Entretien sur la danse libre

Au C.E.S. de Cognac, des élèves font des recherches de danse libre par petits groupes durant les heures de gymnastique et le jeudi matin.

Au cours d'un entretien enregistré au magnétophone, elles analysent, avec leur professeur Michèle MARTEAU, ce que la danse libre leur apporte, comment elles la conçoivent, ce qu'elles attendent du public.

- Pourquoi viens-tu à la danse ?

- Parce que je l'aime, parce que je peux faire ce que je veux sur une musique qui me plaît, parce que je n'ai pas d'obligation. Par exemple, dans certaines danses on est obligé de faire certains pas alors que pour ces danses-là, on fait ce que l'on veut, on fait ce que l'on ressent.

- Est-ce que tu ne crois pas que de toute façon, à un moment donné, tu règles toi-même tes pas ?

- Oui, mais ces pas, c'est moi qui me les suis imposés, ce n'est pas d'autres personnes qui me les imposent.

- Moi, J'aime la danse, parce que cela me détend, c'est un passe-temps. On exprime des idées sur une musique que l'on aime.

- Pourquoi dansez-vous ?

- Je danse, parce que d'abord j'aime ça, et puis ça n'est pas comme dans d'autres matières, on n'est pas obligé d'expliquer. On fait sentir par notre corps, par notre expression physique entière. C’est plus facile à exprimer la danse qu’autre chose.

- Tu veux dire que tu peux parvenir à traduire ce que tu ressens plus facilement par des gestes que par des paroles ?

- Oui. Pas toujours mais souvent.

- En dansant, je peux m’exprimer à fond. C’est beaucoup plus facile que par la peinture ou par la musique. En général, il faut plutôt être doué pour la musique et pour la peinture, alors que pour la danse, il faut être doué aussi, mais quand même, tout le monde peut le faire.

- Tu as comparé tout de suite avec la peinture et la musique. Tu as dit : il faut être doué. C’est qu’alors, au départ, tu t’estimes douée pour la danse et pas pour la peinture ?

-Non, je dis que pour la danse il n’y a pas besoin d’être doué. Voilà, c’est ça que j’ai voulu dire.

- On ne peut pas entamer une discussion sur les dons possibles ou nécessaires pour la peinture ou pour la musique. Ce n'est pas notre propos.

- Et comment dansez-vous ?

- Je danse suivant mon humeur. Ça dépend, suivant le temps qu'il fait. Quand il fait de l'orage je ne danse pas comme lorsqu'il fait beau temps. Et puis ça dépend aussi de mon entourage, quand on est à l'intérieur ou à l'extérieur aussi cela y fait. Je me rappelle l'an dernier on avait fait une danse à l'extérieur, vous savez la « danse des planètes ». Il faisait très beau ce jour-là. Nous étions sur l'herbe, et tout d'un coup c'est venu. A l'intérieur ça n'aurait pas été pareil.

- Quel est le point de départ de votre danse ? Est-ce qu'il vous faut un thème, est-ce que vous partez d'une musique ?

-D’abord on écoute trois ou quatre musiques. On en choisit une et on travaille dessus. On la présente deux ou trois fois avant que ça soit au point et on travaille suivant un thème.

- J'écoute la musique, par exemple un disque. Certaines musiques ne m'inspirent rien du tout et puis tout d'un coup il y en a une qui me plaît et sur laquelle je voudrais faire quelque chose.

- Moi, c'est plutôt le contraire. L'an dernier on avait commencé au début sans musique. Ensuite on recherchait la musique suivant le thème. On peut faire les deux choses.

- Moi je ne sais pas mais je trouve que c'est plus facile quand on a la musique de trouver les gestes, que de faire l'inverse.

- Ça dépend des gens ! Si on fait ce qu'on ressent on n'est pas forcément obligé d'avoir une musique. - Moi, je trouve que c'est la musique qui contient ce que je ressens. Je ne pourrais pas danser sans musique.

