin de ne pas étouffer tout dynamisme inventif et qui, en même temps, soit suffisamment structuré pour ne pas sombrer dans le désordre et la démagogie ? sur quels critères formels articuler un tel enseignement ?

Dans notre domaine - celui de l'expression libre à l'école primaire et des bases à donner à une « culture » musicale, nos disques récents, les débats ouverts cette année dans tous les numéros parus à propos de la musique, tout cela apporte, pensons-nous, des éléments valables et constructifs. Nous offrons nos travaux !

En quelque domaine que ce soit, l'expérience maintenant longue et probante, de la pédagogie Freinet, nous permet, face aux exigences, face aux angoisses, face aux revendications, d'offrir des solutions qui ne sont pas seulement celles de cas isolés, retranchés, « exploités » comme s'en plaint Cueco, mais au contraire construites au niveau de l'école populaire, au niveau de cet « Art du peuple, que tant d'esprits distingués cherchent sans le trouver » comme l'écrit Elise Freinet (texte cité par L'Art Vivant).

Ce n'est pas le lieu ici, ni la place d'entamer davantage le débat. Nous ne pouvons que vous engager à acheter et à lire ce numéro. A le conserver pour en faire le dossier des rencontres avec les parents, avec les artistes sur le thème des ouvertures et des raisons d'être de « notre » art enfantin.

Encore quelques précisions :

* Nous allons publier de nombreuses relations de visites de musée

de rencontres avec les artistes (comme nous venons de le faire dans le numéro 36 de BT2 : « Un peintre en visite dans une classe pratique » - Kamara, à St-Servan)

des réflexions sur les rapports entre l'art des enfants et l'art des adultes.

* Voir les bulletins de la commission Art Enfantin et les chantiers ouverts après le congrès de Lille, qui attendent votre collaboration.

Nous n'avons pas la place, dans ce numéro, de publier le compte rendu effectué par notre ami Le Charlès, peintre et époux d'institutrice, et se rapportant aux visites de musées qu'il effectue avec la classe de sa femme. Nous le publierons dans le prochain numéro.

Toute la différence entre la relation de Cuenco dans l'Art Vivant et celle que Le Charlès nous fera réside dans le fait que les enfants que Le Charlès mène au musée ont déjà effectué avec les peintres, avec l'art, un bout de chemin un certain compagnonnage... Comme le disait C. Freinet: « pour apprécier la poésie, il faut avoir tenté d'écrire des poèmes... »

Ce compagnonnage-là, c'est comme un mutuel respect de l'enfant et de l'homme pour l'oeuvre, pour « la belle ouvrage » et pour l'art...

MEB

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