La Petite Fille qui Cherche le Printemps

Création collective du « Centre de Danse International de Cannes » d'après une oeuvre d'enfants de Pontenx-les-Forges (Landes).

Interview de ROSELLA HIGHTOWER

La création du ballet « La Petite Fille qui Cherche le Printemps » est le résultat d'une collaboration avec ROSELLA HIGHTOWER. Danseuse étoile et chorégraphe du Ballet Theater américain, de la troupe du Marquis de Cuevas et de la Compagnie Markova-Dolin, elle dirige aujourd'hui - tout en étant directrice de la danse à l'opéra de Marseille - un Centre de Danse International à Cannes.

Nous nous sommes entretenus avec celle dont la danse est toute libre et spontanée, celle dont on dit qu'elle est « une force de la nature qui danse de tout son corps avec un abandon passionné ».

Pourquoi avez-vous accepté de faire réaliser collectivement par tous les élèves de votre cours le ballet de « La Petite Fille qui Cherche le Printemps » ?

Qu'est-ce qui vous a attirée vers cette histoire ? Une simple histoire d'enfants peut-elle faire un livret ou un argument de ballet ?

Les élèves du Centre de Danse International suivent un intense programme de formation générale en plus des cours des différentes techniques de la danse : histoire de l'art, de la musique, de la danse. solfège, dessin, anatomie, art dramatique, mime, langues vivante, etc. les spectacles chorégraphiques qu'ils vont voir au théâtre, l'écoute et la discussion de disques, les discussions d'articles de journaux... Donc pour moi cette réalisation collective, sur un thème donné, est une expérience intéressante pour voir à quel point leur programme de formation artistique en plus de leurs cours techniques est valable et efficace.

Seront-ils capables d'assimiler ces connaissances acquises, de fabriquer des cadres pour présenter leurs dons naturels de création en tant que chorégraphe, de même qu'en tant qu'interprètes ils seront aux prises avec leurs techniques ?

Ce spectacle nous donnera la réponse et je dirai d'avance pleine de confiance « Oui, à TOUT, »

J'étais attirée par le thème de « La Petite Fille qui Cherche le Printemps », par la poésie de l'idée et la grandeur du thème, comparable aux thèmes mythologiques grecs (Perséphone). Toute simple, l'histoire de l'enfant a cette même grandeur et cette poésie ! Le mythe est le pont qui fait la liaison entre le monde de l'esprit et le monde objectif, c'est-à-dire le réel, thèmes qui sont les mieux traduits par l'art chorégraphique.

L'univers psychique d'un peuple, d'une civilisation, d'une époque existe dans leurs mythes, et tous les mythes, de toutes les époques se rejoignent pour raconter les mêmes vérités, et les mythes de l'enfance en font partie.

Vous avez confié aux adolescents qui suivent vos cours, et en toute liberté, le soin de créer la chorégraphie du ballet de « La Petite Fille qui Cherche le Printemps ». Vous devez donc penser que l'on peut mettre sur le même « pied » d'égalité la création et l'apprentissage de la danse...

Pour revenir aux idées sur la formation artistique d'un enfant : oui, je mets sur le même « pied » d'égalité la création et l'apprentissage de la danse ; ce sont les deux parties d'un tout, l'une ne peut se passer de l'autre et c'est pour cela que je trouve nécessaire dans toute éducation artistique, un développement simultané des dons créateurs et des dons techniques d'interprète, donnant aux deux la même importance.

Pendant qu'il danse, à quelle part de création le danseur a-t-il droit ? Autrement dit : comment une technique aussi exigeante, aussi impérative que la danse permet-elle une interprétation aussi délicate, aussi profonde que celle de la poésie de l'enfant ? ou encore : la technique ne tue-t-elle pas trop souvent « l'esprit » ?

La part de création d'un danseur pendant qu'il danse est proportionnelle à la liberté d'expression acquise par le contrôle conscient et la discipline de son corps.

Un enfant, jusqu'à l'âge de 5 ou 6 ans, a cette liberté d'expression, sans que ce soit ni conscient, ni volontaire, mais par la grâce d'être un enfant et d'habiter le monde de l'enfance où l'esprit et le corps ne font qu'un.