- Sans musique je trouve que ce serait un peu trop « gymnastique. »

- Je ne sais pas si vous vous rappelez, l'an passé, avec Corinne on avait commencé à inventer une danse avec notre propre musique.

- C'était sur le terrain, je m'en souviens.

- Et puis après, on l'avait recommencée en salle. Cela avait paru drôle au début. D'abord on n'avait pas pu retrouver l'air, mais je trouvais que c'était original.

- Ce que je voudrais dire c'est que, si on danse avec de la musique, elle peut nous aider, elle peut nous faire ressentir quelque chose ; mais avec plusieurs filles on n'obtiendra pas du tout les mêmes gestes.

- En somme, si je comprends bien, si tu avais à choisir entre avoir de la musique et ne pas danser ou danser sans musique ?...

Je préférerais danser sans musique que ne plus danser.

- Disons que sans musique tu te débrouilleras toujours ?

- Si j'ai de la musique d'accord cela m'aidera, mais si je n'en ai pas je danserai quand même.

- Moi la musique m'aide et elle m'est nécessaire. Je ne pourrais pas danser sans musique.

- Sans musique, je ne ressens rien. Je fais des gestes dénués de signification.

- Mais alors, ce n'est plus la dansé que vous faites ressortir, c'est la musique ?

- Pour moi, c'est la danse que je veux faire ressortir sur une musique et non pas la musique.

- Disons que la musique est nécessaire à Fabienne, pour la faire sortir d'elle-même et lui faire exprimer ce qu'elle ressent, ce qui est en somme à l'intérieur d'elle-même. La musique l'aide à sortir  d'elle-même, tandis que toi, j'ai l'impression que tu en as moins besoin.

- C'est cela. La musique nous influence un peu. Si on n'a pas de musique c'est vraiment mou.

- Cela nous amène à poser la question : Quelle musique choisissez-vous pour danser ? Quel genre de musique ? Est-ce que vous avez besoin d'une musique pour commencer ou est-ce que vous partez d'un autre élément ?

- Cela dépend de quelle humeur je suis. Par exemple, si je suis gaie, je choisirai une musique classique, si je suis triste, une musique mélancolique, qui ne soit pas classique, ça dépend, ça peut être moderne...ça peut être classique.

- Bon, alors il ne faut pas faire la différence entre classique et moderne. Il faut choisir des musiques rythmées qui vous paraissent gaies et des musiques lentes qui paraissent nostalgiques.

- On peut choisir une musique quelle que soit notre humeur, pourvu qu'on la trouve très belle.

- Et toi qui ne dis rien et qui commences juste à danser ?

- Dans ma classe on préfère la musique classique en général. On arrive mieux à s'exprimer que sur la musique moderne.

- Pourquoi ?

- Parce que dans la musique classique on trouve des airs plus lents que dans la musique moderne qui est un peu « fofolle », bruyante. Ce n'est pas le même genre.

- Tu préfères la musique plus calme ?

- Oui. c'est cela.

- Ce qu'il y a dans la musique moderne c'est que les gestes ne veulent souvent rien dire. Il y a des gestes qui n'expriment rien ou alors ce sont des gestes qu'on a déjà faits.

- Là, il serait intéressant qu'on aille chercher les filles qui se sont spécialisées dans la musique moderne parce que je ne sais pas si elles seraient d'accord.

- Tu crois qu'elles n'expriment pas quelque chose quand elles dansent ?

- Ce que je dis c'est mon opinion personnelle.

- En. somme, il y a deux écoles dans notre groupe. Il y a des filles qui sont spécialistes de musique moderne et qui font des gestes qui ressemblent vraiment à ce qu'on voit à la télévision, sans qu'elles copient forcément. Et d'autres qui s'inspirent, quoi qu'elles en disent, de la danse classique, même si elles n'en ont pas la technique. Parce qu'il faut bien s'entendre : lorsque vous dites que vous faites de la danse classique, vous voulez dire que vous dansez sur de la musique classique. Vous n'avez pas la technique de la danse classique.

- Moi je fais les deux parce que j'aime bien les deux mais ça dépend...

