MUSIQUE LIBRE

« Je suis bien… ..... dans la classe
On est bien… ......... dans la classe
Et c'est bien… ....... dans la classe
Je vais bien… ........ dans la classe
Toi t'es bien… ....... dans la classe
Si c'est bien… ........ dans la classe
On joue bien… ....... dans la classe
On travaille… ........ dans la classe
la la la… ................. dans la classe
nin nin nin… ........... dans la classe
on fait bien… .......... dans la classe
que c'est bien… ..... dans la classe
et c'est bien… ........ dans la classe
… .............. dans la classe
on est bien… .......... dans la classe

La longue litanie de Dominique surplombe les gestes lents et solennels des « dessineurs » et accompagne le dialogue affairé des « imprimeurs ».

Et je pense : « Qu'est-ce que je pourrais apporter à cet enfant pour l'aider ? »

Eh !  ! veut-il de l'aide ? Non, il chante, comme ça, pour le plaisir !

Mais a-t-il conscience de tous ses besoins ?

Je ne peux m'empêcher de noter mentalement le rythme balancé comme une polka, scandé comme un slogan.

Et la « mélodie » ? Elle se cherche un équilibre, elle se voudrait assise sur les trois notes de l'accord mineur avec arrêt juste à la tierce (Mib) qui seule est invariable. La tonique (Do) est presque bien posée, elle devient de plus en plus juste... Mais la quinte (sol) est plus que variable, elle oscille entre fa# moins 2 commas et sol # plus 2 ou 3 commas. C'est beaucoup.

Voilà peut-être l'aide que je pourrais apporter : permettre à Dominique de situer en sol et qu'il soit « juste ».

Mais juste comment ?

Cherche-t-il le sol à la justesse de MON oreille ou, un certain sol qui satisfasse l'équilibre souhaité par LA SIENNE ?

Comment savoir ?

De toute façon, je pense qu'il aura besoin de se fixer au sol de tout le monde.

En effet, comment pourrait-il chanter avec les autres s'il n'a pas le même sol qu'eux ? Cet effort social demande une aide.

Je me dois de l'apporter.

J'ai là ma guitare à portée de la main, ou bien le xylophone justement accordé sur la gamme de Do mineur.

Quelle est la cause de mon hésitation ?

Oh ! c'est une cause très prosaïque !

J'ai les mains pleines d'encre et de siccatif, car je suis en train de recharger la plaque d'imprimerie, ce que personne dans l'équipe du jour ne sait faire. Il va falloir, si je veux prendre la guitare, passer mes mains à l'essence et les savonner. Quand ce sera fini, Dominique pensera à autre chose... si toutefois je ne suis pas « appelé » à une autre tâche tout aussi salissante et urgente avant.

Et je m'abstiens d'intervenir, je refoule ma pulsion pédagogique en pensant tristement que Dominique n'aura pas fixé son sol aujourd'hui. Et aussitôt je me console en pensant que je n'aurais peut-être pas eu l'impact souhaité.

Ah ! que voilà des pensées pleines de sollicitude et de conscience professionnelle !... Mais comme elles sont loin de la vie, comme elles sont loin de l'enfant lui-même !

Ce sont les pensées d'un pédagogue.

Ne pouvant intervenir, j'aurais pu justifier mon abstention par une série d’arguments souvent appréciés : PAS BESOIN... ÇA SE FAIT TOUT SEUL... LA PREUVE... ET TA TA TA...

Et j'aurais pu trouver la preuve... En cherchant bien on trouve !

Or, chacun sait que rien ne se fait tout seul : pas de découverte, pas de création, pas d'éducation dans un désert. En musique ça se traduit par la lapalissade : « Pas d'éducation musicale dans le silence ».

Mais où était la vie ? Où était l’enfant ?

Quel était le contexte ?

Lundi, Dominique joue sur le xylophone (en do mineur) pendant un moment. Et chaque jour de cette semaine, il meublera ses « interactivités » par un petit air. Il y pense peut-être lui même à fixer son sol ?