L'enfant n'a pas encore la notion consciente d'une ligne de démarcation entre ces deux mondes, tandis qu'avec l'adolescence la séparation existe et se précise, les barrières sont montées, ensuite doit commencer la lutte pour devenir un artiste adulte : il doit dompter le physique et le soumettre (comme simple moyen d'expression) au monde de l'esprit. Notre part de création est fonction de cette réussite.

Y a-t-il vraiment une différence à faire entre la poésie, la danse, la chorégraphie quand elles sont issues de l'enfant, de l'adolescent, de l'adulte ? N'est-ce pas toujours la Poésie, la Danse ?

L'esprit créateur de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte sont trois parties d'une même vérité.

La création de l'enfant est intuitive, tandis que l'adolescent exprime une prise de conscience du monde réel et en général en lutte avec son monde intuitif ; l'adulte, en tant que créateur, doit réaliser une recherche volon­taire de l'intuition et l'expression d'un équilibre et d'une harmonie entre les vérités des deux mondes.

Hésiteriez-vous à produire le ballet de « La Petite Fille qui Cherche le Printemps » devant le public des grandes salles, devant les habitués comme devant ceux qui ne sont pas familiers de la danse ?

Je n'hésiterai pas à produire « La Petite Fille qui Cherche le Printemps » devant le public des grandes salles, devant les habitués comme devant ceux qui ne sont pas familiers de la danse, parce que je trouve que les créations de jeunes expriment leurs propres pensées ; leurs problèmes dans le monde d'aujourd'hui sont d'une importance majeure.

En ce moment puisque nous cherchons à donner « la participation » à la jeunesse, il est primordial d'être éclairé sur leurs pensées. Et comment l'être mieux que par des oeuvres de leur création ?

La valeur artistique de cette oeuvre pourrait être discutée à cause des limitations techniques des jeunes interprètes, mais en observant très objectivement, je vous assure que «  non » ! Et s'il y a des limitations techniques, elles sont compensées par la force dynamique et la ferveur des interprètes, apportant à l'œuvre une vérité d'enfant devant laquelle, nous, adultes, sommes souvent désarmés.

A votre avis, quels sentiments ont ressenti vos jeunes danseurs en réalisant la Petite Fille ?

Quel enrichissement ont-ils pu y trouver ?

Ou au contraire est-ce que ça n'a été qu'un simple exercice d'apprentissage ?

Mes jeunes danseurs se sont attaqués à la création de « La Petite Fille qui Cherche le Printemps » avec une ardeur et une foi dépassant tout ce que je pouvais imaginer.

Les heures passées enfermés ensemble en discussion pour le choix des musiques, le développement des thèmes, la construction chorégraphique, le style de mouvement, la solution par des mouvements chorégraphiques aux problèmes posés par les thèmes poétiques, ont soulevé mille et mille questions.

Et après, le travail actuel des répétitions : ceux qui étant les chefs et les créateurs chorégraphiques pour une scène deviennent les interprètes de la dernière ligne du corps de ballet pour une autre scène !

Le problème de faire travailler 55 jeunes personnes, toutes exaltées par leur liberté de s'exprimer, et ceci dans l'ordre, la discipline et la bonne volonté, de se plier au commandement des camarades pour le bien de l'œuvre ! Les avis différents et le sacrifice de ceux qui ont dû céder à cause d'une majorité d'oppositions !...

Ils ont vécu pendant ces trois mois de création des problèmes sociaux en même temps qu'artistiques, ils ont grandi dans leurs idées à cause des vives discussions concernant toutes les facettes de la réalisation d'une oeuvre artistique collective.

Le résultat « La Petite Fille qui Cherche le Printemps » c'est le Centre ! Et le Centre, ce sont 55 artistes chorégraphiques, déjà en pleine possession des techniques, pleins d'idées et capables de les exprimer. Merci à leur propre discipline volontaire.