- Avez-vous appris à danser d'une façon classique ou moderne avant de venir ici ?

- De 7 à 8 ans, j'ai fait un an de danse classique, mais il ne m'en reste absolument rien maintenant. Je pense que ce n'est pas la peine d'avoir appris la danse pour nous exprimer sur de la musique.

- Tu n'as rien retiré de ces leçons ?

- Non, cela ne me plaisait pas, j'avais des gestes imposés.

- Est-ce que tu dansais sur de la musique ?

- Non, justement pas au début et cela ne m'attirait pas. Il n'y a que cette année que j'ai dansé avec vous et que ça m'a plu.

- Pourtant, est-ce que je t'apporte une technique particulière ?

- Non, justement c'est cela. Je ne veux pas être imposée.

- Est-ce que tu crois quand même qu'une technique n'est pas nécessaire ? Est-ce que cela ne te gêne pas ?

- Cela ne me gêne absolument pas de ne pas avoir de technique.

- De 5 à 8 ans, j'ai fait de la danse classique et de 8 à 10 ans j'ai fait de la danse rythmique.

- Est-ce que ça te sert pour la danse que tu fais maintenant ?

- La danse rythmique, oui, m'a servi un peu.

- Est-ce que fa ressemble à ce que tu faisais ?

- Des mouvements, oui.

- Mais tu dansais sur de la musique ?

- De 5 à 6 ans on ne dansait pas avec de la musique parce que nous étions trop jeunes.

- Tu crois que quand on est petit on n'a pas besoin de musique ?

- Non.

- Quand on fait de la danse, au début on ne danse pas sur de la musique.

- On fait seulement des mouvements.

- Je ne te demande pas de comparer entre ce que tu fais à ton cours de danse et ce que tu fais ici. Je ne voudrais pas que tu portes un jugement. Je veux seulement que tu me dises où tu éprouves le plus de plaisir à venir ?

- J'aime autant les deux. J'aime la danse en général alors...

- Moi aussi, je trouve que la danse classique m'aide beaucoup dans les mouvements.

- Quand tu danses, même quand c'est du moderne, on le sent et cela fait un bon effet. Tu suis quand même le rythme, mais malgré tout tu as une grâce classique.

- Oui.

- C'est justement cela qu'on appelle être doué pour la danse ou ne pas l'être.

- Si on prenait un enfant de 5 ans, tout seul, on verrait s'il est doué ou non. On peut le faire devenir très bon danseur ou très bonne danseuse.

- Tu penses en somme que pour faire de la danse classique, il faut persévérer, il faut avoir des dons au départ et les travailler. Tandis que tu penses que la danse que nous faisons ne nécessite pas au départ de dons nécessaires et que tu arriveras quand même à profiter de ce que vous faites.

- Il y a des gens qui ne sont pas tellement doués et qui arrivent quand même à danser, qui s'améliorent à force de travail.

- En danse classique on nous impose souvent des mouvements. Ce n'est pas nous qui les avons trouvés, c'est le professeur qui nous les impose. On dit qu'il faut être doué au départ pour la danse classique, mais il y en a qui ne sont pas doués et qui y arrivent quand même.

- On arrive à la question que je voulais vous poser : Est-ce important de savoir d'abord danser avant de danser ?

- Je ne sais absolument pas danser. Quand on m'invitait je ne savais rien faire, alors que depuis que je suis venue ici ce n'est plus pareil.

- Tu dis : « quand on m'invitait » mais c'était à ce moment-là un rythme bien précis et des pas bien précis justement.

- Non, quand on danse le jerk ou le rock... on n'est pas obligé de savoir les pas.

- Quand je suis arrivée ici, moi non plus je ne savais pas danser et ça m'a énormément aidée. Maintenant, ça marche à peu près.

- Tu as l'impression que tu sais danser maintenant ?

- Non, pas que je sais danser, que ça marche mieux.

- Et qu'est-ce qui marche mieux ?

- Avant j'étais raide, alors que maintenant je me sens mieux. C'est plus aisé comme expression.