Mardi, au stade, il a écouté les « notes » des piliers du portique qu'il frappait avec un bâton. Au retour, il a fait sonner les tubes de fer servant de grille à notre voisin. « C'est pareil, comme là-bas ! » Ce qui voulait dire : « Ce sont peut-être les mêmes notes que j'ai entendues au stade ! ».

Mercredi, à la récréation, il jouait à l'ambulance avec son pneu, et le « PIN PON » était très recherché. L'après-midi, comme il était « rouleur », il cherchait un rythme avec… le rouleau d'imprimerie, en le secouant comme une paire de maracas et en étalant l'encre sur la plaque.

Vendredi, je l'ai un peu perdu de vue, il a tenu à être tranquille pour tailler sa,pierre. Qu'a-t-il pu rythmer en sculptant ? Je connais assez Dominique pour savoir qu'il ne tient pas en mains une possibilité sonore sans tenter de l'exploiter. Je l'ai entendu chantonner, qu'a-t-il cherché ?

Qu'importe, je ne le suis pas hors de l'école pour savoir si ces recherches continuent et comment. Car elles continuent, soyez-en sûrs !

Si, ce samedi matin, Dominique chante sa joie d'être à l'école sur un air malhabile, incertain, quelle importance cela a-t-il en regard de la richesse de la qualité de son écoute cette semaine ?

Et je ne dis pas tout.

Il faudrait parler de ses recherches récentes avec l'eau avec une cymbale, avec des imitations d'animaux, avec...

Il faudrait parler aussi des chansons entonnées dans la classe spontanément et de celles apprises au cours de séances collectives qui procurent bien de la joie et durant lesquelles on ne se pose pas le problème de la quinte.

Il faudrait compter aussi avec la télévision et la radio qui lui ont imposé leur univers musical.

Entrent en ligne de compte également les nombreux moments musicalement « sonorisés » qui en classe, apportent, outre l'ambiance, des structures diverses et bienfaisantes. Pendant ces moments nous écoutons ou nous nous laissons accompagner par des oeuvres d'enfants et d'adultes de tous horizons.

Tous ces éléments du « bain musical » (plus tous ceux que j'aurais pu oublier) sont déterminants.

En voulant intervenir dans le processus d'intégration de cet enfant, n'ai-je pas un peu trop préjugé de mon « indispensable part du maître » ?

La part du maître, n'est-elle pas avant tout, en musique, dans le souci de fournir un bain musical équilibré et diversifié ? N'est-elle pas dans la volonté de compensation du sectarisme de la culture musicale majoritaire ?

N'est-elle pas de favoriser et de développer, de par ma disponibilité et mon intérêt, les comparaisons, la qualité d'écoute, la création, la construction de structures sociales et personnelles ?

Jean‑Pierre LIGNON

Nous avions tacitement décidé, depuis longtemps, d'exclure de cette revue, les « articles » des adultes ou des enseignants, afin de laisser toute la place aux enfants.

Pourtant voici le deuxième « article » sur la musique. Et un troisième sera nécessaire.

Pourquoi un article ? des mots ? des phrases ?

Nous avons pourtant produit des documents.

Et nous publions des disques, maintenant régulièrement. Des disques qui sont non seulement des témoignages vivants, mais aussi des étages et des jalons dans le cours de nos recherches. « La musique libre » est toujours en plein tâtonnement. Alors nous avons besoin de multiplier les exemples et les relations des faits, de les répéter.

Le disque Quelques musiques simples et rythmes libres, I.C.E.M. n°6 qui vient de sortir (1) se raccroche à la relation exposée ici, car c'est, dans la même classe de perfectionnement, le reportage d'une recherche et d'un tâtonnement à propos d'une chanson.

C'est aussi le cheminement naturel (selon la méthode du même nom...) vers l'imbrication socialisée, comme l'exigent la pédagogie Freinet et toute démarche de l'art enfantin et de ses créations.

(1) Disque I.C.E.M. n°6, 33 t., 17 cm, 8 F (actionnaire C.E.L. et abonné à Art Enfantin : 6,40 F) à commander à la C.E.L., B.P. 282, 06 - Cannes.

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