Rosella HIGHTOWER,
1er mars 1971
Propos recueillis par MEB

 

LA PETITE FILLE QUI CHERCHE LE PRINTEMPS

 École de PONTENX-LES-FORGES Landes

Ceci est
l'aventure solitaire de l'enfant
à la poursuite de son rêve.
Dans l'univers ordinaire de sa vie
sa recherche devient féerie
par la seule magie de son enfance.
L'histoire n'est pas inventée
mais vécue et replacée au centre
même de ce merveilleux
« ordinaire »
de l'enfance,
totalement isolé et séparé
du monde entier.

 

... Les fleurs de partout disent :

- Bonjour Soleil!

- Bonjour mes fleurs ! répond le Soleil.

- Pourquoi n'es-tu pas venu plus tôt ?

- J'étais dans d'autres pays...

Maintenant les feuilles des arbres vont pousser !

l'annonce

La maman de la petite fille a dit hier au soir :

- Attention ! Demain, le printemps arrive !

le départ

Et ce matin, en ouvrant les fenêtres, la petite fille a vu les arbres jolis comme des arbres de Noël. Elle a entendu les oiseaux qui s'appelaient. Alors la petite fille a pensé :

- C'est le moment, je vais partir le chercher !

le cheval

On a rencontré un cheval tout nu.
« J'ai mené le Printemps ce matin de bonne heure... »
C'est un cheval-poulain,
un cheval gris, un cheval toujours content.
Il pourrait avoir des yeux noirs avec une queue blanche.
C'est un cheval qui aime les fleurs et la montagne.
Ce n'est pas un cheval ordinaire.
Il aime même se promener la nuit pour voir la Lune dans la rivière.
Il boit l'eau de la nuit.
Et la Lune lui a parlé :
« Tu vas trouver le chemin de la mer juste derrière la colline. Vas-y toi qui aimes l'eau, tu verras comme c'est beau. »
Les garçons sont partis et ils ont trouvé le chemin de la mer.
Ils ont couru sur le sable dans l'eau.
Le petit cheval est allé avec eux à la mer tremper ses pieds.
Dans la mer, ses pieds sont devenus des fleurs.
Alors
ils se sont vus
tout brillants
avec les cheveux mouillés.
Ils pensent à l'eau
qui plonge
et qui bouge...

le Jardin

Elle est descendue dans le jardin. Le printemps, ça doit, être vert.
Elle s'est penchée sur les salades.
Elle a soulevé les dernières feuilles.
Rien.
Elle regarde là où il y a les plus jolies fleurs, là où ça sent très bon.
Rien. Il n'y a rien.
La petite fille se dit :
- Je ne suis pas allée assez loin !

à l'église

Elle garde deux fleurs à la main pour faire venir son printemps et elle part sur la route.
Elle passe devant l'église :
- Peut-être qu'il est là...
Elle entre.
Mais dans l'église, c'est tout noir.
Il n'y a qu'une petite lumière tout au fond.      
Pas de printemps.

le coucou

Elle arrive au chemin de la forêt.
Tout au fond le coucou appelle:
« Coucou c'est la chanson du printemps!
Coucou dépêche-toi!
Coucou me voilà! »

le bûcheron

Dans une coupe, elle rencontre un bûcheron tout jeune et joli avec une fleur à son chapeau.
- Tu ne pourrais pas me dire si le printemps est passé par ici ? demande la petite fille.
- Je n'ai encore rien vu, répond le bûcheron, mais regarde le Soleil. Il s'est décoré les cheveux et il s'est fait une couronne de champignons. Alors marche!
Ton printemps ne doit pas être loin...

l'arbre

Et la petite fille se met à courir.
Devant un petit arbre tout brillant comme une guirlande, elle se penche :
- Des traces !
- Des traces comme des traces de loup!
Il est certainement passé par ici. C'est le bon chemin! Et elle part tout droit.

la maison

La petite fille marche encore. Elle est maintenant devant une maison rouge à côté d'un petit arbre frisé.
Elle se dit :
- Ce doit être la maison du Soleil. Mon printemps doit se reposer là !
Elle entre.
Elle appelle.
Mais la maison résonne.
Ce n'est qu'une maison triste et abandonnée.

le berger

Puis la petite fille arrive jusque dans une prairie. Il y a un berger avec un beau noeud papillon. Tous ses agneaux ont un bouquet accroché au cou.
- Tu n'as pas vu le printemps? demande la petite fille.
- Nous l'attendons. Regarde comme mes agneaux sont beaux. Si tu es pressée, prends ce chemin. Certai­nement tu rencontreras le printemps avant nous.