- Vous êtes d'accord sur le fait que ce n'est pas capital d'avoir appris à danser pour venir danser ?

- C'est nous qui fabriquons notre danse alors personne ne nous impose quoi que ce soit.

- Est-ce qu'il vous arrive pendant que vous cherchez, de ressentir un manque, c'est-à-dire quelque chose qui vous fait défaut du point de vue technique ? Vous voudriez présenter quelque chose mais vous sentez que votre corps n'est pas capable de le reproduire parce que peut-être on ne vous l'a pas appris.

- En classique, oui. En moderne, cela ne m'est jamais arrivé.

- C'est que vous faites une différence entre classique et moderne.

- Quand on a fait de la danse classique on sent beaucoup moins ce manque.

- Est-ce que vous voulez montrer aux gens ce que vous dansez quand vous dansez ?

- Oui, on voudrait leur faire comprendre ce que l'on a ressenti. C'est une façon de s'exprimer. Si l'on n'avait pas de mots pour échanger des idées, on pourrait danser.

- Une fois que je sais bien ma danse, que je suis à l'aise dedans, j'ai besoin d'un public, de quelqu'un qui regarde et qui puisse me critiquer.

- Moi, mon plaisir de danser c'est prioritaire, parce que si les gens n'aiment pas ce que je danse et que moi je l'aime, leur avis m'importe assez peu.

- Est-ce que vous danseriez si personne ne vous regardait jamais ?

- Oui.

- Que vous apporte le public ?

- Il y a le public actif et le public passif. Le public passif, c'est celui qui regarde sans avoir d'opinion.

- Est-ce que vous avez besoin d'un public pour danser ?

- Oui, nous avons besoin de quelqu'un qui critique. C'est le public actif.

- Si ce que je fais est réussi j'aime bien le montrer, même à un public passif. Mais si j'estime qu'il y a quelque chose qui cloche j'aime mieux le montrer à un public actif.

- Moi, je trouve qu'il faut d'abord le montrer au public actif ; si l'on critique on essaye de faire de notre mieux. Lorsqu'on voit que le public actif est content, on peut le montrer au public passif.

- Et pourquoi voulez-vous à ce moment-là le montrer au public passif ? Est-ce que c'est pour vous faire admirer ?

- Il y a un théâtre au lycée. On y apprend des pièces. Eh bien on va les montrer après au public passif. Ce n'est pas pour qu'il nous critique c'est parce que cela nous plaît.

- On essaye, en leur montrant ce qu'on a fait, de leur faire comprendre la danse pour peut-être les inciter à venir danser avec nous.

- Qu'est-ce que tu veux faire comprendre dans la danse, toi ?

- Leur faire comprendre le thème.

- Quelle place accordez-vous à votre danse ?

- J'accorde la première place.

- Moi aussi.

- Dans votre vie actuelle, quelle place tient la danse ?

- Tout au long de la semaine, on y pense, on cherche des mouvements, on note la musique.

- Moi je n'y pense que lorsque j'écoute des disques à la maison, autrement je n'y pense pas.

- Est-ce que ce que nous faisons le jeudi matin répond à ce que vous espérez en venant là ?

- Oui.

- Qu'est-ce que représente pour vous la danse ?

- Quand on arrive à la danse on ne pense plus au reste.

- Est-ce que vous voudriez qu'on en fasse davantage ?

- Oui.

- Que cela prenne la place de quoi, par exemple ?

- Du latin

- Si on vous supprimait la danse ?

- J'aime la danse et si on me la supprimait je m'arrangerais quand même pour y venir.

Nom des élèves ayant participé à cet entretien :

BRIGITTE, 15 ans (4e) ;
FABIENNE, 15 ans (4e) ;
VÉRONIQUE, 12 ans (5e) ;
THÉRÈSE, 13 ans (5e ) ;
ISABELLE, 13, ans et demi (5e ) ;
ANNIE, 11 ans (6e) ;
MARIE-CHRISTINE, 12 ans (6e ) ;
ELODIE, 12 ans (6e ).

 

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