le monde et les chemins

Se sont croisés
des chemins
qui partent
vers les montagnes,
des chemins
qui s'emmènent
des cailloux, qui tournent
montent et
descendent
comme le grand-huit...
Ce sont des chemins-cailloux
des chemins-herbe
des chemins-fleurs
des chemins comme des bretelles.
Il arrive que tous les chemins se rencontrent.
Ils se disent bonjour.
Ils se donnent des nouvelles
du temps, du ciel, des nuages,
des gens qui passent.
Ils parlent des chenilles et des escargots.
Des chemins
passe le petit train
du printemps
qui a rencontré des arbres.
C'est le train qui fait la course avec les nuages
et les oiseaux.
C'est le train qui voyage et qui s'arrête tout le temps
parce qu'il voit beaucoup de choses :
les fleurs et l'herbe et le soleil.
Le petit train voudrait rester.
Le petit train voudrait oublier ses rails,
sa maison-gare, pleine de fumée,
pleine de poussière avec des gens qui courent partout
Et les chemins auraient bien envie d'aller ailleurs,
de changer d'endroit.
Mais les chemins restent toujours des chemins
toujours à la même place.
C'est des chemins un peu tristes, un peu de travers.

l'âne

La petite fille se sent bien fatiguée et malheureuse. Elle a presque envie de revenir chez elle.

Le chemin est plein de cailloux. Il n'y a qu'une petite fleur qui y pousse et un petit âne qui vient vers elle.

- Est-ce que tu n'es pas le petit âne du printemps ? demande encore la petite fille, qui maintenant est toute contente.

- Je ne sais pas de qui tu veux parler, dit le petit âne, mais monte sur mon dos. Je te conduirai.

le bal

Ils arrivent ainsi tous les deux dans un village plein de musique et de lanternes.

Les filles ont de belles robes. Les garçons rient très fort.

Sur une banderole accrochée à un arbre, la petite fille lit :

« GRAND BAL DU PRINTEMPS »

La petite fille est devenue toute rouge. Elle caresse son âne et elle se penche pour lui dire à l'oreille :

- Ce doit être là. Je vais le trouver en train de danser!

Alors elle entre dans la salle de bal.

Mais tout-le-monde ressemble à tout-le-monde.

Elle ne reconnaît pas son printemps, plus beau que tous les autres, avec une fleur à la main, des souliers verts et très blond...

Quand la musique se tait, elle se met à crier :
- Où es-tu printemps? Où es-tu ?
Je te cherche! Montre-toi!
            Il y a un grand silence
            et tout le monde se met à rire, à rire...

La petite fille est sortie en courant. Elle pleure. Elle entend encore rire toute la salle derrière elle. Elle est arrivée sans rien voir près d'un ruisseau plein d'eau claire.

La petite fille s'est couchée par terre sans rien regarder. Elle ferme les yeux et elle pleure :

- Il n'existe pas! Il n'existe pas!
Le printemps il n'est pas vrai!

Elle n'a plus la force de pleurer. Elle ouvre juste un peu les yeux. ... Sur le ruisseau, il y a une belle libellule toute bleue, des gouttes de soleil qui brillent... Le petit âne est arrivé à côté d'elle. Il met sa tête sur les genoux de la petite fille. Elle laisse tremper sa main dans l'eau toute fraîche... Et le ruisseau se met à chanter avec l'oiseau de l'arbre, une chanson rien que pour elle.

« Voilà le printemps, petite fille

sur mon arbre

sur mon eau,

sur mes cailloux ne cherche plus, petite fille

le printemps est partout, partout, partout... »

Alors la petite fille a cueilli un grand bouquet d'iris près de l'eau. Elle a regardé l'oiseau et l'arbre et la libellule.

Elle est remontée sur son petit âne.

Elle a retrouvé sa maison, sa maman.

« Voilà le printemps, petite fille

sur mon arbre

sur mon eau,

sur mes cailloux

ne cherche plus, petite fille

le printemps est partout, partout,

partout... »

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